
Farhad Ostovani, "Montagne bleue. Melancolia"
Parfois, la peinture est poème, et lui répondant, le poème devient peinture. Mais comment dire une "image de silence" ? Pour l'atelier du regard des humanités, le peintre d'origine iranienne Farhad Ostovani et le poète d'origine aragonaise Jean-Gabriel Cosculluela offrent un dialogue montagneux, en "appel d'autres ciels et d'autres terres".
à Farhad Ostovani
pour ses montagnes
Placer l'être en face de lui-même.
Un à-pic, comme d'existence.
Jean-Paul Michel
Montagne
La montagne est ici, mais nous la savons aussi d'ailleurs, appel d'autres ciels et d'autres terres.
27 février 2024
La montagne est un accord mineur ou un accord majeur avec le proche ou le lointain.
24 mars 2024
Que ressentons-nous d'abord de la base ou du sommet ?
Que ressentons-nous d'abord de la base ou du sommet, si ce n'est le vertige de regarder au plus proche ou au plus lointain et d'aller au plus profond d'être, de marcher ?
Usted va por dentro (1). C'est d'aller au plus profond.
La montagne devient image de silence. Sí, silencio. Tan solo silencio (2).
Oui, ce silence. Juste ce silence. Nous allons vers la montagne dans ce chemin de silence. La montagne garde un air de solitude (3).
Nous marchons pour éviter la perte d'un chemin, d'une clarté (4).
1er avril 2024
Parfois, une forme de lumière se perd vers la montagne, tôt ou tard. Tôt ou tard, une forme de lumière fait jour ou fait nuit vers la montagne. En montagne, la lumière est une nudité, elle met nos pas à nu.
Faisons nuit, ici, faisons jour, ici, de loin comme de près, avec nos regards, nos pas, nos mots.
1er – 2 avril 2024
De loin, nous regardons une maison dans la montagne. Nous tombons de silence. Nous nommons les yeux pauvres de silence
La montagne est elle-même faite de silence. Chacun de nous se dit : et pourtant, je n'aurais pas été attiré, voire fasciné par le paysage si je n'avais vu ou cru voir ou espéré trouver là-bas, tout au loin, dans cette sorte de creux ou de repli du paysage sur lui-même, une maison, voire un groupe indistinct de quelques maisons... seule la certitude, l'impossible certitude qu'il n'y a rien, m'aurait ôté le courage et d'abord le désir de me mettre en route, puis de poursuivre même lorsque le chemin s'est fait de moins en moins praticable... Ai-je réellement vu, tout au loin, quelque discret signe de vie ? (5).
2 juin 2024
Il y a cette lumière qui s'élève peu à peu, surgit et s'éveille sur la pente de la montagne. Il y a cette autre lumière qui s'attarde sur la même pente de la montagne. La terre et le ciel s'y confondent et pigmentent la lumière. La
lumière a couleur de ciel, la lumière a couleur de terre, jusqu'à l'ombre portée au sol, se confondant peu à peu avec la terre.
3 juin 2024
Quand je cherche un mot, mon regard erre sur les montagnes (6). Il y a toujours d'autres montagnes au-delà d'une montagne, un ondoiement de ciels et de terres, un ondoiement de mots qui commencent peut-être.
31 juillet 2024
Jean-Gabriel Cosculluela
27 février 2024 – 31 juillet 2024
(1) Rubén Darío à Juan Ramón Jiménez
(2) Juan Ramón Jiménez
(3) Gustave Roud
(4) Philippe Jaccottet
(5) Roger Laporte
(6) Charles Juliet
Farhad Ostovani est né dans le nord de l’Iran, à Lahijan, en 1950. Il commence à peindre à l’âge de douze ans. Il entre en 1970 au département des Beaux-Arts de l’Université de Téhéran avant d’intégrer l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris cinq ans plus tard, après sa première exposition en 1973 à l’Institut Français de Téhéran. En 1994, il se lie d’amitié avec Yves Bonnefoy et Bernard Blatter et s’intéresse aux éditions. Il reçoit en 2014 le Grand prix de bibliophilie (prix Jean Lurçat) de l’Académie des Beaux-Arts pour We talked between the rooms, poésie d’Emily Dickinson traduite par Yves Bonnefoy.
Avec plusieurs autrices et auteurs, Farhad Ostovani crée un autre espace du livre, intensif (Yves Bonnefoy, Béatrice Bonhomme, Louis-René des Forêts, Emily Dickinson, Emily Grosholz, Paul Laborde , Alain Lévêque, Alain Madeleine Perdrillat, Jean-Paul Michel, Jean Starobinski, Salah Stétié, Jérôme Thélot, Marie-Laure Zoss …).
"La qualité d’un partage ne se mesure pas uniquement à l’aune du dialogue qu’il instaure et reconduit en chaque occasion nouvelle. Elle implique aussi la capacité de dépasser le langage, quand les mots deviennent inutiles ou, tout simplement, inaptes à cerner un indicible qui semble pouvoir être compris sans eux... Et qu’au-delà des propos qui l’auront affermi, il se sera nourri de l’écoute des grandes œuvres musicales (et, plus particulièrement, de celles de Bach) et, dans un registre plus intime, de silence... Farhad Ostovani écrit : « Nous savions l’un et l’autre ce qu’est le silence, nous savions sa richesse et apprécions sa valeur en musique, parfois aussi dans la conversation"...Et, de fait, en certaines circonstances, le silence se présente à nous comme le lieu d’une ouverture à ce qui nous dépasse, comme l’invitation à nous porter au-devant d’un absolu qui ne cessera pas de nous requérir parce que nous aurions renoncé à le parer de mots. Il arrive alors qu’il marque d’un sceau éclatant l’intensité et la justesse d’une relation... Car elle vient à preuve du dépassement de soi que la création artistique peut produire chez un peintre, mais aussi chez qui a su accueillir son œuvre sans faillir". (Pierre-Alain Tâche)
Son site internet : http://farhad-ostovani.net/
Jean-Gabriel Cosculluela, né en 1951 dans l’Aude, vit depuis 1984 en Ardèche. Conservateur en chef des bibliothèques, passionné par la lecture en milieu rural, il a été responsable du réseau départemental de lecture publique en Ardèche Nord. Auteur d’une cinquantaine de livres (livres courants, livres d’artistes), traducteur de l’espagnol, il travaille depuis 1995 avec des artistes et est critique d’art. Derniers ouvrages parus :
Sobrarbe (éd. Propos Deux, 2024) évoque des lieux, les visages et les paysages du Haut-Aragon (dans les Pyrénées espagnoles) dont il est originaire avec des textes en trois versions (français, espagnol, aragonais). Le livre est accompagné de peintures de Christian Sorg.
Nuidité du noir (éd. L’Étoile des Limites, 2024) est un dialogue avec la peinture de Pierre Soulages et sur la lumière du noir.
Vida : suite pour Roger Laporte (éd. Artgo & Cie, 2023). Le livre est accompagné d’un dessin d’Anne-Marie Pécheur.
Le principe de "l'atelier du regard" est simple : sélectionner une image (photographie, tableau, etc.), voire un film, comme ici, et dire en quoi ce que nous voyons nous regarde (cf Georges Didi-Huberman). Propositions à adresser à contact@leshumanites.org
Parce que vous le valez bien, les humanités ce n'est pas pareil. Pour continuer à porter le regard, dons ou abonnements ICI
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