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Auschwitz-Birkenau, le 16 mai 1944 : la révolte des "indésirables"

Un groupe de tsiganes à Asperg, en route pour la déportation vers Auschwitz, le 22 mai 1940. Photo Wikimedia Commons


Un quart des tsiganes européens sont morts du fait des persécutions du régime nazi, qui les considérait comme "racialement inférieurs". Longtemps ignoré ou minoré, ce génocide a trouvé un ancrage mémoriel avec la célébration d'une insurrection des familles détenues au Familienzigeunerlager, à Auschwitz-Birkenau, le 16 mai 1944. Le registre du camp, enterré par l'un de ses gardiens, prisonnier politique polonais, a permis que cette histoire ne sombre complètement dans l'oubli. Et comme « l'insurrection est toujours une fête », fête à venir, le 24 mai à Paris.


C’était un mardi. Le 16 mai 1944, une aube grise se lève sur Auschwitz, camp B II e. À l’intérieur des baraquements, des hommes attendent, début dans la pénombre. À leur côté, des femmes prennent les enfants dans les bras, chuchotent des mots doux pour qu’ils se tiennent tranquilles. La veille, ces prisonniers ont subtilisé du camp tout ce qui pouvait servir : des pelles, des pioches, des marteaux. Pendant la nuit, ils ont arraché les montants sur lesquels tiennent leurs lits délabrés. En serrant dans les mains ces armes de fortune, ils fixent du regard la porte fermée, et personne ne bouge.


« Alles heraus ! » martèle soudainement une voix qu’ils ne connaissent que trop bien. Elle annonce ainsi depuis plus d’un an chaque nouvelle journée de souffrance, lors de l’appel du matin. Sauf que cette fois elle annonce la mort, et ils le savent : ce matin-là les SS sont venus les chercher pour les emmener dans les chambres à gaz. Tadeuzs Joachimowski, le secrétaire du camp chargé de l’enregistrement des prisonniers, les a prévenus la veille : « Liquidation totale du Familienzigeunerlager », le camp pour familles tsiganes. Le mot a circulé pendant la nuit, et ils se sont préparés à désobéir. Ce matin-là, ils ne sortiront pas.


Des bottes qui s’affolent sur la terre battue, des cris, des portes qui claquent, et les SS font irruption dans les baraquements. Les prisonniers - ils sont environ 600 - les repoussent à coups de barres et bâtons, leur jettent des pierres, les frappent. Certains d’entre eux tentent même de s’emparer de leurs armes. Des bousculades, encore des cris et puis l’incroyable advient : les SS battent en retraite, pris au dépourvu par cette inconcevable résistance collective. Aucun des 6.000 tsiganes emprisonnés dans le camp d’Auschwitz ne mourra dans une chambre à gaz, ce jour-là. C'est la première du Romani Resistance Day.

Vue sur Auschwitz-Birkenau, avec le Zigeunerlager en arrière-plan (Musée national d'Auschwitz)


Le secrétaire dissident et voleur


Tadeus Joachimowski, le secrétaire du camp qui donna l'alerte aux insurgés, était un prisonnier politique polonais qui, interné à Auschwitz en 1940, fut affecté au Zigeunerlager en mars 1943 pour mener les opérations d'enregistrement des prisonniers tsiganes qui arrivaient à Auschwitz. Le camp pour familles tsiganes existait depuis peu : créé en février 1943 suite à l’ordre de déportation des tsiganes du Reich donné par Himmler en décembre 1942, il exista jusqu’à août 1944, l’époque à laquelle les nazis arrivèrent enfin à le "liquider", avec tous ses habitants. Environ 23.000 tsiganes provenant de tous les territoires du Reich y furent internés, le temps de sa courte existence.


La victoire des insurgés, le 16 mai 1944, ne fut malheureusement qu’un sursis. Dans les semaines qui suivirent, les nazis transférèrent 3.000 prisonniers jugés aptes au travail dans d’autres camps de concentration. Dans la nuit du 2 au 3 août 1944, les 2.898 prisonniers restants, principalement des femmes, des enfants, des vieillards et des malades furent exterminés dans les chambres à gaz de Birkenau, si bien que les rares témoignages dont on dispose sur la vie dans le Zigeunerlager d’Auschwitz proviennent des très rares survivants qui furent transférés avant sa "fermeture".


Mais le secrétaire polonais avait une dent contre la logique génocidaire : en juillet 1944, dans l’imminence de la "liquidation" du Zigeunerlager, il parvint avec deux autres prisonniers à voler les registres sur lesquels il avait noté les noms des tsiganes déportés et à les enterrer dans l'enceinte du camp. En 1949 il avait survécu, et il se souvenait. Récupérés, ces documents, aujourd’hui conservés au musée d’Auschwitz, constituent l’une des sources les plus importantes pour la reconstruction de l’histoire de ce génocide, longtemps méconnu. Et ce fut bien le témoignage de Tadeuzs Joachimowski qui permit de connaître et de ne pas oublier l’acte de courage de ces insurgés, devenu le symbole de la résistance des tsiganes contre l’anéantissement (ICI).


« Les Tsiganes ont été longtemps ignorés par l’historiographie non par un effet de focalisation sur la question juive mais parce qu’ils étaient noyés dans l’opprobre et l’oubli qui touchait tous les asociaux et leur histoire », affirme l’historienne Henriette Asséo, qui compte parmi les quelques chercheurs en France qui se sont intéressés au génocide des tsiganes sous le régime nazi (1). L’Allemagne n’a reconnu ses responsabilités qu’en 1982. Et il fallut attendre 2012 pour que soit inauguré à Berlin un mémorial aux sintis et roms victimes du régime nazi. Pourtant, les tsiganes ont été le deuxième groupe ethnique le plus persécuté, après les juifs. Quoique le nombre exact de victimes reste encore aujourd’hui débattu - on parle de 300.000 à 500.000 morts -, on estime que les persécutions menées par le Troisième Reich et ses alliés ont entraîné la mort de 25 % des tsiganes européens (2).

Des femmes et des enfants tsiganes dans le camp d'internement

de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), en 1944.

(Photo/Mémorial de la Shoa/Collection Menahem Neiger)

Les relents de Vichy


Lors de l’avènement du régime de Vichy, la France s’était déjà saisie de la "question tsigane" sur son territoire. Depuis 1912, ils étaient soumis à des contrôles stricts de la part des autorités, étant contraints d'exhiber un "carnet anthropométrique" à chaque fois qu’ils franchissaient la frontière entre deux villages. En 1940, ils sont interdits de mouvement et obligés de se déclarer à la gendarmerie pour être « astreints à résidence », le nomadisme étant proscrit. Le 4 octobre de la même année, le gouvernement de Vichy organise, sur demande de l’occupant nazi, l’internement des tsiganes dans la zone occupée. Une trentaine de camps sont mis en place, dans lesquels sont enfermés environ 3.000 personnes, dans des conditions bien précaires, qui coûtent la vie à 700 personnes. Ces camps continueront à exister jusqu’en 1946, deux ans après la fin du régime.


Aujourd’hui en France, les tsiganes sont des "gens du voyage". Euphémisme pour dire "des nomades dont on se méfie toujours", malgré les lois visant à promouvoir leur intégration et à lutter contre la discrimination dont ils font encore l’objet. En 2021, Claire Hédon, la Défenseure des droits, dénonçait dans un rapport la marginalisation des tsiganes dans la société française, perceptible dans une pluralité de domaines, de l’accès au logement à l’éducation, en passant par l’emploi et la santé (ICI). Le mot « anti-tsiganisme » est même devenu celui qui sert à définir cette forme spécifique de racisme institutionnalisé, qui continue de les stigmatiser et de nous laisser dans l’ignorance de ce qui fait leur identité… et la nôtre.


Romani Resistance Day : en ce 16 mai, pour l'Histoire et pour aujourd'hui, se souvenir des insurgés tsiganes d’Auschwitz. A Paris, cette mémoire sera célébrée le 24 mai sous le chapiteau du Cirque Romanès, avec une "Fête de l'insurrection gitane" (voir ci-dessous).


Anna Never


NOTES


(1). Henriette Asseo, "L’avènement politique des Roms (Tsiganes) et le génocide. La construction mémorielle en Allemagne et en France", Le temps des médias, no 5, 2005/2, p. 78-9.


(2). 30.000 tsiganes ont été exterminés par les troupes allemandes dans les pays baltes et dans l'Union Soviétique occupée. En Serbie, les tsiganes furent tués par les autorités allemandes, en 1941, par fusillade (les hommes) ou asphyxiés au monoxyde de carbone dans des camions à gaz (les femmes et les enfants), mais le nombre de victimes reste inconnu (les estimations varient de 1.000 et 12.000 personnes). En Croatie, ce fut le régime des Oustachis qui s'occupa d'eux, en exterminant la quasi totalité de leur population (soit environ 25.000 personnes, dont 15 à 20.000 périrent dans le camp de Jasenovac). En Roumanie, 26.000 tsiganes furent déportés vers les camps de la Transistrie (Ukraine), dont la plupart mourut de famine, maladie et mauvais traitements (ICI).


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Le 24 février à Paris, fête de l'insurrection gitane


La voix des Rroms organise chaque année, depuis 2010, une Fête de l'insurrection gitane, « car l'insurrection est toujours une fête ». L'édition 2025 a lieu le 24 mai sous le chapiteau du Cirque Romanès, square Alexandre-et-René-Parodi, Paris 16e. Cette édition, écrit La voix des Rroms, « est placée sous le thème de la transmission, celle des valeurs et des luttes, entre générations et entre fronts de lutte antiraciste. Cette année marque le 100ème anniversaire de naissance de Raymond Gurême, président d'honneur de La voix des Rroms, et aussi les 20 ans de notre association et les 15 ans de la naissance de l'Insurrection Gitane à Saint-Denis ».


Au programme, des ateliers participatifs, animations diverses, tables rondes et évidemment, danse et musique. !

(entrée gratuite jusqu'à 19 heures, au prix libre au-delà)

14h00. Ouverture des portes et accueil du public dans une ambiance musicale et animations diverses

15h00. Ouverture officielle avec une performance artistico-politique «TRANSMISSION»

15h15. Première table ronde. « La République contre l’antitsiganisme, un processus », animée par Saimir Mile, Juriste et directeur de La voix des Rroms, avec : Isabelle Lonvis-Rome, Ambassadrice pour les droits de l'homme, ancienne ministre chargée de l’égalité (vidéo) ; Mathias Ott, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT ; Jean-Paul Bachelot, Conseiller "Éducation et droits de l'enfant" à la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement

16h15. Deuxième table ronde. « Être, perdurer, s’émanciper : une question de construction et de transmission », animée par Diyana Kirilova, chercheuse, avec : Diyana Kirilova, Docteure en Sciences de l'Éducation, spécialité Anthropologie et Philosophie en Sciences de l'Éducation, Paris V - Sorbonne ; Yoanna Rubio, docteure de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en anthropologie sociale et historique; Morgan Garo-Farré, docteure en géopolitique de l’Institut français de géopolitique

17h20. Projection suivie d’un débat --- Caravanes blues (2024), 46 minutes, film de Maryam Khakipour et Jean-Daniel Magnin.

19H00. Troisième table ronde. « Toujours debout, jamais à genoux ! » – transmission entre générations et entre fronts de lutte, avec Marine Hageman-Gurême, porte-parole de La voix des Rroms ; Yasmina Bedar, présidente de Yalla ! ; Rivka & Noah, du Collectif Tsedek ! ; Rose Bouglione, artiste engagée, Cirque Romanès.

20h00. DJ set – le YounGang Rromano sur les pas du DJ Rrom & Roll.

21h00. Spectacle de flamenco – Paco el Lobo Quartet.

22H00. Bal avec le groupe Rom Şukar, musique traditionnelle des Rroms de Roumanie.


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