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D'Ukraine, une herbe-poème

Dernière mise à jour : 21 juin 2023



La poésie est rarement en odeur de sainteté dans les régimes totalitaires. Torturé, harcelé par le KGB, Grugoriy Choubaï est mort en 1982. Il n’avait que 33 ans. Son étoile fugace a éclairé l'horizon sombre des années 1970 en Ukraine, sous occupation soviétique. En ce 24 février de sinistre anniversaire, les humanités (remerciements à Kseniya Kravtsova) affirment à nouveau la solidarité à l’Ukraine en offrant à ses lecteurs un poème inédit, Herbe, fragment d’une œuvre elle-même totalement inédite en français, avec toutefois, de prochains événements à venir.


HERBE


Je suis herbe ancestrale

herbe sauvage

herbe jusqu’au brin arraché

jusqu’à la tige piétinée pour finir

abreuvée de goudron chaud

sous lequel je semblerais enterrée pour toujours


Mais ce matin

j’ai fracassé vos asphaltes

je pousse

voilà que je vous arrive à la taille

je pousse

voilà que je vous arrive

jusqu’au cou je pousse

voilà que je vous arrive

jusqu’aux yeux je pousse

et je vous adresse

un regard prophétique


Et voilà que je vous dépasse,

moi herbe

je sais que cela vous déplaît

que je vous dépasse

alors demain

vous m’enverrez vos bulldozers

à nouveau vous me déracinerez

ou me taillerez au cordeau

et toutes les heures soigneusement

vous m’arroserez avec l’eau du robinet


Mais ce matin

j’ai fracassé vos asphaltes

je pousse

voilà que je vous arrive à la taille

je pousse

voilà que je vous arrive

jusqu’au cou

je pousse

voilà que je vous arrive jusqu’aux yeux

je pousse

et je vous adresse un regard prophétique


Et à ce moment-là

je vais me taire

comme mes cousins civilisés du gazon

parce que je ne suis

qu’une herbe

pas simplement venu vous rappeler

que j’existe parce que

vous en avez oublié d’autres

que moi je suis venu vous rappeler

que vous êtes humains

et que vous aussi vous devriez

grandir tous les jours

je suis herbe


Traduction O.Deck et Ksenyia Kravtsova


Grugoriy Choubaï.

Le garçon qui dévorait le contenu de la bibliothèque de son hameau natal dans l'ouest de l'Ukraine, qui foulait les lieux d'anciens campements de Cosaques, dessinait dans les cimetières nocturnes avec seule la lumière de la lune, questionnait les anciens, ayant conscience aiguë de ses origines. Premier interrogatoire à 15 ans, à la suite duquel ses reins furent sévèrement endommagés. Les nuits passées au cachot lui ont ensuite valu la tuberculose. Interdit d'entrée dans les universités de son pays, il enchaîna les petits boulots... Ses vers se transmettaient oralement, en chuchotant, à ceux qui voulait être libres. On cachait les écrits, dans l'impossibilité de publier quoi que ce soit...

Né en 1949 dans la région de Volyn, Grugoriy Choubaï (en ukrainien : Грицько Чубай) a été une figure centrale de la culture ukrainienne underground à Lviv à la fin des années 1960 et dans les années 1970.

Choubaï a écrit la plupart de ses poèmes alors qu'il avait une vingtaine d'années. Plusieurs de ses poèmes critiquaient explicitement ou indirectement l'ordre soviétique. Il a souvent utilisé des métaphores complexes et surprenantes ainsi que des images religieuses pour explorer les thèmes de la conformité, de l'isolement ou de la compagnie humaine. A Lviv, il est invité à lire ses poèmes dans des réunions intimes et lors de soirées de poésie.

Avec ses amis, les poètes-dissidents Ihor et Iryna Kalynets, il publie en 1971 un journal-samizdat, Skrynia (Le Coffre), qui est vite repéré par les sbires du KGB. Ihor et Iryna Kalynets sont condamnés à 9 ans de prison dans une colonie pénitentiaire, et une vague de répression s’abat sur de nombreux autres représentants de l'intelligentsia ukrainienne. Pour sa part, Grugoriy Choubaï est libéré mais les persécutions soviétiques feront de sa vie un véritable enfer.

Son premier recueil de poésie, Hovoryty, movchaty, i hovoryty znovu (Parler, se taire et reparler) ne sera publié qu’en 1990, à titre posthume. Un recueil plus complet de son œuvre - Plach Ieremiï : Poeziï (Le cri de Jérémie : Poésie)-a été publié en 1998, suivi de la publication définitive de P'iatyknyzhzhia (Pentateuque) en 2013, publication complétée par des photographies provenant des archives de la famille Choubaï et des lettres du poète à son ami Oleh Lysheha. Nombre de ses poèmes ont été mis en chanson par son fils Taras qui, en tant que musicien solo et avec son groupe Plach Ieremiï (Jeremiah's Cry), a considérablement élargi l'accès aux écrits de son père dans l'Ukraine post-soviétique.


Prochains événements à venir

Les 16 et 17 mars à Avignon :

Le 16 mars au Théâtre de l'Oulle : Soirée hommage à Grugoriy Choubaï.

Le 17 mars au cinéma Utopia, projection en avant-première (souis-titres en français) du film Choubai. Speak Again, documentaire de Mikhail Krupievsky.


Les humanités envisagent d'éditer, dans le courant 2023, un premier recueil en français de poèmes de Grugoriy Choubaï



Dès le 25 février 2022, les humanités ont manifesté leur soutien à l'Ukraine, et nous n'avons cessé depuis lors, dans la mesure de nos moyens, d'apporter des éclairages originaux sur certains aspects de cette guerre. Nous avons ainsi été les premiers à révéler, puis largement documenter, le crime de génocide que représentent les déportations d'enfants.


Entièrement gratuit et sans publicité ni aides publiques, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, déficher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.


Il y a encore du pain sur la planche, il ne reste plus qu’à faire lever la pâte. Concrètement : pouvoir étoffer la rédaction, rémunérer des auteurs, et investir dans quelques outils de développement…


Pour encourager cette aventure, dès 1 € :


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