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Radio et transmission orale

Photo Audrey Butt-Colson, 1963. Les communautés du sud de la Guyane sont des communautés de tradition orale, pour lesquelles le patrimoine culturel immatériel revêt beaucoup plus d’importance que le patrimoine culturel matériel. Tapo Aloike, 26 ans, Guyanais, étudiant en journalisme, rejoint les humanités comme stagiaire en rédactions. A l’occasion de la Journée mondiale de la radio, voici son premier texte. De l’art de la radio comme forme de transmission orale. Cet article vous est offert par les humanités , média alter-actif. Pour persévérer, explorer, aller voir plus loin, raconter, votre soutien est très précieux. Abonnements ou souscriptions ICI . Enfant, mes parents ou mes grands-parents me racontaient des histoires. J’adorais écouter ces histoires. On n’avait pas de télévision, alors avant de se coucher mon père, ma mère ou ma grand-mère nous racontaient des récits, des mythes ou même des anecdotes. C’étaient des moments forts, d’une incroyable intensité. Dans le sud de la Guyane française, quelque part sur le fleuve Maroni, dans mon petit village ignoré de tous, à Taluen, j’écoutais mes ainés me raconter de belles histoires. Ces récits, ces histoires prenaient vie dans leur voix, dans leur imagination. Et on pouvait leur poser des questions, c’était vivant, chaque mot, chaque respiration, chaque pause et tous les sons utilisés servaient à immerger l’auditeur et à donner ainsi de plus en plus de vie à l’histoire. Cet art de raconter par la voix, par la singularité de la voix de chacun, par les expressions, les respirations et les intonations, donnait un aspect immersif à l’histoire. Quand on n’a pas d’électricité, ni de télévision ni même un livre pour se divertir, le premier outil pour se raconter des histoires est la parole. Autrefois nous avions cette coutume de se retrouver tous autour du feu, très tôt le matin ou le soir. Ces moments permettaient de pouvoir d’une part se retrouver, de se saluer, de prendre conscience de chacun au réveil ou de se revoir avant d’aller se coucher. On partage ce moment avant de débuter sa journée, c’est un moment de communication. Alors on plaisante, on boit du cachiri (boisson à base de fermentation de manioc) et on se raconte des histoires encore et encore, et on plaisante encore et encore. Une belle façon de se retrouver après une nuit où chacun a perdu contact avec l’autre. Parler, c’est ce que nous faisons, et cela fait du bien. J’entends ta voix, je te regarde, on se regarde, on sourit, on se lit. On échange tant de choses avec la voix, avec les intonations, avec la fréquence de sa propre voix. Chaque voix est unique, alors chaque histoire est unique selon celui ou celle qui la raconte. Une même histoire peut avoir différentes versions, car celui-ci à une pointe d’humour, celle-là y ajoute plus d’onomatopées et tel autre met l’accent sur les détails. Donc chaque histoire est unique et n’est jamais vraiment pareille, des détails apparaissent ou disparaissent, on entend toujours une nouvelle version de la même histoire. Et pourquoi la radio ? Parce que nous parlons, on s’adresse à quelqu’un et on écoute quelqu’un, on est attentif on est à l’écoute. Tout ce qui permet de raconter par la voix puis de la diffuser est une forme de transmission orale. À la radio j’entends celui qui parle, j’entends sa voix, ses expressions, je l’entends me raconter une histoire et le conteur donne vie à son récit et personne d’autre ne lui donne vie de cette manière, il le fait à sa manière. Et donc « pourquoi la transmission orale » est-elle unique ? Parce qu’elle renouvelle le récit à chaque instant. Et c’est ce dynamisme qui donne à la radio tout son intérêt et tout son charme. La voix de la personne qui parle rend réelle le phénomène et l’ancre dans la réalité. Lorsque j’étais gamin, au fin fond de ma forêt, on parlait sans cesse, on se racontait des histoires et on adorait écouter les histoires des adultes. Comme on peut écouter une émission de radio ou apprécier une chanson tôt le matin ou le soir quand tout est calme avant de se coucher. Le soir et le matin sont des moments importants de la journée. D’un côté je prends conscience de moi, et de ce qui m’entoure, puis je réalise que je vais vivre, je vis tout au long de la journée. Et enfin le soir avant de m’endormir je parle, je raconte ma journée, on discute dans le calme, dans l’intimité, on partage ce moment où l’on s’apprête à se quitter et on conclut la journée en se souhaitant un agréable repos. La communication est une part importante de la vie, c’est un moment de partage avec ceux qui nous entourent. Les oiseaux, les coqs et les bruits des voisins étaient alors mon quotidien, mon réveil. Ces magnifiques chants de petits oiseaux qui découvrent le jour, ces coqs qui t’annoncent avant toute autre chose que le jour approche. J’entends encore la voix de mes parents qui se réveillent et qui discutent tôt le matin, ils attendent paisiblement que le jour se lève pour débuter la journée. Ils parlent à voix basse, tel un fond sonore ou une radio allumée. Aujourd’hui, la radio est cette voix qui me parle, me ré-veille ou m’endort, c’est celle qui me parle et me fait sourire, me fait penser, me fait réfléchir et conclue ma journée en me souhaitant une agréable nuit. Tapo Aloike

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