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Photo du rédacteurJean-Marc Adolphe

Fascisme européen : l'album de famille du "nid de serpents"

Dernière mise à jour : 18 sept.

Olivier Bonhomme, illustration pour "Le Monde" (31 mai 2024)


ÉDITORIAL En même temps qu'il visait en France le poste de Premier ministre, Jordan Bardella louvoyait pour être désigné au Parlement européen président du groupe "Patriotes pour l'Europe", un alliage de forces complotistes, antivax et climato-sceptiques, xénophobes, homophobes, pro-Poutine et pro-Trump, en un mot : fascistes. Pourquoi un tel "double agenda" ? Longtemps l'extrême droite a été "anti-européenne". Ce n'est plus le cas. Comme jadis les nationalistes de tout poil adhéraient à la "race aryenne", les néo-fascistes d'aujourd'hui défendent une "civilisation européenne", dont le vitalisme "patriotique et traditionaliste" pourrait se substituer au progressisme et à l'universalisme des valeurs républicaines. C'est ce paradoxe qu'il faut penser et déminer pour lutter efficacement contre les plans de conquête de Bardella et consorts.


Jordan Bardella a donc pris la présidence du groupe "Patriotes pour l'Europe" au Parlement européen, comme je l'écrivais hier sur Facebook.


Voilà ce que disait hier sur France info le sociologue et politologue Erwann Lecoeur, spécialiste de l'extrême droite et enseignant chercheur à l'Université Grenoble Alpes : « Les Français font peu de cas de ce qu'il se passe au niveau européen. C'est un drame et une erreur. Le fait que Jordan Bardella prenne la direction du groupe est assez étonnant puisqu'on se dit qu'il avait un double agenda : soit Premier ministre en France, soit président du groupe à Bruxelles. (...) D'une certaine façon, le RN et Jordan Bardella font un pas vers une sorte de clarification. Ils rentrent dans un certain groupe qui est très nettement plutôt anti-UE, plutôt pro-Poutine et d'une certaine façon, ça va aussi peut-être peser sur l'avenir du RN en France si jamais les médias français en parlent. »


Or, les médias français, audiovisuels en tout cas, tout occupés à savoir qui sera premier ou première ministre, en parlent très peu, voire peu du tout. Pourtant, comme l'écrivait hier Le Monde, « M. Bardella, qui, lundi, a reconnu des "erreurs" dans l’investiture de certains candidats polémiques pour les législatives en France, est manifestement moins prudent à Bruxelles ».


Un petit portrait des six vice-présidents de ce groupe (dont les trois piliers sont : contre le soutien militaire à l’Ukraine, contre "l’immigration illégale" et pour "la famille traditionnelle"), ça ne devrait quand même pas être trop difficile à réaliser, non ? Pour les médias en mal d'inspiration, voici un petit vade-mecum concocté par les humanités, journal-lucioles qui est bien incapable "d'éclairer le jugement des citoyens" (selon le verdict de la commission paritaire des publications de presse, qui censure ainsi les aides publiques auxquelles nous pourrions prétendre).


Avec, par ordre d'apparition :



Roberto Vannacci, grand nostalgique de Mussolini, élu au Parlement européen sous les couleurs fascistes de la Lega de Matteo Salvini, auteur d’un pamphlet raciste et homophobe (Il mondo al contrario, "Le monde à l’envers") où l’on peut lire par exemple : « Chers homosexuels, vous n’êtes pas normaux. Il faut s’en remettre ! La normalité, c’est l’hétérosexualité. Mais si tout vous semble normal, c’est à cause des intrigues du lobby gay international qui a banni des termes qui, il y a quelques années encore, figuraient dans nos dictionnaires : pédéraste, folle, inverti, tapette, emmanché, fiotte, tafiole, lopette, tarlouze, sodomite — qui sont aujourd’hui susceptibles de vous faire passer devant un tribunal ».



La tchèque Klara Dostalova (du parti Ano), soupçonnée dans son pays de fraudes aux subventions et qui pourfend « l’idéologie verte » qui se serait emparée de toute l’Europe...



Le néerlandais Sébastien Stöteler (PVV), qui compare sur son site internet l'Islam (même pas l'islamisme) à une idéologie totalitaire qui appartient à la même liste que le "fascisme, le nazisme et le communisme". Et "l'immigration de masse" est selon lui la cause principale de la crise climatique !


Le portugais António Tânger Corrêa, du parti Chega, antisémite et adepte des théories du complot, est convaincu le groupe Bilderberg, qui regroupe des personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias, met en oeuvre un "plan secret" pour décimer les personnes âgées (ce pour quoi le Covid aurait été conçu), et pour appliquer le "Plan Kalergi", véritable complot pour mélanger les Européens blancs avec d'autres ethnies via l'immigration...


L'espagnol Herman Tertsch,du parti d'extrême droite Vox, ex-animateur de télévision, fils d'un diplomate nazi dans l'Espagne franquiste. Son idole à lui, c'est la dictateur chilien Augusto Pinochet. En 2020, il fut l'initiateur de la Charte de Madrid qui visait à rassembler la droite radicale d'Espagne et d’Amérique latine contre le "narco-communisme, la gauche et le crime organisé", et qui a tenté d'interférer dans les élections au Chili et en Colombie.


L'autrichien Harald Vilimsky, du FPÖ, est inculpé dans de multiples scandales financiers. Co-signataire d'un "traité d'amitié" avec Vladimir Poutine après l'annexion de la Crimée en 2014, il est aussi fervent admirateur de Donald Trump. Son parti, le FPÖ, prône la "remigration", un terme banalisé qui désigne l'expulsion de millions de personnes hors d'Europe. Les personnes qui, du point de vue de l'extrême droite, ne correspondent pas à l'image d'un "Européen" devraient être expulsées - indépendamment de leur nationalité ou de leur droit de séjour. La "binationalité", à côté, c'est un amuse-gueule.


Dommage que Jordan Bardella ne publie pas, sur son compte TikTok, les visages et pédigrées de ses camarades européens. Les jeunes (et pas que) qui le trouvent tellement "cool" y regarderaient peut-être à deux fois.


Au Parlement européen, cette alliance des néo-fascistes, sous l'oeil gourmand du hongrois Viktor Orban, n'est pas que de circonstance. Longtemps "anti-européenne", l'extrême droite a en effet changé son fusil d'épaule. Ravalant les dissensions propres à tel ou tel "nationalisme", elle trouve désormais un terrain commun dans la promotion d'une "Europe civilisationnelle", que promeut par exemple l'essayiste bele David Engels, récemment interviewé par le site d'extrême droite Omerta, qui défend une identité "historique, patriotique, traditionaliste" (vidéo ci-dessous).



Au Rassemblement national, l'un des principaux tenants de cette "Europe identitaire" s'appelle Pierre-Romain Thionnet, proche "lieutenant" de Jordan Bardella. Cet idéologue planqué, issu du syndicat fasciste "Cocarde étudiante", vient d'être élu au Parlement européen. En avril 2023, à Bruxelles, lors d'un "sommet des jeunes leaders européens", tout en se permettant de citer Homère, Paul Valéry et Gramsci, il déclarait notamment :


« L’Europe ne peut plus s’agrandir dans l’espace. Mais elle peut être conquise. (...) Conquise parce que tant de jeunes Français, tant de jeunes Européens ont peur de la vie. Ils ont peur de la donner, peur de la transmettre, peur de l’exalter. Peur de la vivre. La plus grande peur des générations qui nous ont précédé a toujours été la peur de la mort ou du Jugement dernier. La peur de notre génération est la peur de la vie. C’est un renversement inouï des mentalités, encouragé par des esprits détraqués qui nous expliquent qu’avoir des enfants est un crime écologique. La première étape du redressement de notre continent, c’est donc de retrouver le goût de la vie, de la vitalité. Débarrassons-nous de tout ce qui nous en empêche : le pessimisme, le « c’était mieux avant », l’ensauvagement, l’individualisme narcissique, la technologie qui anémie plus qu’elle n’incite à créer. À l’inverse, embrassons tout ce qui redonne sa place à la vie : la sécurité physique et matérielle, le sens, le sacré, le sentiment d’appartenance, les liens de confiance, l’espérance, et bien sûr le premier cercle de solidarité, la famille. Pour que notre civilisation existe, il faut que nos nations respectives aient le désir de vivre. Pour qu’elles vivent, il nous faut être pleinement vivants.

C’est une longue quête qui nous attend, et dont l’accès au pouvoir est la condition nécessaire mais pas suffisante. Pas suffisante car nous aurons alors l’immense tâche de poser les fondements d’un renouveau, et d’en débuter les travaux prométhéens.

Pour y parvenir, ce qui nous rassemble ici, c’est d’accepter des sacrifices que beaucoup ignorent. C’est le sacrifice d’une bonne partie sinon de tout notre temps disponible. Le sacrifice de l’insouciance qu’on attribue normalement à la jeunesse. Le sacrifice d’une existence purement alimentaire, quand bien même celle-ci peut être difficile. Si nous combattons, c’est parce que nous avons un but. La jeunesse européenne que nous incarnons doit puiser à la source commune de notre civilisation, et cette source, c’est la Grèce, et c’est évidemment Homère. (...)

Homère nous le fait comprendre dans toute son œuvre, et notamment au milieu des tempêtes en mer, si nombreuses : nul retour à terre n’est possible sans idée fixe, sans fidélité au but.  Si Ulysse parvient à rentrer sur son île d’Ithaque et à y restaurer l’ordre, c’est parce qu’il n’a jamais dévié de son objectif initial, sinon la mer et les dieux l’auraient englouti.

Alors la jeunesse de l’Europe de demain doit être fidèle à son idéal, et non pas l’ensevelir au contact de ceux qui, d’idéal, n’en ont pas et n’en ont jamais eu. Il ne s’agit pas de rêver d’un monde impossible ou de restaurer ce qui n’a jamais existé ; il s’agit de construire et de bâtir ce qui n’aurait jamais dû disparaître. Si ce n’est pas nous qui réussissons cette tâche immense, alors nos ennemis abattront leurs cartes.

Pour conclure, avec Gramsci, je dirais à notre jeunesse : "Formez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre intelligence, mettez-vous en mouvement parce que nous aurons besoin de tout votre enthousiasme, organisez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre force". »


On ne peut combattre l'extrême droite ennemie si on ne prend le temps de lire de tels discours et de prendre la mesure du vitalisme qu'il porte. Et tâcher de comprendre pourquoi le camp de la "restauration", nationale ou européenne, en tout cas identitaire, pourrait aujourd'hui incarner ce vitalisme, de façon apparemment plus performante que la notion de progressisme, qui a fondé jusqu'ici les valeurs républicaines, tout particulièrement de gauche.


Et accessoirement, considérer, contre toute attente, que pour le Rassemblement national, le Parlement européen sera un cheval de Troie des prochaines échéances électorales en France. Mais qui est véritablement prêt, ici, à s'intéresser à ce que pourrait représenter un horizon européen ?


Jean-Marc Adolphe


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