Une excavatrice sur un site de forage à Bakou, le 16 septembre 2024. Photo Sergiei Grits / AP
L’Azerbaïdjan tire son nom du persan "azer", mot désignant les "feux sacrés" des temples de l'antique religion du zoroastrisme, alimentés par le gaz ou les naphtes qui jaillissaient naturellement de terre. Sur fond de corruption galopante et de répression vis-à-vis des opposants au régime dictatorial du président Ilham Aliyev, Bakou accueille la 29ème COP Climat à partir de ce 11 novembre. Le climat et les pays pauvres pourront sans doute attendre. Comme dirait Donald Trump (qui n'est pas azerbaïdjanais), « Drill, baby, drill ».
Emmanuel Macron, Xi Jinping, Joe Biden, Lula, Narendra Modi, Olaf Scholz, seront aux abonnés absents. Et ils ne seront pas les seuls à sécher la 29ème COP Climat qui débute ce 11 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. La Papouasie-Nouvelle Guinée, un État insulaire pourtant très vulnérable au changement climatique, oarle carrément de boycott. C’est « une perte de temps totale » explique le ministre des Affaires étrangères Justin Tkatchenko. Au nom des petits États insulaires qui « n’ont bénéficié d’aucune attention ni d’aucune reconnaissance », il dit en avoir assez « du manège qui a consisté à ne rien faire du tout au cours des trois dernières années ». Le ministre annonce qu’il va plutôt privilégier les accords bilatéraux, plus efficaces selon lui. « Avec des pays aux vues similaires comme Singapour, nous pouvons faire 100 fois plus que la COP », assure Justin Tkatchenko.
De gauche à droite : Mete Turksoy, militant pro-démocratie arrêté à Bakou le 30 octobre dernier (Phot DR),
le bloggeur Mahammad Mirzali, réfugié en France où il a échappé à trois tentatives d’assassinat (photo Loïc Venance / AFP),
et Vidadi Isgandarli, réfugié politique en France où il a été assassiné le 1er octobre dernier (Photo DR).
Mete Turksoy non plus n’assistera pas au rendez-vous sur le climat. Ce jeune militant azerbaïdjanais pro-démocratie a été arrêté le 30 octobre dernier à Bakou. Accusé de « hooliganisme », il a été condamné -sans le moindre procès- à 30 jours de détention administrative. Il fait partie d’une longue liste d’opposants, de journalistes (dont Ulvi Hasanli, rédacteur en chef d’Abzas Media, un média en ligne spécialisé dans les droits humain), de blogueurs et de défenseurs de l’environnement que la dictature azerbaïdjanaise envoie dans ses geôles, où seraient détenus plus de 300 prisonniers politiques. « Plusieurs dizaines de défenseurs de l’environnement azerbaïdjanais ont été menacés et sont aujourd’hui derrière les barreaux », déplore Éléonore Morel, directrice générale de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH).
Le cas le plus emblématique est sans doute celui d’Anar Mammadli (photo ci-contre), cofondateur de l’ONG Climate of Justice Initiative, qui avait reçu il y a 10 ans le prix Václav-Havel décerné par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il a été arrêté le 29 avril 2024, accusé de « complot en vue d’introduire illégalement de l’argent dans le pays », alors qu’il venait de participer à Genève à une session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Il encourt jusqu’à huit ans de prison. Jusqu’à ce jour, les multiples campagnes pour exiger sa libération, dont celle d’Amnesty international, sont restées lettre morte.
Selon les règles de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, les pays organisateurs doivent assurer que les sessions et événements se tiennent dans des lieux où les droits humains et les libertés fondamentales sont promus et protégés, rappelle l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (OMCT/FIDH). Comme chantait Dalida, Paroles, paroles...
Les opposants azerbaïdjanais qui ont choisi l’exil ne sont pas davantage en sécurité. Réfugié en France depuis 2016, le blogueur et dissident Mahammad Mirzali, qui anime une chaîne YouTube, Made in AzebaIdjan, y a déjà été victime de trois tentatives d’assassinat. Depuis deux ans, il est placé sous haute protection policière. Le cadavre de son compatriote Vidadi Isgandarli, ex-procureur lui aussi réfugié politique, a été trouvé chez lui, à Mulhouse, le 1er octobre dernier, le corps lardé d’une quinzaine de coups de couteau.
Ci-dessous, enquête de France 24 sur les intérêts en France des proches du régime azerbaïdjanais.
Quand le directeur de la COP Climat négocie en sous-main des investissements dans le secteur gazier...
« Le gouvernement veut utiliser la COP comme une vitrine pour renvoyer l’image d’une société moderne, et il s’assure que rien ne puisse l’en empêcher », affirme Natalia Nozadze, chercheuse à Amnesty internationale spécialiste du Caucase du Sud. Lorsqu’ils ont été arrêtés, en décembre 2023, les journalistes d’Abzas Media enquêtaient sur un dossier environnemental particulièrement sensible : la mine d’or de Gedabek. Les habitants du village de Soyudlu, à quelques centaines de mètres, s’opposaient à la construction d’un nouveau lac artificiel de stockage des déchets chimiques, notamment des boues de cyanure (lire ICI, reportage France 24). Une commission d’enquête, mise en place à la demande du président Ilham Aliyev, a conclu à l’absence totale de cyanure. Précision utile : ladite commission avait à sa tête Mukhtar Babayev, ministre de l’Écologie, qui va présider la COP 29.
A gauche : Elnur Soltanov, vice-ministre azerbaïdjanais de l’Énergie et directeur général de la COP 29 (photo DR).
A droite : Mukhtar Babayev, ministre de l’Ecologie et président de la COP à Bakou (photo DR)
L’écologie, ça le connaît, Mukhtar Babayev. Au sein de la Socar (State Oil Company of Azerbaijan Republic), il a passé 16 ans dans l’industrie pétrolière. On peut donc compter sur lui pour « renforcer la transition hors des énergies fossiles » ! Son vice-ministre chargé de l’Energie, et directeur général de la COP, Elnur Soltanov, vient d’être pris la main dans le pot de confiture. La BBC (ICI) vient de révéler le scandale grâce à des documents et des enregistrements vidéos réalisés par l'ONG Global Witness, après que l’un de ses membres se soit fait passer pour le directeur d'une société d'investissement fictive basée à Hong Kong. Dans sa discussion avec Elnur Soltanov, celui-ci lui propose alors de sponsoriser la Cop29... en échange de négociations en vue de potentiels investissements dans la Socar, la société énergétique publique azerbaïdjanaise, celle-là même pour laquelle travaillait Mukhtar Babayev. « Nous avons de nombreux champs gaziers à développer », argumente ainsi Elnur Soltanov…
L'autel principal du temple zoroastrien d'Atechgah, surnommé le "temple du feu", près de Bakou. Photo DR
L'Azerbaïdjan, berceau de l'extraction policière moderne
Alors que pour parvenir à limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle comme le prévoient les Accords de Paris, il est impératif de ne plus exploiter de nouveaux gisements de pétrole et de gaz, l’Azebaïdjan ne compte pas vraiment baisser la garde, tout au contraire. Il faut dire qu’entre Azerbaïdjan et pétrole, c’est une vieille histoire. A la fin du XIIIe siècle, Marco Polo, cheminant sur la Route de la soie, décrivait déjà une "source" d'huile à brûler située dans cette région du Caucase. Le nom lui-même d'Azerbaïdjan vient du persan "azer", mot désignant les "feux sacrés" des temples de l'antique religion du zoroastrisme, alimentés par le gaz ou les naphtes (pétrole brut) qui jaillissaient naturellement de terre. En mémoire de cette lointaine époque, le temple zoroastrien d'Atechgah, près de Bakou, dispose d'un feu éternel alimenté par une conduite de gaz spéciale provenant d'un champ voisin. Jadis, le gaz sortant directement du sol qui brûlait dans ses foyers vénérés.
L’Azerbaïdjan aura été l'un des berceaux de l'extraction pétrolière moderne : avant même le premier forage aux États-Unis, un puits avait été percé en 1846 près de Bakou. Les Suédois Robert et Ludvig Nobel, frères d'Albert à l'origine des célèbres prix, furent parmi les premiers à investir dans le pétrole azerbaïdjanais, achetant raffinerie et champs pétroliers dès 1876, puis fondant la société Branobel qui devient numéro un mondial du pétrole avant sa nationalisation en 1920 lorsque l'Azerbaïdjan passe sous contrôle soviétique. Au début du 20èmze siècle, plus de la moitié de la production mondiale d'or noir provient de la région de Bakou, à savoir la péninsule d'Apchéron, sur la mer Caspienne.
La plateforme offshore d'Azeri-Chirag-Guneshli, en mer Caspienne, qui fournit plus de la moitié du pétrole azerbaïdjanais. Photo DR
Aujourd’hui, avec une exploitation annuelle de 32,7 millions de tonnes de brut, l’Azerbaidjan figure parmi les 20 premiers exportateurs nets de pétrole. Une ressource qui provient pour plus de la moitié du champ en eaux profondes d'Azeri-Chirag-Guneshli, découvert dans les années 1970, exploité par BP en association avec la compagnie d’État Socar. Comme dirait Donald Trump, « Drill, baby, drill ».
Ces dernières années, toutefois, la production de pétrole diminue régulièrement après un pic atteint en 2010, et c’est la production gazière qui est en plein essor. Le climat pourra bien attendre : l’Azerbaïdjan prévoit d’augmenter cette production de gaz de 35% dans les dix prochaines années. Lequel gaz arrivera en Europe via le réseau de gazoducs "Corridor gazier du sud" qui relie l'Azerbaïdjan à l'Italie en passant par la Géorgie et la Turquie. Ces "liens énergétiques" expliquent grandement le peu d'empressement de l'Union européenne à sanctionner l'Azerbaïdjan pour son occupation militaire du Haut-Karabagh, depuis septembre 2023, aux dépends de l'Arménie...
En tout, la production en hydrocarbures représente globalement 90% des exportations azerbaïdjanaise, près de la moitié des recettes de l’État et 35% du PIB. Une manne dont la population locale ne voit guère la couleur, alors que l’Azerbaïdjan se classe régulièrement dans les derniers rangs de l'indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International.
Un nouvel objectif de financement pour l’action climatique
Dans un tel contexte, il y a peu attendre (sinon le pire) de la présidence azerbaïdjanaise de la COP Climat qui débute ce jour à Bakou. « Les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère atteignent des niveaux record et les émissions continuent d’augmenter », écrit pourtant le Centre régional d’information pour l’Europe occidentale des Nations Unies : « La fenêtre d’opportunité pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius et éviter l’aggravation des impacts climatiques est presque fermée ». Sur la table des négociations de la COP29, la définition d’un nouvel objectif de financement pour l’action climatique. En 2009 à Copenhague, les États les plus riches avaient promis de mobiliser chaque année, et au plus tard dès 2020, 100 milliards de dollars par an à destination des pays du Sud, en première ligne des impacts du dérèglement climatique, pour les appuyer dans leur transition écologique. Alors même que cet objectif n’a pas été tenu, un groupe d’experts mandaté par les Nations unies estime aujourd’hui qu’il faut désormais mobiliser 1.000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour soutenir l’action climatique dans les pays du Sud, à l’exclusion de la Chine.
Une femme sur un canapé à l'extérieur de sa maison inondée, dans le bidonville de Mathare à Nairobi,
après les fortes pluies qui ont touché le Kenya en avril dernier avril 2024. Photo Brian Inganga / AP
Cette question concerne l'Afrique au premier chef, comme vient de l’écrire la rédaction de RFI. Loin des yeux, loin du cœur ? Si les récentes et monstrueuses inondations dans la région de Valencia, en Espagne, ont logiquement occupé la Une de nos médias, on a beaucoup moins entendu parler de celles qui ont aussi fait près de 300 morts et des milliers de personnes déplacées au Kenya, au printemps dernier, ni davantage de l’extrême canicule qui a fait une centaine de morts à Bamako, en avril.
Les pays du Sud auront peut-être davantage de chance de se faire entendre l’an prochain, lors de la prochaine COP climat dans la ville amazonienne de Belem, au Brésil. Alors que vient d’être confirmée la semaine dernière une réduction de plus de 30% du taux de déforestation de l'Amazonie brésilienne, le gouvernement de Lula a encore annoncé, juste avant Bakou, avoir augmenté son objectif de réduction des gaz à effet de serre de 59 % à 67 % d'ici à 2035. Combien de pays suivront cette trajectoire ?
Jean-Marc Adolphe et Dominique Vernis
Parce que vous le valez bien, les humanités, ce n'est pas pareil. Mais on hésite à le dire encore, tant nos derniers "appels" se soldent par un fiasco presque total : pour continuer encore, votre soutien est essentiel. Dons et abonnements ICI
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