

Andrée Turcy, star de l'Eldorado et de l'Alcazar
Mireille Doering dans Qui êtes-vous Andrée Turcy ?, mise en scène de Jean-Christophe Born. Photo Didier Verdureau Sur scène, Mireille Doering et Jean-Christophe Born font joliment revivre Andrée Turcy, chanteuse réaliste et grande figure du music-hall d'avant-guerre, étrangement tombée dans l'oubli. Vous reprendrez bien un verre d'anisette ? Après avoir rendu hommage à Gaby Deslys, Jean-Christophe Born a décidé de célébrer l’an dernier les cinquante ans de la disparition d'Andrée Turcy afin de faire découvrir ou redécouvrir cette figure du music-hall née à Toulon, qui fit ses débuts à Lyon puis lancée très jeune par Félix Mayol à Paris. Née Alphonsine-Sidonie-Philomène Turc, e lle commença à connaître le succès à l’Eldorado (rebaptisé aujourd’hui Théâtre libre) puis, lassée de Paris (à moins que ce ne fût l’inverse) poursuivit sa voie à l’Alcazar de Marseille grâce à l’entremise de Raimu. Elle créa sa propre troupe avec laquelle elle ne cessa de tourner, « sept mois sans s’arrêter » , sur la Côte d’Azur, en Belgique, en Algérie, allant jusqu’à se produire à Saint-Pétersbourg avant la Révolution en Russie. Andrée Turcy à l'époque de l'Eldorado. Photo non datée (entre 1912 et 1916) Andrée Turcy alterna chant et art dramatique dans Mon homme , une pièce d’André Picard et Francis Carco. Elle dirigea avec son mari André Garnier le grand Casino d’Alger. Après-guerre, Marcel Pagnol la soutint financièrement en lui donnant des rôles dans ses films Manon des sources (1952) et Les Lettres de mon moulin (1954). Après l’indépendance de l’Algérie, contrainte et forcée de revenir dans l’hexagone, elle figura également dans Mon oncle du Texas (1962) de Robert Guez ainsi que dans Les Grands chemins (1963) de Christian Marquand. Elle finit sa vie pauvrement. Dans la cité phocéenne, comme il se devait. Surtout, elle a symbolisé à sa manière le café-concert et porté haut la poésie réaliste, l’art comique, dramatique et celui de Terpsichore – quatre danseuses et un danseur faisaient partie de sa compagnie. Mireille Doering et Jean-Christophe Born. Photo Didier Verdureau. Jean-Christophe Born et Mireille Doering retracent la carrière d’Andrée Turcy sous la forme d’un entretien entre la protagoniste se penchant sur son passé et un fan, journaliste du Provençal , par ailleurs sectateur de Maurice Chevalier. L’interview se déroule autour d’une petite table ronde, côté cour, où sont posés deux verres et une carafe d’eau. Les souvenirs de la chanteuse sont illustrés par une dizaine de succès choisis dans son répertoire, chantés live , sans micro et, malheureusement pour des raisons pratiques, sans la présence de Danielle Sainte Croix, l’excellente pianiste qui a cependant enregistré les musiques sur bande – ou, plus probablement, sur fichier numérique. Le décor minimaliste est de l’auteur, les lumières sont de Maurizio Montobbio et les costumes, de Mireille Doering. Au début du spectacle, Born montre ses qualités vocales en interprétant La Marche de Ménilmontant de Maurice Chevalier, Maurice Vandair et Jacques Borel-Clerc, caricaturant au passage la gestuelle de Maurice Chevalier. Andrée Turcy ayant enregistré nombre de 78 tours pour la maison Pathé, elle eut droit en 1927 à un long reportage de "Pathé revue" intitulé : "Tournée théâtrale moderne". De sa discographie, Born et Doering ont retenu La Chanson du Cabanon , dont chaque couplet fut écrit par un auteur différent : Fortuné Cadet, César Labite et Charles Helmer, un tube repris et popularisé par Fernandel et Fernand Sardou. Le P’tit Bosco de Vincent Scotto, opus en parlé-chanté est aussi mélodramatique que Les Roses blanches de Charles-Louis Pothier et Léon Raite. Il est d’autant plus actuel qu’il traite de la question du harcèlement : le protagoniste, un jeune ouvrier, est le souffre-douleur de ses camarades prolétaires. La version de Mon Homme de Maurice Yvain est des plus subtiles qui puissent être. Le tempo est légèrement alenti ; la voix, on ne peut mieux posée sur le piano du playback ; Mireille Doering touche le public sans effet, sans pathos. Cette chanson contraste avec Mon Anisette , d’Albert Evrard, dont la philosophie peut se résumer comme suit : « Y a des gens qui cherchent le bonheur/Quand ils l'ont tout près de leur cœur (…) Il leur faut mille sensations/Qui leur chavirent la raison/Opium, coco, pour eux, plus rien n'est bon/Quand on veut être heureux/ Y a que les spiritueux (…) Les toilettes, les bijoux/J' m'en fous!/La morphine qui rend fou/J' m'en fous!/Tout ces trucs-là me semblent bêtes/Quand j'ai bu mon anisette ». Le tour de chant est complété par Ah ! Si vous voulez d’l’Amour , de Vincent Scotto, C’est dégueulasse, de Daniderff et Francis Carco, La Chanson de Marseille de Marc Cab et Mon Amant de la Coloniale, de Juel, très proche de Mon Légionnaire, de Raymond Asso et Marguerite Monnot avec des lyrics tout aussi gratinés : « C'était un gars de la Coloniale/Il avait là, partant du front/Et descendant jusqu'au menton/Une cicatrice en diagonale/Des cheveux noirs, des yeux tout pâles/La peau brûlée par le soleil/J'en ai plus jamais vu d'pareil » . Les spectateurs ont longuement applaudi les artistes. En rappel, nous avons eu droit à Dites-moi ça en Marseillais , de Vincent Scotto. Nicolas Villodre Qui êtes-vous, Andrée Turcy ? , mise en scène Jean-Christophe Born, avec Mireille Doering, au Guichet Montparnasse, 15 rue du Maine, Paris 14e, jusqu'au 25 mai ( ICI ). A écouter : Andrée Turcy, Mon anisette (1932) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. 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Par Saint Georges, partout des dragons
Andy Warhol, "Paolo Uccello, St George and the Dragon" (1984) C'est jour de Saint Georges (ou de Sant Jordi, en Catalogne). Pour conjurer, voire terrasser, toutes sortes de dragons, on convoque quelques fantômes, dont ceux de Cervantés et de Shakespeare, morts un même 23 avril, qui ressuscitent don Quichote et Hamlet afin de deviser sur Donald Trump. Le tout sans droits d'auteur, dont c'est aussi le jour. Ephémérides Il était simple soldat dans l'armée romaine, ou officier de haut rang, selon les sources, à l’époque de l’empereur Dioclétien, ce qui ne nous rajeunit pas. Il serait né voilà 750 ans dans ce qui s’appelait encore la Cappadoce (dans le plateau anatolien, aujourd’hui en Turquie). Il n’a pas vécu bien vieux, décapité qu’il fut à 25 ans (ou moins) à Lydda (aujourd’hui Lod, au sud-est de Tel Avisen Israël). A une époque où les réseaux sociaux étaient encore balbutiants, exceptions faites du bouche à oreille et du téléphone arabe -qu’on appelait différemment, vu que le téléphone n’avait pas encore été inventé-, sa tombe est rapidement devenue un lieu de pèlerinage. Connu sous le nom de Georges de Lydda, converti au catholicisme, il avait refusé de renier sa foi lorsque Caius Aurelius Valerius Diocletianus Augustus (alias Dioclétien, l’empereur romain, né en Croatie), lança une vaste campagne de persécution contre les chrétiens dans l’Empire romain. Le pauvre Georges fut poursuivi, arrêté, supplicié et à la fin, donc, on lui trancha la tête. Ça vous forge une étoffe de martyr ! Georges de Lydda, dont la réputation s’était répandue comme une trainée de poudre dans tout l’Occident, mais aussi dans l’Empire byzantin, fut canonisé en l’an 494 par le pape Gélase Ier (d’origine berbère). Pour fortifier le culte, il manquait une légende. C’est ainsi que selon une fake news colportée au temps des croisades, avec le concours (littéraire) du chroniqueur et dominicain Jacques de Voragine, archevêque de Gênes (né en Ligurie italienne vers 1228), qui avait beaucoup d’imagination. Dans La Légende dorée (un véritable best-seller, au Moyen-Âge), Giorgio de Chirico, "Saint Georges tuant le dragon" Jacques de Voragine raconte comment Saint Georges aurait terrassé un méchant dragon, à Silène, en Lybie. Pour amadouer ce dragon pestilentiel qui leur empoisonnait la vie, les habitants de la cité devaient lui offrir en sacrifice des brebis puis, lorsque le cheptel fut éteint, des jeunes garçons et des jeunes filles. Insatiable, le dragon en vint à exiger de dévorer la propre fille du roi, dont la légende précise qu’elle était pucelle. Pour les beaux yeux de la princesse, Georges de Lydda, qui passait par là comme par enchantement, s’en fut d’un coup d’épée, d’un seul, zigouiller le dragon. Pour accomplir cette mission héroïque, il avait tout de même posé une condition : que toute la population de Silène se convertisse au catholicisme. On n’a rien sans rien. Saint patron des chevaliers, soldats, scouts, archers, etc., invoqué contre la peste et les serpents venimeux, Georges est devenu le saint protecteur de villes, de l’Allemagne (Coblence) aux Bermudes (Saint George), en passant par Gênes et Venise, Barcelone, Londres, Piran (en Slovénie), Beyrouth (ou il est appelé Mar Gerios ou Khodr). En France, on a Villeneuve Saint-Georges, Nuits-Saint-Georges et Saint-Georges d’Oléron, parmi plus de 80 communes ou anciennes communes qui portent son nom. Qui terrassera le dragon Poutine ? En Russie, Saint-Georges est une icône nationale. Le monastère Saint-Georges de Iouriev, fondé selon la tradition en 1030 près de Novgorod par Iaroslav le Sage, prince de Novgorod et de Kiev, est considéré comme le plus ancien monastère de Russie. Sept siècles plus tard, Catherine II en fit surtout un emblème patriotique et militaire : pour récompenser la bravoure exceptionnelle au combat des officiers et, par extension, des soldats et sous-officiers, « l’autocrate de toutes les Russies » (qui annexa notamment la Crimée) instaura en 1769 l’ordre impérial et militaire de Saint-Georges, plus haute distinction militaire de la Russie impériale. Lénine, qui n’avait pas que des défauts, supprima en 1918 ce symbole de l’autocratie tsariste. Boris Elstine, qui n’avait pas que des qualités, l’a rétabli en 1994, avec la volonté d’affirmer une nouvelle identité nationale post-soviétique, en valorisant les valeurs de bravoure, de service à la patrie et d’excellence militaire, tout en marquant une rupture claire avec l’héritage communiste et en réhabilitant des symboles forts de la Russie impériale. Symbole de patriotisme, le « ruban de Saint-Georges » (orange à trois bandes noires) sera sur toutes les boutonnières officielles le 9 mai prochain lors des commémorations de la victoire sur le nazisme, dont la Russie de Poutine s’attribue la quasi-exclusivité. Mais au fait, qui terrassera le dragon Poutine ? A Barcelone, la façade de la Casa Batlló, d'Antoni Gaudí, avec son toit qui évoque les écailles du dragon vaincu par Sant Jordi. Sant Jordi en Catalogne : roses et livres On préférera de loin la façon qu’ont les catalans de fêter Sant Jordi. Parce que leur Saint Georges n’est pas aussi guerrier que celui du Führer du Kremlin. Là aussi, il y a pourtant une histoire de dragon, mais sensiblement différente de la Légende dorée . La légende catalane raconte qu’un chevalier, Jordi, aurait sauvé une princesse (du doux nom de Cleodolinda) d’un dragon qui terrorisait la région de Montblanc, au sud de la Catalogne. Du sang du dragon naît un rosier, et le chevalier offre une rose à la princesse… L’héroïsme et la bravoure, donc, mais aussi l’amour. Avec son toit ondulé, recouvert de tuiles colorées, qui évoque le dos d’un dragon, sa tour coiffée d’une croix qui représente la lance (ou l’épée) de Saint Georges, le balcon fleuri qui symbolise l’endroit où la princesse Cleodolinda aperçoit son sauveur arriver, la Casa Batlló, l'une des réalisations emblématiques d'Antoni Gaudi a Barcelone, est une allégorie de cette légende. Ce 23 avril, à Barcelone et dans les rues des villes et villages catalans, la tradition veut qu’on s’offre des roses. Des roses, et des livres : Sant Jordi est aussi une grande fête de la littérature, en écho à la date anniversaire de la mort de Cervantès et de Shakespeare, avec des dédicaces d’auteurs, des lectures publiques, des concerts, des expositions… Inca Garcilaso de la Vega, mort le 23 avril 1616, le même jour que Miguel de Cervantès et William Shakespeare. Cervantès et Shakespeare réclament leurs droits d'auteur Ils sont morts le même jour, voici 409 ans, le 23 avril 1616 : Miguel de Cervantès et William Shakespeare. Il conviendrait, en plus, de leur adjoindre un troisième marron : Inca Garcilaso de la Vega, écrivain, chroniqueur et intellectuel métis, né à Cuzco dans l’ancienne vice-royauté du Pérou, d’un père conquistador espagnol (Sebastián Garcilaso de la Vega y Vargas) et d’une mère princesse inca (Chimpu Ocllo), descendante de la lignée impériale des Incas : encore une histoire de princesse, mais sans dragon. Après la mort de son père en 1560, Inca Garcilaso de la Vega quitte définitivement le Pérou pour l’Espagne et s'installe en Andalousie. Surnommé le « Prince des écrivains du Nouveau Monde », il est considéré comme le premier grand écrivain péruvien et le premier auteur latino-américain à écrire sur l’Amérique depuis l’Europe. Son œuvre majeure, les Comentarios Reales de los Incas ("Commentaires royaux des Incas", 1609), retrace l’histoire, la société, la religion et les traditions de l’empire inca, puis la conquête espagnole du Pérou. Ce texte, nourri de ses souvenirs, de témoignages familiaux et de sources orales et écrites, propose une vision originale et nuancée du monde andin, cherchant à réhabiliter la civilisation inca et à la présenter comme un modèle politique et moral. A Rio de Janeiro, une des plus belles bibliothèques du monde : La Real Gabinete Português de Leitura , construite entre 1880 et 1887 par l’architecte Rafael da Silva e Castro... En leurs mémoires communes, le 23 avril a été promu par l'Unesco, en 1995, Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Chaque année, une ville est désignée "capitale mondiale du livre". Cette année, après Strasbourg l'an passé, c'est Rio de Janeiro. Une Journée mondiale, où ça ? Comme d'habitude, en France, le ministère de la Culture et de la Communication n'est au courant de rien. Pas le moindre événement symbolique annoncé sur le site dudit ministère. Rachida Dati est sans doute trop occupée à lustrer ses bijoux pour avoir un quart de seconde à perdre à des sujets aussi superflus que livre et les droits d'auteur. Sur le site du ministère, on trouve en revanche l'annonce d'une saison France-Brésil 2025, dont quasiment personne n'a entendu parler : c'est ce qu'on appelle une communication performante ! Temps forts : des expositions, de la danse et du cabaret, vu que « le cabaret est un lieu de liberté sans égale, où résonnent les notions de différence, d’inclusion et de diversité » (dixit Rachid Dati) . De littérature ? Nenni. Comme aurait dit Queneau, la littératuire brésilienne , a'xiste pas. Pour notre part, nous avons demandé à Miguel de Cervantès et William Shakespeare, post mortem et sans promettre des droits d'auteur que nous serions bien en mal de verser, d'imaginer un dialogue entre don Quichote et Hamlet au sujet d'uin certain Donald Trump : Don Quichotte (levant sa lance imaginaire, solennel) : Seigneur Hamlet, prince des songes et des doutes, entends-tu parler, en ces terres lointaines, d’un certain chevalier nommé Donald de Trump, qui, armé non d’épée mais de paroles tonnantes, prétend redresser le monde selon sa volonté ? Hamlet (d’un ton mélancolique, la tête penchée) : Je l’ai ouï, noble Quichotte, et son nom résonne Comme un tonnerre creux dans les salles du pouvoir. Est-il roi, bouffon, ou simple spectre d’ambition ? Voilà la question : diriger ou diviser ? Don Quichotte (enthousiaste, les yeux brillants d’idéalisme) : Il est, me semble-t-il, un enchanteur moderne, Qui voit des géants là où d’autres voient des moulins. Il brandit la bannière de la justice à sa façon, Mais la justice, hélas, n’est pas toujours ce qu’elle paraît. Hamlet (soupirant, d’une voix grave) : La justice, dis-tu ? Ô mot trompeur et fuyant, Sous son masque doré, combien d’ambitions vaines ! Ce Trump, dans son miroir, voit-il un roi ou un fou ? Car souvent, l’homme qui crie le plus fort Cache le vide de son propre royaume. Don Quichotte (rêveur, s’adressant au ciel) : Peut-être n’est-il qu’un autre chevalier perdu, Errant dans le désert de ses propres illusions, Cherchant Dulcinée dans les tours d’argent de Manhattan, Et combattant des ennemis de vent et de verre. Hamlet (souriant avec ironie, un brin de tristesse) : Ou bien, cher Quichotte, sommes-nous tous, À notre façon, des Trump, des Hamlet, des Quichotte, À poursuivre des ombres, à douter, à croire, Et à espérer qu’un jour, la vérité se dévoile. Don Quichotte (s’inclinant avec noblesse) : Alors, Prince du Danemark, montons ensemble, Non pour vaincre, mais pour comprendre, Car le vrai courage n’est pas de terrasser l’ennemi, Mais de questionner le monde, et soi-même, sans fin. Le son du jour Arno, le dernier concert Pour clore ce journal du jour, rendre hommage à Arno, mort voici trois ans, le 23 avril 2022. Et maintenant ? Comme il disait souvent, "c'est le bazar". On ne peut pas résumrer Arno. Donc à écouter ou réécouter en intégralité son dernier et bouleversant concert, fimé le 5 février 2022 à l'Ancienne Belgique à Bruxelles. Jusqu'au bout du bout des forces qu-a bien voulu lui laisser le crabe-dragon-cancer. Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Une Terre, sinon rien
Et après ?, aurait dit Miles Davis (d'ailleurs, il l'a dit, et surtout joué). De l'Afghanistan à la Thaïlande, en passant par la Semaine sainte à Séville, les manifestation aux É tats-Unis pour l'éducation, en Équateur, au Chili et au Nigeria, on fait "tour du jour en 80 mondes" avec les photojournalistes d'Associated Press. Et après ? La péruvienne (autochtone) Mari Luz Canaquiri Murayari est l'une des lauréates du "Nobel de l'écologie". Et après ? Ce 25 avril, pour la 55e année consécutive, c'est le Jour de la Terre. Et après ? Peut-être préfère-t-on le "cosplay" ? Ephémérides Ce mardi 22 avril à 15 h, à Fleurance, dans le Gers, on inaugurera l'installation "Être arbre", une œuvre de land art imaginée par Louis Viel, plasticien qui « aime amener le regard à s’interroger sur l’état de la nature et son comportement » ( ICI ). « Cette œuvre artistique pérenne et évolutive, parce que vivante", rapporte La Dépêche , "installée par les agents des services municipaux, conjointement avec l’artiste, en réemployant du bois issu de l’entretien des espaces verts de la commune, se veut dévolue à la contemplation, en immersion dans une nature où l’on peut apprécier les beautés des formes et des couleurs, changeantes au fil des saisons. Depuis leur plantation en octobre dernier, les arbres ont "débourré" : les feuilles, d’un vert tendre, qui se développent révèlent leur identité. Les rondins de bois, initialement destinés aux déchets, organisés en spirales ou en alignements, ont commencé leur transformation en matière organique, entourés de graminées préparant leurs délicats épis... » Près de Rennes, rapporte Ouest-France, les communes de Chavagne, Mordelles et Le Rheu se sont lancées dans une démarche collective sur la biodiversité. Un inventaire a déjà été dressé, une phase d’animations et de concertations doit se poursuivre jusqu’à l’été 2026. En 2025, l’objectif est la rédaction d’un plan d’actions en faveur de la biodiversité, pour lequel seront sollicités habitants, élus, agriculteurs, associations et entreprises, « pour découvrir les richesses du bocage, des mares et du bâti » , explique Justine Delatouche, chargée de mission biodiversité intercommunale. Selon les estimations des Atlas de la Biodiversité Communale ( ICI ), qui concerne toutes les communes et intercommunalités volontaires, en dix ans, plus de 1.400 communes ont lancé une telle démarche, souvent portée par un ou plusieurs chargés de mission biodiversité, dont certains à l’échelle intercommunale. Pour mémoire, au 1er janvier 2025, la France comptait 34.875 communes (34.746 en France métropolitaine et 129 dans les départements d’outre-mer). Il reste donc du chemin à parcourir... Du 22 avril au 4 mai, à Évreux, le festival Les AnthropoScènes invite à "Explorer les liens invisibles du vivant". Scientifiques, philosophes, artistes et penseurs viendront conférencer et débattre autour de sujets tels que l’écologie profonde, la résilience des écosystèmes, et les technologies durables, mais aussi les stratégies d’entraide du Vivant : arbres interconnectées, plantes alliées des champignons, microbes régulateurs de notre santé, etc. Le tout ponctué de spectacles, d'expositions, de projections de films documentaires : https://www.festival-anthroposcenes.com/ Ceci n'est qu'un échantillon ce ce que réserve aujourd'hui (et seulement en France), la 55e édition du Jour de la Terre, parce que oui, c'est le Jour de la Terre, ce dont les "grands médias" (hors presse régionale) se contrefichent éperdument. A cette occasion, Ipsos vient de divulguer le résultat d'une étude ( ICI ) qui révèle que plus de sept Français sur 10 sont préoccupés par les impacts déjà observés des dérèglements climatiques en France, un niveau légèrement supérieur à la moyenne mondiale. Plus de la moitié des Français considèrent le changement climatique comme la plus grande menace sanitaire pour l'humanité. Cependant, ils restent sceptiques quant à l'efficacité des mesures prises par les gouvernements et les entreprises, avec seulement 27% estimant que leur gouvernement a un plan clair pour lutter contre le changement climatique. Enfin, les Français se montrent très dubitatifs sur les bienfaits de la transition énergétique, notamment concernant les véhicules électriques et les fermes éoliennes offshore... On ne les a pas questionnés sur Le projet de loi de simplification de la vie économique, qui prévoit l’allègement du Code minier, notamment pour faciliter l’exploitation du sous-sol de la Guyane (lire sur Mediapart ) La marée était en noir Si c'est aujourd'hui Jour de la Terre, c'est à cause de Santa Barbara. Pas la série télévisée des années 1980 (diffusée en France par TF1), mais la ville californienne dont le Museum of Modern Art abrite des œuvres de Monet, Renoir et Rembrandt, entre autres. Au large de Santa Barbara, le 28 janvier 1969, un puits de forage sous la plateforme offshore "Platform A" de la compagnie Union Oil, subit un violent "blowout" (éruption incontrôlée). Par nature, les éruptions sont souvent incontrôlées. Entre 80.000 et 100.000 barils de pétrole brut (soit 13 000 à 16 000 m³) s'échappent en mer en une dizaine de jours, puis de façon plus diffuse jusqu’en avril. Sont ainsi envoyés prématurément au cimetière, mazoutés, 3.500 oiseaux marins, ainsi que de nombreux mammifères marins (dauphins, éléphants de mer, otaries). 160 kilomètres de littoral sont gravement pollués. Après cette marée noire, un sénateur démocrate du Wisconsin, Gaylord Nelson (qui fut par ailleurs, en 1973, l'un des les trois seuls sénateurs qui osèrent refuser de voter l'extension des opérations au Vietnam) se rend sur place pour constater l'ampleur de la catastrophe. Dans le vol qui le ramène à Washington, lui vient l'idée de créer une journée afin de promouvoir la protection de l'environnement dans les campus américains. Il engage Denis Hayes , alors étudiant à la faculté de droit de Harvard (l'université aujourd'hui honnie par Donald Trump) et le charge de mener le projet. C'est ainsi que le Jour de la Terre voit le jour et a lieu pour la première fois le 22 avril 1970. Âgé de 80 ans, Denis Hayes préside aujourd'hui la Bullitt Foundation à Seattle, qui œuvre pour le développement durable dans le nord-ouest des États-Unis. En pièces détachées En attente de meilleure fortune Vincent Fournier, Flora Incognita On aurait aimé parler ce jour, même en bref, du projet Flora incognita de l'artiste et photographe Vincent Fournier (photo ci-dessus), mais aussi du navire espion de 30.000 tonnes que la Chine vient de mettre à l'eau, et du feu vert que vient de donner Donald Trump à la pêche commerciale dans une immense zone maritime protégée dans le Pacifique, de la famine qu'est en train de provoquer au Soudan le coupe des aides humanitaires décidée par le même Donald Trump, de la "double dette" de Haïti, d'Ukraine et de la répression en Russie poutinienne, mais aussi en Tunisie (66 ans de prison pour une quarantaine d'opposants), et encore d'une jeune danseuse-chorégraphe vietnamienne qui ne sera sans doute jamais invitée en France... Mais on est condamnés à composer avec les moyens du bord et un matériel informatique défaillant (il y avait une occasion à saisir, souscription fut lancée qui, pour l'heure, a échoué près du but, mais échoué quand même)... Un visage par jour Mari Luz Canaquiri Murayari, "Nobel de l'écologie" Dans son nom, il y a de la lumière ("luz"). Figure de proue du peuple autochtone Kukama Kukamiria au Pérou, Mari Luz Canaquiri Murayari l'une des sept récipiendaires du pix Goldman 2025, considéré comme le "Nobel de l'écologie". Cette récompense vient saluer le combat qu'elle mène depuis plus de vingt ans aux côtés de l'Association des femmes Huaynakana Kamatahuara Kana pour préserver le fleuve Marañón (dont les eaux alimentent 75 % des zones humides tropicales du pays), vital pour les communautés autochtones, des ravages et pollutions causés par l'exploitation pétrolière, dont les juteux profits n'ont cure de la forêt amazonienne. En mars 2024, un jugement historique a accordé la personnalité juridique au fleuve Marañón, reconnaissant le droit de ce cours d'eau à s'écouler librement et sans pollution. Mari Luz Canaquiri Murayari. Photo prix Goldman « Rien ne doit être négocié, car la vie ne se négocie pas, pas plus que la conscience » , dit-elle dans un tout récent entretien (en espagnol) pour l'excellent site Mongabay Latam : « Je dis toujours que nous ne pouvons pas vendre notre conscience pour des miettes, mais plutôt la défendre. Car après nous, d'autres viendront, nos générations, et nous devons leur servir d'exemple afin qu'ils continuent à protéger cette vie merveilleuse, cette grande mère terre, la nature, les grands fleuves dont nous dépendons tous et dont nous buvons l'eau. Nous voulons que nos générations futures sachent ce que nous savons aujourd'hui et ce que nous vivons aujourd'hui. (...) Ceux qui vivent loin ne le ressentent peut-être pas, mais ils le ressentiront à l'avenir, car l'Amazonie est le poumon de la planète, elle purifie l'air et nous donne l'oxygène que nous respirons. Nous devons donc la protéger, nous devons en prendre soin ». Son combat n'est pas isolé, et il s'inscrit dans un mouvement où, au sein des communautés autochtones, les femmes prennent une part déterminante : « Cela nous a coûté beaucoup, à nous les femmes, mais ce n'est pas impossible. Nous, les femmes, sommes en train de gagner et nous avons maintenant une voix propre que nous n'avions pas auparavant. Pour tout, c'était les hommes, ils pouvaient décider, ils pouvaient donner leur avis, ils pouvaient aller aux réunions, mais pas nous. C'est pourquoi nous nous sommes formées à notre organisation et, en 2001, nous étions déjà inscrites sur les réseaux publics, où nous pouvions faire entendre notre voix, exprimer nos opinions et revendiquer nos droits individuels et collectifs, pour nos enfants et pour le bien commun de tous. » Bientôt sur les humanités : des portraits des autres récipiendaires du prix Goldman 2025. Le son du jour Miles Davis, So What Ça tombait un mercredi. Il y a soixante-six ans, le 22 avril 1959 à New York, au Columbia 30th Street Studio, Miles Davis terminait la dernière des séances d'enregistrement de l'album Kind of Blue , qui allait sortir quatre mois plus tard, le 17 août 1959 chez Columbia Records. Miles Davis n'était pas tout seul ; avec lui il y avait là, excusez du peu, John Coltrane (saxophone ténor), Julian "Cannonball" Adderley (saxophone alto), Bill Evans (piano), Paul Chambers (contrebasse) et Jimmy Cobb (batterie). Considéré comme l’un des plus grands albums de jazz de tous les temps, Kind of Blue (e titre fait référence à la fois aux tonalités "bleues" du jazz modal et à la couleur bleu-vert de la trompette de Miles Davis lors de l’enregistrement) s’est vendu à plus de cinq millions d’exemplaires rien qu’aux États-Unis, et l’album a été sélectionné par la Bibliothèque du Congrès américain pour figurer au National Recording Registry, en tant qu’enregistrement "culturellement, historiquement ou esthétiquement important". Donald Trump ne devrait pas tarder à le retirer de la liste : il parait que Miles Davis était noir, et en plus, il ne jouait même pas au golf. Inspiré des idées théoriques de George Russell, auteur de The Lydian Chromatic Concept of Tonal Organization (ouvrage paru en 1953 qui a révolutionné la théorie musicale en proposant une nouvelle manière d’aborder l’harmonie, non plus basée sur les progressions d’accords traditionnelles [système majeur-mineur], mais sur l’utilisation des modes, notamment le mode lydien, comme base de l’improvisation et de la composition), et de ses propres expérimentations sur l’album Milestones (1958), Miles Davies voulait s’éloigner des contraintes harmoniques pour privilégier l’expression et l’improvisation. Dans son autobiographie, Miles Davis explique que la musique modale permettait de "continuer à l’infini" sans être limité par les accords, et que le défi devenait alors purement mélodique... (Lire sur mediamus.fr, "George Russell (1923-2009) et le jazz modal", ICI ) L’album Kind of Blue comprend cinq titres : So What, Freddie Freeloader, Blue in Green, All Blues et Flamenco Sketches. Dans l'extrait filmé ci-dessous, on entend le premier titre. La séquence est issue d'un film légendaire de 26', The Sound of Miles Davis, tourné en 1959 par Jack Smight pour le "Robert Herridge Theater" : non pas un théâtre comme on pourrait le croire, mais un programme télévisé conçu par le poète, écrivain et producteur Robert Herridge, considéré comme l'un des pionnier d'une télévision d'auteur aux Etats-Unis. Le tour du jour en 80 mondes Avec Associated Press, le meilleur du photojournalisme Une réfugiée afghane regarde à travers un rideau déchiré à l'entrée de sa tente dans le camp de réfugiés de Kababayan à Peshawar, au Pakistan, le 8 avril 2025. Photo/Muhammad Sajjad / AP. De jeunes hommes revêtent une pâte poudreuse appelée din sor pong, censée apporter bénédiction et protection, alors qu'ils participent au festival de l'eau de Songkran, dans la province de Prachinburi, au centre de la Thaïlande, le 13 avril 2025 (le festival de l'eau de Songkran est la célébration traditionnelle du Nouvel An thaïlandais, qui a lieu chaque année du 13 au 15 avril, avec des festivités parfois étendues sur plusieurs jours. Le mot "Songkran" vient du sanskrit et signifie "passage" ou "transition", symbolisant le passage à une nouvelle année et une nouvelle phase spirituelle et culturelle). Photo Wason Wanichakorn / AP. Une électrice dépose son bulletin de vote lors du second tour de l'élection présidentielle à Pujili, en Équateur, le 13 avril 2025. Photo/Dolores Ochoa / AP. Lors de la Semaine sainte à Séville Des dizaines de milliers de fidèles ont envahi les toits, les ponts et les rues étroites de Séville pour regarder les images de Jésus et de la Vierge Marie portées dans des processions qui ont duré des heures tout au long de la Semaine sainte, du 13 au 20 avril. De gauche à droite : un pénitent tient son fils de six mois dans ses bras alors qu'il marche dans les rues de Séville pendant la Semaine sainte, le dimanche 13 avril 2025. Des agents de la Guardia Civil surveillent la procession des pénitents de la confrérie 'La Paz' dans les rues de Séville. Des pénitents de la confrérie Estrella marchent en procession sur le pont de Triana. (Photos Emilio Morenatti / AP). A Santiago du Chili, le 5 avril 2025, Enzo Restovic chauffe un chapeau à la vapeur dans la chapellerie et le musée "Donde Golpea el Monito", qui préserve une tradition de fabrication de chapeaux remontant à 1915. Photo Esteban Felix / AP. Des femmes pleurent la mort d'un membre de leur famille à la suite d'une attaque par des hommes armés dans la communauté agricole de Zike, dans le centre-nord du Nigeria, le 15 avril 2025. Photo Samson Omale / AP. Aux Etats-Unis, Journée d'action en faveur de l'éducation Le 17 avril, des professeurs d'université et des étudiants ont organisé des manifestations sur les campus américains pour protester contre ce qu'ils considèrent comme de vastes attaques contre l'enseignement supérieur, notamment des réductions massives de financement, l'expulsion d'étudiants étrangers et l'étouffement de la liberté d'expression au sujet de la guerre à Gaza. De gauche à droite : Bethany Schoenfeld, ancienne élève de Berkeley, manifeste contre l'administration Trump à Berkeley (Californie), le jeudi 17 avril 2025 (Photo Noah Berger / AP). Cherish Lake, étudiante en dernière année à l'Université internationale de Floride, participe à une manifestation contre les réductions du financement fédéral et l'accord conclu par la police du campus pour s'associer à la police de l'immigration et des douanes, sur le campus de l'Université internationale de Floride, à Miami (Photo Rebecca Blackwell / AP). Un manifestant tient une pancarte lors d'une manifestation à Foley Square, à New York (AP Photo Julia Demaree Nikhinson / AP) Une "cosplayer" sourit lors du Comic Con à Prague, en République tchèque, le 12 avril 2025. Photo Petr David Josek / AP. (Le cosplay est un loisir consistant à incarner un personnage de fiction en reproduisant son costume, sa coiffure, son maquillage et souvent son attitude ou ses poses caractéristiques. Ce terme est une contraction des mots anglais "costume" et "play" (jeu) et désigne l'art de se déguiser et de jouer le rôle d'un personnage issu de mangas, d'animes, de films, de jeux vidéo, de bandes dessinées, de séries télévisées, etc.) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

De Versailles à Brasilia, de marécages en Cerrado
Ouvriers candangos sur un chantier de Brasilia en construction, en 1959. Photo Marcel Gautherot. Comme le château de Versailles sur son lit de marécages, elle fut bâtie à partir de rien, au beau milieu de la savane tropicale. Nouvelle capitale du Brésil, Brasilia était inaugurée voici tout juste 65 ans, le 21 avril 1960. La biodiversité du Cerrado allait en prendre pour son grade, avec le concours des importateurs (européens) de soja. Notre journal du jour passe donc par le Brésil, avec hommage à Nelson Pereira dos Santos et évocation du Manifeste anthropophage d'Oswald de Andrade. Mais on fait aussi halte en Indonésie, en cette Journée de l'émancipation des femmes qui porte le nom d'une pionnière morte à 25 ans, peu ou prou l'âge d'une jeune activiste indonésienne du climat qui se bat aujourd'hui contre l'invasion du plastique. Ephémérides Au début, c'était un terrain marécageux et sableux, appelé le Val-de-Galie. Mais ce n'était qu'à une quinzaine de kilomètres de Paris : en 1623, Louis XIII (précurseur de l’absolutisme royal) y fit construire un modeste pavillon de chasse. Son successeur, un certain Louis XIV, décida dès son accession au trône, en 1661, de transformer ce petit pavillon de chasse en un somptueux palais. Ainsi est né le château de Versailles. Il fallut pour cela raser le village de Trianon, assécher les marais et niveler le terrain : même si les premières festivités y furent organisées dès 1664, avec un intitulé très marketing avant l'heure (" les Plaisirs de l’Isle Enchantée" ), et que le gros œuvre fut achevé en 1671, les travaux ne seront terminés en 1710 (voir histoire de la construction de Versailles sur le site la BnF, ICI ). Au Brésil, sur 2 millions de km2, il n'y avait quasiment que des savanes tropicales, à perte de vue. Principaux habitants : le jaguar ( Panthera onca ), le puma ( Puma concolor ), le fourmilier géant ( Myrmecophaga tridactyla ), le tatou jaune ( Euphractus sexcinctus ), le tatou-boule ( Tolypeutes tricinctus ), le loup à crinière ( Chrysocyon brachyurus ) ou encore les nandous d’Amérique ( Rhea americana ). Deuxième plus grand biome brésilien après l’Amazonie, le Cerrado abrite 5 % de la biodiversité mondiale, avec plus de 12.000 espèces végétales (dont un tiers endémiques), et 70 % de sa biomasse est souterraine, sous forme de racines profondes qui stockent d’énormes quantités de carbone (environ 137 tonnes par hectare). Ses ressources hydrographiques en ont fait le « berceau de l’eau » du Brésil. Mais l'écosystème du Cerrado est aujourd'hui menacé, notamment avec le concours très actif des pays de l'Union européenne qui y prélèvent chaque année 30 millions de tonnes de soja pour nourrir les élevages industriels (sources : encyclopedie-environnement.org et greenpeace.fr ). C'est là, au milieu de nulle part (formule un peu stupide, parce que "nulle part", c'est toujours quelque part), qu'a été inaugurée voici 65 ans, le 21 avril 1960, Brasilia, nouvelle capitale du Brésil, construite en quatre ans seulement à partir de rien. A vrai dire, l’histoire de Brasilia commence bien avant sa construction, avec un rêve ancien d’installer la capitale du Brésil au cœur du pays. L'idée germe dès la fin du 19e siècle : il s’agit de mieux répartir la population et les richesses, jusque-là concentrées sur la côte, et de renforcer l’unité nationale en s’éloignant des grandes métropoles comme Rio de Janeiro et São Paulo. En 1956, le président Juscelino Kubitschek décide, au nom d'un « nationalisme développementaliste », de concrétiser ce projet, inscrit dans la Constitution depuis 1891 mais jamais réalisé. Kubitschek promet alors « 50 ans de progrès en 5 ans » et lance la construction de Brasilia à marche forcée. L’urbaniste Lúcio Costa remporte le concours pour le plan de la ville, imaginant une cité aux formes audacieuses : une croix inscrite dans un cercle, symbole de modernité et d’ordre, et l’architecte Oscar Niemeyer, disciple du Corbusier, conçoit les bâtiments emblématiques, aux lignes futuristes. Le site était difficile d’accès, sans routes, réseaux d’eau, d’électricité ou de transport développés, ce qui compliquait l’acheminement des matériaux et la logistique du chantier. Le chantier mobilisa plus de 100.000 ouvriers, souvent venus de régions pauvres du Brésil, travaillant jour et nuit dans des conditions extrêmes : journées de 18 heures, logements précaires, syndicats interdits et répression sévère en cas de contestation. Ces conditions sanitaires et sociales ont marqué la mémoire collective des « candangos », les travailleurs de Brasilia. Quant au "président-fondateur", Juscelino Kubitschek, il est écarté de la vie politique quatre ans après l'inauguration de Brasilia, par le coup d’État militaire de 1964 perpétré avec le soutien militaire et financier des États-Unis, notamment via l'opération "Brother Sam". S'ensuivront vingt ans de dictature... La construction de la ville a bouleversé l’écosystème du Cerrado, avec des conséquences sur la qualité de l’eau, la végétation et la faune locales. À l’époque, ces enjeux étaient peu pris en compte, mais ils ont laissé des traces durables sur l’environnement régional. Alors qu'il avait été prévu de très vastes espaces protégés et que beaucoup d'autres sont protégés par la législation générale sur la protection de l'environnement (comme les zones humides et les zones de forte déclivité), outre la déforestation notamment liée à la culture du soja, la pression s'est accentuée avec la croissance de la population et en particulier avec les « invasions » (lotissements illégaux) dans des zones inconstructibles. En 1960, Brasilia comptait un peu plus de 100.000 habitants, contre près de trois millions aujourd'hui, à la tête d'une agglomération qui en compte plus de quatre millions. Nelson Pereira dos Santos, fondateur du Cinema Novo Pour rester au Brésil, sans doute faudrait-il se souvenir du cinéaste Nelson Pereira dos Santos, l’un des plus grands cinéastes brésiliens et le père fondateur du mouvement Cinema Novo, mort il y a sept ans, le 21 avril 2018. Parmi ses films les plus connus, on ne peut pas ne pas évoquer Como Era Gostoso o Meu Francês ( Qu’il était bon mon petit Français , 1971), une satire historique et politique sur le colonialisme, inspirée par le mouvement Tropicalisme et la notion d’« anthropophagie culturelle ». Une scène de "Qu’il était bon mon petit Français" ("Como Era Gostoso o Meu Francês"), du cinéaste Nelson Pereira dos Santos, en 1971. Comme l'écrit le site brésilien papodecinema.com , Le Manifeste anthropophage rédigé par Oswald de Andrade, qui a marqué le mouvement moderniste brésilien des années 1920, proposait l'ingestion (transfiguration) de la culture étrangère, combinée à une renaissance du primitivisme culturel brésilien - des racines indigènes et afro-descendantes - comme moyen de créer un produit authentiquement national. Ces préceptes, ainsi que des éléments du Tropicalisme et d'autres tendances artistiques influencées par les idées d'Andrade, sont fortement présents dans Como Era Gostoso o Meu Francês . L'intrigue se déroule en 1594, lorsqu'un aventurier français (un personnage anonyme interprété par Arduíno Colassanti) est mis à mort par le commandant de son groupe. Après avoir réussi à s'échapper, il est capturé par des Indiens Tupinambás qui le prennent pour un Portugais et l'emmènent comme prisonnier dans leur tribu. Les Portugais étant alliés des Tupiniquins - et donc ennemis des Tupinambás - l'homme est condamné à être dévoré lors d'un rituel très attendu. En se basant sur des récits réels de voyageurs tels que le Français Jean de Léry et surtout sur le Voyage au Brésil de l'Allemand Hans Staden, Nelson Pereira dos Santos cherche à démystifier l'image de l'Indien brésilien, presque toujours présentée de manière caricaturale et stéréotypée, en présentant une approche réaliste et éloignée de la vision eurocentrique qui est presque toujours imposée à ce type d'histoire. En Indonésie, Raden Ayu Kartini, pasionaria féministe Il eut certes fallu, ce 21 avril, saluer la mémoire du philosophe Jean-François Lyotard ( † 21 avril 1988) et de la « prêtresse de la soul » Nina Simone († 21 avril 2003), mais on garde les hommages pour une prochaine année, car pour aujourd'hui, on a rendez-vous en Indonésie avec Raden Ayu Kartini , née un 21 avril, en... 1879. La date de sa naissance est devenue, en Indonésie, la Journée de l’émancipation des femmes ( Hari Kartini ). Raden Ayu Kartini Raden Ayu Kartini , née le 21 avril 1879 à Jepara (ville côtière située dans la province de Java central) et morte à seulement 25 ans le 17 septembre 1904 à Rembang, est une figure majeure de l’histoire indonésienne, reconnue comme pionnière du féminisme et héroïne nationale. Issue de la noblesse javanaise, son père était régent de Jepara, ce qui lui permet d’accéder à une école néerlandaise, fait exceptionnel pour une jeune fille indigène à cette époque. Elle y apprend le néerlandais et s’ouvre à la culture occidentale. Mais, dès l’âge de 12 ans, elle doit quitter l’école pour suivre la tradition de réclusion imposée aux jeunes filles nobles jusqu’au mariage. Privée d’études supérieures, Kartini poursuit sa formation par la lecture et une riche correspondance avec des amis néerlandais, dont Rosa Abendanon (d’origine porto-ricaine et espagnole, mariée au directeur du Département de l’Éducation, de la Religion et de l’Industrie dans les Indes néerlandaises). Elle s’intéresse à la condition féminine, à l’émancipation des femmes et aux problèmes sociaux de l’Indonésie coloniale. Elle milite pour l’accès à l’éducation des filles et pour l’égalité des droits. En 1903, malgré un mariage arrangé avec le régent de Rembang (déjà polygame), elle bénéficie du soutien de son mari pour ouvrir une école pour filles à Rembang, marquant ainsi une avancée majeure pour l’éducation féminine en Indonésie. Kartini est surtout connue pour sa correspondance, publiée après sa mort sous le titre " Door Duisternis tot Licht" ("Des ténèbres à la lumière"), qui a inspiré l’intelligentsia indonésienne et le mouvement féministe. Ses lettres, traduites en plusieurs langues, été inscrites au registre « Mémoire du monde » de l’UNESCO en cette année 2025. Après sa mort prématurée à 25 ans, ses sœurs et des fondations néerlandaises ont poursuivi son œuvre en créant les « écoles Kartini » à Java, qui ont permis à de nombreuses femmes d’accéder à l’éducation et à des carrières jusque là empêchées, notamment dans la médecine et le droit. En prélude à la Journée de l'émancipation des femmes, les membres de la communauté Wanita Bersanggul Indonesia (un mouvement de femmes indonésiennes dédié à la préservation et à la transmission des traditions culturelles javanaises) participent à un défilé de kebayas (la kebaya est un vêtement traditionnel féminin emblématique d’Indonésie, reconnu pour sa beauté, sa richesse culturelle et son rôle dans l’identité nationale) à Solo, ce dimanche 20 avril 2025. Photo Maulana Surya/Antarafoto. Le 21 avril, date de sa naissance, est célébré chaque année comme la Journée de l’émancipation des femmes ( Hari Kartini ) en Indonésie, avec des cérémonies et des défilés dans les écoles et universités. Reconnue officiellement comme héroïne nationale en 1964, Kartini est devenue l’icône de l’émancipation féminine et du nationalisme indonésien. Son combat a contribué à l’inscription de l’égalité des droits dans la Constitution indonésienne de 1945 et continue d’inspirer les mouvements féministes et éducatifs dans le pays. En Indonésie, pays qui compte la plus grande population musulmane au monde (plus de 230 millions de personnes) sans être pour autant un État islamique, une instruction présidentielle impose depuis 2000 à tous les ministères d’intégrer l’égalité de genre dans la planification et la mise en œuvre des politiques publiques. Et en avril 2022, une loi majeure, adoptée pour lutter contre les violences sexuelles, est venue criminaliser les violences physiques et non physiques, le harcèlement sexuel (y compris en ligne), la stérilisation forcées, le mariage forcé et l’esclavage sexuel. Malgré les lois, les violences sexistes et sexuelles restent toutefois très répandues. Et les droits des femmes varient fortement selon les régions, avec des situations plus favorables dans des sociétés matrilinéaires comme chez les Minangkabau (dans ce groupe ethnique originaire des hautes terres de Sumatra occidental, la propriété des terres et des biens se transmet ainsi de mère en fille) et beaucoup plus restrictives dans des provinces appliquant la charia, comme Aceh (point de départ de l’expansion de l’islam en Indonésie dès le 13e siècle). Un visage par jour Melati Wisjen : plastique, non merci... Elle a 25 ans et le plastique ne passera pas par elle. Melati Wisjen, née le 19 décembre 2000 à Bali (donc en Indonésie), s'est engagée alors qu'elle avait 13 ans en lançant avec sa sœur Isabel l’ONG Bye Bye Plastic Bags , un mouvement de jeunes visant à éradiquer les sacs plastiques à usage unique à Bali. Après avoir multiplié les actions de sensibilisation, les nettoyages de plages, les ateliers éducatifs et les campagnes de plaidoyer, Melati et sa sœur organisent une grève de la faim pour forcer une rencontre avec le gouverneur de Bali. En 2018, Bali adopte enfin l’interdiction des sacs plastiques à usage unique, des pailles et de certains polystyrènes. Dans la foulée, elle fonde One Island One Voice (pour fédérer les acteurs locaux engagés contre le plastique) et Mountain Mamas , une entreprise sociale qui forme des femmes balinaises à la fabrication de sacs réutilisables à partir de matériaux recyclés (voir ICI et vidéo ci-dessous). En 2020, enfin, elle lance la plateforme Youthtopia ( www.youthtopia.world ) pour former et lier de jeunes acteurs du changement dans le monde entier. Pourquoi tant d'activisme ? « Notre génération n’a pas le luxe de ne pas changer » , dit-elle simplement. Poème du jour Oswald de Andrade, Manifeste anthrophage (extrait) Le poème du jour n'est pas un poème, mais un Manifeste ; le Manifeste anthropophage ( Manifesto Antropófago ), texte fondateur du modernisme brésilien, rédigé en 1928 par le poète et polémiste Oswald de Andrade. Publié dans la Revista de Antropofagia , ce manifeste s’inspire de la peinture Abaporu de Tarsila do Amaral, artiste moderniste et épouse d’Oswald de Andrade. Le manifeste s’inscrit dans le contexte du modernisme brésilien des années 1920, période de recherche d’une identité culturelle propre, affranchie de la domination intellectuelle et artistique européenne. Andrade propose une nouvelle voie : non pas rejeter les influences étrangères, mais les « dévorer », les assimiler, pour en faire une force créatrice authentiquement brésilienne. Le terme « anthropophagie » (cannibalisme) fait référence à une pratique rituelle des peuples Tupi du Brésil précolonial, mais il est ici utilisé de façon métaphorique. Il s’agit de « manger » la culture du colonisateur pour la transformer, l’assimiler et produire quelque chose de nouveau, propre au Brésil. Illustration du magazine "Vermelho" à partir d'une photographie d'Oswald de Andrade. « Seul le cannibalisme nous unit. Socialement. Économiquement. Philosophiquement. L’unique loi du monde. L’expression déguisée de tous les individualismes, de tous les collectivismes. De toutes les religions. De tous les traités de paix. Tupi or not tupi that is the question . Contre tous les catéchismes. Et contre la mère des Gracos. Je ne suis intéressé que par ce qui ne m’appartient pas. La loi des hommes. La loi du cannibale. Nous sommes fatigués de tous ces maris catholiques suspicieux mis en drame. Freud en a fini avec l’énigme femme et les autres frayeurs de la psychologie imprimée. Ce qui dominait la vérité était le vêtement, l’imperméable entre le monde intérieur et le monde extérieur. La réaction contre l’homme vêtu. Le cinéma américain va rapporter. Enfants du soleil, mère des vivants. Trouvés et aimés férocement avec toute l’hypocrisie de la nostalgie, par des immigrés, par des esclaves et des touristes. Au pays du grand serpent. C’était parce que nous ne avons jamais eu ni grammaires collections de plantes anciennes. Et nous n’avons jamais su ce qui était urbain, suburbain, frontalier et continental. Paresseux sur la carte du monde du Brésil. Une conscience participante, un rythme religieux. Contre tous les importateurs de conscience en boîte. L’existence palpable de la vie. Oswald de Andrade , 1928 A lire : Oswald de Andrade, Suely Rolnik, Manifeste anthropophage / Anthropophagie zombie , Presses du réel, novembre 2011 ( ICI ) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. 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A force de couver, ça déborde
Le Printemps berbère. Photographie issue du dossier de presse de l'Association de Culture Berbère. Berbères et kabyles célèbrent ce 20 avril "Tafsut Imaziɣen" , le Printemps berbère, en souvenir d'un soulèvement populaire, il y a 45 ans, qui fit vaciller le régime algérien, même s'il fallu trente-six années, et un autre printemps, "noir", pour obtenir la reconnaissance officielle de la langue tamazight. Dans le Golfe du Mexique, les dauphins ne célèbrent rien du tout : ils continuent de mourir, 15 ans après l'explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon. Paul Celan n'était ni berbère, ni dauphin, mais traducteur et poète, ce qui lui donne, ici, tous les droits, particulièrement pour le 55e anniversaire de sa disparition. Ephémérides Longtemps cela couve. Et puis un jour, ça déborde. Il y a 45 ans, le 20 avril 1980, ce qui mit le feu aux poudres, à Alger et en Kabylie, fut l'annulation, décidée par le wali de Tizi Ouzou, d'une conférence sur la poésie kabyle ancienne, que devait donner à l’université de Tizi-Ouzou le grand écrivain et enseignant Mouloud Mammeri. Mouloud Mammeri Auteur de plusieurs romans majeurs ( La Colline oubliée , Le Sommeil du juste , etc.) qui explorent la société kabyle et les mutations de l’Algérie coloniale et postcoloniale. Mouloud Mammeri a joué un rôle central dans la défense et la valorisation de la langue et de la culture berbères. Il a ainsi recueilli et publié des textes de la tradition orale, comme les poèmes de Si Mohand en 1969. En 1982, il avait fondé à Paris le Centre d’études et de recherches amazighes (CERAM) et la revue Awal ("La parole"), tout en animant des séminaires sur la langue et la littérature amazighes à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)… Il est mort le 26 février 1989 dans un accident de voiture près de Aïn Defla, alors qu’il revenait d’un colloque sur l’amazighité à Oujda, au Maroc. Son enterrement à Taourirt, dans sa région natale, a réuni plus de 200.000 personnes. En 1980, même si des signes avant-coureurs avaient précédé l’éruption, c’est donc l’annulation de l’une de ses conférences qui a déclenché le « Printemps berbère » ( "Tafsut Imaziɣen" ), dans le contexte d’une politique d’arabisation menée par l’État algérien après l’indépendance, marginalisant la langue et la culture berbères (amazighes), notamment en Kabylie, région à forte identité berbère. Le 20 avril 1980, la police intervient brutalement pour évacuer le campus universitaire de Tizi-Ouzou, faisant de nombreux blessés et arrestations massives (plus de 450 blessés et des centaines d’interpellations). Une grève générale paralyse la région, et la contestation se poursuit malgré la répression. Le 17 avril, le président Chadli Bendjedid avait tenu un discours affirmant l’identité exclusivement « arabe, musulmane, algérienne » du pays, rejetant toute reconnaissance officielle de la dimension berbère et assimilant la démocratie à l’anarchie. Mais malgré la répression qui a suivi les manifestations du 20 avril, sous la pression de la mobilisation populaire, le gouvernement algérien a fini par relâcher les personnes arrêtées, lever l’état d’urgence et promettre un soutien à la culture berbère. Même si beaucoup de ces "promesses" sont restées lettre morte, le Printemps berbère a brisé le tabou de la question amazighe en Algérie, ouvrant la voie à d’autres mouvements pour la reconnaissance des droits culturels et linguistiques, et aura contribué à l’officialisation de la langue tamazight (reconnue langue nationale et officielle en 2016). Le "Tafsut Imaziɣen" est célébré chaque année, le 20 avril, et depuis 2001, s’est greffée la commémoration d’un autre printemps, le Printemps noir ou "Tafsut taferkant", qui, en avril 2001 se solda par 126 morts, dont le jeune Massinissa Guermah, première victime des forces dites de l’ordre, qui n’hésitèrent pas à tirer à balle réelles sur des manifestants pacifiques (lire sur Le Matin d’Alger, le témoignage de Saïd Salhi, publié le 19 avril 2025. ICI ). Le général d’armée Saïd Chanegriha lors de la cérémonie d’installation du général Sid Ahmed Bourommana à la tête du commandement de la Gendarmerie nationale, à Alger, le 20 avril 2025. Le président Abdelmadjid Tebboune (réélu en septembre 2024 avec 84,3 % des voix), affiche une posture de soutien à la langue et à la culture amazighes, en rappelant ses propres origines amazighes. Pour Le Matin d’Alger , ce ne sont que « bavardages et postures creuses (…) d’un chef d’État plus préoccupé par les controverses de la politique française que par le destin de son propre peuple ». Le général d’armée Saïd Chanegriha, "ministre délégué auprès du ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire", vient de procéder, ce 20 avril, à l’installation du général Sid Ahmed Bourommana à la tête du commandement de la Gendarmerie nationale. A cette occasion, il s’est fendu d’un petit discours : « nous continuerons, aux côtés de tous les hommes patriotes, à œuvrer inlassablement dans le sens de la préservation de la notoriété de l’Algérie et de la grandeur de son peuple, à travers le renforcement de nos capacités militaires et moyens dissuasifs, de manière à combattre rigoureusement tous ceux qui songent à porter atteinte à la souveraineté, à la Sécurité nationale et aux potentialités économiques de l’Algérie » . Ambiance, ambiance... A Paris, l’Association de Culture Berbère (37 bis rue des Maronites, Paris 20e) organise tout le mois d’avril, un « Printemps des Libertés » placé sous le signe de la laïcité : « Le Printemps des libertés est né d’une idée : mettre au cœur des commémorations des Printemps berbères les luttes et les résistances des peuples qui ne demandent que le droit de vivre libres et heureux. » Mercredi 23 avril, à 19 h, on pourra ainsi suivre une rencontre avec l’écrivain et professeur de langue berbère Karim Kherbouche, auteur d’un livre-hommage à Lounès Matoub paru en 2024 : « Depuis son assassinat, il incarne l’âme collective d’un peuple. (…) Aucun prophète ne nous a autant touchés que lui, car Matoub n’a jamais prêché au nom d’un Dieu, mais au nom de la justice, de la liberté et de la vérité. Là où les prophètes ont souvent amené la soumission, lui a offert la révolte. » Plus d’information sur le site de l’Association de Culture Berbère, https://www.acbparis.org/printemps-des-libertes-2025/ ; dossier de presse en PDF ci-dessous. Dans le Golfe du Mexique, marée noire Longtemps cela couve. Et puis un jour, ça déborde (bis). Il y a un quinze ans, le 20 avril 2010, dans le Golfe du Mexique (que nous continuerons à appeler ainsi et non "terrain de golf de Donald Trump"), Deepwater Horizon pétait un câble. Un câble, ou plutôt un coffrage en ciment. Deepwater Horizon , c’était le nom d’une plateforme pétrolière offshore, appartenant à la société suisse Transocean et louée par BP, le géant britannique des hydrocarbures. Après son explosion, le puits a laissé s’échapper du pétrole brut sans contrôle : entre 700.000 et 860.000 m³ de pétrole (soit jusqu’à 4,9 millions de barils) se sont déversés dans la mer jusqu’à la fermeture définitive du puits, cinq mois plus tard, en septembre 2010, provoquant l’une des pires marées noires de l’histoire. Accumulation de pétrole au-dessus de la tête de puits Deepwater Horizon, le 6 mai 2010. Photo Daniel Beltrá. Vingt-cinq ans plus tard, les dommages de la catastrophe (sous évalués) sont toujours perceptibles : écosystèmes marins toujours perturbés (La biodiversité globale demeure bien inférieure à son niveau d’avant 2010, et certains biologistes estiment qu’une récupération totale pourrait ne jamais avoir lieu) ; faune et populations animales en déclin (les populations de dauphins ont chuté jusqu’à 43 % dans certaines zones, tandis que celles de cachalots ont diminué de 31 %, et de nombreuses espèces patrimoniales, notamment des tortues de mer en danger, des oiseaux aquatiques et des mammifères marins, restent menacées par la pollution résiduelle) ; dégradation persistante des côtes et des marais (le pétrole a tué des plantes cruciales pour la cohésion du sol, entraînant une érosion accélérée et une instabilité de la ligne de rivage, phénomène accentué par l’utilisation de produits chimiques utilisés pour disperser le pétrole après l’accident) ; impacts économiques et sociaux (plus de 25.000 emplois et 2,3 milliards de dollars de revenus ont été perdus dans les années qui ont suivi la catastrophe). Enfin, la zone touchée par la marée noire est bien plus vaste qu’estimé initialement, et la pollution des fonds marins pourrait perdurer sur plusieurs générations, selon les experts. Certains scientifiques affirment même que le golfe du Mexique ne retrouvera peut-être jamais complètement son état écologique d’avant l’accident. Lee Zeldin, fervent défenseur de l'industrie pétrolière, gazière et charbonnière, nommé par Trump à la tête de l’Agence de protection de l’environnement pour démanteler les quelques règlementations encore en vigueur. Photo Justin Lane/EPA-EFE Pour tant de "bienfaits environnementaux", BP a été condamnée à verser 65 milliards de dollars en frais judiciaires, dédommagements et nettoyage. Et le gouvernement américain a ensuite adopté quelques mesures pour améliorer la sécurité des forages en mer. Ces premières mesures, pourtant guère contraignantes, ont été levées par Donald Trump lors de son premier mandat, avec l’appui de Scott Angelle, un ancien lobbyiste de l’industrie pétrolière qu’il avait nommé… à la tête du Bureau de la Sécurité et du Respect de l’Environnement. Et cela ne risque guère de s’arranger aujourd’hui avec l’actuel responsable de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), Lee Zeldin, fervent défenseur de l'industrie pétrolière, gazière et charbonnière, chargé de démanteler une majeure partie des réglementations environnementales, au nom du "Drill, baby, drill" . Un visage par jour Taos Amrouche Pour célébrer le Printemps berbère : Taos Amrouche . Née à Tunis le 4 mars 1913 dans une famille kabyle chrétienne originaire d’Ighil Ali en Kabylie (Algérie), Taos Amrouche est la fille de Marguerite-Fadhma Aït Mansour Amrouche et la sœur de l’écrivain Jean Amrouche. Elle grandit dans un environnement imprégné de culture orale kabyle et reçoit une double formation, berbère et française, obtenant son brevet supérieur à Tunis avant de poursuivre des études à Paris et à Madrid. Avec Jacinthe noire en 1947, un roman intimiste qui explore l’exil, la solitude et le sentiment d’être « à part », Taos Amrouche devient la première romancière algérienne de langue française. Parallèlement à son activité d’écrivaine, Taos Amrouche est une grande interprète de chants traditionnels kabyles, qu’elle commence à collecter dès 1936. Elle enregistre plusieurs disques (dont Chants berbères de Kabylie , Grand Prix de l’Académie du disque en 1967). En 1966, elle participe à la fondation de l’Académie berbère de Paris. « Ce que je voulais, c’était surtout que le peuple auquel j’appartiens redécouvre ses sources et connaisse sa propre richesse » , disait-elle. Son travail de collecte et de transmission a été déterminant pour la sauvegarde du répertoire kabyle, notamment à une époque où il risquait de disparaître. Malgré sa reconnaissance internationale, elle n’a pas toujours été honorée dans son pays d’origine ; par exemple, elle ne fut pas invitée au Festival culturel panafricain d’Alger en 1969, mais s’y rendit tout de même pour chanter devant les étudiants... A noter : sur France Culture, série musicale "Les divas kabyles". Elles chantent la liberté des montagnes kabyles autant qu'elles chroniquent cette société, évoquent la lutte pour l’indépendance et parfois l’amertume de la condition féminine. Ce sont les divas Taos Amrouche, Chérifa, Noura ou Malika Domrane. La grande majorité des Français ne connaît ni leur timbre ni leur langue, mais une riche communauté les écoute. Portrait non exhaustif des divas kabyles sur plusieurs générations, à l'approche du 20 avril, qui commémore notamment le soulèvement du Printemps berbère de 1980. Un moment important pour la lutte et la reconnaissance d’une identité, d’une langue, d’une culture kabyle qui demande son droit à l'autodétermination. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-serie-musicale/les-divas-kabyles-7188330 Poème du jour Paul Celan, Fugue de mort Il n'était pas berbère, mais il est mort voici tout juste cinquante-cinq ans, le 20 avril 1970. La région de sa naissance a appartenu successivement à l’Empire austro-hongrois, à la Roumanie, à l’Union soviétique, puis à l’Ukraine : né le 23 novembre 1920 à Cernăuți, alors en Roumanie (aujourd'hui Chernivtsi, Ukraine), dans une famille juive germanophone, Paul Celan a survécu à un camp de travail forcé en Moldavie, alors que ses parents seront déportés et assassinés dans les camps nazis. Après la guerre, Celan s'installe à Bucarest où il travaille comme éditeur et traducteur, puis quitte la Roumanie pour Vienne en 1947 et enfin Paris en 1948, où il s’établit définitivement. Il devient citoyen français en 1955, enseigne à l’École normale supérieure, tout en poursuivant une carrière de traducteur et de poète. Profondément marqué par les traumatismes de la Shoah, il met fin à ses jours à Paris en avril 1970, probablement en se jetant dans la Seine depuis le pont Mirabeau. Il est inhumé au cimetière parisien de Thiais. Paul Celan. Photo DR Paul Celan s’inscrit en faux contre la célèbre affirmation d’Adorno selon laquelle « écrire un poème après Auschwitz est barbare » et élabore ce qu’il appelait une « contre-langue » : une langue poétique radicalement renouvelée, marquée par la fracture, la densité, l’invention lexicale, et le refus des conventions. Cette langue vise à témoigner de l’indicible de l’expérience concentrationnaire et à se libérer du poids de l’Histoire. Son poème le plus célèbre, Todesfuge ("Fugue de mort"), évoque le sort des Juifs dans les camps d’extermination et a marqué des générations de lecteurs et d’artistes, dont le peintre Anselm Kiefer. Fugue de mort Lait noir du petit jour nous le buvons le soir nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit nous buvons et buvons nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit qui écrit quand il fait sombre sur l’Allemagne tes cheveux d’or Margarete il écrit cela et va à sa porte et les étoiles fulminent il siffle pour appeler ses chiens il siffle pour rappeler ses Juifs et fait creuser une tombe dans la terre il nous ordonne jouez maintenant qu’on y danse Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir nous buvons et buvons Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit qui écrit quand il fait sombre sur l’Allemagne tes cheveux d’or Margarete Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise Il crie creusez plus profond la terre vous les uns et les autres chantez et jouez il saisit le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus creusez plus profond les bêches vous les uns et les autres jouez encore qu’on y danse Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir nous buvons et buvons un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete tes cheveux de cendre Sulamith il joue avec les serpents Il crie jouez la mort plus doucement la mort est un maître d’Allemagne il crie plus sombre les accents des violons et vous montez comme fumée dans les airs et vous avez une tombe dans les nuages on y couche à son aise Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit nous te buvons midi la mort est un maître d’Allemagne nous te buvons soir et matin nous buvons et buvons la mort est un maître d’Allemagne ses yeux sont bleus il te touche avec une balle de plomb il te touche avec précision un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete il lâche ses chiens sur nous et nous offre une tombe dans les airs il joue avec les serpents il rêve la mort est un maître d’Allemagne tes cheveux d’or Margarete tes cheveux de cendre Sulamith Bucarest, 1945. (Traduction Olivier Favier) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Donald Trump et les Roms
"Mascà de bàdànàrità" (masque de femme "tsigane"), Darmanesti, Moldavie, Roumanie, Années 1990, Carton modelé et peint, tissu, tresses synthétiques, Muséum national d'histoire naturelle, collection d'Europe. Dans le cadre de l'exposition "Barvalo" au Mucem à Marseille en 2023-2024. Photo Marianne Kuhn / Mucem Il y aura, ce 8 avril à Strasbourg, une cérémonie de dépôt de fleurs au Conseil de l’Europe. Et puis c'est tout. Autant dire que la Journée internationale des Roms risque fort, en France, de passer totalement inaperçue. Au fait : pourquoi Donald Trump, qui n'aime pas trop les Roms, est-il surnommé "le Pelé du golf" ? Et aussi, au générique des éphémérides du jour : Henri Meschonnic, Vaslav Nijinski, le Barcelona Gipsy Klezmmer Orchestra, Alina Ciuciu et Alexandre Romanès. Ephémérides Il aimerait bien les expulser, mais où ? Et puis, ils ne sont pas si nombreux aux États-Unis : environ 1 million de personnes (essentiellement en Californie, notamment Los Angeles avec environ 50.000 personnes, au Texas, en Floride, dans le Nord-Est, notamment à Chicago et Saint-Louis, et dans des villes comme Miami et Las Vegas (1) , mais sans doute plus, car beaucoup ne se définissent pas comme tels pendants les campagnes de recensement. Vu les persécutions qu’ils ont eu à subir en Europe, on peut comprendre cette "discrétion". Mais oui, il y a bien une communauté Rom aux États-Unis, résultant de plusieurs vagues d’immigration. Les premières traces de Roms en Amérique remontent au XVIIe siècle, lorsque certains furent déportés d'Angleterre sous Cromwell pour être vendus comme esclaves dans les colonies américaines, notamment en Virginie. Après l'abolition de l'esclavage des Roms en Roumanie dans les années 1860, de nombreux Roms émigrèrent vers l'Europe de l'Ouest et les Amériques. Aux États-Unis, ils arrivèrent principalement en provenance de Roumanie, de Hongrie, de Serbie et de Russie. Ces migrants incluaient des groupes tels que les Kalderash (chaudronniers), les Lovari (marchands de chevaux) et les Rudari (artistes itinérants). Beaucoup se spécialisèrent dans des métiers itinérants ou artistiques. Nicholas, Bella, Andrija, Maria, Jeverem, Maria, Ivan and Maria Ištvanović avec leur cinq enfants, une famille Rom de Serbie photographiée à Ellis Island lors de leur arrivée aux États-Unis, en 1904, par Augustus F. Sherman (New York Public Library, Fonds Ellis Island) Plus tard, dans les années 1920, les restrictions à l'immigration aux États-Unis ont conduit certains Roms à transiter par l'Amérique latine avant d'entrer aux États-Unis via le Mexique. Cela explique pourquoi certains Roms américains parlent espagnol ou ont des liens avec des communautés latino-américaines. Aux États-Unis, ils sont parfois appelés « gitans américains ». (1). A New York, le quartier de Maspeth, dans le Queens, a brièvement abrité une communauté rom au début du XXe siècle. Entre 1925 et 1939, une colonie de Roms Boyash (également appelés Ludar, un sous-groupe rom originaire d'Europe de l'Est) s'est installée dans un bidonville de la région. Cette communauté a vécu dans des conditions précaires avant que le site ne soit rasé pour des projets de développement urbain. Aujourd'hui, il n'existe plus de traces visibles de ce passé rom dans le quartier. ▶ Sources : Wikipédia ; "Romani realities in the United States : Breaking the silence, challenging the stereotypes", étude de François-Xavier Bagnoud, Center for Health and Human Rights de l'université de Harvard et Voice of Roma, Novembre 2020 ( ICI ) ; Sylviane Diouf-Kamara, "Rom américains : la minorité invisible", revue Hommes & Migrations , 1995 ( ICI ) ; Adèle Sutre, "« Are you a Gypsy ? » : l’identification des Tsiganes à la frontière américaine au tournant du XXe siècle", revue Migrations Société , 2014 ( ICI ) ; « Le passé des Roms et le travail de mémoire », Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme, Nations Unies ( ICI ). Le drapeau rom, créé en 1933 et adopté en1971 lors du premier Congrès international rom. Un million de personnes, à l’échelle des Etats-Unis, ce n’est pas beaucoup, mais pour Donald Trump, c’est déjà trop. Il a au moins deux raisons de ne pas liker les "gitans américains" : on n’en connait pas qui auraient fait fortune dans l’immobilier, et en plus, ils ne jouent pas au golf. Pourtant, en France, les terrains vagues où ils séjournent sont souvent pleins de trous, mais ce n’est pas comme les greens . On raconte tout ça parce qu’aujourd’hui, 8 avril, c’est la Journée internationale des Roms , décrétée en 1990 lors du quatrième Congrès mondial des Roms à Serock, en Pologne. Cette décision rendait hommage au premier Congrès mondial des Roms, organisé du 7 au 12 avril 1971 à Chelsfield, près de Londres, qui a marqué un tournant historique pour la reconnaissance et la coopération internationale des communautés roms. "Gelem Gelem", l'hymne Rom interprété par le Barcelona Gipsy Klezmer Orchestra (2015), avec la chanteuse Sandra Sangiao , et Mattia Schirosa (accordéon, ltalie), Robindro Nikolic (clarinettte, Serbie/Inde), lvan Kovačević (contrebasse, Serbie), Stelios Togias (percussions,Grèce), Julien Chanal (guitare, France), Vroni Schnattinger (violon, Allemagne). En cette Journée internationale, on n’a repéré, en France, aucun grand tintouin. Il faudra se contenter d’une cérémonie de dépôt de fleurs au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, pour « rendre hommage à l'identité, à la résilience et au patrimoine culturel des Roms », en présence du commissaire européen aux droits de l’homme, l’irlandais Michael O’Flaherty. Cette cérémonie vient clore un séminaire, " Roma Youth Together " auquel ont participé, du 5 au 8 avril, trente-cinq jeunes leaders et travailleurs de jeunesse Roms issus des communautés Roms et Gens du voyage de toute l'Europe ( ICI ). Et toujours à Strasbourg, le théâtre du Maillon a accueilli, du 2 au 4 avril, une pièce de théâtre, Romáland , mise en scène par Anestis Azas et Prodromos Tsinikoris, qui « offre un portrait saisissant du statut de la communauté rom dans la société, abordant des thématiques telles que l'exclusion, la stigmatisation et la résilience culturelle » (lire ICI , critique sur Sceneweb ). Tous ces événements s’inscrivent dans le cadre de "Opre Roma" ("Debout Roms !"), un mois entier d’événements dans toute l’Europe ( ICI ). En France, exception faite de Strasbourg, il n’y a rien. Cachez ces gueux qu’on ne saurait voir ? On parlait plus tôt des « aires d’accueil » réservées aux Gens du voyage. Malgré l'adoption en 2022 d'une stratégie nationale visant à « lutter contre l’antitsiganisme et promouvoir l’inclusion des Gens du voyage et des personnes considérées comme Roms, dans le respect des lois de la République » ( ICI ), la France s’est fait remonter les bretelles, le 19 février dernier, par la Commission Européenne contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI). Car c’est peu dire que les choses se hâtent lentement… « Dans un contexte où seuls 26 départements sur 95 respectent leurs obligations en matière de création d’aires et où les solutions d’habitat pour les "Gens du voyage sédentaires" (la persistance de cette dénomination administrative à de quoi nous interroger) sont quasi inexistantes, la majorité des Voyageurs se retrouvent contraints de vivre dans des aires prévues à l’origine pour un accueil temporaire. Résultat : des familles vivent en permanence sur des aires souvent situés à proximité d’installations polluantes, exposées à des expulsions répétées et privées de toute stabilité résidentielle » , écrit sur son blog Mediapart William Acker, Délégué général de l’Association Nationale des Gens du Voyage Citoyens. Delaine Le Bas, 'Gypsy' The Elephant In The Room, 2018, plastic and textiles, 70.05 x 6.40 x 0.40 cm, 2022. Photo Marianne Kuhn / Mucem. Les milieux artistiques et culturels ne sont guère plus accueillants. En septembre 2023, le Mucem à Marseille, avait pourtant inauguré une grande exposition, Barvalo (mot polysémique qui signifie en lange romani, "riche" et, par extension, "fier"), consacrée à l’histoire et à la diversité des populations romani d’Europe, avec quelque 200 œuvres et documents (imprimés, vidéo et sonores) issus de collections publiques et privées françaises et européennes ( ICI ). « Revigorées par "Barvalo", qui, espèrent-elles, fera date, les communautés romani aspirent désormais à la reconnaissance ultime : la création d’un musée qui leur soit propre » , écrivait alors Roxana Azimi dans Le Monde , qui rappelait qu’André Malraux, dès 1964, formulait la nécessité d’un musée recueillant des archives tziganes. Visiblement, il va falloir attendre encore un peu, voire beaucoup. Et on avait pu, lors de l’exposition au Mucem, découvrir des artistes contemporains d’origine rom, comme la Britannique Delaine Le Bas ( ICI ). Bien que celle-ci ait été, l’an passé, finaliste du prix Turner, elle reste encore persona non grata dans les musées et centres d’art en France… En mémoire de... Henri Meschonnic. Photo DR Il n'était pas Rom. On peut toutefois saluer, en ce 8 avril, la mémoire du poète, traducteur, linguiste et essayiste Henri Meschonnic , mort à Villejuif il y a seize ans, le 8 avril 2009. Toàut au long de son oeuvre, Henri Meschonnic aura proposé une anthropologie historique, fondée sur une pensée du rythme, qui tente de repenser à la fois le langage, l'éthique, la politique et le poème. Inaugurée par la publication en 1962 des Poèmes d'Algérie dans la revue Europe , son œuvre poétique - de Dédicaces proverbes (1972) à La Terre coule (2006) - s'est développée parallèlement à une considérable activité théorique. Pour la poétique (1970) engage ainsi une réflexion sur l'écriture, le livre et la littérature qui se déploie à travers de nombreux ouvrages jusqu'à Politique du rythme, politique du sujet (1995), Célébration de la poésie (2001) ou Dans le bois de la langue (2009). Traducteur de la Bible pendant plus de trente ans ( Les Cinq Rouleaux , 1970), Henri Meschonnic a également forgé l'une des plus fécondes théories actuelles de la traduction, notamment dans Poétique du traduire (1999). Il s'est aussi confronté à la psychanalyse, à la philosophie et à la critique d'art, et il a longtemps enseigné la littérature et la linguistique à l'université Paris-VIII. A lire, extrait de "Manifeste pour un parti du rythme" (1999) (...) Seul le poème peut unir, tenir l'affect et le concept en une seule bouchée de parole qui agit, qui transforme les manières de voir, d'entendre, de sentir, de comprendre, de dire, de lire. De traduire. D'écrire. En quoi le poème est radicalement différent du récit, de la description. Qui nomment. Qui restent dans le signe. Et le poème n'est pas du signe. Le poème est ce qui nous apprend à ne plus nous servir du langage. Il est seul à nous apprendre que, contrairement aux apparences et aux coutumes de pensée, nous ne nous servons pas du langage. Ce qui ne signifie pas, selon une réversibilité mécanique, que le langage se sert de nous. Ce qui, curieusement, aurait davantage de pertinence, à condition de délimiter cette pertinence, de la limiter à des manipulations types, comme y procèdent couramment la publicité, la propagande, le tout-communication, la non-information, et toutes les formes de la censure. Mais alors ce n'est pas le langage qui se sert de nous. C'est les manipulateurs, qui agitent les marionnettes que nous sommes entre leurs mains, c'est eux qui se servent de nous. Mais le poème fait de nous une forme-sujet spécifique. Il nous pratique un sujet que nous ne serions pas sans lui. Cela, par le langage. C'est en ce sens qu'il nous apprend que nous ne nous servons pas du langage. Mais nous devenons langage. On ne peut plus se contenter de dire, sinon comme un préalable, mais si vague, que nous sommes langage. Il est plus juste de dire que nous devenons langage. Plus ou moins. Question de sens. De sens du langage. (...) Henri Meschonnic , extrait de "Manifeste pour un parti du rythme" (1999) ▶ Les archives d'Henri Meschonnic ont été déposées à l'IMEC - Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine. Voir ICI . Vaslav Nijinski dans "Le Spectre de la rose". Et puis on a failli oublier. Il était peut-être un peu Rom sur les bords, on n'en sait rien, ses parents étaient polonais. En 1894, âgé de quatre ans, il se produit pour la première fois en public avec son frère en dansant le hopak, une danse traditionnelle improvisée des cosaques d'Ukraine, que leur avait apprise leur père. On devrait célébrer ce jour le soixante-quinzième anniversaire de la disparition de Vaslav Nijinski , mort à Londres, à 61 ans, le 8 avril 1950. Il sera finalement inhumé trois ans plus tard, en 1953, à Paris, au cimetière de Montmartre (22e division). Sa tombe est ornée d'une statue le représentant dans le rôle de Pétrouchka, réalisée par l'artiste russe Oleg Abaziev. Il se trouvera bien quelqu'un, parmi nos lecteurs, pour aller y déposer quelques fleurs... En pièces détachées Donald Trump en pleine partie de golf. Photo DR Il n'y a pas photo (enfin si, au-dessus) : Donald Trump au golf, c'est nettement moins gracieux que Nijinski (le DOGE est en train de vérifier s'il n'était pas un peu queer sur les bords), et moins enjoué que n'importe quelle danse tzigane. Ce week-end, alors que les bourses commençaient à dévisser après que le Führer de la Maison Blanche ait tiré au bazooka sur les droits de douane, Donald-l'agité-du-bocal s'éclatait sur un green en Floride : un trou par ci, un trou par là (en moins glamour que le Poinçonneur des Lilas immortalisé par Gainsbourg, une sorte de Rom métèque). Il y a deux aspects de la personnalité de Trump que les médias français n'ont pas assez explorés : son goût du catch-spectacle, et sa pratique du golf. Savez-vous pourquoi, dans les cercles d'initiés, Trump est surnommé "le Pelé du golf" ? Parce qu'il déplace constamment sa balle avec ses pieds, ce qui, normalement, n'est pas franchement autorisé. Ce n'est pas tout : des partenaires de jeu racontent avoir vu Trump faire semblant de frapper une balle à partir d’une fosse de sable et courir vers le trou (une balle dissimulée dans une main) et se mettre à célébrer l’exécution d’un coup génial près du fanion ! D’autres se souviennent d’avoir vu Trump récupérer une balle qu’un partenaire de jeu avait frappée sur le vert, pour ensuite la lancer dans une fosse de sable, afin d’améliorer ses chances de remporter la partie. Ce n'est pas tout : Trump soutient qu’il a remporté 18 championnats de club, chaque fois sur des parcours qu’il possède, alors qu’un tel exploit relève de la science-fiction aux yeux des experts. Aucune de ces 18 victoires n’est d'ailleurs documentée. Il lui est même arrivé de s’autoproclamer champion d’un club sans avoir participé au championnat, en prétendant qu’il aurait battu le gagnant s’il avait été présent... Bref, un mythomane, doublé d'un tricheur compulsif. Tout cela est raconté dans un ouvrage hélas inédit en français, Commander in Cheat, How Golf Explains Trump. Son auteur, Rick Reilly, ex-chroniqueur de la revue Sports Illustrated , connait Donald Trump depuis des décennies. Il sait donc de quoi il parle. Dans le monde du golf, un vieil adage veut que l’on puisse découvrir la vraie nature d’une personne en disputant une seule ronde avec elle. Par exemple, en observant bien votre partenaire de jeu, vous pouvez rapidement déterminer s’il est méticuleux ou brouillon, s’il est colérique ou tempéré, s’il est réservé ou extraverti, s’il est altruiste ou égocentrique et, bien sûr, s’il est respectueux des règles ou tricheur. Dans un sport où l’étiquette et la loyauté font foi de tout, et où les joueurs doivent eux-mêmes s’imposer les pénalités prévues au règlement, le dernier critère pèse évidemment très lourd. Et les golfeurs se méfient particulièrement des tricheurs. La tradition orale de ce sport, qui repose quand même sur près de six siècles, veut qu’il y ait de très fortes chances que les gens qui trichent au golf agissent de la même manière dans tous les aspects de leur vie. Maassad Boulos, le "Monsieur Afrique" de Donald Trump D'autres nouvelles de Trumpland ? Le Führer de la Maison Blanche (bis) vient de nommer comme conseiller principal pour l'Afrique un certain Maassad Boulos , déjà en charge du Moyen-Orient. Principale qualité de l'intéressé : est le père du gendre de Trump (son fils, Michael Boulos est marié à Tiffany Trump, la fille du président américain). Pour laver le linge sale, en famille, c'est mieux. Le reste est à lire sur l'excellent site Mondafrique : La nomination de Maassad Boulos comme conseiller principal de Donald Trump pour l’Afrique est d’autant plus singulière que ses premiers pas dans la diplomatie au Moyen-Orient n’ont pas été couronnés de succès, toutes les parties se méfiant de lui. En effet, ce chrétien maronite s’est lancé, sans grand succès dans l’arène politique libanaise. (...) L’homme de 54 ans qui détient pas moins de quatre passeports : français, libanais, américain et nigérian n’a aucune expérience dans le domaine. Selon le magazine Africa Report , il a débuté dans les affaires en Afrique grâce à son épouse, fille de Zouhair el-Achkar Fadoul, propriétaire du groupe Fadoul fondé en 1966 au Burkina Faso. Aujourd’hui ce consortium détient plus de 100 entreprises dans une dizaine de pays d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient. Depuis 2010, Maassad Boulos dirige une filiale de cette entreprise spécialisée dans le secteur automobile basée à Lagos au Nigéria. Les données financières disponibles montrent qu’elle n’est pas florissante et engrange une perte de chiffres d’affaires assez importante. Mais tout a changé pour lui en 2022 lorsque son fils se marie avec Tiffany Trump. La cérémonie réunissant plus de 500 invités à Mar-a- Lago fût fastueuse, un mélange savant du kitsch américain et du luxe oriental. (...)
En réalité, en Afrique comme au Moyen-Orient, Maassad Boulos, représente surtout l’incarnation d’un népotisme si souvent reproché aux gouvernements africains par les Occidentaux. Un visage par jour Anina Ciuciu en janvier 2023. Photo issue de sa page Facebook. Née en janvier 1990 à Craiova, en Roumanie, elle a immigré en France avec sa famille à l'âge de 7 ans, Anina Ciuciu a réussi, malgré des débuts difficiles marqués par la précarité et la vie sans papiers, à intégrer l'université Panthéon-Sorbonne pour un master en droit et a également étudié à Sciences Po. Devenue avocate en 2023, après avoir réussi le concours d'entrée au barreau de Paris, elle est aujourd'hui une militante engagée pour les droits humains et lutte contre les préjugés envers la communauté rom. Anina Ciuciu est active dans des organisations telles que La voix des Rroms et le Mouvement du 16 mai, qu'elle a cofondé, qui rend hommage à l'insurrection des Roms à Auschwitz-Birkenau en 1944 et mène des campagnes pour les droits humains, notamment contre la torture et les discrimination. Elle fait également partie du Collectif #EcolePourTous, qui vise à garantir l'accès à l'éducation pour les enfants roms et autres minorités en France. Elle a cosigné avec Frédéric Veille, en 2013, un ouvrage autobiographique, Je suis Tzigane et je le reste , où elle raconte son parcours de jeune fille rom ayant surmonté la précarité pour réussir dans le domaine juridique. Alexandre Romanès en 2016. Photo Romain Lescurieux Poèmes du jour « Tout ce qui n’est pas donné est perdu » . Alaxandre Romanès ne se dit pas "rom", mais "tzigane", on ne va pas en faire tout un cirque. Enfin, si, Alexandre Romanès, avec Délia, sa compagne, il en a fait tout un cirque, lecirqueRomanès. Et en plus, Alexandre Romanès écrit. De la poésie. Ses ouvrages sont publiés par Le Temps qu'il fait et les éditions Gallimard. Le dernier en date, Le luth noir , est paru aux éditions Lettres Vives en 2017. Ci-dessous, deux poèmes extraits de Paroles perdues (Gallimard, 2004) La main qui se laisse prendre est la plus belle, et tous ceux qui ne voient pas d'abord le ciel s'enterrent. Moi, j'ai toujours été vers les autres, mais eux, il faut croire qu'ils avaient mieux à faire. . Comme un ciel lourd et embué le monde avance et fait ce qu'il peut. Moi, j'admire l'oiseau magnifique qui s'élève dans le ciel et le geste impeccable qui va droit au coeur. . J'irai à Dieu sans tache mais pas sans regret Le temps qu'on met à comprendre, et pourtant tout est si simple. *** Tu as peut-être pleuré comme un enfant mais ils n'ont pas cédé, ils t'ont envoyé à la mort en riant. Toi, tu voulais d'abord briser la terrible fascination des hommes pour le mal. Moi, plus modestement, j'aimerais pouvoir décrire chaque aspérité du coeur et du ciel. Mais qui sait, de tout ça, peut-être qu'il ne restera rien. Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Conjuguer cinéma et écologie
"L'Usage du monde", d’Agnès Fouilleux, en ouverture du festival Horizon vert En Haute-Vienne, le festival Horizon Vert invite à penser autrement notre approche de l’environnement et notre relation au vivant. Pour sa cinquième édition, du 9 au 15 avril, une dizaine de films sont accompagnés de rencontres et de conférences, dans le sillage des pensées développées par les philosophes Baptiste Morizot, Vinciane Despret ou encore Bruno Latour et Philippe Descola. A Saint-Yrieix, les 11 et 12 avril, se déroulent deux soirées spéciales en partenariat avec les humanités , avec Florence Lazar et autour de Gilles Clément. Pour sa cinquième édition, du 9 au 15 avril 2025, le festival Horizon Vert offre pour un programme très riche, accessible à tout type de public. On pourra ainsi suivre les traces que les humains ont laissées sur terre depuis l’aube des temps avec L’usage du monde d’Agnès Fouilleux, vivre les épreuves et l’émerveillement d’une transhumance avec Bergers de Sophie Deraspe, ou encore se laisser (re)enchanter par la poésie intemporelle de La princesse Mononoke , ce classique de l’animation japonaise de Hayao Miyazaki (programme complet ci-dessous en PDF). L’initiative est portée par Cinéma 87, un réseau de cinémas d’art et d’essai qui réunit le Ciné-Bourse de St Junien, le cinéma Arevi de St Yrieix-La-Perche, le cinéma Rex de St Léonard de Noblat et le cinéma Jean Gabin de Eymoutiers. Chaque année le festival propose une sélection de films -documentaires, fictions, dessins animés pour les plus petits – et une variété d’événements - débats, conférences, rencontres - pour promouvoir la participation citoyenne et animer la réflexion collective autour de notre façon d’habiter le monde, dans une ambiance joyeuse et conviviale. En partenariat avec les humanités Comme l'an passé, notre journal-lucioles est partenaire du festival, avec deux soirées spéciales, les 11 et 12 avril, au cinéma Arevi de Saint-Yrieix. Pour la première soirée, le 11 avril à 20h30 au cinéma Arevi, on reviendra sur le scandale de la chlordécone aux Antilles avec la cinéaste Florence Lazar . Son film Tu crois que la terre est chose morte explore les lieux de résistance à la crise environnementale et sociale causée par ce pesticide hautement toxique, qui s’est imposé en Martinique comme dans le reste de l’archipel antillais au même temps que la domination béké. Un désastre environnemental et social qui ne saurait se penser en dehors des structures coloniales dans lesquelles la société martiniquaise est encore aujourd’hui imbriquée, et que Florence Lazar raconte à travers les témoignages des hommes et des femmes d’un collectif d’agriculteurs basé au Morne Rouge : essayant de briser le monopole de la production bananière, ils sont engagés dans une lutte qui, mêlant agroécologie et justice sociale, est devenue un vrai combat pour la mémoire du passé colonial enfui. La projection sera suivie d'un débat, auquel participera la réalisatrice. Bande-annonce de "Tu crois que la terre est une chose morte", film de Florence Lazar, pour le FIFAC (2021) Florence Lazar, artiste plasticienne, cinéaste et photographe, voue son œuvre à faire ressortir les récits minoritaires dans des contextes géographiques et sociaux particuliers, ayant comme fil conducteur le questionnement de la façon dont on construit - et dont on peut déconstruire - les imaginaires collectifs liés aux faits de l’histoire. À partir des années 1990, elle a travaillé sur le conflit en ex-Yougoslavie, en réalisant une série de documentaires qui explorent plus particulièrement les mécanismes de la manipulation et du détournement de la mémoire avant et après la guerre ( Les paysans , Kamen-Les pierres , Femmes en noir , Confessions d’un jeune militant ). Après un passage dans la banlieue de Montfermeil pour documenter la reconstruction urbaine du quartier du Plateau et la situation d’enclavement qui en est dérivée ( Les Bosquets ), elle est partie à la rencontre du collectif d’agriculteurs qu’elle nous présente dans son film, au Morne-Rouge en Martinique, pour raconter leur résistance contre la monoculture bananière. Son site internet : http://www.florencelazar.fr/ Un cheval de Przewalski. Image du film "Vivant parmi les vivants", de Sylvère Petit. Et si nous étions - enfin ! - une espèce parmi les autres ? Samedi 12 avril à 20h30, le cinéma de Saint-Yrieix projette le film Vivant parmi les vivants , de Sylvère Petit. Ce documentaire explore les interdépendances entre les humains et les non humains, mais aussi les fausses pistes sur lesquelles nous mettent nos représentations du vivant, en conditionnant jusqu’à nos approches de l’écologie elle-même. Habitués à nous penser en dehors de la nature, nous ne sommes capables de concevoir nos rapports avec elle que dans les termes d’une domination - avec la logique extractiviste qui a conditionné le développement de nos sociétés - ou de protection - de quelque chose pourtant qui reste « autre » de nous. Mais cette vision anthropocentrée n’est pas notre seul horizon. À travers les histoires de Stipa, une jument sauvage de Przewalski, Alba, chienne parisienne, et les humains avec lesquels elles sont en relation, le film de Sylvère Petit bouleverse notre perspective et ouvre sur l’impensé d’une humanité enfin revenue à être ce qu’elle est : une espèce parmi les autres, avec lesquelles elle partage la "condition vivante"... La projection sera suivie d'une rencontre-débat avec Hélène Roche, l’une des protagonistes du film, et Gilles Clément. Éthologue, Hélène Roche a longuement travaillé sur les chevaux et plus particulièrement, avec l’association Takh, sur les chevaux sauvages de Przewalski. Elle est très engagée dans la vulgarisation scientifique et, outre la publication d’articles et livres, elle donne des conférences, et contribue souvent à reportages et documentaires. Pour l’association Takh , elle anime aussi des stages d’observation des chevaux Przewalski. Gilles Clément chez lui à Crozant Photo Floris Bressy pour le quotidien "La Montagne" A 18 h 30, avant cette projection, à l'initiative des humanités, la comédienne et metteure en scène Pascale Paugam , et de Véronique Albert , "artiste en danse", mettront en voix une sélection d’extraits choisis du livre de Gilles Clément Le salon des berces , dans lequel l’auteur raconte comment, en partant d’une cabane en pierres, il a conçu son jardin-observatoire dans le coin de la campagne creusoise qui lui a donné refuge, près de Crozant. Pascale Paugam est comédienne et metteure en scène au sein de la compagnie Dumêmenon qui anime le Théâtre Artphonème . Elle part aussi en tournée "dans les granges et jardins" ; avec son spectacle en solo Les oiseaux chantent sans qu'on les paie (présenté en septembre 2023 au Festival des humanités, à Cenne-Monestiés). Véronique Albert est artiste en danse. Ses ouvrages chorégraphiques constituent un paysage d’activités engageant une relation sensible aux lieux. Titres évocateurs : Un jardin c’est fruité , Les racines ne poussent pas en ligne droite , Un oiseau passe chante Apollinaire il peut le faire , Des pas sur la neige (Lire ICI ). Gilles Clément , dont nous avons publié un entretien en décembre 2024 ( ICI ) est l’un des représentants les plus lucides de l’écologie contemporaine, comme en témoignait déjà son exposition « Le jardin planétaire », en 1999 à la Grande Halle de la Villette à Paris. Sa philosophie part du principe que la Terre est un jardin, dont les humains devraient prendre soin en bons jardiniers. Dans son domaine en Creuse, il a alors cultivé un “jardin en mouvement”, qui est devenu au même temps un laboratoire. Les mécanismes merveilleux de la vie à l’œuvre dans cet écosystème sont devenus le point de départ d’une réflexion plus ample, autour des liens d’interdépendance qui existent entre les êtres vivants, humains et non humains, et autour de ce que la nature peut nous apprendre pour réinventer nos sociétés. Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Jazz végétal, émancipation et LSD
" Delonix regia", alias "Poinciana", alias "le Flamboyant". Ce 16 avril 2025 à Washington, Taj Mahal ne célébrera pas the Emancipation Day : il a lâché l'affaire voici deux ans. Donald T, lui, ne lâche pas l'affaire, mais c'est le business de l'asservissement plutôt que de l'émancipation. Avant-hier, la contre-culture hippie était sous LSD ; alors que là, l'absence de culture qui règne à la Maison Blanche (vraiment très blanche) se dope plutôt à la kétamine, laissant le fentanyl aux pauvres. A-t-on gagné au change ? Qu'en dirait-filmerait aujourd'hui Charlie Chaplin avec l'aide de Sydney ? Une lueur d'espérance, quand même : restons flamboyants. Nous sommes plus nombreux. Est-ce que le monde va ? Il va. Est-ce qu'il va bien ? C'est une autre paire de manches. Ils sont un certain nombre, sur cette planète, à activement s'activer pour que ça aille de mal en pis. On ne va pas en dresser la liste : vous la connaissez. Peut-être suffirait-il de se dire, pour commencer, que nous sommes plus nombreux. Dans toutes les langues que l'on voudra bien inventer : We are more in number / Somos más / Нас стало більше / Bizden daha çok var / Siamo più numerosi / Είμαστε περισσότεροι από εμάς / Jest nas więcej / 私たちはより多い / Somos mais numerosos / Wir sind mehr / هناك المزيد منا / Mūsu ir vairāk / Ada lebih banyak dari kita / etc. Jean-Marc Adolphe, 15/04/2025, 22 h 49 Ephémérides Il y a deux ans, c’était hier, le 16 avril 2023, à 92 ans, Frederick Russell Jones lâchait l’affaire. Il avait pas mal donné. Miles Davis le considérait comme un modèle. Keith Jarrett, pareil. Mais si le nom de Frederick Russell Jones ne vous dit rien, c’est à peu près normal. A partir de 1952, converti à l’islam, il se fit appeler Ahmad Jamal. A sa mort, Francis Marmande écrivait dans Le Monde : « On l’aimait d’un amour spécial, tant il l’était, dans son phrasé, son swing, ses deux mains parfaitement égales, sa silhouette juvénile, son sourire éclatant, et sa manière unique d’enchanter ses trios ou quartettes. (…) Il aime les musiciens qui bougent en scène, et finira par se fixer sur des batteurs natifs de La Nouvelle-Orléans, en Louisiane : « Leur style, leur tempo, leurs roulements, tout vient de leur histoire, des “marching bands”, de leur mémoire et de leur pratique. » Ahmad Jamal, à New York, en septembre 1959. Archive photo CBS « J’étais un ange parmi les diables » , confiait de son côté Ahmad Jamal : « les boppers faisaient exploser les notes. Moi, je les laissais résonner jusqu’au bout de leur vie. » Pour ça, il faut être sacrément artiste , non ? L’un des morceaux les plus célèbres de Ahmad Jamal, enregistré avec Israel Crosby (contrebasse) et Vernel Fournier (batterie) lors d’un concert au Pershing Lounge de Chicago en 1958 (l’année de naissance de notre rédacteur en chef, qui n’est dont plus si jeune mais pas encore si vieux), c’est Poinciana . Du jazz végétal, en quelque sorte : Poinciana est une chanson composée en 1936 par Nat Simon et Buddy Bernier, qui puise ses racines dans une chanson folklorique cubaine intitulée La Canción del Árbol ("la Chanson de l'arbre"), inspirée par un arbre tropical ornemental, aujourd’hui connu sous le nom scientifique Delonix regia , mais qui portait autrefois le nom de Poinciana regia, baptisé ainsi en l’hommage de Philippe de Longvilliers de Poincy, un gouverneur français du XVIIe siècle (en français, cet arbre est appelé "flamboyant" ou "flamboyant royal". Il est originaire de Madagascar et est célèbre pour sa spectaculaire floraison rouge écarlate et sa large couronne en forme de parasol). Avant Ahmed Jamal, malgré certaines interprétations (notamment celle de l’orchestre de Duke Ellington), ce morceau était peu connu dans le jazz. Le concert de Chicago, en 1958, donnera naissance à l’album At the Pershing: But Not for Me , qui restera 108 semaines dans les charts et deviendra un immense succès commercial. Ahmed Jamal a lui-même a souligné que ce titre avait changé sa vie, lui permettant de vivre de sa musique pendant des décennies et d’ouvrir son propre club à Chicago. Journée de l'émancipation Si Ahmad Jamal était encore de ce monde, contre Trump et vicissitudes, il n'aurait pas manqué de célébrer, ce 15 avril, the Emancipation Day ( journée de l'émancipation) commémorant aux Etats-Unis le décret libérant les esclaves du district de Columbia, que signa Abraham Lincoln en 1862. A Washington, c'est un jour férié, mais à la Maison Blanche aucune cérémonie particulière n'est prévue. Donald Trump a un mot d'excuse : il a golf. On se moque de Donald Trump, c'est fastoche. Ceci dit, plus grand monde en France n'utilise ce mot d' émancipation , issu du latin juridique emancipatio , dérivé du verbe emancipare qui signifiait « affranchir de l’autorité paternelle » ou « affranchir un esclave du droit de vente ». Le verbe latin emancipare est lui-même composé de e- (préfixe privatif, indiquant la sortie ou la séparation) et de mancipare ("prendre par la main"), ce dernier venant de manus ("main") et capere ("prendre")... En d'autres termes (les mêmes) : pour s'émanciper, quand est-ce qu'on reprend la main ? Sydney et Charlie Chaplin dans "Pay Day" (1912). Un Chaplin peut en cacher un autre Entre eux, c'était comme qui dirait à la vie à la mort. D'ailleurs, Sydney n'a choisi par hasard la date du 16 avril pour mourir (en 1965) : c'était la date de naissance (16 avril 1889) de son petit frère, Charlie. Chaplin, évidemment. Sydney avait pris les devants dans la vie, il fit de même sur les planches puis au cinéma. Après avoir un temps bourlingué en mer (comme steward), Sydney Chaplin s'est mis à faire l'acteur. En juillet 1906, il décroche un contrat avec les Speechless Comedians de Fred Karno, l'une des troupes de divertissement les plus célèbres et les plus prospères d'Angleterre. Fred Karno est considéré comme l’un des plus grands innovateurs du music-hall britannique et le « père du slapstick » moderne. Pour contourner la censure qui interdisait les dialogues sur scène, il inventa des sketchs entièrement visuels, qui ont préfiguré le cinéma muet : ses spectacles comme Jail Birds (1895) ou Early Birds (1899) sont des précurseurs du burlesque à l’écran. Au sein de la troupe de Karno, Sydney Chaplin rencontre un vif succès, au point d'un devenir le comédien principal. Fred Karno ne pouvait guère lui refuser d'engager son jeune frère, Charlie. Et c'est dans les bagages de la companie de Fred Karno que Charlie Chaplin débarque aux Etats-Unis, à la fin de l’année 1913. Remarqué par Mack Sennett, le fondateur de la Keystone Comedy Company à Hollywoodn qui l'engage, Charlie Chaplin tourne en 1914 son premier film, Pour gagner sa vie (" Making a Living" ), qui voit naitre le personnage de Charlot. Déjà à l'époque, pour gagner sa vie, le cinéma, c'est pas mal (d'autant qu'avec l’essor du cinéma, le music-hall décline : Karno fait faillite en 1927). Sydney rejoint Charlie aux States, et joue des rôles secondaires dans cinq films réalisés par Charlie, avant de devenir en 1918 directeur des Charles Chaplin Productions, se consacrant dès lors quasiment exclusivement à la gestion de la carrière de son frère aîné. Homme d'affaires (avec un pilote, Emory Herman Rogers Jr., il a a lancé en 1919 la première compagnie aérienne américaine privée, la Syd Chaplin Airline Company), Sydney Chaplin s'est révélé meilleur imprésario que comédien. Pour être un bon imprésario, peut-être n'est-il pas inutile d'avoir quelques talents de comédien... En 1940, Charlie Chaplin réalise et interprète son premier film parlant, Le Dictateur (titre original : " The Great Dictator" ). On peut à bon droit se demander quel film il pourrait faire aujourd'hui sur Donald T. Par ordre de disparition A chaque jour suffit sa peine. On a bien conscience qu'il eut fallu, ce 16 avril, rendre hommage (par ordre de disparition) à l'écrivain, philosophe, journaliste et militant politique péruvien José Carlos Mariátegui, marxiste et pionnier de l'indigénisme (mort le 16 avril 1930), à Roland Topor (16 avril 1997), ainsi qu'à l'écrivan chilien Luis Sepúlveda (16 avril 2020) ; ou encore, à la mort à la vie, célébrer les naissances respectives du chorégraphe Merce Cunningham (16 avril 1919) et du fantasque Bobby Lapointe (16 avril 1922). On garde des réserves pour les années à venir. Sous LSD Autre naissance à saluer, ce jour : celle du LSD, le 16 avril 1943... Le réchauffement climatique inventé par les Chinois, des Haïtiens qui mangent les chats et les chiens de leurs voisins, Barak Obama fondateur de Daesh, « si je n’étais pas son père… » à propos de sa fille Ivanka, jusqu’à cette étonnante appréciation à l’endroit d’Emmanuel Macron : « Il adore me prendre la main ». Et si Trump était sous acide(s) ? A very bad trip ! Donald Trump sous LSD. ? Image issue de bloomberg.com, animation à retrouver ICI Quoique la passion pour les substances psychotropes de son entourage ne soit pas un mystère, cf Elon Musk et la kétamine et comme l’expliquait Libération dans un article paru le 6 avril dernier, on peut désespérer de voir un jour le président halluciné des États-Unis enfourcher une paire de lunettes psychédéliques sous l’un de ses innombrables casquettes MAGA, tout comme de le voir un jour adopter la politique qui irait avec : quel abîme le sépare de cet hymne à la joie libertaire que fut le mouvement hippie, avec sa contestation surréaliste des conventions sociales, sa farouche opposition à la guerre du Vietnam et ses allègres dégringolades au LSD, cette drogue découverte il y a tout juste 82 ans. C’est en effet une semaine d’anniversaires pour la contre-culture des Sixties . Le 16 avril 1943, Albert Hofmann, chimiste pour la firme Sandoz (aujourd’hui Novartis) se touchait les yeux dans son laboratoire de Bâle, alors qu’il était penché sur un échantillon d’un champignon de seigle. Intrigué par les sensations étranges qui s’en suivirent, il décida trois jours plus tard de tester la substance qu’il venait d’isoler, le diéthylamide de l’acide lysergique. Il en ingurgita donc 0,25 grammes, une dose qu’il croyait infime, mais qui ne l'était pas tant que ça. Il venait de découvrir là les "vertus" d'un composant contenu dans l'ergot de seigle que les anciens connaissaient bien, qui provquait des troubles dénommés « mal des Ardents » ou encore « feu de Saint-Antoine ». Ce jour-là, Albert Hofmann sauta sur son vélo pour rentrer à la maison, et ce fut... le premier trip de l’histoire que le mouvement psychédélique américain célèbre, chaque année, le 19 avril : The Bycicle Day . Commercialisé à partir de 1947 en milieu psychiatrique sous le nom de Delyside - il provoque des états altérés de conscience qu’on estime bénéfiques dans le traitement des maladies mentales - le LSD commence à se diffuser, dans le cadre de la psychothérapie, au milieu des années 1950. Alors que la CIA s’intéresse à ses possibles applications militaires, le LSD fait sa route dans la société américaine, jusqu’à croiser, en 1961, celle de Timothy Leary. L’excentrique psychologue destiné à devenir un précurseur de la contre-culture était tellement fasciné par les effets de cette drogue sur la conscience humaine qu’il se fit virer comme un malpropre de Harvard, où il enseignait, après l’avoir utilisée avec ses étudiants lors de séances expérimentales. Le bus Furthur et les Marry Pranksters en 1964 « Ouvrir les portes de la perception », « atteindre un état de conscience cosmique », mais aussi laisser libre cours à l’imagination et explorer des nouvelles voies de la création artistique devinrent les idéaux instigateurs d’une consommation massive, à un moment où sa nocivité n’était pas encore connue. Il faudra attendre le milieu des années 1960 pour que le LSD soit interdit par certains États américains - notamment la Californie, en 1966 – et 1971 pour que l’ONU le classe définitivement parmi les drogues proscrites. À temps pour que Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d'un nid de coucou , et ses Marry Prankster (les Joyaux Lurons) entreprennent leur traversée épique - et très acide - de l’Amérique, à bord d’un bus scolaire peint en mille couleurs, "The Furthur", truffé de LSD et envie de liberté, avec la Beat Generation à la conduite en la personne de Neal Cassidy. Leur Acid Tests , sorte de fêtes foraines décalées pendant lesquelles ils distribuaient de la drogue aux locaux entre danses, théâtre improvisé, musique, ont marqué à jamais la culture américaine. On raconte que, arrivés à Phoenix au milieu d’une campagne électorale, Kesey et son groupe peignèrent sur les fenêtres du bus le slogan « A VOTE FOR BARRY [l’un des candidats] IS A VOTE FOR FUN » juste avant de traverser le centre-ville à reculons... C'était une autre époque. On ne va pas dire que tout était forcément mieux avant, mais aujourd'hui, entre fentanyl pour les pauvres et kétamine pour les junkies de la vallée siliconée et autres excités de la facho-tech, il n'est pas certain qu'on ait gagné au change. Un ordinateur 704 chez IBM en 1957. Photo Eclair mondial / SIPA Et le dieu ordinateur dans tout ça ? Il y a tout juste 70 ans, le 16 avril 1955, Jacques Perret, professeur de philologie, à qui IBM avait demandé de trouver un équivalent français au "computer", sortait de son chapeeau le mot "ordinateur". Jacques Perret (1906-1992), qui n'a aucun lien de parenté avec cet autre inventeur de mots qu'est Pierre Perret, était un latiniste et théologien catholique français, professeur à la Faculté des lettres de Paris entre 1948 et 1971. Il décrivit le mot "ordinateur" comme « correctement formé » et dérivé du vocabulaire théologique. Selon le Littré, ce terme désignait « Dieu qui met de l’ordre dans le monde ». Il reflétait ainsi l'idée de "mise en ordre", parfaitement adaptée à la fonction des machines informatiques. Aux humanités , comme déjà dit, l'ordinateur qui sert à éditer ces chroniques commence à se faire quelque peu poussif, à force de le pousser dans ses retranchements. Le remplacer devient plus qu'urgent, faute de quoi on devra demander au Saint-Esprit de mettre en ligne, et là, on ne garantit pas le résultat. Comme on n'est pas trop adeptes du culte du veau d'or, les kopecks manquaient à l'appel, même en étant roublards . Par exemple, on n'a pas les moyens de se payer kétamine ou LSD (c'est sans doute mieux pour la santé) ; les seules drogues que l'on consomme sont absolument gratuites : dopamine et peu de sommeil. les humanités, c'est comme une start-up qui aurait encore du mal à starter . Souscription-collecte fut donc lancée pour remplacer le matériel défaillant. Bonne nouvelle : s'il manque encore un chouïa pour joindre les deux câbles, on y est presque. Merci aux premiers souscripteurs et souscriptrices : on tient le bon bout ! Dans l'espoir de contribuer à résoudre le "conflit israélo-palestinien", on pourrait dire simultanément Inch'allah et Mazel tov. Quioiqu'on soit plus agnostiques sur les bords. Jean-Marc Adolphe, Nadia Mével, Anna Never Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Hitchcock avant Hitchcock
"The Farmer’s Wife" (1928), l'un des premiers films d'Alfred Hitchcock Aux origines du maître du suspense : Carlotta Films édite un coffret collector avec dix des premiers films d'Alfred Hitchcock, du muet à l'approche du parlant. Dans ces films de jeunesse, on voit comment un créateur en devenir se cherche, et on découvre comment il se trouve... Carlotta : depuis un quart de siècle ce nom qui fleure bon son Vertigo évoque pour l’amateur de cinéma une cinéphilie exigeante, tant dans la distribution que l’édition DVD puis Blu-ray de films restaurés ; l’équivalent européen de Criterion, la référence d’outre-Atlantique. En ce printemps 2025, avec le coffret de sept Blu-ray rassemblant dix films de la fin du muet et du début du parlant, tous réalisés par Alfred Hitchcock pour la British International Pictures entre 1927 et 1932, on a l’impression de revenir aux temps heureux des débuts de Carlotta, lorsqu’il s’agissait de donner accès aux films majeurs de l’histoire du cinéma. Précisons qu’on doit au British Film Institute les remarquables restaurations de cette part aussi essentielle que peu fréquentée de la filmographie hitchcockienne. On y voit comment un créateur en devenir se cherche, on découvre comment il se trouve ; le jeune Hitchcock, celui des années vingt à l’approche du parlant, n’est pas encore celui de la maturité, que nous connaissons. Il explore des domaines variés, et doit souvent tenir compte de la commande qui lui est faite. Cruciales, puisqu’elles documentent l’arrivée du cinéma parlant, ces années qui voient la production d’une dizaine de ses films sont instructives. Il tente diverses voies, les résultats inégaux ont la saveur des expériences. Il y a dans ce désordre le charme de la vie. On y perçoit des germes qui vont se développer, ainsi que des impasses. "The Ring" (1927) Le premier film du coffret est The Ring (1927). Le titre français étant absurde ( Le masque de cuir ), on n’utilisera dans cet article que les titres originaux, tous pertinents. The Ring se réfère autant à l’anneau marital qu’à l’estrade où l’on boxe. A l’alliance s’oppose le bracelet en forme de serpent (la Bible n’est pas loin) qu’offre l’homme à la jeune femme. Un plan ironique, au moment du mariage, montre le bracelet tentateur tomber sur la main qui vient de recevoir l’alliance. Dans ce récit censé se dérouler dans le milieu masculin de la boxe, le personnage féminin se révèle central. Tous les films d’Hitchcock, dès ses premiers, tournent autour d’une figure féminine. Autre constante déjà bien présente, le motif du regard. Deux scènes sont exemplaires à cet égard : au parc d’attraction, une ouverture se trouve pratiquée dans la toile de la tente, permettant à la femme d’observer le combat à l’intérieur. Plus tard, un miroir jouera un rôle voisin, de tremplin au regard. Même si le film est de second ordre, avec une fin décevante, The Ring est cependant prometteur. The Farmer’s Wife (1928) a un ton plus léger. C’est qu’Hitchcock s’aventure cette fois dans la comédie, tout en conservant le thème du mariage ; il montre le ridicule d’un veuf présomptueux qui entend se remarier. Les propositions du hobereau tournent toutes au fiasco, jusqu’à ce qu’il comprenne enfin (car la comédie est morale) que sa servante l’aime depuis le début. Le cinéaste joue beaucoup sur la nourriture, domaine qui le fascine autant que les corps : un dessert très anglais en gelée tremblotante est l’occasion de plans réjouissants, et une bizarre métaphore paysanne rapproche la teinte des navets des seins de femme. Après ces deux films mineurs non dépourvus d’intérêt, Champagne (1928) est un vrai ratage ; conscient de l’échec en train de se produire, le cinéaste se désintéresse complètement du scénario, très faible d’ailleurs, au seul profit d’expérimentations visuelles. Comme il n’y a strictement aucun enjeu, Hitchcock se livre à de purs effets formels, détachés de toute nécessité. Par moments, on voit que le jeune cinéaste est alors sous l’influence de Murnau. Son cinéma est très marqué par l’esthétique germanique ; il le restera. "The Manxman" (1929) Dernier film muet du réalisateur, The Manxman (1929) fait preuve d’une toute autre ambition. C’est aussi que la Tchèque Anny Ondra, qui joue Kate, intéresse nettement plus Hitchcock que la fade Betty Balfour, la vedette de Champagne . Il fera d’Ondra la première blonde de son cinéma, figure appelée comme on sait à devenir mythique. A côté de la comédie inconsistante de Champagne , The Manxman est un drame puissant, à la mise en scène accomplie. Après le centrifuge vainement dispersé, voici la force d’un point de vue cohérent, centripète. De vrais sujets sont traités, aussi : l’amitié, la tentation, la trahison. Une séquence prouve la puissance visionnaire du jeune cinéaste : celle en bord de mer, où Hitchcock compose avec les grands blocs rocheux des falaises tourmentées, se trouve cadrée et rythmée jusqu’à imprimer une forte dimension onirique à la situation ; scène décisive, la jeune femme apprenant de son amoureux que son fiancé n’est pas mort et s’apprête à revenir. La figure du mariage se confirme chez Hitchcock comme celle de tous les mensonges. Campé par l’inquiétant Randle Ayrton, Caesar, le père de Kate, pèse sur ce mariage qui sonne faux. Lorsque Kate tentera plus tard de se suicider, un raccord saisissant fait passer de l’eau sombre du port à l’encre noire de l’encrier du juge qu’est devenu l’amant. "Blackmail" (1929) Après la réussite de The Manxman , Hitchcock va se surpasser avec son film suivant, magistral, qui sera tout à la fois muet et parlant : Blackmail (1929) ; il tournera deux versions, très réussies, de cette grande œuvre où déjà la sûreté du trait s’impose. Le jeune cinéaste s’y montre au diapason des esthétiques allemandes et américaines : si un escalier fait penser à Lang, le grand décor ascensionnel de la cage d’escalier en coupe évoque plutôt Borzage. Les ombres jouent un rôle majeur, des ombres germaniques. Le propos est osé, puisqu’il est frontalement question de sexe et de mort, donc doublement de culpabilité ; l’empreinte du cinéma de Fritz Lang est indéniable sur ce point. Avec Blackmail , Hitchcock met l’idée de morale en question, Alice, la meurtrière, se trouvant être l’amie de Frank, le policier enquêteur. Celui-ci va dissimuler les preuves pour blanchir Alice (qui se nomme White, bien sûr). Déjà, Frank était présenté comme quelqu’un s’arrangeant avec la morale, dans une scène où il resquillait pour entrer dans un restaurant bondé. Au-delà de la grisaille du mal ordinaire, celui que tout un chacun pratique, le Mal professionnel, si l’on peut dire, présente deux visages contrastés, du minable maître chanteur et de l’artiste séduisant. Il est hautement significatif que le personnage du séducteur soit un artiste peintre ; le bouffon de son dernier tableau semble narguer le spectateur, le mettre en cause, jusque dans la dernière scène faussement heureuse (la femme se trouvera emprisonnée plus sûrement dans son mariage avec le policier que dans les prisons d’Etat). Cet accent mis par le cinéaste sur l’artiste est fondateur d’une poétique paradoxale, il annonce les paradoxes de Shadow of a Doubt , le film préféré d’Hitchcock. C’est que l’art échappe à la morale, même lorsqu’il en construit une ; toute création expérimente une liberté essentielle. C’est aussi la première fois que le cinéaste emploie un monument pour l’affrontement final entre les forces antagonistes : avec la tête géante égyptienne puis son dôme vertigineux, le British Museum préfigure la statue de la Liberté de Saboteur et les monts Rushmore de North by Northwest . Plus longue de dix minutes, la version parlante de Blackmail , où Anny Ondra est doublée en direct pour masquer son accent, apporte une dimension nouvelle ; ainsi un piano joue un vrai rôle dans la scène du meurtre. Un cri sert de raccord entre deux séquences. Isolé, un mot douloureux ( knife ) revient en boucle, manifestant l’obsession d’Alice. Hitchcock prouve qu’il aime le son autant que l’image. "Murder !" (1930) Premier film entièrement parlant du cinéaste, Murder ! (1930) bénéficie du jeu tout en nuances du subtil Herbert Marshall. Hitchcock a beau moins être à l’aise que dans son essai précédent, il trouve de belles idées sonores. Ainsi le verdict est-il entendu depuis la pièce presque vide où le jury a délibéré ; la savoureuse scène des coulisses, au théâtre, donne aussi l’occasion de faire jouer cette dimension. Un monologue intérieur, accompagné d’un orchestre pris en direct, est même expérimenté à un autre moment. Le cinéaste réduit son découpage, dispose quelques plans longs pour rendre naturels les dialogues ; ce ralentissement permet du moins d’installer l’ambiance. Le plus original est la dimension homosexuelle — aussi discrète que constante dans le cinéma d’Hitchcock — donnée au personnage du meurtrier, trapéziste travesti ; le fait qu’il soit curieusement désigné comme métis dans les dialogues est une façon détournée pour suggérer ce qui ne peut être dit ouvertement, de son homosexualité. Dès l’ouverture, les décors se ressentent de l’influence germanique. A signaler qu’une version allemande fut tournée par Hitchcock dans ces mêmes décors. Titrée Mary , elle figure en complément dans le coffret. Plus courte de vingt minutes, elle censure la métaphore dérangeante du métis (le meurtrier se retrouve banalement un évadé de prison). Parmi les comédiens de cette version secondaire, on croise la future baronne du Liebelei d’Ophuls, Olga Tschechowa, l’excellent Alfred Abel reprenant le rôle central d’Herbert Marshall. "Rich and Strange" (1931) Situé durant la guerre civile irlandaise , Juno and the Paycock (1930) n’est que la mise en boîte paresseuse d’une pièce de théâtre, avec des acteurs de théâtre qui cabotinent. On peut au moins l’interpréter comme le tribut du cinéaste à ses racines irlandaises. Nettement plus intéressant est The Skin Game (1931). Par sa mise en scène, Hitchcock parvient à installer une tension réelle ; même s’il ne s’agit pas d’un film criminel, le cinéaste développe des situations de cet ordre. Le film s’achève d’ailleurs sur un suicide qui n’est pas sans évoquer The Manxman . Hitchcock apprivoise les travellings dans ce drame brillant, avec l’excellent Edmund Gwenn en capitaliste prêt à tout. On retrouvera le comédien dans The Trouble with Harry . Rich and Strange (1931), dont le titre est une citation de Shakespeare, est un film non pas riche mais sûrement étrange, fort personnel, sur le thème récurrent du couple. Le motif de la tentation s’y trouve repris et développé de façon explicite ; chez Hitchcock, le sexe est toujours présent, et cette comédie encore marquée par le cinéma muet le prouve à sa façon, originale. Sous des abords modestes, Rich and Strange est une œuvre importante, à redécouvrir. Sa proximité avec le contemporain Daïnah la métisse de Grémillon rajoute de l’intérêt à cette croisière dangereuse, ce voyage initiatique qui va finir par renforcer les liens d’un couple que la routine avait éloigné. Quant à Number Seventeen (1932), il s’agit d’une commande plutôt faible que le cinéaste parvient néanmoins à détourner vers l’absurde. Le film s’ouvre comme une version burlesque du Vampyr de Dreyer, qui lui est contemporain. Il se poursuit sous forme d’un divertissement de fantaisie. Hitchcock s’amuse avec des maquettes, d’autobus et de train détournés. Après cette œuvrette, le cinéaste devra patienter un an avant de pouvoir tourner à nouveau. En dix films, ce coffret remarquable nous fait partager la vie créatrice d’un des auteurs les plus personnels de l’histoire du cinéma. Même si la route est parfois cahoteuse, on est heureux d’un tel voyage avec le jeune Alfred Hitchcock. Philippe Roger "Aux origines du maître du suspense", coffret Hitchcock en 10 films + livret de 64 pages, édité par Calotta Films, 80 € ( ICI ) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. 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Avec Alain Cavalier, la patience de l'amitié, cinéma faisant
Alain Cavalier. Photo DR ATELIER DU REGARD Cinéaste, ou plutôt "filmeur" comme il se dit lui-même, Alain Cavalier est l'auteur d'un parcours créateur assez unique. Pour "l'atelier du regard" des humanités , le cinéphile Philippe Roger offre un regard sensible sur son dernier film, L'Amitié . Alain Cavalier pratique depuis plusieurs décennies l’expérience savoureuse de la liberté, offrant à son public l’occasion renouvelée de beaux partages. Libera me reste la devise de ce filmeur discret pour qui le spectateur est un ami fidèle, chaque nouvelle œuvre prenant la forme d’un portrait, lieu d’une rencontre vivante ; reprendre ici le titre de ses films ( Libera me, Portraits, La rencontre, Vies, Le filmeur, L’amitié ) indique la cohérence d’un parcours créateur assez unique. Nous pourrions employer les mêmes termes qu’en 1997, lorsque nous rendions compte de La rencontre : « Le dernier film d’Alain Cavalier est à la fois paradoxal et miraculeux ». Il y a toujours du paradoxe et du miracle dans L’amitié , son dernier poème en prose. Du paradoxe, car son film s’aventure très loin dans l’intimité de personnes pour autant respectées par un regard aussi léger que profond ; du miracle, car ce cinéma fait comme aucun autre toucher l’acte de création dans ce qu’il a d’humain et de divin. Il y a un plan inoubliable dans L’amitié . Le premier personnage du triptyque, le parolier Boris Bergman [Boris Bergman est notamment connu comme parolier des premiers succès d'Alain Bashung -NdR], masse les mains du filmeur nonagénaire ; vue de près, la peau ridée d’Alain est réchauffée par les mains de Boris. Après avoir massé la main gauche du filmeur, le parolier lui demande s’il peut passer à la droite, celle qui tient la caméra : Cavalier relève le défi acrobatique, poursuit le plan en changeant de main ; c’est au tour de sa main droite, celle qui tient d’habitude la caméra, à accueillir la chaleur de Boris. « Je flotte ! » s’exclame Alain à la fin du massage, accompagnant l’envol de sa main qui flotte maintenant dans l’espace, tel un astronef. Et la caméra de suivre cette main dans son vol au-dessus du monde, toujours dans le même plan, jusqu’à une machine à laver dont l’essorage sonore évoque le tournoiement des comètes. Comment dire de façon plus émouvante et plus drôle ce qu’est l’art ? D’abord l’art est artisanat : en filmant cette main droite exceptionnellement dépourvue de sa caméra, le filmeur donne à voir son outil de travail. Main qui caresse, main qui crée. Alain Cavalier écrit son cinéma à la main Cavalier écrit son cinéma à la main. Rien de plus fort, en ouverture du film, que la plume qui court sur le papier, traçant à l’encre les paroles de Vertige de l’amour comme l’arabesque d’un ruban qui se déroule. Cinéma sensuel et spirituel que celui de Cavalier. Car l’art est ensuite affaire de métaphysique. Dans L’amitié la transcendance passe par l’immanence : c’est par la palette infiniment variée de la matière concrète que ce cinéma humble accède au trait de lumière de l’esprit. Une lumière qui, comme le vent, va où elle veut et a nul besoin de dogmes. Quand le deuxième personnage du triptyque, le producteur Maurice Bernart, calé dans son fauteuil, se met à tenir un discours religieux, on ressent l’étonnement poli, presque amusé, du cinéaste non croyant ; de même quand le troisième personnage, le coursier Thierry Labelle, évoque un certain mysticisme pour son union avec celle qui deviendra sa compagne, sur une île sacrée d’Afrique. Bande annonce de "L'Amitié", film d'Alain Cavalier sorti en 2023. L’amitié est aussi un grand film sur l’amour, cette base de nos vies que le cinéma a trop souvent galvaudé, par ses mensonges sur grand écran et ses à-peu-près de convenance. Le filmeur à l’affût peint en réalité le portrait de trois couples, un homme se définissant pour partie par son rapport à la personne qui vit avec lui (Alain en sait quelque chose) ; révélatrices de leur compagnon, les épouses de Boris, Maurice et Thierry : douce et en retrait comme le veut sa culture japonaise, la femme attentive de Boris ; voyant tout et dirigeant la maisonnée, la femme illustre de Maurice ; aimante et dépendante, la femme modeste de Thierry. A chacun de ces couples en mouvement, Cavalier demande de lui décrire les circonstances de leur rencontre, qui disent beaucoup de leurs vies. L’amitié parle aussi d’amitiés. Il y a celles qui unissent Cavalier à ces êtres si divers ; avec le premier il eut un projet de film : rendre compte en vase clos de la naissance d’une chanson de Bashung. Le deuxième produisit son plus grand succès, Thérèse . Le troisième fut l’un des protagonistes de son Libera me . Toujours juste, Cavalier n’idéalise pas pour autant ce sentiment subtil, fort et fragile ; l’amitié entre Boris Bergman et Alain Bashung un jour se fracassa. Il y a parfois des silences dans les scènes, et des blessures de vie plus ou moins cicatrisées. Enfant caché, Maurice n’a jamais oublié les résistants pendus qu’il vit sous l’Occupation, à deux pas des consommateurs attablés aux cafés de Montauban. Thierry le costaud eut du mal à se remettre d’un grave accident de moto. Le fil rouge de ces vies pourtant accomplies, heureuses à leur manière, est une forme d’inachèvement, celle qui caractérise l’humaine condition : Boris aurait préféré le rôle de chanteur à celui de parolier dans l’ombre ; Maurice n’a jamais osé passer à la réalisation de long métrage, qui le tentait. Petit banlieusard, Thierry s’est rêvé navigateur solitaire. Ces « grands départs inassouvis », ces horizons secrets font partie intégrante de leur riche personnalité, comme d’autres manques peuplent certainement celle du filmeur. Tout portrait est un autoportrait, et L’amitié n’échappe pas à cette règle. Les reflets d’Alain — dans un sombre miroir ancien de l’intérieur cossu de Maurice, dans la porte coulissante d’un bus, dans les lunettes de Boris posées parmi le désordre de son bureau — disent l’inscription du filmeur dans son geste créateur. Si la pudeur d’une malice qu’on s’applique à soi-même comme à l’autre n’est jamais très loin, qu’on distingue dans le trou de chaussette du coquet Maurice lorsqu’il s’en va faire sa sieste, l’essentiel est à rechercher ailleurs, dans ce qu’il faut nommer la grâce, qui obsède Cavalier. Grâce de l’instant, que seul peut saisir un cinéma libéré des pesants apprêts de son industrie. Libre, Alain Cavalier rejette le mijoté du préparé, l’explicite du voulu ; ce qui n’exclut nullement le travail. A la ligne de sa longue patience, il pêche des moments de grâce que l’instant donne à profusion à qui sait les prendre au vol. Ce sont ces parcelles d’éternité, de beauté pure — parfois le filmeur ne peut se retenir d’admirer la lumière fugace d’un lieu — qui justifient son attention constante. Cette grâce touche à une forme de sainteté, et ce n’est certes pas hasard si la caméra de L’amitié croise la silhouette, le regard et la voix d’une femme forte qui fut Jeanne d’Arc pour Robert Bresson : l’écrivaine Florence Delay est l’épouse de Maurice Bernart. Lorsque l’alerte octogénaire lit deux passages de ses livres, on retrouve la voix vive de ses vingt ans que Bresson sut capter ; car si le corps change, la voix demeure. Cette lumineuse Jeanne d’Arc renvoie Cavalier à la sainte dont il fit le portrait à sa façon inimitable, Thérèse qu’incarna, c’est le mot, la miraculeuse Catherine Mouchet. Tous les films de Cavalier explorent le mystère renouvelé de la grâce de la vie. Philippe Roger (texte publié initialement dans la revue Jeune cinéma n°420-421 de mars 2023, pp. 122-124). Maître de conférences en histoire et d'esthétique du cinéma, Philippe Roger collabore à « Jeune Cinéma » et à plusieurs revues spécialisées. Ceci est le premier texte qu'il confie aux humanités . L'Amitié est distribué en Combo Digipack Blu-ray et DVD, avec en bonus Variations , d'Alain Cavalier (48') par les éditions Tamasa, 19, 95 € ( ICI ). Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre Alain Cavalier, filmographie (source : Wikipédia) Assistant de Louis Malle ( Ascenseur pour l'échafaud , Les Amants ), Alain Cavalier débute dans la réalisation avec le court-métrage Un Américain (1958). Puis il se fait connaître avec deux longs-métrages politiques, subtils et rigoureux, qui lui attirent les foudres de la censure : Le Combat dans l'île (1961) et L'Insoumis (1964), tous deux traitant plus ou moins directement de la guerre d'Algérie. Malgré la présence de comédiens connus dans ses films (Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, ou encore Alain Delon), ce sont des échecs commerciaux : Alain Cavalier s'essaye alors à un cinéma plus traditionnel. Il connaît ses premiers succès avec le polar Mise à sac (1967) et, surtout, le drame bourgeois La Chamade (adapté du livre éponyme de Françoise Sagan). Mais c'est au moment où il se retrouve le plus en vue qu'il choisit de s'éloigner... Huit ans plus tard, il revient au cinéma avec Le Plein de super (1976), road-movie coécrit avec les acteurs à partir de leurs expériences propres, puis Martin et Léa (1978), où le couple incarné à l'écran est un vrai couple dans la vie. En « documentarisant » ainsi les acteurs (professionnels ou non, en tous cas peu connus), Alain Cavalier affine progressivement sa nouvelle manière de faire des films. Réduisant ses équipes techniques, renonçant peu à peu à toute action dramatique traditionnelle, il aspire de plus en plus à filmer au plus près des êtres, ce qui va l'amener inévitablement vers le documentaire. Après Ce répondeur ne prend pas de messages (1979), inclassable performance où Cavalier met en scène sa propre intimité sentimentale, et après Un étrange voyage (1981, prix Louis-Delluc 1981), une étape capitale dans sa méthode de travail va être franchie avec Thérèse (1986). Simple et radical, le film questionne la sainteté au travers de la vie de la jeune carmélite Thérèse de Lisieux. Le film est ovationné au festival de Cannes 1986 où il reçoit le prix du jury, puis est plébiscité aux Césars l'année suivante, avec six récompenses obtenues dont celles du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario. Le réalisateur pousse plus loin encore l'épure avec Libera me (1993), film sans dialogues qui revient avec force sur les thèmes de ses premiers films (oppression et torture). Dans Le Monde , Jean-Michel Frodon écrit qu'il s'agit « non d'un film sur la résistance, mais d'un film de résistance. D'une urgence salutaire. » Parallèlement, il se lance dans une série de vingt-quatre portraits de femmes exerçant à Paris des métiers en voie de disparition (matelassière, cordonnière, coutelière, magicienne…), suite de courts-métrages qu'il présente dans son film Cavalier Express sorti en salle en novembre 2014. À partir de 1995 et la réalisation de La Rencontre , il travaille avec de petites caméras vidéos entièrement seul. Vies (2000) marque une nouvelle avancée. Au plus proche de l'essence artisanale de son art, Cavalier tourne désormais seul grâce à la caméra DV ; la légèreté de l'outil lui permettant enfin de filmer idéalement « au plus près de son expérience ». Il dit ne plus être un cinéaste, mais un « filmeur ». En 2002, il mêle fiction et réalité dans René , où l'un de ses amis, comédien de 155 kilos, s'engage à perdre du poids. En 2004 sort Le Filmeur , journal intime filmé en vidéo sur plus de dix ans et kaléidoscope méditatif sur la fuite du temps. Cavalier y apparaît comme commentateur-acteur d’une histoire qu'il vit et reconstruit en même temps. Le film est la confirmation que son cinéma est devenu l'accomplissement de son parcours intérieur. En 2009, il tente à travers son film Irène de faire revivre son ancienne compagne Irène Tunc disparue en 1972. En 2011, il présente avec Vincent Lindon son film Pater en compétition au festival de Cannes, où ils sont accueillis par une ovation. Il réalise ensuite Le Paradis et Cavalier Express , compilation de huit courts-métrages (2014), Le Caravage (2015), Six portraits XL (2017), Être vivant et le savoir (2019) et enfin L'Amitié , en 2022. A lire : Amanda Robles, Alain Cavalier, filmeur , De l'incidence éditeur, 2011

Du passé, ne faisons pas table rase
Mordechaï Anielewicz, le jeune dirigeant de l'Organisation juive de combat, qui lança l'insurrection du ghetto de Varsovie, le 19 avril 1943 « Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine » . En 1943, un 19 avril, à l'appel de l'Organisation juive de combat, débute l'insurrection du ghetto de Varsovie. Et d'autres génocides, d'autres insurrections... Ce 19 avril, on célèbre au Brésil la Journée des Peuples Autochtones, qui ont payé un très lourd tribut à la colonisation portugaise. Le mot "insurrection" est emprunté au bas latin insurrectio , "action de s’élever", lui-même formé à partir du verbe insurgere , composé de in- ("dans, vers") et surgere ("se lever, surgir"). Comme le poète André du Bouchet, peut-être faut-il aller « droit au jour turbulent » ? Ephémérides Visitant un camp de concentration nazi en Allemagne voici 25 ans en 2000, Nailton Pataxo, cacique du peuple autochtone Pataxó Hãhãhãi au Brésil (dans le sud de l’État de Bahia), eut cette réflexion : « Quand vous parlez des six millions de personnes qui furent exterminées dans les camps de concentration, vous connaissez leurs noms et les dates de leur mort. Nous, Indiens, nous nous souvenons de la disparition de près de six millions de nos frères et sœurs mais dans la plupart des cas, nous ne savons rien sur ces massacres. Ce fut une extermination silencieuse et permanente qui continue encore de nos jours ». Nailton Pataxo, a été grièvement blessé le 21 janvier 2024 lors d’une attaque menée par de grands propriétaires terriens accompagnés de policiers et d’hommes armés, au cours de laquelle sa sœur, la chamane Maria de Fátima Muniz Pataxó, appelée "Nega", a été abattue. Forte émotion lors des funérailles de Maria de Fátima Muniz Pataxó, en janvier 2024. Photo Teia dos Povos Dès le XVIe siècle, les peuples autochtones du Brésil ont opposé une résistance active à la colonisation portugaise. Cette résistance a pris plusieurs formes : luttes armées, alliances avec des puissances européennes rivales, et révoltes contre l’enrôlement forcé, l’esclavage et la dépossession de leurs terres. La Confédération Tamoio, une alliance de tribus du littoral brésilien, s’est ainsi soulevée contre les Portugais au XVIe siècle. Cette histoire est largement méconnue, même si certains épisodes de résistance sont documentés, comme la révolte des Botocudo, dans la région du Minas Gerais et de l’Espírito Santo, au début du 19e siècle : leur insurrection fut brutalement réprimée par l’armée coloniale. Ci-dessous en PDF (129 pages), "Dépossédés. Les Indiens du Brésil" traduction de "Disinherited.Indians in Brazil", publié par Survival International, numéro spécial de la revue Ethnies , printemps 2002. Ce 19 avril au Brésil, on célèbre la Journée des Peuples Autochtones , qui vise à valoriser la diversité culturelle des peuples autochtones, à promouvoir le respect, à combattre les préjugés et à rappeler l’importance de la garantie de leurs droits. Cette date du 19 avril a été choisie en référence au Premier Congrès Indigéniste Interaméricain, qui s’est tenu en 1940 à Pátzcuaro, au Mexique. Le Brésil a officialisé cette date en 1943, sous le gouvernement de Getúlio Vargas. Pendant près de 80 ans cette journée fut nommée "Journée de l’Indien" ( "Dia do Índio" ). En 2022, le nom a été officiellement changé pour devenir la "Journée des Peuples Autochtones" ( "Dia dos Povos Indígenas" ), en réponse à une demande historique des peuples autochtones eux-mêmes, qui considèrent le terme "indien" comme inapproprié et porteur de stéréotypes. Pour beaucoup d’autochtones et d’activistes, le 19 avril est avant tout un jour de lutte et de réflexion, plus qu’un jour de célébration, en raison des nombreux défis qui restent encore à relever pour la reconnaissance et le respect de leurs droits. Arrestation dans le ghetto de Varsovie, photographie n. 14 de l’album du S.S. Jürgen Stroop (sur le site L'Histoire par l'image ) 19 avril 1943 : début de l'insurrection du ghetto de Varsovie « Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine . » (Arie Wilner, un des combattants de l’insurrection du ghetto de Varsovie) Il y a quatre-vingt-deux ans, le 19 avril 1943, 750 combattants Juifs prirent les armes et se soulevèrent, dans le ghetto de Varsovie, contre les forces nazies. Ces résistants, souvent très jeunes, étaient armés de pistolets et de grenades artisanales. Ils étaient en outre passés maîtres en la fabrication de cocktails Molotov. Ils répondaient à l'appel de l'Organisation juive de combat (OJC) qui préparait l'insurrection, depuis plusieurs mois, dans cet enfer devenu l'antichambre de la mort vers les camps d'extermination. Dans ce ghetto, le plus peuplé de ceux des territoires occidentaux occupés par les Nazis, crée en octobre 1939, il ne restait au moment du déclenchement de l'insurrection que 55.000 à 57.000 rescapés sur une population initiale de 400.000 juifs. Tous les autres avaient été déportés, par vagues successives, dans les camps d'extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka. (1) En janvier 1943, les troupes nazies se heurtent pour la première fois à une résistance organisée au sein du ghetto. Ils se retirent et reviennent en force le 19 avril. Cette date marque le début de l’insurrection. Ce combat, comme un cri contre la barbarie, les révoltés le savaient incroyablement inégal. Contre eux, les forces engagées par les Nazis (unités SS, unités de police et collaborateurs polonais) atteignirent, selon les sources, de 2.000 à 3.000 soldats. Ils employèrent les grands moyens contre cette résistance inattendue : armes lourdes dont des tanks Panzers (certaines sources signalent même des bombardements de l'aviation allemande). Les résistants du ghetto de Varsovie étaient organisés au sein de l'Organisation juive de combat (OJC, en polonais "Żydowska Organizacja Bojowa"), dirigée par Mordechaï Anielewicz, un sioniste de gauche membre de l' Hachomer Hatzaïr (2) . La conférence de Wannsee Les combattants vont utiliser des tactiques de guérilla pour maximiser leur impact. Ils tendent des embuscades dans les ruelles étroites, utilisent des caches souterraines pour se déplacer, et fabriquent des armes artisanales comme des cocktails Molotov. Leur connaissance du terrain leur permit de tenir près d'un mois, malgré des ressources militaires des plus limitées. Le 8 mai 1943, cerné dans son bunker du 18 de la rue Mila, Mordechaï Anielewicz se suicide avec sa compagne Mira Fucher et l'état-major de l'OJC. Les combats vont continuer pendant 11 jours, dirigés par un de ses adjoints, Marek Edelman. Celui-ci, avec 40 de ses camarades, le 16 mai, réussit à fuir le ghetto bombardé et en feu par les égouts et continuera le combat dans la résistance polonaise. (3) Cette insurrection s'inscrit dans un processus plus large. Elle intervient quelques mois après la défaite majeure des troupes nazies à Stalingrad dont l'écho mondial a changé la donne. Cette révolte a lieu au moment de l'accélération des déportations et de l'extermination qui se déroulèrent par étapes. Nous savons que la création du système des ghettos précéda la décision de « la solution finale de la question juive », c'est à dire l'assassinat de tous les Juifs européens, prise le 20 janvier 1942 à la conférence dite de Wannsee. Cette réunion se tint à Berlin, à la villa Marlier. Là, quinze dignitaires nazis (dont Heydrich et Eichmann) établirent en deux heures, sur ordre de Hitler, Goering et Himmler, les modalités de l'extermination et notamment son "industrialisation" (4) . La villa Marlier est aujourd’hui un lieu de mémoire et d’enseignement dédié à la Shoah Nous savons aujourd'hui, notamment grâce aux travaux du prêtre catholique et historien Patrick Desbois, que l'extermination avait déjà commencé. Et en grand. Ces tueries de masse, il les a appelées La Shoah par balles . C'est à coups de pistolets Mauser que des unités mobiles de la Wehrmacht, les Einsatzgruppen, exterminèrent Juifs et Roms, lors de l'avancée allemande vers l'Est. Les victimes étaient forcées de creuser leur propre tombe avant d'être exécutées. Plus d'un million de personnes, par familles entières, furent assassinées. (5) L’écho de l’insurrection Le combat du ghetto de Varsovie, comme un cri contre la barbarie, fit écho, relativement vite, vu les moyens de transmission et d'information existants, dans les réseaux juifs de combat. Particulièrement parmi les résistants de la section juive du PCF. Adam Rayski, qui en fut le responsable à cette époque, le raconta au cours d'un colloque consacré à l'insurrection du ghetto : « La nouvelle que les Juifs du ghetto de Varsovie résistaient aux troupes de la Wehrmacht, nous l’avons apprise début mai 1943, grâce à l’écoute permanente de Radio-Londres. Dans un premier temps, l’information fut diffusée par le service polonais de la B.B.C. qui était plus facile à capter, étant moins brouillé. On n'ignore pas aujourd'hui que sa diffusion sur les ondes n’a été décidée qu’après plusieurs jours de tractations entre le gouvernement polonais en exil et les autorités britanniques qui tardaient à donner leur accord, sous prétexte de "vérifications". La première réaction de cette organisation, quelques jours après l'annonce du soulèvement, fut la publication du journal clandestin "Unzer Wort" ("Notre parole") ». Ce journal, en yiddish, quelques jours après l'information diffusée par la BBC, évoquait ce temps où l'espoir change de camp : « Le jour n’est pas loin où les bandits hitlériens devraient rendre compte de leurs crimes. […] Le spectre de la défaite se dresse devant les bourreaux. Il leur apparaît sous les visages des millions de leurs victimes qui se lèvent de leurs tombes, sortent des fours crématoires et d'autres usines de la mort . Ils avancent, tels une armée invincible ; derrière eux viennent les vivants ; l’humanité toute entière, tous les opprimés, tous unis par la seule pensée d'effacer à jamais de la surface de la terre les assassins nazis pour qu'il n'en reste pas trace . » Pendant le mois de mai, indique Adam Rayski, l'U.J.R.E. (Union des Juifs pour la résistance et l'entraide, affiliée au P.C.F.) y consacre tous ses journaux clandestins publiés simultanément à Paris, Lyon, Toulouse et Grenoble ainsi que de nombreux tracts distribués par milliers et ronéotypés plusieurs fois. La Commission intersyndicale juive auprès de la C.G.T. édite, elle, un tract destiné spécifiquement aux ouvriers juifs. De son côté, la presse du M.N.C.R. (Mouvement national contre le racisme créé par l’U.J.R.E.) diffuse le récit de la bataille et le commente dans des numéros spéciaux de J’accuse (Zone Nord), Fraternité (Zone Sud), Combat Médical et Lumières (6) . Le 4 juin 1943, cette commission intersyndicale plaça la journée de protestation contre les crimes nazis sous le signe d'un hommage au soulèvement du ghetto de Varsovie . Et l'historien Jacques Ravine remarque : « En ce jour du 4 juin, eurent lieu des interruptions de travail et des réunions dans un grand nombre d'ateliers et de petites fabriques de pelleterie, de confection, d’ébénisterie, etc. […] Cette action revêtit une ampleur particulière dans la zone sud où se trouvait la majorité de la population juive rescapée. » (7) Cette "petite" bataille de plusieurs semaines, à Varsovie, un court moment dans l'immensité de la guerre, tout comme le sacrifice de ces combattants du ghetto, continuent pourtant de remuer profondément nos consciences tant il s'apparentent à la lutte du Bien contre le Mal. Dans L'Imprescriptible , le philosophe Vlamidir Jankelevitch remarquait avec justesse : « Le passé, comme les morts, a besoin de nous ; il n'existe que dans la mesure où nous le commémorons. Si nous commencions à oublier les combattants du ghetto, ils seraient anéantis une deuxième fois. Nous parlerons de ces morts afin qu'ils ne soient pas anéantis ; nous penserons à ces morts de peur qu'ils ne retombent, comme disent les chrétiens, dans le lac obscur, de peur qu'ils ne soient à jamais engloutis dans les ténèbres. » (8) Michel Strulovici NOTES (1). Le ghetto de Varsovie était le plus grand ghetto juif établi par les nazis en Europe occupée. En janvier 1941, il comptait environ 381.000 personnes, atteignant 439.000 en juin 1941, avant de redescendre à 400.000 en mai 1942. En 1943, après l'insurrection du ghetto, la population restante fut totalement décimée lors de la répression allemande. (2). Mordechaï Anielewicz comprend très jeune la dimension de l'affrontement en cours. À l'âge de 21 ans, lors d'une réunion des responsables des mouvements juifs à Vilnius en Lituanie, il appelle ses camarades et les membres d'autres mouvements à prendre les armes pour combattre l'envahisseur nazi. En janvier 1940, il organise une structure secrète de propagande et de résistance anti-allemande. Il est membre de l' Hachomer Hatzaïr (La jeune garde), un mouvement de jeunesse sioniste de gauche né en 1913 en Autriche. Ses fondements sont le judaïsme, le socialisme, le sionisme, le scoutisme. (3). Dominique Vidal, " Marek Edelman, une vie exemplaire" , Le Monde diplomatique , octobre 2009 ( ICI ). (4). Voir l'admirable et glaçant film La conférence de Matti Geschonneck (avril 2023). (5). Voir l'inestimable travail sur cette question du père Patrick Desbois, La Shoah par balles , Paris, éditions Plon, 2019. Ce prêtre catholique et historien a consacré sa carrière à la découverte de fosses communes et à la documentation des témoignages de rescapés aux exécutions nazies en Europe de l’Est. Son travail a permis d’identifier des milliers de sites d'exécution. Le père Desbois a également enquêté sur les crimes commis contre le peuple yézidi par l'État islamique et a travaillé à documenter les atrocités en Ukraine. (6). Colloque sur " Le soulèvement du ghetto de Varsovie et son impact en Pologne et en France" , 17 avril 1983 ( ICI ). (7). Jacques Ravine : La Résistance organisée des Juifs en France (1940-1944) , chapitre intitulé "L'exemple du ghetto de Varsovie", Paris, éditions Julliard, 1973. (8). Vladimir Jankélévitch, allocution prononcée en avril 1969 au Mémorial du martyr juif inconnu à l'occasion de la Journée nationale de la Déportation et de la révolte du ghetto de Varsovie, in L’Imprescriptible , Paris, Seuil, 1986, p. 79. Poème du jour André du Bouchet, Du bord de la faux Il y a vingt-et-un ans, le 19 avril 2001, disparaissait le poète André du Bouchet, né en France dans une famille « d'une belle diversité » (comme l'écrivit Didier Cahen dans la revue Esprit ), d'un père américain d'origine française mais né en Russie et d'une mère d'origine russe juive. Après la proclamation des lois de Vichy, qui interdirent à sa mère l'exercice de sa profession (elle était médecin dans un hôpital public), il fit à pied, avec sa mère et sa sœur, le trajet de la région parisienne jusqu'à Pau. Peu de victuailles, mais un livre dans la besace : le dictionnaire de grec Bailly. De Pau, ils purent rejoindre Lisbonne d'où ils empruntèrent le dernier paquebot pour l'Amérique, pour rejoindre leur père qui résidait déjà aux États-Unis. Le centenaire de sa naissance, le 7 mars 2024, est passé quasiment inaperçu, sauf pour les humanités : à lire ou relire ( ICI ). Et pour aujourd'hui, un poème, Du bord de la faux : I L’aridité qui découvre le jour. De long en large, pendant que l’orage va de long en large. Sur une voie qui demeure sèche malgré la pluie. La terre immense se déverse, et rien n’est perdu. A la déchirure dans le ciel, l’épaisseur du sol. J’anime le lien des routes. II La montagne, la terre bue par le jour, sans que le mur bouge. La montagne omme une faille dans le souffle le corps du glacier. Les nuées volant bas, au ras de la route, illuminant le papier. Je ne parle pas avant ce ciel, la déchirure, comme une maison rendue au souffle. J’ai vu le jour ébranlé sans que le mur bouge. III Le jour écorche les chevilles. Veillant, volets tirés, dans la blancheur de la pièce. La blancheur des choses apparaît tard. Je vais droit au jour turbulent. André du Bouchet, Dans la chaleur vacante (Mercure de France, 1961. Réédition Gallimard, Coll. Poésie, 1991) Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. 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L'intraitable beauté du monde
Une Drosera madagascariensis est exposée dans une exposition de plantes carnivores au jardin botanique de Bogota, en Colombie, le 3 avril 2025. Photo Fernando Vergara/ AP C'est la Journée de l'Art : un peu de répit, avant que le mot "fleur" ne soit banni du vocabulaire trumpiste sous kétamine muskée. Pour aujourd'hui, un florilège, notamment floral, en compagnie d'Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, du Prince du Rire qui sut communiquer avec les moineaux, avec en prime, un tour du jour photographique en 80 mondes, de l'Ukraine à la Palestine, de la Chine à la Bolivie, de l'Argentine à l'Inde, avec halte égéenne sur l'île grecque d'Amorgos. Malgré Trump Poutine Nethanyaou et toute la clique, il y a l'intraitable beauté du monde . Malgré tous les populismes qui se réclament du peuple pour le dominer et l'asservir, il y a l'intraitable beauté du monde . Malgré les pollueurs et saccageurs qui s'obstinent à méthodiquement détruire ce dont nous avons hérité, il y a l'intraitable beauté du monde . Malgré l'intelligence artificielle qui ne triche pas en se proclamant artificielle, il y a l'intraitable beauté du monde . L'intraitable beauté du monde . Tel est le titre de l'adresse à Barack Obama qu'Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau publièrent en décembre 2008 aux éditions Galaade. Extrait : « Ce monde relié en l'infini de ses possibles et de ses impossibles, concordances et disharmonies, ruptures génésiques et contrastes solidaires, ouvre cette autre région où il faut apprendre à deviner pour cheminer. Une région qui ne nous a jamais manqué, elle était en nous et nous en elle, mais qu’il nous a manqué pourtant de voir. Tout a changé, dans le secret et dans l'indéchiffrable. Il y faut mieux qu'une connaissance, il y faut une poétique de cela qui advient sans cesse autour de nous. La puissance d'un homme ou d'une nation ne peut se mesurer que dans sa capacité à être en relation avec les Lieux du monde, à en mobiliser les richesses et les diversités pour en constituer le meilleur du partage. La puissance vit dans l'éclat du lien, dans ce qui lie, rallie, relie relaye ces possibles, individus et mondes. » Sans doute Barack Obama n'a-t-il pas suffisamment prêté attention à cette missive qui lui fut généreusement adressée . Mais aujourd'hui, avec qui vous savez, c'est peu dire qu'on est loin du compte... Dans son dernier libellé, Que peut Littérature quand elle ne peut , tout récemment paru aux éditions du Seuil ( ICI ), Patrick Chamoiseau pose d'emblée l'état d'un "état du monde" qui ne pourrait que rebuter, ou désespérer, tout geste d'écrire : « Aujourd’hui, pour questionner les littératures dans leur rapport au monde, donc à chaque être vivant, il serait indécent de ne pas considérer toutes les oppressions : Palestiniens, Tibétains, Ouïghours, Rohingyas, Tutsis, Kurdes, Ukrainiens, Haïtiens, Syriens, peuples-nations effacés dans l’Outremer français... Je les vois et les nomme un à un au cœur en apparence bien impuissant de nos littératures ! ». Et pourtant, chemin faisant malgré les ornières, comme le disait Vincent Josse sur France Inter, Patrick Chamoiseau redresse « une forme d'utopie à contre-courant des discours de haine et de repli qui dominent le paysage actuel, mais surtout un appel à se mettre en mouvement pour trouver la forme d'une révolution de la pensée et de l'action » . L'occasion, peut-être, de lire ou relire son appel à « faire front poétique » que nous avions publié en juin 2024 : ICI . Ephémérides De l'art et des bijoux Il y a 151 ans, le 15 avril 1874, au 35, boulevard des Capucines à Paris, une trentaine de peintres, parmi lesquels Paul Cézanne, Edgard Degas, Auguste Renoir, Camille Pissarro et Berthe Morisot (seule femme du groupe) se retrouvèrent pour leur exposer leurs œuvres dans l'atelier de leur ami Félix Tournachon, plus connu sous le pseudonyme Nadar. Parmi les exposants, il y avait aussi Claude Monet, qui présentait un tableau intitulé Impression, soleil levant. Il n'en fallait pas plus pour que naisse l'Impressionnisme. Toutefois, ce n'est pas en mémoire de cette date inaugurale que l'UNESCO a homologué, en 2011, la proposition de l'International Association of Art (IAA) de faire du 15 avril la Journée mondiale de l'art : ce jour-là a été choisi en hommage à Léonard de Vinci, né le 15 avril à Vinci (Toscane). Cette année, pour célébrer la Journée mondiale de l'art, madame Rachida Dati avait imaginé exposer, au 3 rue de Valois, sa collection de bijoux. Mais l'un de ses chambellans lui a fait remarquer que ce n'était peut-être pas une très bonne idée. Totò. Photo Guy Bourdin Le bal des disparus Si Paradis il y a a, il y aura ce jour, au Bal des Disparus, Jean Genet (mort le 15 avril 1986) et Bernard-Marie Koltès (15 avril 1989), Jean-Paul Sartre (15 avril 1980). Tout le monde écoutera religieusement le poète péruvien César Vallejo (mort le 15 avril 1938), avant d'assister à un improvisation du saxophoniste Lee Konitz (15 avril 2020) qui brodera sur la version de Count Basie de Did You See Jackie Robinson Hit That Ball ?, en hommage au joueur de baseball Jackie Robinson, qui fut, le 15 avril 1847, le premier Noir à jouer aux États-Unis en Ligue majeure de baseball. La batte de Jackie Robinson a ainsi ouvert la "Révolution des droits civiques", que Donald Trump prévoit d'effacer des livres d'Histoire américains. Au Bal des Disparus, la soirée devrait gaiement se terminer par un seul-en-scène d'Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio, Antonio de Curtis en résumé, encore plus connu sous les quatre lettres du pseudonyme Totò, qui s'est fait la malle il y a 58 ans, le 15 avtil 1967. Gamin de Naples, plus précisément de la banlieue pauvre du Sanità , Totò était quand même descendant de la famille des marquis de Curtis, seigneurs de Somma Venusiana aux XVIIe siècle, qui auraient eux-même été pour ancêtres… les empereurs de Byzance. Cette noblesse héréditée , Totò la mit au service de l'humour pour devenir « le prince du rire » ("il principe della risata" en italien). Dans un entretien enregistré pour la télévision italienne en 1961, il expliquera qu’il était « destiné à une carrière dans la marine militaire », mais qu’il n’en voulut pas : « La discipline n'était pas faite pour moi, je suis un indiscipliné ». Il s’enfuit alors de chez lui et, pour l'amour d’une danseuse, commence à faire du théâtre. C’est là qu’il apprit la commedia dell’arte et qu’il cultiva son amour pour l’improvisation, qui allait faire le style inoubliable de son jeu d’acteur. Destin ou coïncidence, le film qui lancera sa longue carrière dans le cinéma ( Bas les pattes ! de Gerdo Zambuto, en 1937) raconte l’histoire de Totò di Terratota, un pauvre qui pour joindre les deux bouts finit par travailler dans un théâtre, séduire une danseuse, se disputer âprement avec le fiancé jaloux et se découvrir héritier d’un conte richissime… Ses origines modestes ne seront en effet jamais trop loin, pour ce comédien hors pair qui sut incarner les contradictions sociales de son époque. Son extraordinaire veine comique ne l'empêcha toutefois pas de faire des choses très sérieuses, comme par exemple mettre en scène, au théâtre Valle, dans Rome occupée, une féroce parodie de Hitler qui faillit le faire arrêter par les fascistes . « À la sortie du théâtre, les fascistes firent exploser une bombe. Comme le préfet avait donné l’ordre de m’arrêter, je trouvai refuge chez un ami. Et après un moment, il vint me dire qu’il y avait là une jeune fille qui voulait me connaître. Et ensuite, d’autres gens encore, à un tel point que je finis par m’en aller. Car, si un nazi avait débarqué, il lui aurait suffi de demander "Où est Totò ?" et on lui aurait dit : "Ben, il est là !" ». Macchiettista sur scène, mais capable aussi de profondeur. Pier Paolo Pasolini pensait qu’on l’avait « mal utilisé » , justement parce qu’on s’était "contenté" d’exploiter son côté cocasse et caricatural. Pasolini, lui, en fit autre chose, en jouant savamment du contraste entre sa propre approche d’intellectuel engagé et l’humour populaire, mais profondément humain, de Totò. Flanqué de Ninetto Davoli, jeune borgataro à sa première expérience d’acteur, le Prince incarna l’un de ses plus beaux personnages dans Uccellacci e uccellini (1966), fable douce-amère sur l’absurdité du monde moderne et l’échec de la tentative émancipatrice du communisme. « Je ne choisis jamais un acteur parce qu'il prétend être autre chose que ce qu'il est, mais je le choisis précisément pour ce qu'il est », expliquait Pasolini en marge de son film ( Lettera aperta, OCCHIO CRITICO Anno I n. 2, nov. 1966). Extrait ci-dessous. Le livre du jour « Regardez comme poussent les fleurs des champs : elles ne travaillent pas et ne tissent pas de vêtements. Pourtant, je vous le dis, même Salomon, avec toute sa richesse, n’a pas eu de vêtements aussi beau qu’une seule de ces fleurs. » (parole de Jésus, Evangile de Luc) « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, / Elle ne prête pas attention à elle-même, elle ne se demande pas si on la voit. » (Angelus Silesius,1624-1677) On s'étonnerait presque que le mot "fleur" ne soit pas encore banni du vocabulaire trumpiste sous kétamine muskée, ou musquée , comme les rats, sans rapport avec les notes olfactives du musc . Le mot "musc" vient du persan "musk", signifiant "testicule", en référence à la glande odorante du chevrotain. Car à l'origine, le musc naturel était extrait d'une glande située près des organes génitaux du chevrotain porte-musc, un petit mammifère vivant principalement au Tibet et en Sibérie. Cette extraction nécessitait souvent la mort de l'animal, ce qui a conduit à l'interdiction de cette pratique. Aujourd'hui, le musc est principalement produit de manière synthétique en laboratoire, reproduisant fidèlement l'odeur du musc naturel sans nuire aux animaux. Et traiter Elon X-Tesla de « couille de chevrotain » ne serait pas sympathique pour ledit chevrotain. Illustration en couverture de "Pourquoi les fleurs", de Marion Grébert, aux éditions L'atelier contemporain. De préférence, puisque nous avons placé au fronton de cette chronique Son Excellence Drosera madagascariensis, revenons aux fleurs avec le livre du jour. Après le très bel essai sur l’énigme des œuvres photographiques de Francesca Woodman et de Vivian Maier, Traverser l’invisible , paru en 2022 aux éditions de L’Atelier contemporain, Marion Grébert consacre aux fleurs dans l’art italien une réflexion non moins superbe dans un livre ample, comportant près de deux cents illustrations : Pourquoi les fleurs . Dans un empan chronologique allant du néolithique au Trecento, jusqu’à l’Italie postfasciste de Pasolini, ce somptueux ouvrage interroge la présence des fleurs dans l’art (pictural, sculptural, photographique). Pourquoi y a-t-il des fleurs plutôt que rien ? Que voyons-nous ? Pourquoi remarquons-nous généralement si peu les fleurs dans les œuvres que nous contemplons ? Evoquant l’éphémère, ne survivent-elles pas cependant aux ruines des bâtiments qui les environnent ? Les fleurs de Rome en cela ne sont-elles pas exemplaires ? Sans lourdeur, Marion Grébert partage sur le mode de l’érudition le fruit de ses recherches. « Le lexique même des fleurs sert à en désigner la nature » , écrit André Hirt : « la floraison, évidemment, qui porte toute la douceur de l’origine, mais aussi l’effleurement qui, par son tact et plus généralement son toucher, qui est offrande mais aussi réserve qui dit fermement "noli me tangere" au sens de la violence des emprises, qui signifie moins la fragilité que la puissance de transparence et d’accès à l’invisible » . Lire la suite sur son blog ... Marion Grébert, Pourquoi les fleurs, Un autre voyage en Italie , L’Atelier contemporain, 2025, 352 pages. https://editionslateliercontemporain.net/collections/essais-sur-l-art/article/pourquoi-les-felurs Le tour du jour en 80 mondes (portfolio) Voilà. Aux humanités , on a toujours défendu le photojournalisme, et que, contrairement à beaucoup d'autres sites d'information, on consacre beaucoup de temps et d'attention à l'iconographie qui accompagne nos publications. En matière de photojournalisme, l'agence de presse AP (Associated Press), que Trump a bannie du bureau de presse de la Maison Blanche, est la meilleure au monde. Voilà pourquoi nous nous y référons souvent. Comme aujourd'hui. En diversité, le deuil rencontre la joie, la colère le recueillement, le ciel la mer. Les mères de Danylo Nikittskyi, 15 ans, à gauche, et d'Alina Kutsenko, 15 ans, tués par un missile russe, se recueillent lors d'une cérémonie funéraire à Kryvyi Rih, en Ukraine, le 7 avril 2025. Photo Evgeniy Maloletka / AP Un ouvrier textile vérifie les bobines de fil sur une machine à tisser des tapis dans une usine, à la périphérie de Jammu, en Inde, le 8 avril 2025. Photo Channi Anand / AP Helena Jensen participe à une manifestation "Hands Off !" contre Donald Trump et Elon Musk, à Trafalgar Square à Londres, le 5 avril 2025. Photo Kin Cheung / AP Un enfant regarde derrière le stand d'un artiste vendant des icônes religieuses lors d'une foire à Bucarest, en Roumanie, le 5 avril 2025. Photo Vadim Ghirda / AP Des vendeurs attendent des clients dans un magasin de sapins de Noël au marché international de Yiwu, dans la province du Zhejiang, dans l'est de la Chine, le jeudi 10 avril 2025. Photo Ng Han Guan / AP Des Palestiniens se pressent pour recevoir des dons de nourriture dans un centre de distribution à Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza, le 7 avril 2025. Photo Jehad Alshrafi / AP Des policiers gardent l'entrée du ministère de la Justice jonchée de cornes de vaches jetées par des bouchers exigeant que le gouvernement réglemente les prix de la viande de leurs fournisseurs, à La Paz, en Bolivie, le 10 avril 2025. Photo Juan Karita / AP Des retraités et leurs sympathisants participent à une manifestation hebdomadaire contre les mesures d'austérité du président Javier Milei, à Buenos Aires, en Argentine, le 9 avril 2025. Photo Rodrigo Abd / AP Le moine chrétien orthodoxe père Spyridon marche au monastère de Panagia Hozoviotissa face à la mer Égée est visible sur la droite, sur l'île d'Amorgos, en Grèce, le 27 mars 2025. Photo Petros Giannakouris / AP « Cette photographie fait partie d'un reportage photo ( ICI ) que j'ai réalisé sur l'île grecque d'Amorgos. C'est une histoire visuelle sur le père Spyridon, le moine représenté sur l'image, qui vit au monastère de Panagia Hozoviotissa depuis 54 ans. Je suis resté au monastère pendant environ une semaine, documentant sa vie avec respect et discrétion. Dès le début, j'ai été frappé par la beauté du balcon surplombant la mer Égée - un endroit où le regard peut se perdre à l'infini. Dès mon deuxième jour au monastère, j'ai remarqué qu'autour de 8h30 du matin, après la prière du matin, le père Spyridon sortait de sa cellule et se promenait le long du balcon du monastère. Alors, chaque matin, j'essayais d'être prêt pour ce moment. Le défi était toujours la lumière. Le soleil s'était déjà levé et souvent l'arrière-plan était surexposé, perdant de la profondeur. Mais ce jour-là, les nuages ont beaucoup aidé. Ils ont adouci et équilibré la lumière, donnant à l'image profondeur et clarté. Un élément clé est également le mouvement de sa soutane, attrapée par le vent - un petit détail qui ajoute de la vie et une sensation de mouvement au cadre. C'est une photo avec une belle lumière, de multiples couches et une forte sensation de profondeur - tous les éléments qui améliorent une photographie et maintiennent l'intérêt du spectateur. En même temps, elle permet au spectateur de « lire » l'espace : de voir clairement le monastère, son architecture unique et l'endroit où il se trouve depuis plus de mille ans, creusé dans la falaise. Et surtout, l'image a de la vie - le père Spyridon marchant dans la cour apporte du mouvement et une présence humaine. » ( Petros Giannakouris) Une femme indigène participe au camp annuel « Terre libre » où les communautés indigènes du Brésil discutent des droits, de la protection territoriale et de leur rôle dans la prochaine COP30, à Brasilia, au Brésil, le 8 avril 2025. Photo Eraldo Peres / AP Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre