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Du gaz dans l’eau, et de l’eau dans le gaz (russe)




« C’est une déroute ? » - « Non, Sire, c’est une bérézina ». Au point où on est l’armée russe : le leader islamo-tchétchène Kadyrov suggère de tirer une balle dans la tête des officiers défaillants (sachant que c’est Poutine qui donne désormais les ordres en direct), et la propagande prorusse suggère que l’armée s’inspire des principes du survivalisme et de la permaculture pour enrayer la défaite qui s’annonce…


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Ça pourrait être anecdotique, ça ne l’est pas. Selon le biologiste et chercheur en écologie Ivan Rusev, 50.000 dauphins ont d’ores et déjà péri en Mer Noire, du fait de la guerre en Ukraine.


A gauche : dauphin encore vivant dans la Mer Noire.

A droite : bouillonnements dus aux fuites de méthane au large de l'île danoise de Bornholm. © Forsvaret


Plus au nord, une autre mer, Baltique. Le plus que vraisemblable sabotage (russe ?) du gazoduc Nord Stream qui relie la Russie à l’Allemagne, a provoqué l’évasion incontrôlée de millions de mètres cubes de méthane, extrêmement polluant.

« Le méthane est extrêmement dangereux, quatre-vingt fois plus que le CO2 en termes d’effet de serre [sur une période de vingt ans], explique ainsi à Reporterre Constantin Zerger, expert en énergie et protection du climat de l’organisation Deutsche Umwelthilfe (DUH). Si les quantités contenues dans les deux gazoducs sont entièrement relâchées dans l’atmosphère, cela correspond à l’émission de 28,5 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles d’une grande centrale à charbon. Les dégâts sont immenses pour le climat. »

Poutine ayant, logiquement, toutes les chances de crever avant la planète, c’est un peu « après moi le déluge. » Il est vrai que le despote du Kremlin n’est pas seul en cause. Hier a été publiée dans la revue Science l’étude d’une équipe de recherche dirigée par Genevieve Plant à l’Université du Michigan, qui établit que le torchage du gaz naturel (qui consiste à brûler l’excédent de gaz provenant de puits de pétrole et de gaz) libère cinq fois plus de méthane, un gaz à puissant effet de serre, que ce qu’on estimait auparavant Lire ICI). Cette équipe de recherche a prélevé des échantillons d’air dans deux bassins sédimentaires situés au Texas, le Bassin permien ainsi que l’Eagle Ford Shale, et aux alentours de la formation de Bakken –une formation géologique riche en pétrole et gaz– à cheval sur les Etats du Dakota du Nord et du Montana. Ces zones concentrent à elles seules 80% des activités américaines de torchage de gaz naturel. Cela correspond à un potentiel de réchauffement qui équivaudrait à introduire 2,9 millions de voitures supplémentaires chaque année… Et pendant ce temps, la Banque mondiale estime qu’avec le gaz brûlé chaque année – 144 milliards de mètres cubes – il serait possible d’alimenter en énergie toute l’Afrique subsaharienne. Avec le coût de la guerre en Ukraine, le calcul n’a pas encore été fait.


S’il y a du gaz dans l’eau (de la Baltique), il y a aussi de l’eau dans le gaz (de la maison Poutine). A peine annexées par Moscou, les régions de Donetsk et de Kherson sont rognées par l’armée ukrainienne. Alors même que le Kremlin organisait une grande cérémonie et un concert pop sur la Place Rouge de Moscou pour célébrer l'annexion, les forces ukrainiennes libéraient la ville stratégique de Lyman. Et à son tour, le front russe dans l'oblast de Kherson serait particulièrement malmené, certaines informations rapportant même plusieurs dizaines de kilomètres d'avancée ukrainienne le long du Dniepr, menaçant une nouvelle fois les armées russes d'un encerclement fatal. Sur des comptes Telegram, des soldats russes demandent à l’armée de l’air russe d'intervenir pour les sauver de là et demandent « si quelqu'un a un contact au sein du commandement ». Bref, c’est panique à bord, ou plutôt, au sol.


A gauche : Des cellules de détention dans le sous-sol d'un poste de police qui a été utilisé par les forces russes

pour détenir et torturer des Ukrainiens dans la ville récemment libérée d'Izioum.

A droite : Ludmila Shabelnyk pleure en montrant des photos de son fils Ivan Shabelnyk dans le village libéré de Kapitolivka près d'Izioum.

Ses mains ont été bousillées, ses côtes brisées, son visage méconnaissable. Ils l'ont identifié grâce à la veste

qu'il portait, provenant de l'usine de céréales locale où il travaillait.

Photos Evgeniy Maloletka / Associated Press


La libération de territoires précédemment occupés ne va hélas pas sans son lot de révélations qui viennent alimenter le moulin déjà bien chargé des crimes de guerre. A Izioum, des journalistes d’Associated Press racontent quel fut l’ordinaire de l’arbitraire et de la torture : ils ont localisé 10 sites de torture dans la ville et ont pu accéder à cinq d'entre eux, dont le poste de police. Selon l’enquête d’Associated Press, qui a retrouvé des survivants et des familles, huit hommes ont été tués sous la torture en détention russe. Tous sauf un étaient des civils. « Les femmes étaient détenues dans le garage le plus proche des quartiers des soldats. Leurs cris provenaient de la nuit, selon un survivant. Des responsables des services de renseignement ukrainiens ont déclaré qu'elles étaient régulièrement violées. (…) Pour les hommes, la salle 6 était réservée aux électrocutions. La salle 9 était réservée au « waterboarding ». Un ex-prisonnier décrit comment les soldats russes lui ont recouvert le visage d'un sac en tissu et lui ont versé de l'eau d'une bouilloire pour imiter la sensation de noyade. Ils ont également branché ses orteils à l'électricité et lui ont administré des chocs avec des électrodes sur ses oreilles. » Etc, etc. (Enquête complète d’Associated Press à lire ICI).


Reportage France 2 à Lyman : « Nous sommes parmi les 1ers journalistes à entrer dans Lyman reprise par les ukrainiens.

La ville est devenue le symbole de la reconquête. » (Agnès Vahramian)


Voilà, ce cauchemar a pris fin, pour Izioum, Lyman et les localités qui viennent d'être libérées pour les forces ukrainiennes, mais la guerre est encore loin d'être gagnée, même si ça commence à sérieusement tanguer dans les sphères poutiniennes.

Dans Le Monde, Benoît Vitkine évoque les « frictions au sein du commandement russe » : « Le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, et le chef d’état-major, Valéri Guerassimov, sont de plus en plus ouvertement critiqués après les revers essuyés par les forces russes. La chute de la ville de Lyman n’était pas encore consommée, samedi 1er octobre, que les hauts responsables de "l’opération spéciale" russe en Ukraine commençaient le jeu de massacre avec la désignation des responsables de cette nouvelle déroute. Premier à dégainer, Ramzan Kadyrov s’en est pris avec virulence au colonel général Alexandre Lapine, maître des opérations dans cette ville de la région de Donetsk tout juste annexée par la Russie. Selon le dirigeant tchétchène, l’officier supérieur, "un incapable", "n’a pas fourni les communications, les renforts et le ravitaillement en munitions nécessaires" aux soldats engagés dans la défense de cette localité stratégique. "Je dégraderais Lapine au rang de simple soldat et l’enverrais au front avec un fusil pour laver sa honte dans le sang", conclut le Tchétchène ».

« Bien dit, Ramzan, beau gosse ! Il faut envoyer ces ratés au front avec juste une mitraillette », en a rajouté le milliardaire Evgueni Prigojine, fondateur de la milice Wagner, ou encore l’ancien général Andreï Gourouliev, député du parti Russie unie, qui souligne la responsabilité de l’état-major et la mauvaise qualité des informations remontant à chaque niveau – ce qu’il nomme le « mensonge généralisé ».

Fini, le ton victorieux des propagandistes Vladimir Soloviev et Margarita Simonian, qui officient sur la télévision d'État Rossiya 1. Dimanche soir, Soloviev s'est montré étonnamment mesuré pour évoquer le conflit russo-ukrainien : « J'aurais préféré qu'on attaque Kiev demain et qu'on la prenne. Mais je suis conscient que 300.000 hommes sont mobilisés. Ça demande du temps pour les former, pour coordonner les combats. Ça demande également du temps pour qu'ils aient tout ce dont ils ont besoin pour rentrer dans la bataille ». Soloviev s’est quand même mis en rage, pas comme à son habitude contre l’Occident dépravé, mais contre l’armée russe elle-même, appelant à « tirer une balle » sur les officiers de recrutements incriminés. Pour le moins curieux lorsqu’on sait que Vladimir Poutine a personnellement ordonné de tenir les poches – fragiles – de Lyman et de Kherson !


Ramzan Kadyrov, le leader fanatico-islamo-tchétchène entièrement fabriqué par le Kremlin, mais qui aimerait devenir vizir à la place du vizir (associé à Prigojine ?), en repasse une couche et donne l’exemple. Au diable des couilles molles de Russes qui fuient par tous les moyens la mobilisation partiellement générale. Lui-même vient d’enrôler et de décider d’envoyer dans la zone de combats ses trois fils – Akhmat, Eli et Adam, respectivement âgés de 16, 15 et 14 ans. « Leur entraînement militaire a commencé il y a longtemps, à un âge précoce », commente Kadyrov. « J'ai toujours pensé que le but principal de tout père est d'inculquer à ses fils la crainte de Dieu et de leur apprendre à défendre leur famille, leur nation et leur patrie. » Et il ajoute : « Je m'adresse également à vous, les guerriers tchétchènes qui parlent sur leur canapé et qui sont assis devant des ordinateurs en Europe. Allez, partez en Ukraine et convainquez-nous que vous ne portez pas de jupes. Nous sommes convaincus que même des enfants mineurs seront capables de vous réduire en miettes, car vous n'avez aucun esprit, aucun honneur et aucune dignité. »


Même la propagande prorusse, qui ne trouve habituellement jamais rien à redire. Christelle Néant, l’une des principales figures de la fachospère française prorusse, y va même de ses "conseils" à l’armée russe. Elle n’a aucune formation militaire (aucune formation en journalisme non plus) : l'idée principale consiste à incorporer les mobilisés en les répartissant au sein de petites unités expérimentées des républiques séparatistes plutôt que de les intégrer à l’armée russe : « le plus gros problème vient de l’inertie issue de la taille immense de l’armée russe, et des difficultés d’interaction avec les autres unités militaires (Wagner, milices populaires, volontaires) présentes sur le terrain (entre autres des problèmes de systèmes de communications sécurisées incompatibles entre eux). (…) J’aimerais soumettre deux autres principes qui me semblent importants, sont ceux que l’on retrouve dans le survivalisme ou la permaculture : polyvalence et redondance. Il faut que chaque élément puisse être utilisé pour plusieurs fonctions et chaque fonction doit être couverte par plusieurs éléments et non un seul. Au lieu d’avoir une énorme unité d’artillerie russe séparée des autres unités qui sont sur le front, et avec qui la communication est compliquée par les problèmes d’interopérabilité des systèmes de transmission, il faudrait à mon sens, avoir des unités plus petites mais polyvalentes et toutes centrées sur un commandement unique et plus petit, et un seul système de communication. »


Ce n’est pas tout : la même Christelle Néant a une idée géniale pour corriger « les erreurs commises au début de la mobilisation en Russie » : selon elle, la liberté de critique des journalistes russes (on ne l’a guère vue, mais bon) a conduit à « des étalages publics de dysfonctionnements » qui ont« servir la propagande ukrainienne ». « Plusieurs collègues journalistes ont alors proposé de créer un organe de vérification indépendant qui répondrait directement au commandant suprême : Vladimir Poutine », ajoute-t-elle. « Cela permettrait de régler la plupart des problèmes sans les étaler partout en public. L’idée me semble très bonne et je vais même aller plus loin. Je pense qu’il faut ressusciter le système des commissaires politiques (…). Car au vu de ce qui s’est passé sur le front de Kharkiv, il faut rappeler aux soldats russes pourquoi ils se battent (éducation patriotique), vérifier que les officiers appliquent bien les ordres du gouvernement (entre autre dans les bureaux d’enrôlement militaire), qu’il n’y a pas de rapports de complaisance sur l’état réel de préparation au combat de telle ou telle unité, et avoir un lien permanent avec les services de renseignement pour obtenir plus rapidement les informations nécessaires à la prise de décision. Ces nouveaux commissaires politiques devraient rapporter à un organe dépendant exclusivement du commandant suprême et du ministre russe de la Défense, cela afin d’éviter qu’un officier ou un fonctionnaire de haut rang bloque l’information parce qu’elle met en cause un officier avec qui il est ami, ou autre raison personnelle. »

Des "journalistes" soumis à un "organe de vérification indépendant" contrôlé par des "commissaires politiques" eux-mêmes aux ordres directs de Poutine… Le concept est intéressant, non ?


Jean-Marc Adolphe


Photo en tête d'article : Un membre des services ukrainiens démonte un canon d'un véhicule blindé de transport de troupes russe capturé, dans le cadre de l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, près de la ville d'Izium dans la région de Kharkiv, en Ukraine, le 2 octobre 2022. Photo Vladyslav Musiienko / Reuters


Lyudmiyla, 64 ans, qui s'est abritée pendant des semaines dans le sous-sol du complexe du monastère Lavra qui appartient à l'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou, avec des dizaines d'autres Ukrainiens pendant les violents combats entre les troupes russes et les forces ukrainiennes, à Svyatohirsk, dans la région de Donetsk, en Ukraine, le 3 octobre 2022. Photo Zohra Bensemra / Reuters

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