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Théo Lésoualc'h / 02. Des rizières du théâtre japonais au soufre du Butô

Dernière mise à jour : 24 mars



Carlotta Ikeda dans Erotic Soul Dance (1975), chorégraphie de Maro Akaji pour la troupe Dairakudakan, créée en 1972.

Photo Théo Lésoualc'h.


Parfois l'archive palpite. Théo Lésoualc'h, acte 2, suite du voyage commencé avec "Érotique du Japon et autres incandescences". Les humanités offrent ici des textes issus des Rizières du théâtre japonais (1978) et de Érotique du Japon (réédition, 1987). Au Japon, Théo Lésoualc'h cherche à s'extraire du "cheminement dit humaniste de la situation totalitaire [qui] patauge désespérément dans son défi historique, coupé de ses pulsions, déviant les désirs profonds de l’Être en une quête éperdue de besoins sans cesse multipliés qui paralyse le dynamisme de l’aventure de vivre", avec "une véritable mystique de la sécurisation qui fait de notre quotidien un enfer de la névrose". Allant à la source-rizière du théâtre japonais, dans des villages, loin des formes "officielles" du nô et du kabuki, il retrouve une dynamique du vivant radicalement opposée à ce qu'est devenu en France, à ses yeux, "un univers théâtral sinistre, totalement administratif, où l’homme "évolué" ne fait plus que macérer dans ses sueurs de dogmes et de chiffres." Mais lorsqu'il revient au Japon en 1975, le pays, sous occupation américaine jusqu'en 1952, est entré à grands pas dans la "modernité" citadine et capitaliste. L'effervescence contestataire et artistique des années 1960 est largement retombée. Restent toutefois, dans le sillage de Tasumi Hijikata, les ferments du Butô, cette "danse de grimaces lentes et de gestes en contractions continuelles, où ressurgissent les rouleaux les plus horribles des scènes d’enfer du Xe siècle japonais."


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Lorsqu’il séjourne au Japon, entre 1960 et 1965, Théo Lésoualc’h assiste à la disparition d’un monde, mais il ne le sait pas encore.


A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon est en ruines. Les bombardements aériens ont ravagé les grandes villes. Et le traumatisme consécutif aux bombardements de Hiroshima et de Nagasaki perdure. C’est dans ce contexte que les Américains occupent le pays, jusqu’en 1952.


Si le Japon devient une démocratie parlementaire où les libertés civiles sont désormais garanties, où le droit de vote est accordé aux femmes, où la liberté syndicale est réinstaurée et où le système éducatif échappe au joug impérial, la bascule est aussi profondément culturelle. Le 15 août 1945, l’empereur Hirohito a annoncé lors d’une allocution radiophonique la capitulation du pays. Quelques mois plus tard, le 1er janvier 1946, Hirohito renonce à sa nature de divinité incarnée (akitsumikami). C’est un véritable séisme souterrain : au Japon, la lignée impériale a commencé en 660 av. J.C. avec l'empereur Jinmu, que la légende présentait comme descendant de la déesse du Soleil Amaterasu, elle-même fille des dieux démiurges créateurs du monde terrestre (l'archipel japonais) : Izanagi et Izanami. En renonçant à son statut de « dieu vivant », Hirohito rompt le pacte ontologique qui reliait les Japonais à une mythologie fondatrice. Le Japon peut alors entrer, avec une rapidité déconcertante, dans cette « modernité » qu’apportent les Américains, et adopter la culture de masse qui va avec.


La population japonaise passe de 70 millions à la fin des années 1930 à plus 200 millions dans les années 1960 et dans les agglomérations de Tokyo, de Kyoto et de Nagoya s’organise une urbanisation massive. En 1970, 72 % de la population mène une vie citadine. De retour au Japon en 1975, Théo Lésoualc’h écrit (dans la réédition de Érotique du Japon, en 1987) : « Japon dix ans plus tard. Japon troisième puissance. (…) En ces dix dernières années, la transformation s’est accomplie avec une accélération nulle part égalée et le panorama citadin du Japon apparaît comme l’irrésistible parodie de la cité capitaliste, tant européenne qu’américaine. (…) La campagne japonaise des rizières commence à reculer devant l’implantation des contextes industriels [et] deviennent de plus plus rares les traditions agraires du shintoïsme guettées par l’armée des ethnologues documentalistes archivistes. »



Contestation autour de la construction de l’aéroport de Narita, en 1969.

Photo anonyme/ Collection Art Institute of Chicago


Ces rizières disparues, ou en voie de disparition, sont celles qu’évoque le titre des Rizières du théâtre japonais, un ouvrage paru aux éditions Denoël en 1978, mais qui est constitué à partir de notes prises par Théo Lésoualc’h dans les années 1960. Que l’on ne s’attende pas à un docte ouvrage sur les différentes formes de théâtre japonais (principalement Nô et Kabuki). Il est trop tard pour savoir, mais il n’est pas impossible qu’en publiant ce livre, Théo Lesoualc’h ait voulu contester la "parole d’autorité" de l’universitaire et japonologue René Sieffert qui « révéla aux Français [dans les années 1960] la tradition secrète du nô », comme disent les éditions Gallilmard. Encore aujourd’hui, Wikipedia affirme que « le théâtre nô est un des styles traditionnels du théâtre japonais venant d'une conception religieuse et aristocratique de la vie ».


« Non, le nô n’a jamais été un théâtre religieux », s’exclame Théo Lésoualc'h. Face à cette "version officielle", policée, c’est une tout autre lecture qu'il propose, celle d’un théâtre populaire, villageois, parfois grotesque. Et ce ne sont pas que spéculations intellectuelles car au Japon, Théo Lésoualc’h va à la rencontre de ces formes pauvres, et s’y mêle volontiers moyennant quelques effluves de saké.


Ce monde, toutefois, est en train de disparaître. « Tout est en train de mourir. (…) Les vieux un à un disparaissant, et les jeunes quittent les villages. (…) Les vieilles rizières ont perdu leurs dieux bizarres », note-t-il dans les dernières pages des Rizières du théâtre japonais.


Mais un souffle nouveau, quand même ?


Au printemps 1968, au Japon comme ailleurs, éclate la révolte étudiante, sur fond d’opposition à la guerre américaine au Vietnam. Ce furent un an de grèves et de combats, très violents, entre forces de l’ordre, factions d’extrême gauche et d’extrême droite. Après la fin du mouvement, quelques anciens étudiants se radicalisent pour former des groupuscules terroristes. Parmi ceux-ci, l’Armée rouge japonaise, responsable de l’attentat de l’aéroport Lod - Tel Aviv en 1972.


Citons encore l’opposition à la construction de l’aéroport international de Narita et aux expropriations qui lui étaient liées : en 1971, la lutte de Sanrizuka fit officiellement 13 morts, dont 5 policiers, 291 paysans arrêtés, et plus d'un millier d'étudiants venus soutenir les paysans blessés et arrêtés lors des combats.


On peut écouter sur France Culture La Fabrique de l’histoire, émission d’Emmanuel Laurentin consacrée en février 2018 à ces divers mouvements de contestation (ICI), émission réalisée à l’occasion de l’exposition Provoke, entre contestation et performance (au BAL) :  Provoke est une revue qui a bouleversé l’histoire de la photographie au Japon.


Cette contestation s’est aussi retrouvée sous forme d’agit-prop dans les formes artistiques et culturelles, qu’avait précédé d’une certaine manière le mouvement d’avant-garde Gutaï, fondé en 1954 par Jirō Yoshihara, dont le manifeste proclamait notamment : « L'art Gutaï ne transforme pas, ne détourne pas la matière ; il lui donne vie. Il participe à la réconciliation de l'esprit humain et de la matière, qui ne lui est ni assimilée ni soumise et qui, une fois révélée en tant que telle se mettra à parler et même à crier. L'esprit la vivifie pleinement et, réciproquement, l'introduction de la matière dans le domaine spirituel contribue à l'élévation de celui-ci. »


Lorsque Théo Lésoualc’h retourne au Japon en 1975, il constate que l’effervescence artistique à laquelle il a assisté (et participé) dans les années 1960 est largement retombée. Mais il en retrouve l’écho et de nouveaux développement dans la danse Butô, seul mouvement d’avant-garde né dans les années 1960 à avoir perduré dans les spectacles (même confidentiels)  que continue de donner Tatsumi Hijikata et dans l’apparition de nouveaux groupes, dont Dairakudakan, créé par Maro Akaji. C’est cette "saison violente" qu’évoque Théo Lésoualc’h dans un chapitre ajouté à l’ouvrage Érotique du Japon, initialement publié en 1968, à l'occasion d’une réédition en 1987.


Jean-Marc Adolphe


"Je ne crois pas au retour des tribus,

et pourtant le monde grouille des mêmes masques-tortures"


À ceux qui me posaient la question : "mais pourquoi le Japon ?" Je répondais : Je vais étudier le théâtre japonais. Étudier, parce que ça, c’est un mot-clé. Au moins c’est sérieux (sérieux au sens grave du terme !) En fait oui… Pourquoi le Japon ?… chromo d’un paysage décoloré, lointain. Théâtre ?... il y a quelques années encore, prononcer des mots comme "nô" "zen" "yoga" c’était au bord du magique. Aujourd’hui, ce n’est plus que culturel, mais alors, pour moi, c’était "nô" "zen" "yoga" des syllabes secrètes, autant de sésames prétextes pour un voyage vers d’autres bandes dessinées. et maintenant je tue Artaud et le Christ. Et je tue Marx. Je tue Bataille et Rimbaud. Encadré, crucifié, plastifié. Mao–poster. Mao, postérisé. Je tue Ramakrishna. Je tue les anges, bon, mauvais, les anges unisexes.


Je tue Lin-tsi.


Et me voilà courant sur ma plage, vierge, et sans ombre de héros sages et dieux et maîtres à penser. Steppes. courir sans adeptes possibles accrochés à mes écailles, à ma queue, épousant mes empreintes. Libre. Et mes sacrilèges sans explications possibles sans marchandages, sans débats autour. Je tue Nietzsche. Je tue les vendeurs, je tue les esclaves. Et si tu te rencontres, tue-toi. Il y aura le rien. Tue le Rien.


Instant unique


Non… je ne crois pas un retour des tribus. Il y a l'être qui, laborieusement, manufacture, dans le rond vicieux, de ce qu’on appelle "les Grandes Surfaces", routier des autoroutes et pèlerin de l’environnement. L'être hagard des décharges. je sais bien profondément que je ne crois pas au retour des tribus, et pourtant le monde grouille des mêmes masques-tortures. Stagnent les mêmes zones brumeuses. Les mêmes désirs incolores.


Et moi j’étais alors en route vers un théâtre japonais, ce Nô abstrait qui résonne encore aujourd’hui, avec la distance, comme une de ces formules d’alchimie


Théo Lésoualc'h, extrait des Rizières du théâtre japonais, Denoël, 1978




Masque d'un revenant, théâtre Mibu. Photo Théo Lésoualc'h



De gauche à droite : Masque de démon, théâtre de village ; masque de femme, village de Néomura ;

wixMasque de vieillard d'un rarugaku-no-Nô à Néomura. Photos Théo Lésoualc'h


"Les maîtres du zen sont les maîtres du rire"


Non, le Nô n’a jamais été un théâtre religieux.


Il est devenu ce qu’il est encore aujourd’hui, dans le milieu de l’aristocratie militaire à partir du XIVe siècle. Et c’est au sens oriental qu’il faut entendre son caractère "sacré".


La gravité qui, aux yeux du profane, est, aujourd’hui, sa caractéristique principale, est probablement du reste, venue peu à peu, avec le raffinement de plus en plus sophistiqué de la caste militaire. C’est dans la gravité que ces militaires, dès le XIVe siècle, tirèrent de l’esprit zen l’éthique de leur code du bushido, la Voie du guerrier, duquel s’inspire l’ensemble des arts martiaux dans lesquels l’Occident, fasciné de pouvoir, cherche le secret du Japon. Le zen n’est pas grave.


Les maîtres du zen sont les maîtres du rire.


Quand Zéami, dans sa Tradition secrète (traduite et commentée par René Sieffert) écrit :


"Or donc,ce que l’on appelle art, par le fait qu’il apaise les esprits de tous les hommes, et qu’il produit l’émotion chez les grands et chez les humbles, pourrait constituer le point de départ d’un accroissement de longévité et de bonheur, un moyen de prolonger la vie."


Je crois, sans vouloir forcer l’interprétation de la traduction, que c’est dans l’exploration de ces forces latentes au fond de l’acteur et de l’artiste que Zéami sent le réveil du dynamisme initial, qui est le germe de tous les prolongements possibles. Du dynamisme qui est le serpent kundalini endormi au premier des sept chakra, la base du fonctionnement psychique du corps.


Tandis que le cheminement dit "humaniste" de la situation totalitaire patauge désespérément dans son défi historique, coupé de ses pulsions, déviant les désirs profonds de l’Etre, en une quête éperdue de besoins sans cesse multipliés qui paralyse le dynamisme de l’aventure de vivre. Contre la peur panique de l’inconnu, le système s'érige, sur une véritable mystique de la sécurisation qui fait de notre quotidien un enfer de la névrose.


La liberté vient à se grandir en drapeau.


Liberté primaire, car l’homme mortel et pesant, qu’il le veuille ou non, est lié au temps et à l’espace. L’homme véritablement libre, au sens où nous entendons naïvement ce mot, serait immortel et apesant. Et c’est justement là, dans ce geste, totalement gratuit, de l’art, hors des parkings culturels, et non pas dans un futur promis et utopique, mais dans le "maintenant" du geste, au point zéro du présent qu'est la seule réalité.


Rencontre sans cesse en évolution de l’horizontale et de la verticale. Lieu, le seul, impossible à maîtriser.


C’est là qu'est le lieu du théâtre. Bon dans la vision.


Voir. Voir.


Etre l’œil et danser.


Théo Lésoualc'h, extrait des Rizières du théâtre japonais, Denoël, 1978


"les vieilles rizières ont perdu leurs dieux bizarres"


Personne ne peut maçonner un théâtre tragique, en refusant par un sérieux austère, la santé du rire.


Contre l’homme primitif qui vivait la dimension de sa tragédie, dans toutes les nuances des éclatements possibles, nous avons, avec nos penseurs philistins et nos économistes, bricolé un univers théâtral sinistre, totalement administratif, où l’homme "évolué" ne fait plus que macérer dans ses sueurs de dogmes et de chiffres.


Je me souviens d’un des musiciens du groupe qui avait le même visage rond, les mêmes yeux globuleux que Yotoko. Nous étions accroupis sur le tatami de la grande salle, avec Tanaka-san, les danseurs, fêtant, en échangeant nos coupes de saké, le succès du dernier spectacle. Dans un coin, le vieux négi souriait, silencieux, piochant son riz de ses baguettes, devant sa petite table. Tanaka-san me dit : "Maintenant, il est trop vieux, il ne boit plus." Mais entre ses bouchées, il observait en coin tout son monde de danseurs et de musiciens qui discutaient, à demi ivres, du kagura. Seulement du kagura. Ils me font écouter des enregistrements au magnétophone du spectacle qu'ils ont donné un jour sur une grande scène de Tokyo. Plus tard peut-être sur une plus grande scène à l’autre bout du monde, et malgré tout, drame sacré, rire sacré, dans n’importe quel coin culturel… et qu’importe… c'est en voie d’achèvement. Les vieilles rizières ont perdu leurs dieux bizarres et les danseurs d'Otsugunai ont joué leur rôle. Ils trinquent. On boit, bras liés à ceux du voisin, suçotant une coupe pleine à ras bords. J’ai mes deux mains prises par deux coupes et en voilà une troisième… ils se réjouissent de me voir empêtré, ne sachant comment me sortir de la situation. Bon… le saké me dégouline sur le menton… Je sais bien que j’assiste à la dernière représentation… Que faire ?... remparts de sauvegarde… le vieux négi… les yeux qui commencent à se fermer… il est tard… aujourd’hui même… ici… la nostalgie de Tanaka-san… "oui, tout est en train de mourir..." crever… que faire ?… je regarde les masques…


"… Oui, pratiquement tous les groupes de kagura ont les mêmes difficultés. Les vieux un à un disparaissent, et les jeunes quittent les villages. Quelques-uns que vous aviez connus, comme Naomi Sasaki, le premier danseur féminin, et Ito, le flûtiste, sont morts…"


Théo Lésoualc'h, extrait des Rizières du théâtre japonais, Denoël, 1978



Spectacle de la compagnie Dairakudakan dans les années 1970. Photo DR


"La saison violente"


Yukio Mishima qui, de loin, contempler la lente, liquéfaction des dogmes et des conventions, reconnu comme l’Écrivain de l’après-guerre et sacré par les générations mutantes, poussera, et cela contre toutes les tendances, en solitaire déjà statufié, son propre happening, jusqu’au dénouement final et spectaculaire, le mercredi 26 novembre 1970.

(...)

Si le "seppuku" de Yukio Mishima a eu des répercussions sur le monde dans la période universelle particulièrement tourmentée où s'imbriquent les évènements artistiques et socio-politiques, on peut imaginer l’impact qu’il provoqua au Japon dans l’ensemble de la population, mais surtout dans le milieu plus restreint de l’avant-garde littéraire et artistique en pleine crise d’identité. (...)


Le théâtre de Kara Jūrō a commencé il y a quelques années à jouer ses spectacles, plantant sa tente dans les lieux désaffectés des faubourgs de Tokyo, théâtre de la violence, théâtre total, théâtre à grand spectacle avec effets de mise en scène ou interviennent les échafaudages praticables, les motos, la lumière, le nu, le dialogue clamé et chanté ainsi que le sang grandguignolesque dans la tradition des "semeba" ou scènes de cruauté qui avaient une grande place dans le théâtre des kabuki.



La compagnie de Butô Dairakudakan, fondée par Maro Akaji en 1972. Photo DR


Le danseur Hijikata, lui, a fait école et il groupe autour de lui une communauté d’une quarantaine de participants qui donnent irrégulièrement, dans le théâtre privé de Hijikata et en d’autres salles à travers le Japon, des spectacles que dirigent tantôt Hijikata lui-même, tantôt Maro Akaji, Bishop Yamada et Koh Murobushi. Ce groupe connu sous le nom de Dairakudakan, le Vaisseau du Grand Chameau, a gardé le style que pratiquait déjà Hijikata en 1960, geste torturé, membres, visages jouant dans un dynamisme ralenti, contrôlé, qui expriment l’angoisse d’un enfer intérieur. Hijikata, ainsi que Maro, Bishop et Koh parlent volontiers des démons. Et ceci est un fait nouveau.


Les danses du Dairakudakan qui avaient pris naissance sous l’influence du pop'art, ont fini par retrouver, bien plus que tout ce qu’on désigne comme "théâtre de recherches", une identité qui est profondément japonaise, dans la violence de son érotisme intériorisé, qui refuse et le texte et l’anecdote, mais sourd en quelque sorte d’un climat à la limite du supportable. Et bien que faisant feu de tous les apports accessibles, véritable patchwork ou jaillissent dans un "trip" d’acide, Bellmer et le tango argentin, la voix métallique d’Hitler et les cœurs fous de Carmina Burana, dans ces danses de grimaces lentes et de gestes en contractions continuelles, ressurgissent à une dimension vécue, les rouleaux les plus horribles des scènes d’enfer du Xe siècle japonais.


Femmes-chevaux qui galopent, harnachées de cuir, talons aiguilles, seins soutenus par des fers à cheval.


Moines rouges aux crânes rasés, muscles plâtrés de maquillage blanc qui tombe par croûtes.


Naissance en sur place.


Yeux virés ou blanc.


Ce n’est pas toujours le hasard qui inspire au groupe Dairakudakan le motif de son programme "Une saison violente". Ce n’est pas non plus le hasard qui lui fait citer Sade et Georges Bataille. Les références enserrent ces danseurs nus au crâne rasé, corps peint, qui supplicient leurs membres, contournent leurs traits comme pour en faire surgir sous la chair déformée une hideur démoniaque proche des visions effrayantes du Bardo Thodol [le Livre tibétain des morts].


Les danses du Dairakudakan, dans le panorama actuel du Japon mercantile sont une exploration de cet enfer humain, nié, qui mutile l’homme de ses facultés de vivre le mystère de la "petite mort".


Démons de la "terre" et démons de la "chair".


Théo Lésoualc'h, extrait de Érotique du Japon (réédition), Henri Veyrier, 1987



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