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Italie : le Pape, ou la Résistance ?

Dernière mise à jour : 26 avr.

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La population accueille les Alliés à Naples, en octobre 1943. L'Italie ne sera libérée qu'un an et demi plus tard, le 25 avril 1945.


En Italie, le deuil national décrété après la mort du Pape doit-il mettre en sourdine les commémorations du 25 avril, où le pays fête la libération de l'occupation nazie et du fascisme (ce qu'un responsable du gouvernement Meloni qualifie de "guerre civile") ? Plongée dans les racines historiques et les blessures jamais refermées d’un pays où le passé ne cesse de hanter le présent, entre mémoire occultée, révisionnisme et luttes pour préserver l’héritage des partisans antifascistes. Et aussi, dans le journal du jour : Victoria Roshchyna, torturée à mort ; et la saveur des mots, avec Louise Labé et Farida Faryad, jeune poétesse afghane.


 A la Une du jour


L'Armata Brancaleone


« À l’alerte, mes braves ! Jusqu’à présent, vous vous êtes couverts de honte ! Courez aujourd'hui à la gloire ! » Ainsi le chevalier Brancaleone da Norcia, interprété par Vittorio Gassman, exhortait son armée de - quatre - intrépides misérables avant la bataille en 1966, dans l’inoubliable film de Mario Monicelli L’armata Brancaleone. Narrant les péripéties absurdes de cet ensemble improbable de marginaux lancés à la reconquête d’un ancien fief perdu, dans une langue moyenâgeuse de pure invention, ce chef-d’œuvre du cinéma italien questionnait subtilement les structures du pouvoir et taquinait les grands idéaux utopistes, destinés à échouer face à l’ordinaire bassesse humaine. Il se moquait aussi du penchant tout italien à s’inventer des gloires inexistantes, un tic que, selon le réalisateur, le Bel Paese aurait hérité tout droit du fascisme. Son film a eu un tel succès qu’aujourd’hui l’expression « une armée Brancaleone » est entrée dans les dictionnaires pour désigner un fouillis désordonné et inconséquent de personnes mal organisées et aux idées confuses. Elle est souvent utilisée pour décrire la classe politique italienne, fragmentaire, litigieuse, sans queue ni tête.


Cette expression n'a jamais autant convenu qu’à l’occasion du 25 avril, Fête de la Libération (« Festa della Liberazione »), qui commémore l’insurrection générale lancée le 25 avril 1945 par le Comité de Libération Nationale (CLN) contre l’occupation nazie et le régime fasciste de Mussolini. Ce jour (férié) est le symbole de la victoire de la Résistance italienne, composée de partisans et de citoyens ordinaires, qui ont permis la libération de villes majeures comme Milan, Turin et Gênes. Mais loin de "l'union nationale" à laquelle pourrait inviter une telle commémoration, le 25 avril donne lieu chaque année à son lot de polémiques, ou foisonnent les non-sens les plus effrénés : une occasion de plus pour se déchirer dans la dispute.


Cette année, c'est le pompon ! On se demande ce qu'aurait pu en penser Mario Monicelli (mort en 2010), lui qui avait rejoint les partisans de Rome à partir de 1943 et qui disait de la Résistance qu’elle avait été « le seul moment intelligent et généreux » de l’histoire d’Italie.


« Éviter les danses et les chants endiablés, tant que le corps n'est pas enterré »


La polémique de cette année vient de la décision prise le 21 avril dernier par le gouvernement italien de décréter cinq jours de deuil national, jusqu’au 26 avril, suite à la mort de pape François Ier. Cela peut sonner curieux aux oreilles françaises habituées à des notes plus laïques, mais cela n’a rien d’étonnant dans un pays comme l’Italie, où le Vatican joue depuis des siècles un rôle politique majeur. Il ne faut pas oublier que jusqu’à une époque très récente - l’Italie n’est une nation que depuis 1861 - le Vatican était un État, qui étendait ses domaines sur une partie non négligeable du territoire. Quoi qu’il en soit, ce deuil national se superpose aux multiples célébrations prévues le 25 avril, ce qui a soulevé un tollé d'indignation des partis d’opposition et du monde associatif et syndical engagé dans la préservation de la mémoire de la lutte partisane.


« Toutes les cérémonies sont permises, a expliqué le porte-parole de la Protection civile, Antonio Musumeci, mais dans la sobriété », ce qui n’a fait qu’empirer les choses. La gauche a fermement protesté, en affirmant qu’elle allait suspendre les activités du parti pendant trois jours et pas une seule seconde de plus : trois jours, telle fut la durée du deuil national après la mort du pape Jean Paul II, en 2005. Nicola Fratoianni, secrétaire du parti Sinistra Italiana, a déclaré que le rappel à la sobriété de Musumeci était fantasque. Et pour Angelo Bonelli, du parti Alleanza Verdi e Sinistra, « vouloir minimiser la valeur de ce que représente cette journée en utilisant la disparition d'une personnalité extraordinaire comme le pape François, ne peut être passé sous silence » : le 25 avril « n'est pas une fête dans une discothèque ou un happy hour, mais le jour où l'on commémore la libération de l'Italie du nazisme et du fascisme, grâce à la résistance qui nous a ensuite conduits à la démocratie ». « Musumeci a perdu une occasion pour se taire », a-t-il ajouté. Filippo Blengino, du parti Radicali Italiani, est allé plus loin en appelant à la désobéissance civile et en invitant les maires d’Italie à refuser de mettre les drapeaux en berne. Le parti Rifondazione Comunista, à gauche de la gauche, a promis quant à lui que il serait le 25 avril dans la rue « avec encore plus de force, encore plus de rage, encore plus d'espoir. Pour rappeler que l'Italie est née de la résistance ».


Musumeci a tenté de calmer le jeu en précisant que personne n’avait jamais songé à empêcher les célébrations du 25 avril, mais qu’il s’agissait simplement de rappeler que le pays est en deuil et que chacun se doit de respecter la sobriété attendue dans les manifestations extérieures jusqu’aux funérailles de pape François, car « on pourrait éviter les danses et les chants endiablés, tant que le corps n'est pas encore enterré ». Une forme de respect pour les pèlerins venus à Rome lui rendre le dernier hommage, en somme. « Nous n'avons jamais songé à interdire ou à entraver quoi que ce soit, encore moins une célébration aussi importante que l'anniversaire de la fin de la guerre civile et du rétablissement de la démocratie » a-t-il précisé sans que cela n’apaise en rien la polémique qui continue de faire rage.


Prise à réaffirmer avec force les idéaux de la Résistance, l’Armata Brancaleone ne s’est même pas aperçue que Musumeci est le ministre d’un gouvernement présidé par une néo-fasciste qui doit le succès de sa carrière politique aux franges les plus radicales de l’extrême droite romaine, ni que le 25 avril 1945 ne marque pas du tout la fin d’une "guerre civile", mais celle d’une guerre mondiale qui a coûté la vie en Italie, seulement entre 1943 et 1945, à 25.000 victimes innocentes. Monicelli avait raison : les italiens ont tendance à s’inventer des gloires inexistantes, alors que l’histoire est faite par les gens ordinaires.


La tombe de Natale Gaiba, antifasciste tué en 1921 par les Chemises noires à Argenta,

dans la province de Ferrare. Photo : Anna Chendi


Les "exploits" des milices fascistes


Fabio Gaiba n’avait que 8 ans, lorsque son père Natale se fit massacrer, la nuit du 7 au 8 mai 1921, par les escadrons fascistes descendus en forces sur Argenta, une petite commune de la plaine du Po dans la province de Ferrare. La ville allait se retrouver, en 1943, sur la ligne gothique - ce système de fortifications organisé par le général Kesserling, chef des troupes allemandes qui occupaient l’Italie, pour assurer leur retraite le long des Apennins - et être complètement rasée par un bombardement allié le 12 avril 1945.


Natale Gaiba était un socialiste, syndicaliste, député de la commune qui avait organisé les ouvriers agricoles, et qui était en charge de l’Agence de la consommation, une entité administrative créée pour gérer l’approvisionnement du territoire après la fin de la Première Guerre mondiale. Le fascisme montant n’aimait nullement les gens comme lui, encore moins dans une terre, l’Emilia Romagna, qui avait historiquement été un berceau du mouvement de gauche et où la pénétration du fascisme rencontrait beaucoup de résistances. Natale Gaiba n’avait d’ailleurs jamais caché sa virulente opposition au régime naissant. Dans celle qui deviendra la première opération de ce genre en Italie, consistant dans l’occupation et le "nettoyage" des villes de tous les opposants, les Chemises noires le ciblèrent, lui et sa famille, comme symbole de la  "subversion rouge".


Le 16 avril 1921, un samedi, plus de mille hommes descendirent sur Argenta, armés de revolvers, mousquets, grenades, et mirent la cité à feu et à sang, en détruisant les bâtiments publics et en pillant les habitations privées, alors que se levaient les flammes des commerces qu'ils avaient incendiés. Le lendemain commencèrent les passages à tabac. De nombreuses personnalités de la vie publique d’Argenta furent traînées sur la place principale et meurtries à coups de bâton, en guise de dissuasion. Natale Gaiba fut contraint de quitter la ville, avec l’ordre de ne plus jamais y retourner. Mais il revint.


Incapable de rester loin de sa femme et de ses quatre enfants, dont le cadet, Ennio, n’avait que 9 mois, il rentra chez lui le 7 mai 1921. Le soir, alertés par un collabo, les fascistes revinrent aussi, le traînèrent en dehors de la maison sous les yeux de ses proches, l’obligèrent à marcher pendant un kilomètre en ouverte campagne sous les coups de bâton, le firent arrêter au bord d’un fossé, l’y poussèrent dedans et l’achevèrent en lui tirant une balle dans la tête. Dans les mois qui suivirent, les fascistes ne cessèrent de harceler sa famille, en frappant au passage ses enfants quand ils les rencontraient dans la rue. Sa femme décéda quelques semaines après. De chagrin, dit-on.


Argenta fut occupée par les forces allemandes à partir d’octobre 1943. L’Armistice du 8 septembre avait partagé l’Italie en deux : d’un côté le gouvernement provisoire de Badoglio et de l’autre la République fasciste de Salo’. Les Allemands étaient en déroute et la Résistance s’organisait partout. Fabio Gaiba, qui avait 29 ans à l'époque, n'était pas directement impliqué dans les groupes partisans locaux, mais comme tant d’autres il était un « fiancheggiatore », à savoir quelqu’un qui abritait, nourrissait et fournissait un appui logistique aux partisans. Un jour, on lui amena quelqu’un. Un fasciste dont il connaissait le visage, marqué à jamais dans sa mémoire depuis le jour où il lui avait arraché son père. « Tiens, lui dit-on en lui mettant un revolver entre les mains. Venge-toi ». Mais il n’en fit rien. « Je ne suis pas un assassin », dit-il.


Je ne connaissais pas du tout cette histoire, lorsque, tant d’années plus tard, enfant, je jouais sur ses genoux. Car Gaiba, comme tout le monde l’appelait simplement, était un ami de famille. Et en famille, on ne raconte pas les histoires de guerre aux enfants, surtout pas à des enfants qui grâce à nous vivent en paix.


Des enfants sur la place du village de Sant'Anna di Stazzema, en Toscane, à l'été 1944.

Ils périront dans le massacre perpétré par les troupes allemandes, le 12 août de cette même année


Un récit révisionniste


Si le 25 avril peut, dans l’esprit tordu d’un ministre italien, marquer la fin d’une "guerre civile" qui n’a jamais existé, c’est que depuis l’après-guerre l’Italie n’a jamais pu faire véritablement le deuil de la violence, celle du régime tout comme celle de l’occupation. Pourtant, cette date a été célébrée comme le symbole de la démocratie reconquise avant même que le pays ait voté une constitution, à partir de 1946. C’est dire la portée fondatrice que la Résistance serait censée avoir dans la culture politique italienne. Mais un récit révisionniste s’est mis progressivement en place, qui va des discours désagréablement moralisateurs selon lesquels « tous les morts sont égaux » aux tentatives de réhabilitation du régime fasciste sous couvert de réconciliation, en passant par la réinterprétation de la Résistance sous couvert de cette "guerre civile" dont on parle aujourd’hui. En considérant que, pendant l’occupation, entre le 8 septembre 1943 et le 25 avril 1945, l’histoire d’Italie est une longue séquence de massacres de masse semblables à celui d’Oradour-sur-Glane, perpétrés par les troupes allemandes avec l’appui des fascistes, on peut se demander comment on est parvenu à oublier à un tel point ce que fut la Résistance italienne. La réponse est simple : en mettant les 25.000 squelettes des victimes dans un placard.


En 1945, un bureau avait été constitué auprès du tribunal général militaire de Rome pour recevoir les plaintes, qui se multipliaient, dénonçant les crimes de guerre nazi-fascistes. L’idée, soutenue par les Alliés, était de recueillir le plus possible de preuves, de manière à pouvoir organiser un procès. Mais à partir de 1948, les enjeux géostratégiques des Alliés en Italie, et plus généralement en Europe, changent. La poursuite et la punition des responsables des massacres nazi-fascistes ne sont plus à l’ordre du jour, dans un contexte dans lequel priment les impératifs de la reconstruction et où se profile la Guerre Froide.


Les dossiers contenant ces plaintes - 695 en tout, parmi lesquels figurent celles portées par les survivants d’événements aussi emblématiques que les massacres de Sant’Anna di Stazzema et de Marzabotto, qui firent respectivement 560 et 1830 morts - restèrent à sommeiller, en équilibre précaire sur le fil de l'oubli. Ils refirent brièvement surface en 1960, mais à cette époque-là les fascistes avaient déjà bénéficié de l’amnistie générale décidée par Togliatti. On les classa donc sans suite, en bloc, on les rangea dans un placard au sous-sol du tribunal, et plus personne n’y songea.


Le massacre de Sant’Anna di Stazzema, en Toscane, perpétré le 12 août 1944 par trois bataillons de la 16e Panzergrenadierdivision SS Reichsführer-SS, accompagnés de collaborateurs fascistes italiens, fit 560 morts, dont une centaine d'enfants. Photo prise à la Libération,

en août 1945 : on y voit le charnier où ont été enterrées les 151 personnes assassinées dans le cimetière de Sant'Anna et derrière le clocher. Sur le bâtiment à gauche, quelqu'un a tenté d'effacer l'inscription « W il Duce » (Vive le Duce). © Collection privée Tabarrani


En 1994, le procureur Antonio Intelisano, chargé du procès contre Erich Priebke pour le massacre des Fosses Ardéatines, tomba dessus par hasard alors qu'il était à la recherche d'un document. Le retentissement de cette découverte fut immédiat, et immense. Les dossiers furent repris en main, on se mit à la recherche des témoins, on travailla à l’identification des responsables et on entama des poursuites. La plus part de ces procès sont aujourd’hui en cours.


La redécouverte de ce "placard de la honte", comme l’appela Franco Giustolisi, le journaliste de l’Espresso qui s’intéressa le premier de son histoire, donna une impulsion majeure non seulement à la quête de justice des victimes et de leurs familles, mais aussi à la recherche scientifique, qui se retrouva dans la possibilité inespérée d’accéder à des sources particulièrement importantes pour la reconstruction de cette période, dans la mesure où elles contenaient des informations de première main et contemporaines aux faits. L'université de Pise, en collaboration avec l'Association Nationale des Partisans, monta une équipe de plus d'une centaine d'historiens, pour analyser, classer et interpréter le matériel retrouvé, en donnant une perspective beaucoup plus complète et globale aux stratégies de la terreur mises en place par les occupants et au rôle que la Résistance a eu dans la libération de l'Italie. Les fruits de ce travail sont aujourd'hui accessibles sur un site qui cartographie la géographie des massacres (ICI).


La vérité est que ce placard sombré dans l’oubli a créé un vide, dans lequel s’est engouffrée l’ambition révisionniste de la droite italienne, nostalgique autant que coupable d’un temps que le 25 avril 1945 on avait pu croire révolu. « La Résistance n'a jamais été traitée de manière adéquate, ni au théâtre, ni au cinéma, ni même dans la littérature, à l'exception de Fenoglio, disait Monicelli. Et pourtant, c'est la seule chose dont nous pouvons vraiment nous vanter. »


Anna Never


 Ephémérides


Après la mort du Pape, le Portugal aussi a décrété un deuil national de trois jours, du 24 au 26 avril. Toutefois, les cérémonies qui commémorent la Révolution des oeillets (le 25 avril 1974). L'Associação 25 de Abril maintient ainsi le traditionnel défilé populaire à Lisbonne (ICI). Dans son message pour 2025, l'Association du 25 avril écrit :

« Cette journée commémore et rend hommage à la victoire de ceux qui ont lutté pour la dignité humaine et la justice sociale, contre les usurpateurs du pouvoir qui, au Portugal, ont opprimé et obscurci le peuple, dans la présomption obstinée d'être les détenteurs de la vérité, ce qui nous a isolés du monde civilisé. C'est donc un moment de fière commémoration, mais c'est aussi, et cela doit être, pour tous les Portugais, un moment de réflexion sur les valeurs acquises en démocratie, mais aussi sur les erreurs commises et sur les raisons pour lesquelles nous n'avons pas conquis d'autres valeurs, mais surtout sur les défis auxquels nous sommes confrontés pour construire une société plus libre, plus égalitaire et plus solidaire, à laquelle tous, sans exception, ont

droit. »

L'association du 25 Avril rappelle en outre que le Portugal célèbre cette année le 50e anniversaire des premières élections libres au Portugal, qui ont eu lieu en 1975, « et ont permis la formation de l'Assemblée constituante, chargée d'élaborer la Constitution de la République portugaise ».


On peut évidemment réécouter, en ce jour, la chanson Grândola, vila morena, interprétée par Zeca Afonso, qui donna le départ de la Révolution des Oeillets.



Se souvenir aussi qu'il y a cent vingt ans, le 25 avril 1905 vit naître La Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Cet accouchement eu lieu lors du congrès du Globe, aussi appelé « congrès de l’unité », qui a marqué l’unification des principaux courants socialistes français, jusqu’alors divisés : le Parti socialiste français de Jean Jaurès (réformistes, possibilistes, allemanistes) et le Parti socialiste de France de Jules Guesde (guesdistes, vaillantistes, blanquistes). L'union fut alors réalisée sous l’impulsion du congrès socialiste international d’Amsterdam de 1904, qui avait imposé l’unification des socialistes français au sein d’une même organisation. Le parti nouvellement créé demeurera uni jusqu’au congrès de Tours en 1920, où la majorité rejoindra l’Internationale communiste, donnant naissance au Parti communiste français, tandis que la minorité maintiendra la SFIO autour de Léon Blum...


Dans la liste des États non reconnus, la République des Moluques du Sud, au large de l'Indonésie.


Aujourd'hui, la République des Moluques du Sud, pourtant créée voici 75 ans, le 25 avril 1950, ne célèbre rien du tout, et pour cause. L'indépendance de cet "État", dans l’archipel indonésien des Moluques, à l’est de l’Indonésie actuelle, n'a jamais été reconnue. Lorsque les Pays-Bas reconnurent la souveraineté de la nouvelle République d’Indonésie en 1949, les Moluquois du Sud, à majorité chrétienne, craignirent la domination du pouvoir central majoritairement musulman. Indépendance fut alors proclamée, mais le gouvernement indonésien, avec blocus maritime et intervention militaire, finit par reprendre les choses en main. Après l'échec de la rébellion, et alors que l'Indonésie peuple l'archipel "d'immigrants" musulmans en provenance des Célèbes (Sulawesi), qui prennent progressivement le contrôle de l'économie locale, des milliers de Moluquois ont fui vers les Pays-Bas. Un gouvernement moluquois en exil y existe toujours.


 Le visage du jour


Victoria Roshchyna, torturée à mort


Un collègue de la journaliste ukrainienne Victoriia Roshchyna tient une photo d'elle lors d'un événement organisé en sa mémoire à Kyiv, le 11 octobre 2024. Photo Anatolii Stepanov/AFP


On a déjà raconté ICI, le mars dernier, l'histoire de Victoria Roshchyna, journaliste ukrainienne de 27 ans, enlevée par les milices fascistes de Poutine, morte en détention dans une geôle russe. Cinq mois après sa mort, son corps a enfin été rendu à sa famille. Dans un état où seuls des prélèvement d'ADN ont permis de l'identifier. « Compte tenu des tortures subies et de l'état de son corps, la famille de Viktoria Roshchyna a demandé non pas un, mais plusieurs tests ADN », a indiqué Yaroslav Yurchyshyn, député et président de la commission parlementaire ukrainienne sur la liberté d'expression.


Le 12 mars dernier, Victoria Roshchyna a reçu à titre posthume, conjointement au journaliste nigérian Philip Obaji, le prix Homo Homini 2024 pour les droits humains décerné par l'ONG tchèque People in Need (ICI).


Cette ONG se bat aussi pour les enfants ukrainiens. Sans que leur localisation ne puisse être établie avec certitude, ont sait que beaucoup des 20.000 enfants kidnappés et déportés ont transité dans des camps (parfois appelés "orphelinats" ou "sanatoriums") en Crimée occupée. A partir de 2014, et plus encore depuis mars 2022, la Crimée est devenue pour la Russie de Poutine un véritabled laboratoire d'exactions. Il y a fort à craindre qu'une fois libérée la Crimée, la communauté internationale ne découvre un certain nombre d'horreurs comparables à ce que l'Histoire a déjà connu de pire. Cette même Crimée à laquelle Donald Trump voudrait que l'Ukraine renonce sans autre forme de procès...


Leniye Umerova, jeune Ukrainienne d’origine tatare de Crimée, a passé deux ans les prisons russes. Photo The Kyiv Independant.


Hier, The Kyiv Independant a publié le témoignage de Leniye Umerova, jeune Ukrainienne d’origine tatare de Crimée (ICI). Arrêtée en 2022 alors qu’elle tentait de rendre visite à son père malade, accusée à tort d’espionnage, elle a passé près de deux ans dans les prisons russes, où elle a subi l’isolement, les interrogatoires humiliants et l’arbitraire du système judiciaire russe. Elle a finalement été libérée en septembre 2024 lors d’un échange de prisonniers. Laisser la Crimée à la Russie ? : « Certains considèrent la Crimée comme un simple morceau de terre. Moi, je vois des gens, des gens qui risquent leur vie chaque jour simplement parce qu'ils restent ukrainiens. Des milliers de prisonniers politiques détenus pour leurs opinions dissidentes », dit-elle. « Des dizaines de militants torturés à mort qui ne reviendront jamais. Ils croyaient en la justice. Nous n'avons pas le droit moral de les trahir. »


 Poèmes du jour


Louise Labé, « par-dessus quenouilles et fuseaux »,

et Farida Faryad, jeune poétesse afghane



La poésie : style littéraire de genre masculin. A l’école, on a appris François Villon et Victor Hugo, Ronsard et Alfred de Nerval, Baudelaire et Victor Hugo… Louise Labé ? Macache bono… Elle est morte il y a quatre cent cinquante-neuf ans, le 25 avril 1566.


Surnommée « la Belle Cordière », Louise Labé est pourtant une figure majeure de la Renaissance; Née à Lyon vers 1524, issue d’une famille de cordiers (à l'époque, il y avait des cordiers), elle a pu bénéficier d’une éducation rare pour une femme de son temps : elle apprend plusieurs langues, la musique, l’équitation et même le maniement des armes. Mariée à un riche marchand de cordes, elle profite de sa situation pour s’entourer d’intellectuels et se consacrer à la littérature. Poétesse passionnée, elle fréquente le cercle de l’« école lyonnaise » aux côtés de Maurice Scève et Pernette du Guillet. Son recueil publié en 1555, qui comprend sonnets, élégies et le célèbre Débat de Folie et d’Amour, célèbre l’amour et la douleur amoureuse avec une voix féminine inédite. Et puis, dans ses écrits, Louise Labé revendique le droit des femmes à l’éducation et à l’expression, faisant d’elle une pionnière du féminisme littéraire en France. Elle encourage explicitement les femmes à s’élever « par-dessus leurs quenouilles et fuseaux » et à faire entendre leur voix dans la sphère publique et intellectuelle, refusant que leur rôle se limite à la sphère domestique. Dans l’Épître dédicatoire, elle exhorte les femmes à s’instruire, à écrire et à participer à la vie sociale : un geste inédit dans une société où la parole publique des femmes est largement dénigrée et restreinte


Pour aujourd'hui, le Sonnet XX, célèbre par sa franchise sensuelle et sa revendication du droit d’aimer :


Baise m’encor,

rebaise-moi et baise,

Donne-m’en un de tes plus savoureux,

Donne-m’en un de tes plus amoureux :

Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.


Las, te plains-tu ?

ça que ce mal j’apaise,

En t’en donnant dix autres doucereux.

Ainsi mêlant nos baisers tant heureux

Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.


Lors double vie à chacun en suivra.

Chacun en soi et son ami vivra.

Permets m’Amour penser quelque folie :


Toujours suis mal, vivant discrètement,

Et ne me puis donner contentement,

Si hors de moi ne fais quelque saillie.


Les poèmes de Louise Labé n'ont guère été mis en chanson. On trouvera réconfort avec l'ensemble Polymorphie qui marie sa poésie (voix : Marie Pellegrini) avec des sonorités ancrées dans le jazz, ci-dessous :



Pour clore ce journal du jour, signalons qu'à Charbonnières-les-Bains (dans la métrople de Lyon), Nathalie et Nicolas Faroux, qui ont récemment repris la libairie Les Cultures papier, viennent de la rebaptiser du nom de Louise Labé. La cérémonie de baptême s'est faite en présence de Farida Faryad, jeune poétesse afghane, née dans la communauté hazâra, une minorité ethnique persophone et chiite historiquement persécutée en Afghanistan. Spécialiste de la grammaire du persan et chercheuse sur la représentation des Hazâras dans la littérature afghane, elle a enseigné à l’université Dunya de Kaboul. En août 2021, lors de la prise de Kaboul par les talibans, Farida Faryad a fui son pays à bord d’un des derniers avions français, trouvant refuge à Villefranche-sur-Saône.


Avec la collaboration de Jean-Yves Loude, Farida Faryad a publié en septembre dernier, aux éditions du Poutan, « Collection de chagrins – le défi poétique d’une femme afghane » (ICI). Ci-dessous, lecture à plusieurs voix :




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