Militante de la danse contemporaine, fondatrice et animatrice pendant 40 ans de l’association Canal Danse, Patricia Brouilly va être jetée à la rue comme une malpropre à la fin de la trêve hivernale, alors qu’elle bénéficie (théoriquement) du « droit au logement opposable ». Indigne, et insupportable.
« Voilà comment dans notre société en 2022, on "maltraite" une personne de 72 ans ayant travaillé depuis l'âge de 18 ans ». C’est une histoire d’en France. Une histoire honteuse et scandaleuse, comme il y en a plein d’autres. Celle-ci touche tout particulièrement.
Patricia Brouilly n’est pas une star, mais ce n’est pas n’importe qui, comme l’écrivait Rosita Boisseau dans Le Monde : «tête chercheuse lestée d'un parcours hors normes (elle est passée du théâtre, chez Jean-Louis Barrault, à la danse, avec Françoise et Dominique Dupuy), Patricia Brouilly privilégie le relâchement, l'écoute et la connaissance de soi. « Il ne s'agit pas de donner accès à une forme, ni un style, mais de développer les outils de la perception du danseur pour lui donner une capacité autonome d'innovation, précise-t-elle. Nous sommes à la recherche d'une mobilité de la pensée qui facilite l'aventure du mouvement. Canal Danse n'est pas une école, mais un espace de réflexion. » Avoir ainsi œuvré depuis tant d’années avec l’association Canal Danse (et continuer de le faire) pour la danse contemporaine, protégerait-il des vicissitudes de l’existence ? Que nenni. Patricia Brouilly vient de publier sur sa page Facebook un « message de détresse pas très glamour », autrement dit un « appel au secours », qui mérite qu’on s’y arrête. Et que certains y répondent.
Au 31 mars prochain, si rien n’advient, Patricia Brouilly sera chassée de son palais : une modeste studette (9 mètres carrés) qu’elle occupe dans le second arrondissement de Paris. A l’expiration de son bail, en mars 2017, le propriétaire décide de vendre ce minuscule appartement... 185.000 euros (Il faut préciser qu'en entrant dans les lieux, en 2005, Patricia a trouvé un simple bureau, pas un appartement. Elle a elle-même réalisé les travaux qui permettent aujourd'hui au propriétaire de vendre le bien comme appartement).
Ce propriétaire décide alors d'engager en février 2018 une procédure d’expulsion. Le droit semble être du côté de la locataire : le loyer qu'elle a toujours continué à payer est bien au-delà du seuil fixé par arrêté préfectoral portant sur les loyers de référence applicables sur le territoire de Paris. Mais pour faire valoir ses droits, encore faut-il pouvoir se défendre. Patricia n’a pas les moyens d’engager un avocat. Elle n’a pas davantage droit à l’Aide Juridictionnelle. Bon à savoir : depuis une loi de juillet 1991 (votée sous la présidence de François Mitterrand, alors qu’Édith Cresson était Premier ministre), « une personne éligible à l'aide juridictionnelle n'en bénéficiera pas si elle est titulaire d'un contrat de protection juridique ». Un « contrat de protection juridique », c’est ce qui est parfois rattaché à l’une de vos assurances. Tel est le cas de Patricia Brouilly, dans le cadre de son assurance habitation. Et aussi, extravagant que cela puisse paraître, le cabinet mandaté par son assureur… la dissuade d’engager des poursuites !
Exit le droit, Patricia Brouilly se tourne alors vers l’aide sociale. Disposant de faibles ressources, parfois diminuée physiquement par un cancer contre lequel elle se bat courageusement depuis plusieurs années, elle sollicite depuis ans un logement social. En octobre 2018 puis le 15 mai 2019, le Tribunal administratif l’a déclarée prioritaire pour l’accès au DALO (Droit au logement opposable), un dispositif préfectoral qui reconnaît le droit à être logé décemment en cas d’expulsion.
Mais personne ne bouge. A ce jour, les demandes de rendez-vous avec Karine Barbagli, Première adjointe en charge du logement du secteur Paris Centre (élue en 2020 sur les listes d’Anne Hidalgo) sont restées vaines, à une exception près : un bref rendez-vous téléphonique, en juillet dernier, où cette dame a fait savoir qu’elle « n’avait aucune proposition de logement social ». Dans son programme électoral pour l’élection présidentielle, Anne Hidalgo promet un « bouclier logement ». Les programmes n’engagent que ceux qui y croient : dans sa ville, la maire de Paris devrait commencer par mieux s’occuper des personnes qui, comme Patricia Brouilly, se retrouvent dans des situations indignes et scandaleuses.
Allez, tout espoir n’est pas perdu. La Commissaire de police qui vient de signifier à Patricia Brouilly son expulsion au 31 mars prochain lui a gentiment proposé… une place dans une résidence pour personnes âgées ! (ce qui, au passage, ferait perdre à Patricia son droit au logement opposable). Alors même que Patricia Brouilly, malgré la maladie et les multiples tracas qu’une telle situation engendre, poursuit l’activité de Canal Danse.
De qui se moque-on ? Patricia Brouilly, injustement expulsée de chez elle, a droit à un véritable logement social. C’est un DROIT, pas un passe-droit. Et des solutions existent. Quand on veut, on peut. Ainsi, pourquoi pas un logement à la Cité Internationale des Arts, fondation d’utilité publique dont la Ville de Paris est partenaire ?
A 72 ans, Patricia Brouilly se retrouvera-t-elle à la rue dans quelques semaines ? Compte tenu de son état de santé, je considère qu’il s’agit là, de la part des services compétents (Ville de Paris en premier lieu), d’un véritable cas de non-assistance à personne en danger. C’est à ce titre qu’au nom des humanités, si solution n’est pas apportée dans les meilleurs délais, je porterai plainte contre Mesdames Anne Hidalgo et Karine Barbagli, à qui je suggère d’écrire pour appuyer cette requête : karine.barbagli@paris.fr
Jean-Marc Adolphe, 16 janvier 2022
Patricia Brouilly :
- Fondatrice et Directrice artistique pendant 40 ans de l’association Canal Danse qui a su s'inscrire de façon pérenne dans le paysage artistique et pédagogique de la danse (Lire ICI article de Rosita Boisseau dans Le Monde).
- Chargée de mission pour la pédagogie en danse au sein du Théâtre Contemporain de la Danse, participant pendant 10 ans à l'émergence du Centre National de la Danse.
- Conseillère pédagogique en danse au sein de l'école Nationale des Arts du Cirque au Centre national des Arts du Cirque.
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