C’était hier. Les bombes. Les caves. La faim. Le sentiment d’impuissance.
C’est encore là, aujourd’hui. Le traumatisme, même pour ceux qui ont sont parvenus à fuir Marioupol. Et le cauchemar qui continue. Des chauffeurs volontaires qui ont permis l'évacuation des habitants assiégés, aujourd’hui accusés de "terrorisme" par un "tribunal" des forces séparatistes pro-russes. Et l’image insoutenable d’un supermarché transformé en morgue. Même pas une morgue : les corps y sont jetés pêle-mêle, comme dans une décharge. Même dans la mort, les corps ukrainiens sont avilis. Moyennant quoi, la propagande russe clame qu’à Marioupol, la vie s’améliore.
Au fil des jours, les humanités ont commencé, le 15 mai, la traduction et la publication du Journal de Marioupol tenu sur Instagram par Katya, 27 ans, après qu’elle ait pu fuir la ville assiégée. Quatrième séquence d’un document exceptionnel.
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31 mai 2022. Marioupol aujourd'hui.
La propagande russe prétend que la vie s'améliore à Marioupol. Mon cœur est brisé. Rien ne pourrait être plus horrible. Et cela semble sans fin.
Le supermarché "Schyryi Kum", sur la rive gauche de Mariupol, a été transformé en morgue. L'une des étiquettes porte le numéro 3722.
Maintenant les Russes apportent ici les cadavres, ils les jettent comme des ordures.
Ça me donne envie de crier au monde entier "h-e-e-e-l-p" ! Ça ne peut pas être vrai. Ce n’est pas possible de voir ça au 21ème siècle. C'est un génocide du peuple ukrainien.
(8 avril) - 44ème jour de guerre.
Le monde entier parle de Marioupol, mais à Marioupol, personne ne le sait.
Nous sommes assis au sous-sol, dans la cave. Quand les bombardements se calment un peu, nous sortons un par un - pour préparer à manger et, si nous avons de la chance, pour glaner au moins quelques nouvelles. J'ai entendu dire que les médias russes tournent déjà des reportages de propagande dans la ville. Il est impossible pour d’autres journalistes d'entrer dans Marioupol.
Deux couvertures et un chat en peluche.
Comme je l'ai déjà mentionné, après avoir pu s’enfuit de Marioupol, beaucoup de gens ont commencé à faire du volontariat. Pendant le siège, chaque inconnu qui pouvait se trouver à côté de vous, dans une cave, devenait un être familier, un proche.
J'ai récemment entendu l'histoire d'une femme qui a réussi à quitter la ville avec sa fille de 5 ans. Elles n'ont pu emporter que deux couvertures et un petit chat en peluche, que la fillette a pris avec elle en fuyant leur appartement. Aujourd'hui encore, elle ne s’en sépare à aucun moment.
La femme a raconté que le 8 mars, lorsqu'elles sont sorties dans la cour pour faire cuire de la nourriture, des éclats de bombes ont atterri dans la cour. Alors, elles ont jeté la nourriture sur le feu et elles sont parties en courant jusqu’à la salle philharmonique. Ce bâtiment était devenu un abri pour de nombreux habitants de la ville.
Elle dit qu'elle n'arrive toujours pas à se remettre des frappes aériennes. Le pire, c’est quand vous vous sentez totalement impuissant. Tous les habitants de Marioupol vous le diront. À la Philharmonie, les étaient regroupés sur la scène, mais une bombe est tombée sur le bâtiment voisin. L'explosion a soufflé les fenêtres et les portes de la salle.
C'est alors que cette femme et sa fille ont décidé de fuir la ville. Le voyage a duré 15 heures épuisantes, mais elles sont maintenant en sécurité.
Un volontaire n'est pas un terroriste
Mon fils et mes parents sont dans la pièce d'à côté. C'est grâce à des gens comme Vitalik. Parce que les chauffeurs volontaires, au péril de leur vie, ont conduit les habitants de Marioupol hors de la ville assiégée. Une vingtaine de ces volontaires, parmi ceux qui nous sauvaient la vie, ont été faits prisonniers.
On vient d’apprendre qu'ils seront jugés pour "terrorisme" et pourraient être condamnés à 15 ans de prison.
C'est absurde. C'est un choc. C'est douloureux.
Jusqu’ici, on n’en parlait pas publiquement, pour les préserver. Mais là, face à de telles nouvelles, on n'a pas le droit de se taire.
La plupart des habitants de Marioupol ont pu sortir de la ville grâce à de tels volontaires. Ils ont risqué leurs vies pour que nous puissions à nouveau respirer.
(19 mars). Rien. Rien à manger.
A court de nourriture. Mais il faut bien manger quelque chose. Dès que les bombardements se calment, courir dans la rue aussi vite que possible. Entrer dans des magasins en ruine, en espérant y trouver quelque chose, n’importe quoi.
Mais il n'y a plus rien, rien du tout.
Séquences précédentes du Journal de Marioupol :
(29 mai) : https://www.leshumanites.org/post/dragon-on-n-est-pas-%C3%A0-la-maison-journal-de-marioupol-03
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