Portrait de Jean Jamin en 1991, alors qu’il était directeur du Département d’archives
de l’ethnologie du musée de L’Homme, à Paris.
Décédé à l’âge de 76 ans, Jean Jamin, cofondateur avec Michel Leiris de la revue Gradhiva, co-auteur avec Patrick William d’une fabuleuse Anthropologie du jazz, a consacré ses derniers travaux à sa famille ouvrière, originaire de Revin, dans les Ardennes.
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L’anthropologue Jean Jamin, né à Charleville-Mézières, est décédé le 21 janvier, vraisemblablement d’une crise cardiaque, à Paris. Il avait 76 ans. Savant éclectique, amoureux de jazz et de littérature, il a surtout rapporté et enrichi la connaissance française sur l’histoire de l’anthropologie, sa discipline de prédilection. Parmi les ouvrages qui laisseront une trace, on retrouve Faulkner.
Après avoir passé sa scolarité à Charleville-Mézières, jusqu’à l’obtention du bac au lycée Chanzy, il a filé à Paris pour y étudier la philosophie, la sociologie et l’ethnologie à la Sorbonne. Fils d’une coiffeuse de la rue Monge et d’un pompier qu’il retrouvera des années plus tard.
Il a été en partie élevé, ou du moins initié, à la littérature par la famille Rozoy. Jean-Georges, le patriarche, déporté à Dachau jusqu’en 1945, était un médecin et archéologue très connu de Charleville-Mézières.
On lui doit la revue Gradhiva, fondée en 1986 avec son ami l’écrivain Michel Leiris
Jean Jamin gardera de ses années à Chanzy un sentiment doux-amer, car il fut l’un des premiers fils de parents divorcés, ce qui lui valut quelques brimades. Mais comme il l’a raconté dans un entretien à France Culture en juin 2018, il garde le souvenir d’un établissement au sein duquel il ne faisait pas bon lire Sartre et Rimbaud. « Il en connaissait pourtant les poèmes par cœur », s’amuse la femme de sa vie, l’ethnologue Jacqueline Rabin-Jamin. Mais sa carrière professionnelle et sa vie ont pris de l’épaisseur dans la capitale française où il passera sa vie, puis en Afrique. Il rencontre d’abord Sartre, qu’il idolâtrait et lui recommanda ce jour-là de devenir philosophe. Puis lit L’Afrique fantôme, le récit de voyage de Michel Leiris. Une lecture qui va changer sa vie et le destine à sa carrière d’anthropologue, n’en déplaise à l’existentialiste qu’il admire.
Il s'est occupé, dès 1991, de la publication des œuvres inédites de Michel Leiris, du regroupement et de l'édition de ses travaux ethnologiques, du tri et de l'organisation de ses archives littéraires. En 1995, avec Christophe Barreyre, il a réalisé le film Michel Leiris ou l'homme sans honneur, sur une musique de Michel Portal, dans la série Écrivains du XXe siècle diffusée sur France 3. Ces travaux d'éditions critiques l'ont amené à réorienter ses propres recherches vers une anthropologie de la littérature, du cinéma et de la musique, et en particulier du jazz, animant de 2001 à 2009, avec l'ethnologue Patrick Williams, un séminaire d'« anthropologie du jazz » à l'EHESS, dirigeant des mémoires et thèses sur ce thème, tout en continuant de s'intéresser, d'un point de vue anthropologique et historique, aux phénomènes d'« oralité seconde » (Walter J. Ong) aussi bien, avec la complicité de l'ethnologue et cinéaste Jean-Paul Colleyn, qu'aux relations entre textes, images et sons. C'est dans cette perspective qu'il a notamment réalisé deux montages numériques audiovisuels, l'un de 63 minutes en mai 2008 sur le ballet La Création du monde qui fut créé à Paris en 1923, à partir d'un fonds mythologique africain, par Blaise Cendrars (pour l'argument), Fernand Léger (pour les décors et costumes) et Darius Milhaud (pour la musique) ; l'autre de 67 minutes en avril 2009 sur l'univers romanesque de William Faulkner et son comté imaginaire de Yoknapatawpha (Mississippi), intitulé Le Nom, le sol et le sang, mettant l'accent sur les rapports de parenté, d'alliance et d'appartenance au sein d'une « société multiraciale », tels qu'ils peuvent être appréhendés à travers une œuvre de fiction qui n'en demeure pas moins vraie et heuristique en ce qui concerne la théorie de « l'inceste du deuxième type » et la « circulation des humeurs », sang, sperme et lait (Françoise Héritier).
Dans les années 1970, il a étudié les rites initiatiques chez les Sénoufos, en Côte d’Ivoire. C’est lors de ce séjour qu’il a rencontré son épouse. Il a également fait des recherches sur les Mau Mau du Kénya. En 1977, il intègre le musée de l’Homme dirigé par… Michel Leiris, qui devient son ami et intime. Il y restera plus de quinze ans avant de devenir directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. On lui doit également la revue Gradhiva, fondée en 1986 avec Michel Leiris, aujourd’hui propriété du musée du Quai Branly.
En 2001, Jean Jamin est devenu membre titulaire du Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (LAHIC), unité mixte de recherches du CNRS, de l'EHESS et du Ministère de la Culture, fondée cette même année et dirigée par Daniel Fabre, avec qui il a animé de 2010 jusqu'à son départ à la retraite en 2014 un séminaire à l'EHESS sur « Chant, poésie et mythe populaires », prolongeant celui sur le jazz13. Le LAHIC, qu'il quitte après la mort de Daniel Fabre en 2016, fait partie de l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain (IIAC).
Annonce de l'exposition Leiris & Co dans le métro parisien, avril 2015
Jean Jamin a participé, en tant que conseiller scientifique, à la conception, l'élaboration et la muséographie de l'exposition Leiris & Co : Picasso, Masson, Miró, Giacometti, Lam, Bacon..., organisée par le Centre Pompidou-Metz (Metz-Ville, Moselle) d'avril à septembre 2015, et, à ce titre, il a rédigé plusieurs articles (« 1929 – Jazz » ; « 1933 – Gondar, Zar » ; « 1952 – L'ethnographe devant le colonialisme » ; « 1958 – Théâtre et Possession » ; « 1988-1992 – Des lieux d'écriture : Journal et autres autographies... ») de l'important catalogue (400 pages 210 x 275 mm, 350 illustrations, N & B et couleur) dirigé par Marie-Laure Bernadac, Agnès de la Beaumelle et Denis Hollier (également commissaires de l'exposition) publié à cette occasion par le Centre Pompidou-Metz et les Éditions Gallimard. Avec Denis Hollier, il a organisé et dirigé le colloque international consacré à la vie et à l'œuvre de Michel Leiris, qui, au musée du quai Branly de Paris le 10 septembre, puis au Centre Pompidou-Metz le 11 septembre 2015, a clôturé l'exposition.
Les obsèques de Jean Jamin auront lieu au crématorium du Père-Lachaise, à 11 h 30, ce mercredi.
Sources : L’Union, Wikipedia
Bibliographie
Contacts et antagonismes culturels en pays kikuyu (Kenya), Paris, Éditions de l'Institut d'ethnologie,1973.
Les Lois du silence. Essai sur la fonction sociale du secret, Paris, Éditions François Maspéro,1977.
Aux origines de l'anthropologie française. Les Mémoires de la Société des observateurs de l'Homme en l'an VIII, Paris, Éditions Le Sycomore, 1978, (en collaboration avec Jean Copans), 2e édition revue et augmentée : Paris, Éditions Jean-Michel Place,1994.
La Tenderie aux grives chez les Ardennais du plateau, Paris, Éditions de l'Institut d'ethnologie, 1979.
Exotismus und Dichtung, Francfort/Main, Qumran Verlag, 1982.
Une anthropologie du jazz, Paris, CNRS Éditions, 2010, (en collaboration avec Patrick Williams).
Faulkner. Le nom, le sol et le sang, Paris, CNRS Éditions, 2011.
Une anthropologie du jazz, Paris, CNRS Éditions, collection de poche “Biblis”, 2013, 2e édition (en collaboration avec Patrick Williams) ; trad. italienne : Seid Editori, Florence, 2016.
Le Cercueil de Queequeg. Mission Dakar-Djibouti, mai1931-février1933, Paris, Les Carnets de Bérose, fascicule 2, LAHIC/Ministère de la Culture, 2014. Édition électronique consultable par le lien : http://www.berose.fr/spip.php?article593
Littérature et anthropologie, Paris, CNRS Éditions, 2018.
Tableaux d'une exposition. Chronique d'une famille ouvrière ardennaise sous la IIIe République, Paris, Nouvelles Éditions Place, 2021.
A lire
Une Anthropologie du jazz : lire ICI
A écouter
Du jour au lendemain, Jean Jamin avec Alain Veinstein (201) : https://www.franceculture.fr/emissions/du-jour-au-lendemain/du-jour-au-lendemain-4-juillet-2014
La Suite dans les idées, sur France Culture. Jean Jamin parle de William Faulkner : https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees
La compagnie des auteurs, par Matthieu Garrigou-Lagrange : Jean Jamin parle de William Faulkner : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/william-faulkner-34-faulkner-anthropologue
VIDEO
Jean Jamin parle de Michel Leiris. Conférence au Printemps des Poètes (2016)
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