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Sur les pas du "Facteur de Nagasaki". Entretien avec Isabelle Townsend

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« Plus jamais de Hiroshima. Plus jamais de Nagasaki ». En mai 2010, Sumiteru Taniguchi était intervenu

aux Nations unies, en tant que coprésident de la Confédération des organisations japonaises

des victimes des bombes A et H., dans le cadre d’une conférence sur le traité de non-prolifération

des armes nucléaires. Un extrait de cette intervention, filmée par Mika Kawase, figure dans le documentaire

Le facteur de Nagasaki, qu'elle a réalisé avec Isabelle Townsend.


En projection unique le 7 octobre à la Maison de la culture du Japon à Paris, Le facteur de Nagasaki est un documentaire sensible où Isabelle Townsend, accompagnée par la réalisatrice Mika Kawase, ravive avec délicatesse la mémoire de Sumiteru Taniguchi, survivant de la bombe atomique à Nagasaki, et de son père écrivain, Peter Townsend, qui en fit un récit magistral. Bande-annonce et entretien exclusif.


Peter Townsend, Sumiteru Taniguchi. L’un et l’autre étaient deux survivants de la Seconde Guerre mondiale. Pilote de chasse au sein de la Royal Air Force, notamment lors de la Bataille d’Angleterre en 1940, Peter Townsend avait réussi, parachute aidant, à s’extirper de son zinc touché en plein vol, au-dessus de la mer du Nord. A la fin de la guerre, après quelques années au service du roi Georges VI puis de la reine Elisabeth II, et une idylle princière qui fit les choux gras de la presse britannique, Peter Townsend s’installa en France où il commença une double carrière, d’écrivain et de voyageur. Avec une cause en bandoulière : défendre la cause des enfants et civils victimes de guerre, ce qui le conduira notamment à travailler en étroite collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. En 1957, il pose pour la première fois le pied au Japon, où il retournera à plusieurs reprises.


« J’ai tué des gens pendant la guerre. En tant qu’écrivain, j’ai le devoir de témoigner de la guerre ». Peter Townsend

 

A Hiroshima, la reconstruction était bien avancée. Le Musée du Mémorial pour la Paix, conçu par l’architecte Kenzo Tange, avait été inauguré en 1955, trois ans avant le Monument de la Paix des Enfants, le 5 mai 1958 (Lire ICI). Mais dans l’immédiat après-guerre, les premiers témoignages des hibakusha, les survivants des bombardements atomiques, étaient encore extrêmement rares et difficiles à diffuser à cause du traumatisme et de la censure imposée par l’occupation américaine. Durant les premières années, la plupart des hibakusha ont gardé le silence par peur, honte ou pour éviter la stigmatisation liée à leur statut d’irradiés. C’est surtout à partir de 1951-1952 que des survivants ont pu commencer à publier leurs récits dans la presse ou des recueils collectifs, et à s’exprimer lors de réunions ou de rencontres pour la paix. En 1956, enfin, fut fondée la Nihon Hidankyo (Confédération japonaise des victimes de la bombe A et H).

 


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L’un des fondateurs de ce mouvement s’appelait Sumiteru Taniguchi. Lui avait miraculeusement survécu au bombardement de Nagasaki, trois jours après celui de Hiroshima. Il n'avait alors que 16 ans, et enfourchait chaque jour sa bicyclette rouge pour distribuer le courrier. Lorsque la bombe s'abattit sur Nazgasaki, en un éclair de feu, le souffle le propulsa dans les airs avec son vélo. Lorsqu’il reprit connaissance dans les gravats, il s’aperçut que sa chemise avait disparu et qu’il était écorché vif : la peau de son dos, de son épaule, de son bras gauche et jusqu’à ses doigts avait été arrachée. Il ne fut hospitalisé que trois mois plus tard et il passera près de deux ans couché sur le ventre avant que ses plaies commencent à se cicatriser. Filmé en 1946 par l'armée américaine, il fut surnommé aux États-Unis le « garçon au dos rouge » (« the boy with a red back »).


En allant à sa rencontre, en 1978, Peter Townsend a vite réalisé que l’expérience de Sumiteru Taniguchi, qui avait fait de lui un infatigable militant de la Paix, pourrait irriguer un récit digne d’incarner l’Histoire. Entre les deux hommes, au fil des rencontres et des entretiens recueillis, une amitié est née. Et cette amitié a forgé un livre, Le facteur de Nagasaki, initialement paru en 1984, réédité en mars dernier aux Belles Lettres (ICI). Un document, et beaucoup plus : c’est avec une vraie plume d’écrivain que Peter Townsend rapporte le contexte de l’époque, fait revivre le Nagasaki d’avant la bombe, donne à ressentir intensément, sans "en rajouter", le moment de l’explosion et les heures qui ont suivi, et bien sûr, évoque toutes les souffrances qu’a dû endurer par la suite Sumiteru Taniguchi (formidable séquence où, emmenant ses enfants à la plage, ceux-ci découvrent horrifiés les séquelles dont son dos porte la trace) mais aussi son courage tenace  et sa force de résilience : quand on est passé si près de la mort, malgré les douleurs incrustées, les choses les plus banales de la vie sont goûtées à leur pleine mesure. « Dans ce livre, mon père trouva les mots pour décrire l'indescriptible », écrit Isabelle Townsend.


En 1984, lorsque sort le livre, Isabelle Townsend avait une petite vingtaine d’années. « Mon père ne parlait pas beaucoup de son travail à la maison. J’étais jeune et même si je lisais ses livres, je ne comprenais pas certains détails », confie-t-elle dans un entretien pour le site nippon.com (ICI). Mais, ajoute-t-elle dans la postface à la récente réédition du Facteur de Nagasaki, « le livre m’a bouleversée par la description du quotidien de ce jeune garçon espiègle, sur fond du contexte historique complexe de l’avant-bombe, et par son histoire de reconstruction vers une nouvelle vie, meurtri dans sa chair et son âme et dans son âme. Peut-être aussi parce que je découvrais un sujet qui me paraissait irréel, celui de la survie, de la détermination à vivre ».


Trente ans après la parution du livre, alors que son père est décédé en 1995, Isabelle Townsend, aujourd'hui actrice, reçoit un message de Sumiteru Taniguchi, qui demande l’autorisation pour réimprimer le livre au Japon. « J’ai pensé que cela devait être un signe de mon père », dit-elle. Ce sera en tout cas le point de départ d’un documentaire, avec la réalisatrice japonaise Mika Kawase : voir bande -annonce ci-dessous.



Avec des images d'archives particulièrement fortes, Isabelle Townsend rend bien évidemment hommage à Sumiteru Taniguchi, décédé le 30 août 2017, à 88 ans, mais le documentaire réalisé par Mika Kawase est bien plus qu'un film d'archives. Découvrant un trésor oublié de cassettes audio où Peter Townsend a enregistré quelques-unes des nombreuses conversations / entretiens avec Sumiteru Taniguchi, Isabelle Townsend met ses pas dans la voie (et voix) de son père : « Tout ce qu'il avait vu ici, j'allais le voir aussi. Les collines langoureuses qui se déclinaient à l’infini dans la lumière blanche de l’été. Ce bras de mer qui sépare les quartiers de la ville où se loge le port. Au moment du mont Inasa, j’imagine que mon père avait été ébloui par le découpage de la côte autour de la ville. Avait-il été aussi essoufflée que moi, arrivée en haut des cent-cinquante marches que Sumetiru-san gravissait chaque jour pour rentrer chez lui ? Une fois là-haut, devant le petit temple Shinto de Karasui, avait-il ressenti un désir intense de rester là, à contempler la beauté du moment dans ce refuge spirituel aménagé par les habitants du quartier ? ». Mémoire de la géographie, géographie de la mémoire.

 

Dans l'entretien qu'elle nous a accordé, avant la projection du film à la Maison de la culture du Japon, le 7 octobre à 19 h, Isabelle Townsend livre quelques confidences inédites la genèse du documentaire et les enjeux mémoriels, intimes et universels qui l'animent. A la fin de cet entretien, elle insiste sur la puissance du récit transmis et son importance pour « éveiller les consciences », en assumant la charge et le devoir liés à la mémoire des hibakusha. Un engagement qui prolonge aujourd'hui celui de Sumiteru Taniguchi, dont l'écriture de Peter Townsend avait su si magnifiquement porter la flamme.


Jean-Marc Adolphe

Entretien vidéo avec Isabelle Townsend


INFORMATIONS PRATIQUES


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Cet article / entretien est le second d'une série de publications consacrée à l'événement "Se souvenir de Nagasaki", du 7 au 11 octobre 2025, dans le cadre d'un partenariat éditorial entre les humanités et la Maison de la culture du Japon à Paris, avec :


- Le facteur de Nagasaki, documentaire de Mika Kawase et Isabelle Townsend, projection-rencontre le 7 octobre à 19 h (6 €, tarif réduit 3 €)


- Le facteur de Nagasaki, spectacle de Nô contemporain, les 9 et 10 octobre à 20 h, le 11 octobre à 15 h (20 €, tarif réduit 18 €).


Maison de la culture du Japon à Paris, 101 bis quai Jacques Chirac, 75015 Paris.

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