Mayotte : une "refondation" en trompe-l’œil
- Isabelle Favre

- 3 juil.
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juil.

Après le cyclone Chido à Mayotte, le 19 décembre 2024. Photo Adrienne Surprenant / AP
Mayotte attendait une refondation, elle hérite d’un mirage législatif. Derrière les mots ronflants d’une « loi de programmation pour la refondation de Mayotte », votée six mois après le cyclone Chido, se cache une réalité crue : l’abandon persistant d’un territoire français, relégué à la périphérie de la République. Réduction des droits fondamentaux au nom de la sécurité, promesses ajournées à 2030, silence sur les causes profondes des inégalités sociales et sanitaires... Le vernis républicain peine à masquer les fractures. Mayotte n’a pas besoin d’un texte sans moyens ni vision : elle réclame justice, respect, et une politique digne d’un territoire français.
Comme disait déjà le poète romain Horace, « Parturient montes, nascetur ridiculus mus » ("Les montagnes vont accoucher, naîtra une souris ridicule"). Popularisée par La Fontaine à la fin du XVIIe siècle, l’histoire de la montagne qui accouche d’une souris reste d’actualité. Six mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, l’Assemblée nationale a voté, ce 1er juillet, une loi de programmation pompeusement intitulée « pour la refondation de Mayotte » (1). En lieu et et place de « refondation », il faudra se contenter de mesures qui semblent fort éloignées de l’objectif annoncé de réduire les retards de développement, de renforcer l’État de droit, de moderniser les institutions locales et d’améliorer durablement le quotidien des Mahorais.
L’État de droit ? L’accent mis sur la lutte contre l’immigration clandestine, contre l’économie informelle, contre l’habitat illégal, relègue aux oubliettes l’avis émis en juin dernier par la Défenseure des droits, qui pointe « des atteintes massives et fréquentes aux droits fondamentaux à Mayotte ». Cet avis fait suite à un rapport publié en 2020, intitulé "Établir Mayotte dans ses droits", où l’institution du Défenseur des droits faisait état de « l’écart immense entre les droits consacrés et ceux effectivement exercés » résultant notamment des circonstances particulières du territoire et d’un sous-dimensionnement structurel des services publics mahorais. A ce problème majeur « d’exercice réel des droits », les pouvoirs publics apportent une réponse uniquement focalisée sur la lutte contre l’immigration illégale considérant que « le bon fonctionnement des services publics et l’équilibre social de l’île serait mis en péril par une immigration massive » (Lire ICI).

Estelle Youssouffa, députée LIOT de la première circonscription de Mayotte, à l'Assemblée nationale, le14 mai 2025.
Il y a, certes, quelques avancées. Le montant de certains minima sociaux (RSA et allocation handicaps) sera ainsi aligné sur l’Hexagone, mais pas avant 2030. C’est aussi la date retenue pour mettre fin aux titres de séjour territorialisés, qui empêchent leurs titulaires de partir dans l’Hexagone ou dans d’autres territoires d’outre-mer. Pourquoi si tard ? C’est « une promesse de plus qui ne sera pas tenue », lâche Safina Soula, la présidente du collectif des citoyens de Mayotte 2018, qui réclame cette abrogation depuis plusieurs années.
Le collectif des citoyens de Mayotte dénonce le fait que ce régime d’exception maintient Mayotte dans une situation de « seconde zone » au sein de la République, mais avance aussi un autre argument : la fin de ce titre de séjour territorialisé devrait inciter des étrangers en situation régulière à partir pour d’autres régions françaises : en d’autres termes, à débarrasser le plancher. Mais qui sont ces « étrangers » ? Selon l’Insee, les étrangers en situation régulière à Mayotte sont à 95 % comoriens, 4 % malgaches, et très marginalement originaires d’autres pays d’Afrique de l’Est.
Le Collectif des citoyens de Mayotte, né de la grande mobilisation sociale de 2018, s'est réveillé pour soutenir l’opération sécuritaire Wuambushu en 2023 (visant, comme si tout était lié, à expulser les étrangers en situation irrégulière, à détruire les bidonvilles et à lutter contre la criminalité dans l'archipel - voir ICI). Entre autres actions menées alors par ce collectif : le blocage des accès aux dispensaires connus pour recevoir majoritairement des patients d’origine étrangère, comoriens pour la plupart.

Ci-dessus : Zaïna Méresse, figure de proue du mouvement des Chatouilleuses dans les années 1960 et 1970 ;
panneaux lors du référendum de 1974 à Mayotte.
Majoritairement féminin, ce Collectif des citoyens de Mayotte peut être considéré comme l’héritier du mouvement des Chatouilleuses, surnommées sorodas wa Maore (« soldats de Mayotte »), qui s’était mobilisé dans les années 1960 et 1970 pour défendre le maintien de Mayotte dans la République française et s’opposer à l’intégration de l’île dans l’archipel des Comores lors du processus de décolonisation. Sous la direction de figures comme Zéna M’Déré, à qui Emmanuel Macron a rendu hommage en 2019 (voir ICI), les Chatouilleuses organisèrent des commandos pour prendre à partie les responsables politiques comoriens venus à Mayotte. Elles assaillaient physiquement les responsables politiques adverses en les chatouillant, une méthode originale et non violente qui leur permit d’éviter des poursuites judiciaires tout en humiliant leurs adversaires et en les forçant à quitter l’île. Mais elles utilisèrent aussi d’autres formes de pression : jets de pierres sur les toits des partisans de l’indépendance, menaces, intimidations, ostracisme, voire mise à sac de domiciles (2). Mahoraises, les Chatouilleuses étaient souvent épouses de fonctionnaires, et redoutaient que le changement de statut de Mayotte entraîne une précarisation économique, familiale et sociale. « On a dit non. On s'est dit : "On va être esclave des Anjouanais et des Grands Comoriens, vaut mieux être esclaves des Français !" On a décidé de se mettre debout », confiait l’une des Chatouilleuses, Zaïna Meresse, en 2013 à Ouest France.
En décembre 1974, la majorité des Mahorais ont dit non à l’indépendance (3). Malgré les engagements du président Valéry Giscard d’Estaing en faveur d’un scrutin global pour préserver l’unité de l’archipel des Comores, la France décide finalement de comptabiliser les résultats île par île, sous pression de députés et sénateurs sensibles au lobby séparatiste mahorais (4). Arguant de spécificités ethniques, culturelles et religieuses pour le moins discutables, la France brandit alors le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais rompt du même coup avec le principe selon lequel une décolonisation doit s’effectuer dans le cadre des anciennes frontières pour ne pas atteindre à l’intégrité territoriale d’un pays. Pour la France, il y avait là un enjeu stratégique, après que l’armée française avait été chassée de Madagascar (en 1973) : conserver une "possession" à l'entrée d'un des plus grands couloirs commerciaux mondiaux, le Canal du Mozambique, devenu un passage maritime de première importance pour le transit du pétrole, en particulier à la suite de la fermeture du canal de Suez entre 1967 et 1975. Ce déni du droit international valut à la France plusieurs condamnations de l’ONU, et un ressentiment toujours vivace de Moroni, la capitale de l’Union des Comores.
Un demi-siècle plus tard, cette « dislocation » résiste toujours aux réalités géographiques et humaines de l’archipel des Comores, caractérisé par la proximité des îles qui le composent et par une origine géologique commune, ici volcanique. Un archipel existe aussi à travers des « entre-deux », une intensité des échanges sur un territoire commun, que l’on ne saurait réduire à la seule image exotique des kwassa-kwassa, ces petites barques de pêche sur lesquelles Emmanuel Macron s’était permis d’ironiser en juin 2017 (le kwassa-kwassa « pêche peu, il amène du comorien, c'est différent »).
Au lendemain du cyclone Chido, certains responsables politiques eurent vite fait d'associer l'ampleur des dégâts à l'habitat précaire des migrants clandestins, justifiant la nécessité de renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière et de détruire les bidonvilles. Mais quel est cet "Eldorado" que des "migrants" comoriens seraient venus chercher à Mayotte ? Le « dernier des départements » français (5) brille, si l’on peut dire, par une précarité économique et sociale que l’État n’a guère mis d’empressement à endiguer. En 2014, François Hollande avait bien annoncé un « Plan Mayotte 2025 ». Et en 2018, pour répondre au mouvement social qui avait paralysé l’île pendant deux mois, avait été élaboré dans l’urgence un « plan pour l’avenir de Mayotte ». En juin 2022, un rapport de la Cour des Comptes revenait sur ces deux chantiers programmatiques. Pour le premier : « ce plan sans moyens affectés énonçait des objectifs souvent imprécis (…). Son suivi et son animation ne se sont pas prolongés au-delà d’un an. Son bilan n’a pas été établi et il n’a plus fait l’objet de communication au-delà de sa première année de mise en œuvre. Son apport aux besoins du territoire et de la population mahoraise n’a pas été évalué ». Et pour le second : « Au total, il n’existe pas à ce jour de document stratégique de programmation du développement de Mayotte. L’élaboration du schéma d’aménagement régional, engagée en 2011, n’a toujours pas abouti. L’opération d’intérêt national prévue par le plan de 2018 n’a pour l’instant donné lieu qu’à une esquisse qui n’a pas reçu l’adhésion des élus mahorais. (…) Une réflexion stratégique approfondie sur le développement durable de Mayotte reste à conduire… »
Un cyclone plus tard, voilà donc (re) surgir, pour Mayotte, la noble ambition d’une « refondation », avec une loi de programmation par laquelle « l’État souhaite porter une ambition à la hauteur de l’attachement des Mahorais à la France (…) qui sera un levier puissant dans la période de reconstruction et de refondation » (6). Des mots qui résonnent étrangement alors que six mois après la catastrophe, Mayotte attend toujours le versement des fonds promis par l’État pour les dépenses d’urgence. Loin des propos tenus en métropole qui affirmaient « une présence sans faille », les forces vives de Mayotte, élus locaux et représentants du monde économique, s’adressaient le 20 mai dernier au Président de la République pour alerter sur la situation « explosive » de l’île : « Les caisses des collectivités sont vides. Après les diagnostics transmis et les travaux engagés, les trésoreries sont épuisées. Les chantiers sont à l’arrêt car les entreprises ont longtemps continué à travailler sans être payées, ce qui menace des milliers d’emplois. (…) Soucieux de ne pas voir notre territoire sombrer dans l’indifférence, nous venons collectivement vous rappeler l’urgence vitale à faire ce que la situation exige : agir. Immédiatement. Massivement. Dignement. Car laisser Mayotte attendre, c’est mettre en péril l’économie locale, compromettre la scolarité des enfants, rompre la confiance républicaine. (…) La population mahoraise souffre doublement : des conséquences du cyclone, et de l’inertie de l’État. Cette attente est devenue une injustice. Et cette injustice, une fracture républicaine. (…) Mayotte ne demande pas la compassion. Elle demande le respect. Le respect des engagements. Le respect de ses habitants. Le respect de sa place dans la République. Nous avons fait notre part. Il est temps que l’État fasse la sienne… » (lire ICI).

« Eau secours, Soif qui peut ! » Mayotte est concernée par des pénuries d'eau depuis 2016. Photo Cyril Castelliti.
A Mayotte, des gestes aussi simples que boire, se laver les mains ou cuisiner relèvent du défi, alertait en mars 2024,
bien avant le cyclone Chido, UNICEF France. La déforestation massive à Mayotte est identifiée comme l’une des causes majeures
de la pénurie d’eau qui frappe l’île. Chaque année, environ 250 hectares de forêts disparaissent,
principalement à cause des brûlis agricoles et de l’extension des terres cultivées.
Il faudrait un vaste programme de reforestation pour endiguer le problème.
Mais de cela, la loi pour la "refondation" de Mayotte ne dit rien.
Dans le projet de loi que vient de voter l’Assemblée nationale, on peut s’interroger sur la valeur de certaines promesses, qui tiennent de l’enchantement magique d’une réalité quotidienne peu vivable. « L’État », est-il proclamé, « s’engage à garantir l’accès aux Mahorais aux biens et ressources essentiels », et en la matière, « l’accès à l’eau potable et à l’assainissement constitue une priorité ». Fort bien, mais rien n’est dit de la Mahoraise des Eaux (SMAE), filiale de Vinci, à qui ont été confiées la gestion et la distribution d’eau potable, et qui fait l’objet depuis plusieurs années de vives polémiques et de procédures judiciaires : qualité insuffisante, coupures fréquentes, facturation jugée abusive, défaillances structurelles et enquêtes pour corruption.
Sur un autre terrain, la loi de programmation affirme que « l’engagement structurant de l’État » consistera « à mettre fin totalement à la rotation scolaire en vue de la rentrée 2031 » (7) : « Les parents de l’enfant qui naîtra demain sauront que, lorsqu’il entrera au cours préparatoire, il bénéficiera de vingt-quatre heures d’école par semaine ». Avec quels moyens ? Avant même le cyclone, il manquait déjà près de 1.200 salles de classe à Mayotte. D’après le texte de loi, l’État devrait « contribuer à la construction des classes de primaire et à l’augmentation des capacités dans le secondaire à hauteur de 680 millions d’euros ». On en reparle en 2031 ?
Une « loi de programmation » sans réelle programmation ? C’est ce que redoutaient en juin dernier, dans un courrier adressé au ministre des Outre-mer, Manuel Valls, les présidents d'Intercommunalités de France, d'Interco Outre-mer et d'Interco 976 (Mayotte). Pour Lyliane Piquion-Salomé, Présidente guadeloupéenne d’Interco’ Outre-mer, « le processus actuel, s’il n’est pas corrigé, laissera la population mahoraise dans une situation indigne. Ce qui est en jeu à Mayotte, c’est la crédibilité de la parole de l’État dans tous les Outre-mer ». A l'évidence, la « refondation » visée par le projet de loi qui vient d’être voté repose sur un plancher pour le moins flottant, des mots masquant les maux, l'incompréhension de certaines réalités. La culture mahoraise, ce n'est pas seulement les richesses patrimoniales exposées au nouveau musée de Mayotte (qui permet cependant de mieux connaître l'île elle-même, par exemple avec une carte des langues parlées sur l'île - voir ICI), c'est aussi des pratiques sociales. Dénier, comme le fait la loi, le rôle des cadis sous couvert de neutralité face aux religions, c'est nier leur importance dans la médiation sociale, la préservation des conflits, la lutte et la surveillance contre la radicalisation religieuse, un élément d'équilibre de la société mahoraise, une société marquée par la culture musulmane.
« La voie empruntée depuis 50 ans est un échec », déclarait en octobre 2024, à Outre-mer la 1ère, le journaliste Rémi Carayol, fin connaisseur de Mayotte où il a vécu six ans, et récent auteur de Mayotte, Département colonie (8). « La première chose à faire, c’est de rétablir le dialogue entre les îles. D’arrêter d’essayer de construire un mur entre Mayotte et les autres îles, d’essayer de travailler sur l’histoire commune, d’essayer de voir là où cela n’a pas marché, d’essayer de trouver un modus vivendi. Cela passe par un processus sur le long terme d’abord de dialogue, ensuite d’imagination d’une forme institutionnelle à inventer pour vivre ensemble. D’une manière ou d’une autre. Après, la forme à inventer par rapport à ses relations avec la France et les autres îles des Comores, c’est quelque chose qui reste ouvert évidemment. Tout est à inventer, en réalité. Je ne prétends pas avoir la solution, ce que je constate juste c’est qu’on va droit dans le mur. »
Certes, rien n’est simple. Mais une véritable « refondation » de Mayotte eut exigé une architecture en profondeur, ou pour dire autrement, une architexture qui puisse tisser ensemble réalités et ressources locales avec les exigences d’une République « une et indivisible ». La loi de programmation qui vient d’être votée, et qui servira de feuille de route pour les prochaines années, reste au seuil d’un tel chantier. Plusieurs ONG et associations, dont UNICEF France, Human Rights Watch, Solidarités International ou le Secours Catholique, dénoncent déjà un texte qui « fait l’impasse sur les causes structurelles des crises sociales, sanitaires et éducatives », que traverse le territoire. Comme l’écrit Le Journal de Mayotte, ce 3 juillet, « dans un département où un habitant sur deux est mineur, les associations s’inquiètent du peu de place accordée aux enjeux liés à l’Enfance, à la Santé ou au Logement. Le communiqué rappelle que 9.500 enfants sont non-scolarisés, que 30 % de la population n’a pas accès à l’eau potable, et qu’environ 40.000 logements y sont considérés comme indignes. Aucun programme de réhabilitation n’a été engagé, y compris pour les habitations en dur endommagées par le cyclone. (…) Face à ce qu’elles considèrent comme un « désengagement de l’État en matière sociale », les associations appellent à « un véritable chantier de refondation à 10 ans », fondé sur l’accès universel aux services essentiels, la construction de logements dignes, la protection de l’enfance et une convergence accélérée des droits. »
Isabelle Favre et Dominique Vernis
NOTES
(1). Le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale doit encore passer en commission mixte paritaire (qui réunira 7 sénateurs et 7 députés) le 8 juillet. Cette commission paritaire mixte pourrait rétablir les titres de séjour territorialisés, dont la suspension a été votée par l'Assemblée nationale.
(2). En 1974, il n’y a quasiment eu aucune campagne électorale à Mayotte. Le Mouvement populaire mahorais, considéré jusqu’en 1976 comme organisation terroriste mais dont l’un des fondateurs, Marcel Henry, est ensuite devenu sénateur affilié au MoDem, a efficacement dissuadé les partisans de l’indépendance de faire campagne à Mayotte. Des femmes furent en première ligne de cette stratégie. Elles reçurent le nom de « chatouilleuses ». Dès le début de leur mobilisation, les femmes fustigent l’autorité territoriale considérée comme la principale responsable de l’état d’abandon dans lequel, selon elles, se trouve l’île. Elles réclament une plus grande représentation de Mayotte au sein de l’assemblée territoriale ainsi que sa départementalisation. Elles agissent aux côtés du Congrès des notables, premier mouvement politique mahorais à formuler cette revendication. Selon Mamaye Driss, qui a consacré un passionnant article au « mouvement des chatouilleuses » dans la revue Le Mouvement social (ICI), loin de l’idée que peut induire le mot de « chatouille », les modes d’action furent parfois assez violents.
(3). Le référendum du 22 décembre 1974 s’inscrivait dans le processus d’indépendance de l’archipel des Comores, alors territoire d’outre-mer français. La question posée aux habitants des quatre îles (Grande Comore, Anjouan, Mohéli, Mayotte) était : « Souhaitez-vous que le territoire des Comores devienne indépendant ? ». Au total, 94,57 % des votants de l’archipel se prononcèrent pour l’indépendance, mais à Mayotte, près de 64 % des votants souhaitèrent rester français. Ce choix a été confirmé lors d’un second référendum en 1976, où plus de 99 % des Mahorais ont voté pour le maintien dans la République française.
(4). Lire "Il y a 50 ans, la dislocation des Comores « île par île »", article de Rémi Carayol sur afriqueXXI, publié le 20 décembre 2024 (ICI).
(5). Du 23 au 26 juin derniers, sous le titre « Mayotte, dernier des départements », La Série Documentaire, sur France Culture, a consacré quatre reportages de Raphaël Krafft, dans une réalisation de David Jacubowiez (A écouter ICI);
(6). Voir le rapport annexé au projet de loi (ICI).
(7). À Mayotte, la rotation scolaire désigne un système d’organisation mis en place pour faire face à l’insuffisance de salles de classe, aggravée par les destructions causées par le cyclone Chido en décembre 2024. Ce dispositif, déjà utilisé dans certaines communes avant la catastrophe, a été généralisé et renforcé après le cyclone pour permettre la scolarisation du plus grand nombre d’élèves malgré des infrastructures largement endommagées ou détruites. Dans de nombreuses écoles, la journée scolaire est divisée en trois créneaux successifs. Chaque groupe d’élèves ne bénéficie que de 3 heures 15 de cours par jour.
(8). Rémi Carayol est journaliste. Il écrit pour Afrique XXI, Orient XXI, Mediapart, Le Monde Diplomatique. Il est l’auteur de : Mayotte, département-colonie (La Fabrique, 2024) et Mirage sahélien. La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane, et après ? (La Découverte, 2023).
Compléments : Voix de Mayotte... et des Comores
Message adressé à l’Assemblée Nationale
(publié sur Facebook le 3 juillet 2025)

Je suis une enfant de Mayotte.
Je suis née à Mayotte en 2002, j’ai 23 ans aujourd’hui.
Et pour vous dire franchement : je suis choquée.
Choquée de toutes ces lois qui sont faites sans penser à nous.
Nous, les jeunes de Mayotte.
Nous, ceux qu’on appelle “les hybrides”.
Parce que notre maman est Grande Comorienne, ou Anjouanaise,
Parce que notre papa est Anjouanais…
Alors on nous colle des étiquettes : “t’es pas d’ici”, “t’es pas vraiment française”,
alors qu’on est nés ici, qu’on vit ici, qu’on est Français.
Mais dans votre histoire, dans vos décisions, dans vos lois :
Nous, à Mayotte, on est quoi ?
Et maintenant, vous parlez même d’enlever le nom “Maoré” ?
Ce nom, c’est pas juste un mot.
C’est notre île, notre identité, notre avenir.
C’est ce qui représente qui nous sommes.
Ça représente Mayotte, ça représente mes enfants, et les enfants de tous les autres.
Et moi, je ne suis pas d’accord.
Vous ne pouvez pas nous effacer comme ça, petit à petit.
On en a marre d’être invisibles, marre d’être toujours mis de côté.
Maoré, c’est notre racine. Vous ne pouvez pas l’arracher.
On ne demande pas la lune.
On demande juste le respect, l’égalité, la reconnaissance.
On veut qu’on arrête de nous diviser selon les origines de nos parents.
On est Mayotte. On est France. Et Maoré fait partie de nous.
Signé : Youmi
Une fille de Mayotte. Une voix parmi d’autres.
Mais une voix qui ne se taira plus.

Nassuf Djailani : pour une identité plurielle
Journaliste à France Télévision Nouvelle Aquitaine, poète et romancier, Nassuf Djailani dirige la revue et maison d'édition Project'Iles (ICI). Son recueil Naître ici, paru en 2019 aux Éditions Bruno Doucey, a reçu le prix Fetkann ! Maryse Condé pour la catégorie poésie en 2020. En 2022, il signe un nouveau recueil, Daïra pour la mer, également publié aux Éditions Bruno Doucey.
« Quand on vient de là d'où on vient, pour pouvoir respirer, il faut ouvrir la porte de la fiction pour plonger dans le ventre de la terre et essayer d'exhumer tous ces vaincus. Parce qu'il y a trop de vaincus par chez nous. Et il faut leur donner la parole. »
Par la littérature, l'auteur peut aussi faire transparaitre une identité complexe et plurielle, loin de l'imaginaire français : « Il y a une passion, je dirais presque une passion française, de vouloir inventer le Mahorais nouveau, débarrasser de toutes les identités qui le composent. Mais né à Mayotte, je suis né dans un village malgachophone, donc ma première langue, c'est le malgache, qu'on appelle le kiboush localement. Mais dès que j'ai été au collège, j'ai été confronté à mes camarades venant de villages mahorophones qui parlent le shimaoré. Donc il a fallu apprendre une deuxième langue. Et puis l'enseignement se fait en français, l'enseignement se fait en anglais, l'enseignement se fait en arabe. Je suis riche de tout ça. Qu'est-ce qu'être mahorais aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être français aujourd'hui ? C'est être riche de tout cela. On arrive dans la relation riche de tout ce qui nous compose et non pas ratatiné dans une identité étriquée qui nous assèche. »
"Mayotte : raconter le chaos et les inégalités avec le poète Nassuf Djailani", le 21 décembre sur France Culture. Podcast à écouter ICI.

Soeuf Elbadawi (Comores) lit Obsessions de Lune Idumbio IV au Festival d’Avignon en 2014. Photo Christophe Raynaud de Lage
Soeuf Elbadawi : donner voix à une tragédie humaine
Soeuf Elbadawi est auteur, metteur en scène et comédien. Ancien journaliste reconverti au théâtre, il fonde sa compagnie O Mcezo* en 2008 et dirige aussi le Muzdalifa House, lieu d'agitation citoyenne et d'expérimentation artistique, depuis 2010 à Moroni. Obsession de Lune Idumbio IV est une lecture scénique faite d'après Un dhikri pour nos morts. La rage entre les dents (éditions Vents d'ailleurs), ouvrage consacré en mars 2014 par le Prix des lycéens, apprentis et stagiaires d'Île-de-France.
« J'ai dit que l'on me brûle et que l'on me livre cendre morte à l'ombre du ventre défait / Comme ces restes d'homme qui par milliers se noient sous le lagon au crépuscule d'un matin sans brumes ». Une poétique du land of loose : images et non-dits d'un peuple défait. Histoire d'un cousin disparu, d'un pays de cadavres-debout, d'un archipel à la dérive. Un récit tout en fragments, écrit depuis l'entrée nord du Canal de Mozambique, au rythme de l'idumbio – tradition comorienne de la complainte de deuil – en hommage aux victimes du tristement célèbre « visa Balladur ».
Dans l’océan Indien, dans un bras de mer qui s’étend sur quelque 70 kilomètres et reliant l’archipel des Comores à l’île française de Mayotte, existe un vaste cimetière marin. Depuis des années, il accueille les dépouilles de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont tenté à leurs risques et périls de rejoindre l’eldorado que représente pour eux le nouveau département français. Embarqués à bord de « kwasa-kwasa », des embarcations de fortune, ils ont tenté une périlleuse traversée. Pour beaucoup d’entre eux, le voyage vers la terre promise a viré au cauchemar. Surchargé la plupart du temps, frêle devant les caprices de l’océan, le kwasa-kwasa s’est retourné, entraînant la noyade des passagers.
Soeuf Elbadawi témoigne de cette réalité tragique au cours d’un long poème qu’il décline sur scène, alliant la musique à l’image et au texte. Renouant avec la tradition spirituelle musulmane, le comédien s’inspire du « dhikri », un rituel d’invocation divine dont se saisissent les initiés soufi pour rendre hommage à leurs saints et à leurs morts illustres. Un dhikri pour nos morts est aussi une œuvre résolument politique qui se saisit d’une mémoire sonore retraçant le contentieux politique à l’origine de cette tragédie humaine. « Nous avons retrouvé des prises de parole d’hommes politiques français et comoriens sur l’occupation d’une île au détriment d’un ensemble comorien », explique Soeuf Elbadawi. « Si le 101ème département français est aujourd’hui devenue une destination à kwasa, c’est aussi parce qu’on a cherché à déconstruire un pays. L’Union des Comores revendique encore sa souveraineté sur Mayotte (Maore). L’Onu lui donne raison et condamne la position française sur l’île à coups de résolutions. Il est intéressant de voir que des voix françaises, celle du président Giscard d’Estaing notamment, ont soutenu le principe d’une unité archipélique à respecter, à l’heure où se négociait l’indépendance de ces îles. Il est important que l’on réentende ces voix pour mieux saisir les conséquences du visa Balladur dans le cœur des Comoriens ».
Pour aller plus loin : Soeuf Elbadawi interviewé le 2 mai 2018 par TV5 Monde (ICI) et le 30 juillet 2020 par la chaine You Tube du site https://ile-en-ile.org/ (ICI).
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