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Photo du rédacteurAndré Markowicz

La guerre qui vient, par André Markowicz

Dernière mise à jour : 21 juin


Dessin de Gatis Šlūka (Lettonie), Cartooning for peace



 CHRONIQUE. ANDRÉ MARKOWICZ  Nouvelle chronique, magistrale, du traducteur et poète André Markowicz, publiée le 1er avril 2024 dans le journal qu'il tient sur sa page Facebook. Alors que Poutine et ses affidés (dont l’Église orthodoxe russe, qui vient de "sanctifier" la guerre en Ukraine), nous regardons ailleurs, écrit-il.


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Ce qui s'avance


On a l’impression que le discours poutinien se radicalise. Maintenant, c’est par dizaines que l’on trouve des déclarations selon lesquelles, l’Ukraine, il faut la détruire complètement, totalement, qu’il n’y a aucune place pour une Ukraine quelconque, pour le nom même de l’Ukraine, même à l’intérieur de la Fédération de Russie, il y a une "Malorussie" (une "petite Russie") qui sera une province russe, ou une série de provinces russes, et, chez Soloviov, on entend de plus en plus souvent des appels à raser toutes les villes, parce qu’il n’y a rien à garder, culturellement parlant, dans ces villes (même Kiev, berceau de l’orthodoxie russe), et surtout pas les gens. Les gens, explique le député Lougovoï, en particulier les habitants de Kharkov, il faut qu’ils soit anéantis, que la ville soit frappée par une « catastrophe de masse » telle qu’il n’en reste rien, ou en tout cas que personne n’y ait plus aucun moyen d’y vivre, et qu’ils partent, les habitants, "à pied ou en voiture" (manquait le cheval), "avec leurs baluchons", ces gens qui y habitent en ce moment, qu’ils partent à l’Ouest, ceux qu’on n’aura pas tués, et qu’on ne les revoie plus. Les 800.000 habitants de Kharkov aujourd’hui (hélas, mon Dieu, d’autres poutiniens, beaucoup plus rares, surtout parmi les collaborateurs ukrainiens pro-russes, ont protesté et dit que ça, c’était une idée juive... puisque les Juifs (sic) le faisaient à Gaza...). Le député Lougovoï est un député un peu particulier, ancien membre du FSB, – c’est lui, personnellement, qui, à Londres, a empoisonné Litvinenko. Mais, en gros, personne (en dehors, donc, de quelques rares voix) n’a dit que ces paroles étaient un appel au génocide. Parce que, le génocide, il est aujourd’hui considéré comme nécessaire et sain, – et que, finalement, ce qui est nouveau, c’est le caractère massif de ces déclarations, pas les déclarations elles-mêmes, qui ne font que poursuivre la ligne de Timoféï Serguéïtsev énoncée il y a exactement deux ans, fin-mars début avril 2022 (Lire ICI).

*

Ce qui est nouveau, c’est la déclaration solennelle de l’Église orthodoxe russe, qui déclare « guerre sainte » l’Opération militaire spéciale. – Ça, c’est nouveau à double titre : d’abord, parce que, dès lors, c’est officiel, cette "opération militaire" qui, si la qualifiez de "guerre" en Russie, peut vous valoir jusqu’à dix ans de prison, elle est bien devenue une guerre – puisqu’elle est "sainte". Ça n’a l’air de rien, mais c’est fondamental, parce que ça signifie pour l’État russe et la hiérarchie de l’Église orthodoxe de Moscou, c’est l’essence même de la nation qui est aujourd’hui engagée dans une guerre, et que, donc, cette guerre ne peut se régler que par une victoire totale sur les forces du mal. Le communiqué officiel de l’Église explique : « Après l’achèvement de l’OMS (opération militaire spéciale) tout le territoire de l’Ukraine contemporaine dans la zone exclusive de l’influence de la Russie. La possibilité de l’existence sur ce territoire d’un régime politique russophobe, ennemi de la Russie doit être totalement exclue »


La deuxième nouveauté est la définition donnée à ces forces du mal qu’il faut exclure. Cette OMS est bien une guerre sainte dans laquelle « la Russie et son peuple » (je cite toujours le communiqué officiel) jouent la mission du Katekhon. – Le Katekhon, en termes religieux, c’est ce qui retient, ce qui contient, ce qui empêche, par exemple, l’Antéchrist d’arriver maintenant. Un Katekhon contre, donc, les « assauts du globalisme et contre l’Occidental tombé dans le satanisme ». L’Église orthodoxe ordonne à tous les prêtres qui dépendent d’elle de prier tous les jours pour la victoire des forces russes, et, pour les prêtres qui refuseraient, ils seront simplement relevés de leur fonction (sachant que, ça, c’est la sanction de l’Église, mais que l’État, de son côté, peut leur imposer des sanctions beaucoup plus importantes encore). Il faut donc prier tous les jours.

Poutine a mobilisé la société tout entière, – tout le pays, et que cette guerre contre l’Ukraine est devenue une guerre existentielle

Ça veut dire que, peu à peu, mais d’une façon très claire, Poutine a mobilisé la société tout entière, – tout le pays, et que cette guerre contre l’Ukraine est devenue une guerre existentielle.


En même temps, suite au fait que les terroristes du Crocus City Hall sont tadjiks, la Russie est en train de revoir sa législation sur l’immigration, et l'on assiste, à travers tout le pays, à des dizaines et des dizaines de cas où les gens attaquent des "personnes au physique asiatique ou caucasien", – simplement parce qu’ils sont là. Des ratonnades, spontanées ou pas, qui provoquent, en retour, un réel mouvement de panique : les immigrés, par centaines aujourd’hui (mais le mouvement va s’amplifier) rentrent chez eux, du jour au lendemain (une anecdote révélatrice, saisie au vol sur youtube : une enseignante d’Université explique que, soudain, au restaurant universitaire, ils sont passés à la vaisselle jetable. Parce que, du jour au lendemain, il n’y avait personne pour faire la vaisselle – les immigrés étaient partis, tous.)

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La Russie avance, ou plutôt, aujourd’hui, se prépare à avancer, d’une façon inexorable, dans une guerre – aujourd’hui qualifiée de telle – que le pouvoir poutinien présente comme existentielle, non pas parce qu’elle est existentielle pour le pays, mais pour lui. Ce que dit Poutine (ou plutôt ce qu’il ne dit pas mais ce qu’il montre) c’est que, maintenant qu’il a les mains libres grâce à Trump (qui gouverne déjà, quoi qu’on puisse dire), il n’y aura pas de quartier, – il veut conquérir l’Ukraine tout entière et, réellement, concrètement, en remplacer les habitants. Les Ukrainiens qui ne comprennent pas qu’ils sont russes ou doivent vivre "l’influence exclusive de la Russie" seront détruits, "totalement", soit ils iront "à l’Ouest" – de nouveaux millions de réfugiés, donc, – libre à l’Europe sataniste de les accueillir ou pas.

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Pendant ce temps, chez nous, j’entends quelqu’un comme Yann Moix dire qu’il ne fera pas la guerre parce que cette guerre ne nous concerne pas, que la Russie ne nous veut aucun mal, et que ce qui se passe là-bas, loin, ce sont des conflits extérieurs, entre des gens qui ne correspondent pas à « nos us et nos coutumes, nos traditions, notre culture » (le même discours, finalement, que le patriarche Kirill). Et je me dis que ce misérable aurait été un des premiers à vouloir se faire inviter, dès l’été 40, chez Otto Abetz.


Mais combien il y en a, de voix en France, de la gauche à la droite, pour dire que "non, la France ne fera jamais la guerre à la Russie"... Et combien ne comprennent pas que ce n’est pas la France qui fera ou ne fera pas la guerre à la Russie, mais la Russie qui fera, ou ne fera pas (mais qui fera) la guerre, – et plutôt non, disons-le autrement : qui la fait déjà, la guerre, sauf que nous, dans la vie quotidienne, on ne s’en rend pas compte. Et combien, en France, ne comprennent pas que, ce qui va arriver, c’est ça. Que nous sommes, aujourd’hui, entrés dans une période dont un dirigeant polonais (est-ce Donald Tusk lui-même ?) a dit que c’était une « avant-guerre ».


C’est la guerre qui s’avance. Pas une "opération militaire spéciale". Non, une guerre, d’annihilation. Et nous regardons ailleurs.


André Markowicz

(texte initialement publié sous le titre "Ce qui avance" sur sa page Facebook, le 1er avril 2024)


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