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Alerte sur le wasabi


Haruhiko Sugiyama a récemment lancé sa propre exploitation de culture du wasabi à Izu

après avoir passé 12 ans à apprendre toutes les étapes des techniques locales de culture du wasabi.


Aliment de base de la cuisine japonaise, le vert et piquant wasabi survivra-t-il aux menaces climatiques et écologiques ? Reportage à Izu, au Japon.



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À Izu, au Japon, pendant trois décennies, Mitsuyasu Asada a fièrement entretenu les mêmes parcelles en terrasses, luxuriantes à flanc de montagne où son père et son grand-père cultivaient déjà le wasabi, cette plante qui ressemblant à un raifort, d'un vert fluorescent et d'un piquant à faire perdre la tête, qui évoque immanquablement la cuisine japonaise.

Pourtant, à 56 ans à peine, M. Asada pense déjà à prendre sa retraite, épuisé par les nombreuses menaces qui pèsent sur ce condiment indispensable qui orne les assiettes de sushi et les bols de soba.

La hausse des températures a rendu ses cultures plus sensibles aux moisissures et à la pourriture. Il s'inquiète des précipitations de plus en plus imprévisibles, des inondations et des typhons plus intenses. L'épaisse forêt de cèdres qui recouvre la montagne surplombant ses rizières - résultat de la politique forestière d'après-guerre - a dégradé la qualité de l'eau de source dont le wasabi a besoin pour pousser. Les sangliers et les cerfs attaquent de plus en plus ses champs, chassés des hautes montagnes par un manque cruel de nourriture en altitude.

Et ses deux filles adultes qui se sont mariées, n'ont montré aucun intérêt à lui succéder sur son terrain d'un hectare et demi à Izu, une ville de la préfecture de Shizuoka, à environ 150 km au sud-ouest de Tokyo.

"Si personne ne veut reprendre l’exploitation", dit M. Asada, "tout ça va s'arrêter".

Une parcelle de l'exploitation de M. Asada


M. Asada n'est qu'un des nombreux producteurs de Shizuoka, l'une des plus grandes régions productrices de wasabi du Japon, qui doit faire face aux défis croissants du réchauffement climatique, de l'héritage des forêts non entretenues et du déclin démographique.

Ces risques ont déjà ébranlé la culture séculaire du wasabi dans la région et mis en péril l'avenir de l'un des produits agricoles les plus importants de la préfecture et un pilier de son activité touristique.

Au cours de la dernière décennie, le volume de wasabi produit à Shizuoka a diminué de près de 55 %, selon le ministère de l'agriculture, des forêts et de la pêche.

"J'ai un sentiment de crise", déclare Hiroyuki Mochizuki, président de Tamaruya, une entreprise de Shizuoka vieille de 147 ans qui transforme le wasabi pour le vendre conditionné en tubes, ainsi que dans des sauces pour salade, des sels aromatisés, des cornichons et même du chocolat qui pique les narines !


"Afin de protéger la culture alimentaire japonaise, il est important de protéger le wasabi."

Le wasabi que l'on trouve en tube ou en sachet et que de nombreux convives connaissent bien est en fait un mélange de wasabi et de raifort teint en vert, mais parfois ne contient pas de wasabi du tout. Au Japon, les chefs des restaurants haut de gamme de sushis, de soba ou de bœuf grillé râpent le wasabi frais au comptoir, afin que les clients puissent ressentir le trait piquant très aigu dans leurs narines et la saveur unique qui persiste un instant sur la langue.

Une épaisse forêt de cèdres recouvre les montagnes de Shizuoka, résultat d'une politique d'après-guerre

visant à reconstruire le pays.


Pendant des centaines d'années, le wasabi a poussé à l'état sauvage dans les montagnes du Japon, fleurissant près des forêts et se blottissant le long des ruisseaux. Il y a environ quatre siècles, des cultivateurs de Shizuoka ont commencé à cultiver, de façon organisée, le wasabi.

Les plants germent dans l'eau de source qui descend des montagnes, ce qui favorise les gradations d'âcreté et les touches de douceur. La variété la plus connue de Shizuoka, appelée mazuma, se vend généralement 50 % plus cher que le wasabi provenant d'autres régions du Japon.

Au fil du temps, selon les producteurs locaux, la qualité de l'eau de source s'est grandement détériorée, compromise par une surabondance de cèdres et de cyprès.

Dans le but de fournir au Japon une source de bois d'œuvre à croissance rapide pour la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, les planificateurs du gouvernement ont semé des parcelles de montagne exclusivement en cèdre ou en cyprès japonais.

Mais lorsque les importations de bois bon marché ont supplanté le bois d'œuvre japonais dans les années 1960, le cèdre et le cyprès ont été laissés à l'abandon, évinçant d'autres types de plantes qui auraient pu mieux contenir et nourrir les sources de montagne dont le wasabi a besoin pour se développer.

Cultures en eau douce à flanc de montagne


"Les gens parlent du changement climatique et du fait qu'il y a moins d'eau", dit David Hulme, un journaliste australien à la retraite qui cultive maintenant le wasabi à Okutama, à environ 80 km du centre de Tokyo. "Mais le vrai problème est que les collines ne retiennent pas l'eau assez longtemps".

Le réchauffement climatique a encore plus bouleversé l'équilibre. Ces délicates plantes, qui mettent plus d'un an à arriver à maturité, se développent au mieux dans des conditions ne dépassant pas les 70 degrés Fahrenheit, soit environ 21 degrés celcius. Mais ces dernières années, les vagues de chaleur au Japon ont régulièrement fait grimper les températures jusqu'à 90 [32° celsius], voire plus de 100 degrés [38° celsius], ce qui a fait pourrir de plus en plus de tiges.


Masahide Watanabe, 66 ans, cultivateur de quatrième génération, s'avance, cet après-midi d’hiver, dans l'une de ses rizières en cuissardes bleues. À l'aide d'une petite houe, il déterre un plant de wasabi de la boue, mettant au jour un rhizome vert marqué de trous où poussent des feuilles en forme de nénuphars.

Il rince la plante dans l'eau de source et coupe les feuilles et un enchevêtrement de racines, inspectant le corps restant pour voir s'il n'y a pas d'imperfections.

"Parfois, la plante sera dépourvue des tiges qui poussent à partir du sommet", dit-il. "Nous appelons cela le "syndrome des sans têtes". D'autres fois, il découvre ce qui ressemble à des tumeurs sur les racines. Ces maladies, sont de plus en plus fréquentes avec la hausse des températures.

Une tige de wasabi atteint de pourriture noire. La hausse des températures a rendu les cultures

plus sensibles aux moisissures et aux maladies.


Les chercheurs du gouvernement et les producteurs locaux ont commencé à expérimenter des croisements dans le but de développer des variétés de wasabi robustes qui prospéreront même dans une chaleur croissante.

Le problème est que, contrairement à d'autres cultures comme les concombres ou les tomates, l'extraction des graines et la culture des jeunes plants de wasabi nécessitent une technologie très sophistiquée. La plupart des cultivateurs font appel à des entreprises spécialisées pour cloner les semis dans des laboratoires et des serres. Le croisement de nouvelles variétés nécessite des efforts de pollinisation très complexes et, surtout, beaucoup de temps.

"Cela peut prendre cinq, six ou jusqu'à dix ans pour l'ensemble du processus et pour déterminer lequel est le meilleur ou le plus fort."

Même si les centaines d'expériences menées par les chercheurs du gouvernement aboutissent à une variété capable de mieux résister à la chaleur, rien ne garantit qu'elle aura bon goût ou se vendra bien.

Kichie Shioya, 65 ans, dont l'exploitation familiale remonte au XIXe siècle et qui dirige la Fédération des coopératives de wasabi de la préfecture de Shizuoka, déclare que lorsqu'il a essayé l'un des nouveaux croisements mis au point par le centre de recherche préfectoral, les plantes "n'ont pas bien poussé ou ont très vite attrapé des maladies."

Certains experts qui étudient le wasabi affirment que les cultivateurs modernes ont peut-être déjà réduit la possibilité de développer des plantes résistantes à l'environnement parce qu'ils se sont concentrés pendant trop longtemps sur un seul petit groupe de variétés.


Les cultivateurs ne resteront peut-être pas assez longtemps exploitants pour essayer les nouveaux croisements. Comme les agriculteurs approchent de l'âge de la retraite, certains se retrouvent sans successeur pour perpétuer cette grande tradition de la culture du wasabi.

M. Watanabe, cultivateur de quatrième génération, est revenu à contrecœur de Tokyo à Izu il y a 40 ans, après avoir obtenu un diplôme en chimie. Il dit que son fils, qui est actuellement inscrit dans une université à Tokyo, allait probablement chercher un emploi dans la ville.


L'espoir peut encore venir de personnes comme Haruhiko Sugiyama, 44 ans, qui a récemment lancé sa propre exploitation de culture du wasabi à Izu. Il loue un demi-acre de rizières à un cultivateur à la retraite dont le propre fils ne veut pas entrer dans l'entreprise familiale.

Il y a une douzaine d'années, Haruhiko Sugiyama, fils de propriétaires d'épicerie, a décidé qu'il voulait travailler à l'air libre. Un ami de collège qui descendait d'une longue lignée de cultivateurs de wasabi l'a mis en contact avec un autre agriculteur qui avait besoin d'aide. Pourtant, pour arriver à lancer sa propre exploitation, il a dû prouver sa valeur et son savoir-faire à l'association locale des producteurs qui contrôle l'accès aux champs de wasabi. En 12 ans de travail pour un autre producteur, Haruhiko Sugiyama déclare qu'il n'a jamais pris un seul jour de congé tout en apprenant chaque étape des techniques locales de culture du wasabi.


Signe des liens qu'il a tissés avec ses collègues agriculteurs, son camarade de collège et un autre agriculteur l’ont aidé à abattre un cyprès de 30 pieds qui empêchait la lumière du soleil d'atteindre certaines de ses rizières. Aujourd'hui, l'eau claire reflète le ciel bleu.


Source : Motoko Rich, Makiko Inoue, pour le New York Times.

Photographies : Shiho Fukada.

Traduction : La rédaction des humanités & Jean-Charles Herrmann



En savoir plus...


Le wasabi (山葵, prononcé en japonais : /wásàbì/, litt. « rose trémière des montagnes »), ou Eutrema japonicum est une espèce de plantes du genre Eutrema (ou Wasabia) que l'on trouve en Asie. Cette espèce est originaire du Japon. Elle appartient à la famille des Brassicacées, comme la moutarde et le raifort, et sa tige est utilisée sous forme de pâte comme condiment dans la cuisine japonaise. Par extension, le terme wasabi désigne en français aussi bien la plante que le condiment.

Noms vernaculaires (langage courant) : moutarde japonaise, raifort japonais. Ces dénominations sont cependant impropres : la véritable moutarde japonaise est le karashi, qui n'a rien de commun avec le wasabi. L'erreur provient des effets similaires que les deux condiments produisent (ils « montent au nez » tous les deux par stimulation du nerf trijumeau). Quant au raifort, il est le plus souvent utilisé dans des produits de substitution bon marché, mais sa saveur diffère.

La zone de répartition naturelle du wasabi s'étend de l'île de Sakhaline jusqu'à celle du Kyūshū. Il pousse naturellement sur les berges des ruisseaux, des cours d'eau et des sources situés sur les versants frais des montagnes.

La tige de wasabi est riche en isothiocyanates et sinigrine. Lors de la préparation, le broyage crée une réaction enzymatique lui donnant sa saveur typique, âcre. Si l'effet est très proche de celui de la moutarde, le goût et le parfum en sont plutôt éloignés. Le wasabi doit être consommé rapidement après râpage, car cette activité enzymatique s'estompe à partir d'un quart d'heure après la préparation.

Wasabi en vente dans un magasin de Shizuoka. Une pâte faite à partir des rhizomes moulus est utilisée

comme condiment piquant dans la cuisine japonaise.


Consommation : On utilise la tige, verte, au goût extrêmement fort, moins fort cependant que celui du raifort occidental, mais bien plus piquant. Le wasabi s'utilise principalement pour relever les nigirizushi (le cuisinier en place une petite noix entre le riz et le poisson) et les sashimi (plat japonais de poisson cru). À l'origine, il était utilisé en cuisine pour ses propriétés antibactériennes. De façon générale, il agrémente les plats de poisson ou de viande.

On trouve également, sous le nom de Wasabi Peas, des cacahuètes, des pois de soja vert ou des petits pois grillés et enduits d'une pâte formée d'ersatz de wasabi et d'origine thaïlandaise. Les Japonais le font également avec du soja vert. Au Japon, en outre, différentes pâtisseries et sucreries (bonbons, glaces) sont également parfumées au wasabi.

Le vrai wasabi (« hon wasabi ») est un produit extrêmement cher, et qui se conserve peu de temps : il n'est donc pratiquement pas exporté hors du Japon. Ainsi, le « wasabi » disponible dans les restaurants japonais européens ou américains ainsi qu'en grande surface est en fait un ersatz composé en réalité de raifort et/ou de moutarde.

On trouve ainsi une pâte appelée wasabi, prête à l'emploi, conditionnée en tube, ou bien sous forme de poudre à mélanger à de l'eau pour obtenir une pâte, conditionnée en boite ou en sachet, dans les épiceries chinoises, coréennes ou japonaises. Ces ersatz contiennent le plus souvent, même au Japon, ce mélange de poudre de moutarde et de raifort coloré artificiellement en vert, et parfois des traces de vrai wasabi, pour justifier la mention wasabi. Le wasabi authentique se trouve plus classiquement en tige fraîche.

Afin de fournir une couleur vert éclatant au consommateur, les ersatz de wasabi recourent au colorant E133, aussi connu sous le nom de bleu brillant. À l'état naturel, la couleur du wasabi tire en réalité davantage sur le brun verdâtre que le vert.


VIDEO

Euronews, décembre 2020









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