Il a été, avec Pina Bausch, de toute l’aventure du Tanztheater de Wuppertal. Jan Minařík est décédé chez lui, en République tchèque où il s’était retiré.
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C’était un pervers, un sadique, un psychopathe, un tortionnaire, un qui fait peur. Un monstre.
Un monstre pour de faux, quand on voit les vrais monstres d'aujourd'hui, les Poutine et consorts.
Dans la vraie vie, comme on dit, il était la gentillesse incarnée.
Jan Minařík est mort lundi dernier chez lui, dans la ferme où il s’était retiré, en République tchèque.
Jan Minařík était un géant. Il a participé à la création de 36 spectacles de Pina Bausch, depuis le tout début jusqu’à la fin. Danseur au sein du Ballet de la ville de Wuppertal, il a été l’un des seuls à rester à bord lorsque Pina Bausch fut nommée à la direction de cette compagnie de ballet qui allait devenir le Tanztheather de Wuppertal. Dans les spectacles de Pina, avec son imposante stature, Jan incarnait souvent le patibulaire, le méchant. Dans Nelken et son tapis d’œillets, à la fin de l’extraordinaire solo de Dominique Mercy, en robe, qui enchaîne les figures de danse classique en haranguant le public ("Qu’est-ce que vous voulez voir, encore ?"), Jan Minarik arrivait en demandant : "vos papiers"…
Après Barbe Bleue (1977), l’un de ses rôles les plus emblématiques, peut-être, aura été Sur la montagne, on entendit un hurlement (Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört), en 1984. Dans un univers de terre brune, molle, salissante, qui recouvre le plateau ; la peur s’incarne dans la figure d’un clown macabre, molosse au nez écrasé, bourreau en puissance qui fait éclater l’un après l’autre, sans sourciller, des ballons gonflables qu’il tire de son slip de bain. Jan Minařík. Ogre des cauchemars de l’enfance, monstre de toutes nos peurs, sa présence narquoise ouvre et surveille le bal des agitations qui s’ensuit. Un monde torturé. A l’époque, la critique avait perçu dans la pièce la crainte d’un cataclysme nucléaire… deux ans avant la catastrophe de Tchernobyl ! « La peur a toujours existé dans mes spectacles, mais auparavant elle était plus personnelle, touchant au problème de l’individu dans la société. Maintenant elle est collective, fondamentale. C’est la peur de l’humanité entière menacée d’autodestruction ou d’avenir sombre », confiait alors Pina Bausch.
Là, que se poursuit la guerre en Ukraine, que la Cour suprême des États-Unis vient de limiter le pouvoir de l’État fédéral pour lutter contre le changement climatique, on n’est pas vraiment sortis de l’auberge. Jan Minařík a préféré tirer sa révérence, il y a de quoi. « Enfant, je devais avoir un terrible défaut de prononciation parce que j’ai toujours reçu autre chose que ce que j’avais souhaité », disait Jan Minařík (rapporté par Raimund Hoghe, Pina Bausch. Histoires de théâtre dansé, L’Arche éditeur, 1987).
Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d'article : Jan Minařík et Jo Ann Endicott dans Two Cigarettes in the Dark (1985)
PS - Alors que Jan Minařík vient de mourir, le Ballet de l’Opéra de Lyon reprend Sur la montagne, on entendit un hurlement (jusqu’au 7 juillet). Avec ce sens de l’ambiguïté dont Pina Bausch avait le secret, la frayeur se mêle au cocasse et les situations virent du réalisme à l’absurde. Près de 40 ans après sa création, Gebirge n’a rien perdu de son acuité, sur une bande son où grésillent les voix de Billie Holiday, de Fred Astaire, de Gerry Mulligan, ou encore cette chanson dont le titre vaut à lui seul promesse et prière de toutes les pièces de Pina Bausch : Parlez-moi d’amour…
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