top of page
Naviguez dans
nos rubriques

Mort d'André Wilms, Eraritjaritjaka !

Dernière mise à jour : 11 févr. 2022


André Wilms dans Eraritjaritjaka, de Heiner Goebbels, à l'Odéon-Ateliers Berthier, en 2004


Un géant s'en est allé. Premier et modeste hommage des humanités à Monsieur André Wilms.


Cet article vous est offert par les humanités, média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI.


Vraiment, il vécut en des temps obscurs.

Les temps se sont éclaircis.

Les temps se sont obscurcis.

Quand la clarté dit je suis l’obscurité

Elle a dit la vérité.

Quand l’obscurité dit je suis

La clarté, elle ne ment pas. 

Heiner Müller, en hommage à Bertolt Brecht


eraritjaritjaka signifie, en dialecte aborigène d'Australie, "animé du désir d'une chose qui s'est perdue". Ce fut aussi le titre d'un spectacle de Heiner Goebbels, avec André Wilms, en 2004.


André Wilms, qui vient de disparaître, était un géant. Un géant du théâtre. Un géant d'humanité.

Il était animé du désir de nombreuses choses qui se sont perdues, dans le monde d'aujourd'hui : l'esprit révolutionnaire des années 1960, l'art comme "organisateur du scandale", ainsi que le prônaient Bertolt Brecht et Heiner Müller. "On vit une époque où on fait beaucoup de culture, mais très peu d'art. Les "héritiers", au sens où Bourdieu les définissait, veulent tous être artistes - acteurs, surtout. Cela me fait penser à cette phrase du dadaïste Arthur Cravan : "Je n'ose plus descendre dans la rue, il n'y a plus que des artistes."

Heiner Müller


AVEC HEINER MULLER ET HEINER GOEBBELS

« Quand le théâtre perd de son mordant, les dentistes sont dans la salle », disait Heiner Müller.

La nuit, André Wilms et Heiner Müller se retrouvaient parfois, discutant de tout, de rien surtout. «Ce qui me manque chez lui, c'est son humour. Sa méchanceté. Aujourd'hui, personne n'ose être méchant», confiait André Wilms.

Dans les années 1990, le compositeur Heiner Goebbels recherchait un acteur pour ses premières pièces de théâtre. Un autre Heiner, Müller, lui suggéra « un gars en France, qui saura à peu près parler sur ta musique ».


FUIR LA « SOUPE PSYCHOLOGIQUE » : « Ce qui m'a toujours rendu malade au théâtre, disait André Wilms, c'est l'absence de technique objective pour l'acteur. Quand un musicien joue faux, on l'entend immédiatement. Mais sur le théâtre pèse toujours cette épouvantable tendance à "ouvrir le tiroir à sentiments" dont parlait, pour la déplorer, mon maître Klaus Michael Grüber. » Il disait encore « fuir la soupe psychologique comme la peste. »


UN ART DE LA PRÉSENCE : « Cette fameuse présence, cette "aura" dont parlait Walter Benjamin est toujours un mystère, constate-t-il. Comment expliquer que, sur un plateau, il y a des gens avec qui il se passe quelque chose, même s'ils sont mauvais, et d'autres avec qui il ne se passe rien ? Un bon exemple, c'est Jean-Pierre Léaud : on ne peut pas jouer plus faux, et plus juste à la fois. Pour moi, travailler cette "présence" consiste surtout à faire la chasse aux clichés. Grüber, encore lui, disait qu'il fallait faire subir une cure d'amaigrissement aux acteurs. L'idéal, c'est l'opacité de Robert Mitchum, ou la simplicité magistrale de Buster Keaton. »


AU CINÉMA.

André Wilms ne se pensait qu'en mouvement. Sur le seuil, toujours. A condition de choisir ses portes d'entrée, de ne s'offrir qu'à des artistes adeptes de la conduite à contresens. Aki Kaurismäki par exemple. Le cinéaste venait d'auditionner sans succès une centaine d'acteurs français pour La Vie de bohème. Une amie lui propose André Wilms. «Nous avions rendez-vous à deux heures du matin dans un bistrot parisien, il était bourré mais serein. Nous avons échangé trois mots, puis il m'a dit: «Je vous prends, vous avez un grand nez, vous pouvez fumer sous la douche, c'est formidable. »


«Devant la caméra, je suis mauvais, confiait André Wilms. Je n'ai pas la détente d'un Al Pacino ou d'un Robert Mitchum, mes références.» Dans La Lectrice de Michel Deville pourtant, il se met à nu : «J'étais à poil avec deux femmes dans un lit. Ma mère avait réuni ses amies à la maison pour voir le film à la télévision. Le lendemain, elle m'appelle: «Je sais que tu gagnes mal ta vie, mais es-tu obligé de jouer dans des films pornographiques?»


Ce premier léger hommage sera à suivre, dès demain sur les humanités, par un Tombeau pour André Wilms : non pas une nécrologie, mais un recueil de voix, en hommages sensibles.


226 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page