Trump face à Poutine : le "king" de la pantalonnade
- Jean-Marc Adolphe

- il y a 3 jours
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Donald Trump et Vladimir Poutine à Helsinki, le 16 juillet 2018 (capture d'écran).
Dans la farce géopolitique qui se joue entre Washington et Moscou, Donald Trump n’est plus qu’un figurant satisfait de sa propre caricature. Se rêvant faiseur de paix, il déroule le tapis rouge à Vladimir Poutine tout en se prenant les pieds dedans. Du « shake-hand » d’Anchorage à la pantalonnade de Budapest, l’ancien promoteur immobilier reconverti en diplomate d’opérette confond fermeté et flagornerie. Entre compromissions assumées et diplomatie d’ego, l’Amérique version Trump s’incline devant le Kremlin en prétendant négocier.
Le président amerloque, alias Trump Donald, c’est un peu « Monsieur cause toujours ». Lors de la signature de l’accord de paix pour Gaza, il avait affirmé, péremptoire : « Je ne permettrai pas à Israël d’annexer la Cisjordanie. Non, je ne le permettrai pas. Cela n’arrivera pas ». Tu parles Charles. Hier, alors même que le vice-président J.D. Vance était en visite à Jérusalem, la Knesset a approuvé en lecture préliminaire deux projets de loi visant à étendre la souveraineté israélienne à des parties de la Cisjordanie occupée, première étape d’un long processus d’annexion. Certes, ces votes, purement préliminaires, ne font pas encore loi : ils autorisent l’examen en première lecture et le renvoi devant la commission des affaires étrangères et de la défense. Trois lectures supplémentaires seront nécessaires pour adoption définitive. Certes, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a aussitôt averti que ces projets « mettent en danger la trêve de Gaza » et « compromettent le plan de paix américain ». Certes, le Likoud de Benjamin Netanyahou s’est abstenu (mais n'a pas voté contre), qualifiant l’initiative de « provocation de l’opposition ». Mais ça fait quand même mauvais genre.
Pour calmer sa bile, Trump le « faiseur de paix » ne manque ni d’adjuvant ni de rêve. Le rêve, c’est celui de la future salle de bal de 8.000 m² (coût : 250 millions de dollars, essentiellement financés par ses courtisans de la Tech) dont il a décidé la construction à la Maison Blanche afin de « laisser à l’Amérique un héritage architectural impérissable ». L’adjuvant, ce sont les pelleteuses qui s’activent, afin de libérer le terrain pour cette future « salle de bal », pour détruire l’aile Est de la Maison Blanche, construite en 1902 sous Theodore Roosevelt.
C’est ainsi que le psychopathe locataire de la Maison Blanche compense son « déboire ukrainien ». En effet, dans le pas de deux entre Donald Trump et Vladimir Poutine, après le shake-hand d’Anchorage, il n’y aura ni valse hongroise, ni dernier tango à Budapest. La rencontre annoncée fin octobre dans le fief de Vladimir Orban a d’abord été « suspendue » avant d’être annulée, le Kremlin ne voulant en aucun cas d’un « cessez-le feu immédiat », quand bien même Trump venait de refuser de livrer à l’Ukraine des missiles Tomahawk, au motif qu’une telle livraison risquerait de compromettre ses efforts diplomatiques (sic), et qu’il semblait accepter sans barguigner le fait accompli de l’occupation russe en Ukraine, suggérant que Kyiv devrait « accepter la réalité du terrain », estimant que la Russie « avait payé cher » pour ces zones et qu’un accord de paix devrait « reconnaître les faits acquis ».

Dessin de presse. John Deering / Creators Syndicate 2025
Certes, après le fiasco de la rencontre prévue à Budapest, le secrétaire d’État américain au Trésor, Scott Bessent, a été dépêché sur Fox News pour annoncer que le département du Trésor allait « imposer des sanctions aux deux plus importantes compagnies pétrolières qui financent la machine de guerre du Kremlin ». Il fallait bien que Trump sauve la face, y compris vis-à-vis de son propre camp républicain (qui n’est pas unanimement aligné sur ses positions pro-russes). Sans fâcher Poutine pour autant : Trump a ajouté qu’il espérait que ces sanctions « ne resteront pas en place trop longtemps ».
Au lendemain des manifestations No Kings aux États-Unis, qui ont mobilisé près de 7 millions de personnes le 18 octobre dernier, Trump a trouvé malin de publier sur son réseau Truth Social une vidéo de 19 secondes, générée par intelligence artificielle, qui le montre coiffé d’une couronne dorée et pilotant un avion de chasse siglé « King Trump », survolant au‑dessus de Times Square et d’autres villes emblématiques comme San Francisco et Chicago, des foules de manifestants sur lesquels il largue des tonnes d’excréments. « En route vers le crépuscule, / Elle déploie ses ailes ce soir, / Elle te fait quitter la piste, / Et passer à la vitesse supérieure », dit la chanson Danger Zone (issue du film Top Gun) qui accompagne cette vidéo merdeuse. Et aussi : « Tu ne te connaîtras jamais vraiment, / Avant de pousser jusqu’à la ligne rouge, / Tu ne sauras jamais ce dont tu es capable, / Avant d’être allé aussi loin que possible. » Du Trump tout craché.
L’actuel président amerloque a une relation toute particulière avec le caca, comme on l’a raconté en mars dernier dans "Trump défèque sur l’Ukraine" (ICI). En novembre 2013, a-t-il été filmé au Ritz Carlton de Moscou alors qu’il se "lâchait" sur l’une des trois prostituées que le FSB lui avait envoyées, comme on l’affirmait alors ? On n’en aura sans doute jamais la preuve. Mais que cette séquence filmée existe ou non, le kompromat russe de Trump est attesté par plusieurs enquêtes : en français, on se contentera de rappeler ici le documentaire d’Antoine Vitkine (ICI), plusieurs articles de Françoise Thom sur desk-russie (ICI et ICI), un récent ouvrage de Régis Genté, Notre homme à Washington (ICI), ou encore, dès 2020, Un Parrain à la Maison Blanche, du journaliste d’investigation Fabrizio Calvi, qui explore les liens entre Donald Trump, la mafia italo‑américaine et les réseaux russes du crime organisé (ICI).

Dessin de presse. Michael Ramirez / Creators Syndicate 2025
Faut-il que ce kompromat soit suffisamment puissant pour que Trump daigne avaler, les unes après les autres, les couleuvres servies par Poutine. De pseudo-rebuffade en simulacre diplomatique, le promoteur immobilier de la Trump Organisation ne démord cependant pas d’une antienne qui renvoie à la déchetterie des encombrants le droit international : les territoires ukrainiens d’ores et déjà annexés par la Russie, c’est une « propriété conquise », point barre. Il va de soi que les enfants ukrainiens déportés en Russie font désormais partie de cette « propriété », comme le disait en février 2023 Maria Lvova-Belova lors d’une réunion avec Poutine retransmise à la télévision russe : « Maintenant, ils sont à nous ». Circulez, il n’y a rien à voir…
« It’s just bullshit », ce sont des conneries de merde (encore), aurait tempêté Trump en rejetant les cartes des lignes de front que Zelensky voulait lui montrer lors de leur dernière rencontre, le 17 octobre à la Maison Blanche. Une rencontre pour le moins orageuse, ponctuée d’invectives et de jurons, selon le Financial Times et plusieurs médias américains, la réunion a été particulièrement tendue. Ni plus, ni moins, Trump aurait exhorté le président ukrainien à « accepter les conditions russes » pour « mettre un terme à cette guerre insensée ». Dans la foulée de cette réunion, furieux que Zelensky n’accepte point son diktat, Trump a fait savoir qu’il suspendait l’aide militaire et le partage de renseignements destinés à l’armée ukrainienne.
« King » de la pantalonnade, le président amerloque semble avoir définitivement baissé son froc face à la Russie et à son armée qu’il qualifiait voici quelques semaines encore, le 23 septembre dernier, de « tigre de papier ». Poutine, Lavrov, Peskov et consorts en rigolent encore, c’est dire l’exploit, tant on a peu l’occasion de les voir détendre leurs zygomatiques…
Faut-il que ce kompromat russe soit suffisamment puissant (bis) pour que Trump accepte de facto, en pantalonnade de rase campagne, de renoncer à l’un de ses vœux les plus chers : obtenir le Graal, alias le prix Nobel de la Paix. Parce que ce devait être le grand retour du négociateur flamboyant, l’homme d’affaires métamorphosé en « faiseur de paix ». Depuis sa réinstallation à la Maison-Blanche, Donald Trump s’obstine à vouloir prouver que seule sa méthode pouvait mettre un terme à la guerre en Ukraine. Mais il n’a convaincu personne : ni les Ukrainiens, ni les Européens, encore moins ceux qui, à Moscou, voient dans sa diplomatie de la flatterie pure un aveu de faiblesse.

Dessin de presse. Chapatte, "Le jeu de Poutine", paru dans La Tribune Dimanche, 24 août 2025.
À chaque conférence de presse, le même refrain : Trump, souriant, se félicitant d’avoir « rouvert le dialogue » avec Vladimir Poutine. Derrière la fanfare rhétorique, on ne trouve qu’une réalité embarrassante : aucune avancée concrète, aucune trêve durable, aucun engagement crédible. Le président américain a préféré jouer au médiateur improvisé, sacrifiant les positions occidentales au nom de son vieux tropisme pro-russe, hérité des années 2016 et de la fascination jamais démentie pour l’homme fort du Kremlin.
La posture du « deal-maker » ne tient pas face à la géopolitique. L’homme qui prétendait négocier la pluie et le beau temps se heurte à la brutalité d’un conflit que ses bons mots ne peuvent dissoudre. En cherchant à se placer au centre du jeu, Trump s’exclut lui-même : ni Kyiv, ni Bruxelles, ni Berlin ne le prennent plus au sérieux. L’Europe, lasse, observe avec un mélange d’incrédulité et de lassitude cette diplomatie du spectacle, où chaque tweet tient lieu de communiqué officiel.
La pantalonnade atteint son apogée lorsque le président américain évoque, sans rire, « la reconnaissance du génie stratégique » de Poutine. La farce bascule alors dans la compromission. En travestissant la complaisance en lucidité, Trump s’enferme dans une vision du monde à somme nulle : la force contre la faiblesse, la flatterie contre la morale. Son rêve d’un « nouvel équilibre » ressemble surtout à une abdication d’influence au profit de Moscou.
Le résultat est limpide : Washington brade sa crédibilité, l’Ukraine reste à feu et à sang, et Poutine se rengorge d’avoir remis l’Amérique à sa place — c’est-à-dire à genoux. Les États-Unis d’aujourd’hui ne dictent plus l’agenda, ils l’écoutent énoncer en russe. Le président, convaincu d’être un artisan de la paix, s’avère le figurant complaisant d’un scénario écrit au Kremlin. Si par mésaventure, Trump ne se montrait pas assez conciliant, Poutine pourrait dégainer une sorte d'arme atomique, avec vidéo compromettante peut-être à l'appui : Вы уволены, traduction russe de You're fired (Vous êtes viré), la formule phare de Trump à l'époque de The Appendice, son émission de télé-réalité. Les sympathisants MAGA se rendront alors compte, un peu tard, qu'en lieu et place de Donald Trump, ils ont mis à la tête des États-Unis un agent russe, surnommé Krasnov.
Jean-Marc Adolphe
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