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On n'est pas sortis de l'auberge.


Photo Sameer Al-DOUMY


Quelques réflexions politiquement incorrectes après la "marche pour nos libertés et contre les idées d'extrême-droite".


Hier, samedi 12 juin 2021, je fus donc sommé de marcher. La cause était importante, il s'agissait de marcher « pour nos libertés » mais aussi « contre les idées d’extrême-droite ».

Cet appel à marcher, lancé fin mars, a été adoubé par toute une série fort respectable de syndicats, d'associations et collectifs, de médias et d’organisations politiques, représentative de la diversité et multitude de ce qu'il est convenu d'appeler « la gauche ».

Là où je suis, je ne suis pas allé marcher, ou alors aurais-je pu emboîter le pas à quelques randonneurs prenant le chemin de la forêt voisine. J’ai le tort d’avoir choisi de vivre à l’écart de l’agitation citadine, dans l’une de ces zones rurales qui font aujourd’hui le principal nid électoral de Marine Le Pen. Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, cette dernière a recueilli ici 60,47 % des suffrages exprimés (contre 39,53 % à Emmanuel Macron). Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, elle avait recueilli 35 % des voix. Son père, Jean-Marie Le Pen, avait obtenu 22,15 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2007. Le département de l’Aisne, où se situe ce village sans prétention, avait envoyé en 1981 cinq députés de gauche (3 PS et 2 PC). Aux élections législatives de 2017, il ne restait plus qu’un seul député de gauche (PS), face à un député Les Républicains et 3 députés La République en Marche (avec un taux de participation ne dépassant pas les 50 %), et au premier tour, le « Rassemblement Bleu marine » était arrivé en tête, avec 25,32% des suffrages exprimés, en progression de 7 points par rapport à l’élection législative de 2012 (et 40,9 % de voix au second tour).

Sans surprise, cette inexorable montée devrait se poursuivre en 2022, et je ne serais pas étonné outre mesure que Marine Le Pen obtienne ici plus de 70% des suffrages au second tour de l’élection présidentielle. De toute façon, ici, à de rares exceptions près, « la gauche » (encartée à tel ou tel parti) a quasiment totalement disparu du paysage. Pourtant, dussé-je décevoir quelques amis bien-pensants, je ne vis pas entouré de dangereux et fanatiques fascistes. Pour bon nombre, ce sont des gens simples, humbles mais non dépourvus de qualités, qui souffrent en leur for intérieur du manque d’emplois, de perspectives, de la fermeture de services publics (ici, la gare la plus proche a fermé voici quatre ans) et de certains commerces (à la même date a fermé la librairie / maison de la presse). Peu leur chaut l’idée d’un « front républicain » : le mot même de « République » a ici beaucoup perdu de sa valeur, tout comme dans certains quartiers urbains. Les gens, ici, souffrent de vivre sur un territoire abandonné, délaissé, relégué. Ils ont incorporé cette humiliation et le vote Le Pen (pour ceux qui votent encore, à peine la moitié de la population) est la traduction d’un profondément ressentiment. Il suffirait, pour inverser cette tendance dépressive, de redresser en dignité ces territoires délaissées, et ceux qui y vivent. Avec un peu de (bonne) volonté et quelques moyens afférents, la tâche ne serait pourtant pas si compliquée, mais le « gouvernement » et les « représentants du peuple » (qui ont, pour la plupart, précisément oublié de représenter « le peuple ») ont visiblement d’autres chats à fouetter. Comme le note justement François Ruffin (interview dans Libération, ce 12 juin) : « Dans les livres d'histoire sur le Moyen-Age, sur les jacqueries, on lit que le peuple accepte une élite au-dessus de lui… à condition qu'elle le protège Or, depuis 40 ans, il se passe quoi ? L’élite n'a pas protégé le peuple, au contraire : elle l'a livré au Minotaure de la mondialisation. »


A Paris, selon Le Monde, « la mobilisation de la « Marche des libertés » était décevante (9 000 personnes selon la police, 75 000 selon les organisateurs, ce dernier chiffre étant très largement surestimé) ». Il en faudra beaucoup plus pour inquiéter Madame Le Pen qui, chaque jour que Macron fait, boit du petit lait, matin, midi et soir. Et ici ? Les gens se sentent-ils menacés dans leurs libertés par le Rassemblement national ? Que nenni. Marine Le Pen ne leur ôtera pas la liberté de regarder TF1 ou BFM (voire ARTE, pour une petite minorité), ne mettra pas des barrages routiers pour empêcher d’aller faire les courses à Super U ou Lidl, etc. Peut-être même que le Rassemblera national rouvrira la gare tombée en désuétude, voire même la librairie / Maison de la Presse.

En région Hauts-de-France, pour les prochaines élections régionales, le Rassemblement national oppose au président sortant Xavier Bertrand, son porte-parole, Sébastien Chenu. Bien sous tous rapports : ex-membre du Partir Républicain, de Démocratie libérale puis de l’Union pour un Mouvement populaire, il a été, de 2005 à 2007, chef adjoint du cabinet de Christine Lagarde, alors ministre déléguée au Commerce extérieur, puis a travaillé de 2008 à 2012 au Service d'information du gouvernement (SIG). Et c’est un ami personnel de l’actuelle ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Certes, ce n’est pas un gauchiste échevelé, mais pas davantage un néo-nazi de derrière les fagots. Et même, au sein de l’UMP, où il fut chargé de la diversité culturelle, Sébastien Chenu a participé à la fondation de l'association GayLib, pour la défense des droits LGBT. On peut donc être homosexuel.le assumé.e et voter Le Pen sans état d’âme. Et si Marine Le Pen est élue en 2022, Sébastien Chenu sera sans doute le premier Premier ministre gay de l’histoire de la Vème République….

Une fois dit cela, on n’a encore rien dit. Hier il s'agissait donc de marcher « pour les libertés et contre les idées de l'extrême droite ». Cet intitulé est intéressant, il manifeste qu’à tout le moins l'extrême droite « a des idées ». Et la gauche ? Cela reste à prouver. Depuis le délabrement un peu hâtif du marxisme, la gauche n'a plus d'idéologie. Lui reste-t-il encore un idéal ? Rien n'est moins sûr.

Certes, le fait d'agiter le chiffon rouge de l'extrême droite liberticide parvient encore à stimuler quelque réflexe pavlovien qui conduit quelques dizaines de milliers de personnes à descendre dans la rue pour manifester. Mais au-delà ?

Le combat contre le danger de l'extrême droite est avant tout un combat culturel ; cela suppose qu’émergent des idées qui puissent venir contester « l'identité nationale » et autres billevesées. On est loin du compte. Hier, Libération titrait, sur un fond rouge de bon aloi (le chiffon dont je parlais) : « Contre l’extrême droite. Allez la gauche ! ». Dans son éditorial, Paul Quinio écrit, non sans un brin de lucidité : «à la dénonciation morale de l'extrême droite doit se substituer à une dénonciation quotidienne des leurres du populisme, un dépeçage systématique des programmes du RN dont les classes populaires sont les premières victimes. (…) » Soit ! Mais le même éditorialiste, décidément en panne d’idées, écrit aussi : « La gauche a devant elle un combat de longue haleine. Il passera par une nouvelle vigueur des formations politiques, coquilles pour la plupart vidées de leur sève militante, grandes absentes de l'espace social, très souvent coupées du monde associatif, déficientes à produire un discours et des propositions nouvelles à hauteur des transformations économiques, sociales, sociétales, ou des enjeux environnementaux. Sur la question de la sécurité par exemple, au cœur de la droitisation actuelle des esprits, la gauche a perdu une partie de la crédibilité qu'elle avait acquise de haute lutte au début des années 2020. Sans en faire une obsession elle doit la reconquérir. »

Si tel est l’enjeu : redonner de la vigueur aux actuelles formations politiques, notamment pour « reconquérir la question de la sécurité »; désolé, cela se fera sans moi.

Hier, là, où je suis, le quotidien local (L’Union) ne titrait pas en Une sur la « marche des libertés », mais sur « le grand retour des brocantes » : « tous les chineurs ont envie de reprendre ». Je vois d’ici le sourire narquois de tous mes amis bien élevés : la « liberté de chiner » fait-elle partie des libertés fondamentales ? Que voulez-vous, je suis un plouc, vis parmi des ploucs, et je les aime. Et quand je (ne) serai (pas) président de la République, il y aura un ministère de la Ruralité, avec un secrétariat d’État aux brocantes. Qui n’a jamais chiné me jette la première pierre.

D’ores et déjà, par ici, on trouve en brocante certaines affiches du Parti communiste et du Parti socialiste.

De cette lointaine époque survivent encore quelques dinosaures. Jean-Luc Mélenchon est l’un d’eux. Aujourd’hui âgé de 70 ans, membre du Parti socialiste dès 1976, élu sénateur en 1986, ministre délégué à l’Enseignement professionnel de 2000 à 2002, député européen en é009, c’est un parfait apparatchik de la politique politicienne. Il convient de lui reconnaître un exceptionnel sens du verbe, cependant altéré part un ego quelque peu démesuré. Comme il l’avait fait en 2017, il tente à nouveau une OPA sur « la gauche », en ayant, très tôt, annoncé sa candidature à la prochaine élection présidentielle de 2022, coupant ainsi l’herbe sous le pied à un possible rassemblent de forces de gauche, tout autant qu’à d’autres personnalités issues des rangs de la France insoumise et associés (Clémentine Autain, François Ruffin, etc.). En d’autres termes, Jean-Luc Mélenchon préfère rester dans l’histoire comme celui qui aura affronté Marine Le Pen au second tour de 2022 (qu’il perdra), plutôt que celui qui aura contribué à faire gagner « la gauche ».

Le jour où « la gauche » aura compris qu’une élection n’est pas un combat de coqs (mâles pour la plupart), quelque chose commencera peut-être à changer. Au sein-même de la mouvance écologiste, c’est guerre de tranchées entre Yannick Jadot et Julien Bayou. Encore une guerre de mâles, même verte, quand Delphine Batho ou Léonore Moncond'huy (maire de Poitiers) auraient toute leur place. Tant que l’exercice du pouvoir demeurera sous emprise d’un post-colonialisme phallocratique, on n’est pas sortis de l’auberge.

Comme le dit Alexis Corbière, député La France Insoumise : "il faut se regrouper, ça me semble logique. Mais s’il faut éviter les divisions artificielles, il faut se méfier d’une unité superficielle." Telle est aujourd’hui la devise de «la gauche» : (se) diviser pour mieux (laisser aux autres le soin de) régner. De toute façon, et de toute évidence, l'objectif de "la gauche" lors des prochaines élections, régionales ou présidentielle, n'est pas de l'emporter mais de "se compter" : savoir qui, de la France insoumise, des écologistes ou de ce qui reste du Pari socialiste, est susceptible de rallier le plus de suffrages. On pourrait imaginer que ce qui peut rassembler est plus important que ce qui divise, mais non. «La gauche» a déjà choisi de perdre l’élection présidentielle de 2022, alors qu’elle a tout pour gagner.

Pour ma part, personnelle, sans engager les humanités, je m’abstiendrai dès le premier tour, sauf si décide de se présenter Corine Dadat, femme de ménage, qui a d’ores et déjà acquis une certaine notoriété grâce à un spectacle de Mohamed El Khatib. (VOIR VIDEO TEASER ICI).

Corinne Dadat, c’est une très belle personne. Et pour ma part, ça me suffit.


Jean-Marc Adolphe, 13 juin 2021

Corinne Dadat, femme de ménage, prochaine présidente de la République française ?

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