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Januelle, Princess, Titti, etc., dans la violence d'Haïti

Dernière mise à jour : 15 mars


Dieu Frisdeline, qui a trouvé refuge dans la cour de Jean-Kere Almicar, pleure en racontant comment elle a été violée par des membres de gangs, à Port-au-Prince, Haïti, le 4 juin 2023. Près de 200 personnes qui vivaient autrefois dans le bidonville de Cité Soleil, près de la maison de Jean-Kere Almicar, ont campé dans la cour de ce dernier et dans les zones voisines. Photo Ariana Cubillos / Associated Press


A nouveau Haïti "sombre dans le chaos", disent les gazettes, et cette violence "vient de loin". En effet. Il y a 20 ans, la France était complice du coup d’État qui déposait le président Aristide. Et il y a 200 ans, les colons esclavagistes français imposaient un scandaleux racket à la première république noire indépendante de l’Histoire moderne, comme s'il fallait lui faire payer ad vitam æternam l’outrage de son émancipation. Aujourd'hui nous regardent les visages de Januelle, Princess, Titti, et d'autres femmes haïtiennes, photographiées par une photojournaliste d'Associated Press, Ariana Cubillos


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"Haïti peut-il sortir de l'ornière ?", demandions-nous en octobre 2022 (Lire ICI). Dix-sept mois plus tard, Haïti est à nouveau en mode peyi lock (pays bloqué), l'actuel premier ministre Ariel Henry, qui assurait la présidence par intérim depuis l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse, a démissionné, et Haïti est à nouveau en proie à la violence des gangs, qui contrôlent 80% de la capitale, Port-au-Prince.


Pourtant, rien d’imprévisible. Après l’assassinat de Jovenel Moïse, dans la nuit du 7 juillet 2021 (assassinat organisé pour des motifs politiques, comme l’a conclu un rapport d’enquête du Réseau National de Défense des Droits Humains), les États-Unis et d’autres puissances régionales ont imposé à la tête d’Haïti Ariel Henry, malgré son impopularité, et préférant ignorer, comme nous l’écrivions alors, « la proposition de coalition faite par la société civile haïtienne afin de créer un gouvernement par intérim plus représentatif et permettant d’envisager un retour à la démocratie. » Nous citions alors une chroniqueuse du New York Times, Lydia Polgreen, qui s’interrogeait sur les raisons pour lesquelles fut empêchée la mise en œuvre de l’Accord de Montana, rédigé par une "Conférence Citoyenne pour une Solution Haïtienne à la Crise".


Évoquant l’actuel "chaos" qui règne à nouveau à Haïti, la plupart des médias indiquent que cette violence vient de loin, sans trop entrer dans les détails, laissant ainsi qu’une inexpugnable "fatalité" frapperait Haïti.

Mais le coup d’État qui a déposé le président Aristide, le 29 février 2004, il y a vingt ans, ne venait pas de si loin que ça. D’abord, pour mettre en difficulté Aristide, extrêmement populaire dans la population pauvre, les États-Unis et leurs partenaires européens ont commencé par bloquer l’aide de centaines de millions de dollars qu’ils avaient promise. Comme cela ne suffisait pas, Aristide a été exfiltré (à bord d’un avion américain). Dans une interview au New York Times, l’ambassadeur de France de l’époque a ultérieurement reconnu que les États-Unis et la France avaient effectivement procédé à un « coup d’État ».


« Aristide s’était fait de puissants ennemis », précisait Lydia Polgreen, et « les Français étaient parmi les premières nations à exiger le départ d’Aristide. » Il avait notamment exigé que la France paie à Haïti 21 milliards de dollars, pour remboursement de la dette honteuse qu’elle avait exigée de sa colonie après sa libération.


Et là, oui, ça vient de loin. Mais les humanités ont quasiment été le seul média français à dénoncer « le scandale du racket français » (sur Haïti) révélé par une enquête au long cours du New York Times, que nous avons été les seuls à traduire intégralement et publier, en mai 2022.


A lire : « Haïti : le scandale du racket français » (les humanités, 23 mai 2022).


Haïti ne s’est jamais remis de ce scandaleux racket, lié à une « rente de réparation » que les colons esclavagistes avaient imposé il y a 200 ans, en 1825, pour punir le désir de liberté et d’indépendance (comme nous le révélions alors, l’argent volé à Haïti a notamment servi à la construction de la Tour Eiffel). Pire : deux cents ans plus tard, la France d’Emmanuel Macron continue de faire payer à la première république noire indépendante de l’Histoire moderne l’outrage de son émancipation. « C’est une politique cynique et criminelle », écrivions-nous en octobre 2022. C’est à ce titre, aussi, que nous regardent les visages de femmes haïtiennes que nous publions aujourd’hui, transmis par la photojournaliste Ariana Cubillos.


La rédaction des humanités


PHOTOJOURNALISME


"Elles m'ont donné leur nom, elles m'ont raconté leur histoire..."


Reportage et témoignage d'Ariana Cubillos, photojournaliste d'Associated Press basée à Caracas, au Venezuela. Basée en Haïti de 2004 à 2009, elle y a également couvert le tremblement de terre de 2010 et la descente du pays dans la violence des gangs. Son reportage a été publié dans le cadre d'une série mettant en lumière les journalistes d'Associated Press à l'occasion du Mois de l'histoire des femmes (Voir ICI).


En juin 2023, je traversais les rues animées de Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, à l'arrière d'une moto. Après avoir couvert ce pays des Caraïbes pendant des années, j'étais à la recherche d'articles susceptibles de mettre en lumière l'impact humain de l'aggravation de la violence des gangs en Haïti.


Je suis tombée sur la cour d'une petite maison où se trouvaient un groupe de femmes et leurs enfants. L'endroit était une sorte d'abri pour les familles qui se protégeaient les unes les autres après avoir été forcées de fuir leurs maisons. Le propriétaire de la maison leur a permis d'y rester pour qu'elles n'aient pas à dormir dans la rue avec leurs enfants.

 

J'ai commencé à écouter leurs histoires… La plupart d'entre elles avaient été agressées sexuellement, d'autres présentaient des blessures par balle ou des signes de violence physique. Certaines avaient assisté à l'exécution de leur mari.

 

Ce jour-là est l'un des meilleurs exemples de ma carrière où j'ai senti que le fait d'être une femme m'ouvrait une porte pour raconter ces histoires vulnérables. Établir un lien avec ces femmes m'a permis de saisir les conséquences très intimes de la crise haïtienne. Je crois que l'empathie, la connexion naturelle que j'ai ressentie avec elles, se reflètent dans mes images.

 

Elles m'ont donné leur nom, elles m'ont raconté leur histoire, elles m'ont montré des documents attestant des abus sexuels.

 

Entre deux clics de mon appareil photo, j'ai ressenti la satisfaction de pouvoir documenter quelque chose qui me semblait important, mais aussi une grande impuissance - surtout en tant que femme - à voir la violence à l'égard des femmes devenir un thème aussi récurrent.

 

Ce jour-là, j'ai photographié Januelle Datka, avec son bébé, Princess, et sa fille Titti, âgée de 15 ans. Datka et Titti m'ont raconté qu'elles avaient toutes deux été violées par des membres de gangs et qu'elles étaient tombées enceintes. Ensemble, elles ont été contraintes par les abus de devenir à la fois mère, fille, sœur et grand-mère. La tristesse de leur tragédie se lisait dans leurs yeux, rappelant la réalité à laquelle tant de femmes haïtiennes sont confrontées aujourd'hui.

 

Pendant que nous passions du temps ensemble, elles ont parlé de leur tragédie, de leur douleur, de l'injustice de ce qui leur était arrivé sans filtre, comme si elles n'avaient pas eu l'occasion d'assimiler pleinement ce qui leur était arrivé parce qu'elles avaient fonctionné en mode de survie. J'ai ressenti ce jour-là l'ouverture d'esprit que les femmes ont si souvent entre elles dans des moments de vulnérabilité comme celui-ci.


Ariana Cubillos



Lenlen Desir Fondala montre sa main dont le doigt a été arraché par une balle perdue lors d'une attaque de gang

alors qu'elle vivait à Cité Soleil, dans la cour de Jean-Kere Almicar où elle a trouvé refuge,

à Port-au-Prince, Haïti, le 4 juin 2023. Photo Ariana Cubillos / Associated Press


Un rayon de lumière éclaire une blessure par balle sur l'épaule droite de Rose Dufond alors qu'elle pose pour une photo dans un refuge

à Delmas, à Port-au-Prince, en Haïti, le 4 juin 2023. Rose Dufond affirme qu'elle était enceinte de neuf mois lorsque des membres de gangs

lui ont tiré une balle dans l'épaule, puis l'ont battue et violée, provoquant une fausse couche. Photo Ariana Cubillos / Associated Press


Lovely Benjamin, qui a été agressée sexuellement par un membre d'un gang, brandit son rapport médical dans la cour de Jean-Kere Almicar, où elle a trouvé refuge avec son jeune fils, à Port-au-Prince, en Haïti, le 4 juin 2023.

Des gangs ont incendié les articles qu'elle vendait, notamment du riz et de l'huile.

Si elle et son fils de 4 ans ont survécu à l'attaque de Cité Soleil, les gangs ont tué son compagnon et mis le feu à son corps.

Photo Ariana Cubillos / Associated Press


Januelle Datka, sa petite fille Princess et sa fille Titti, âgée de 15 ans, posent pour une photo dans un abri de fortune dans la cour

de Jean-Kere Almicar, à Port-au-Prince, le 4 juin 2023. La mère et la fille ont toutes deux déclaré avoir été violées

par des membres de gangs et être tombées enceintes. Photo Ariana Cubillos / Associated Press


Lovely Benjamin pose pour une photo avec ses enfants dans un abri de fortune dans la cour de Jean-Kere Almicar, à Port-au-Prince,

Haïti, le 4 juin 2023. Déplacés par la montée de la violence des gangs, ils vivent dans la cour de Jean-Kere Almicar

avec d'autres voisins de Cité Soleil. Photo Ariana Cubillos / Associated Press


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