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Avec Helena Gualinga, 20 ans, l’Amazonie s’invite à Davos



Elle a 20 ans, et c’est l’une des voix futures de l’Amazonie. Issue d’une famille militante, et d’une communauté indigène qui a obtenu une victoire historique voici 10 ans contre l’exploitation pétrolière, l’Équatorienne Helena Gualinga s’est invitée au récent forum de Davos, aux côtés de Greta Thunberg et Vanessa Nakate. Une présence remarquée, alors que l’Équateur s’apprête à autoriser de nouvelles exploitations pétrolières dans une réserve naturelle en pleine forêt amazonienne !


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1.500 mètres d’altitude. A Davos (Tafaas en dialecte romanche), la neige s’accroche encore aux pentes de la station de sports d’hiver. La ville natale de Sophie Tauber-Arp (voir série en trois épisodes sur les humanités) est aujourd’hui surtout connue pour accueillir le Forum économique mondial, qui s’y tient depuis 1971. La 52ème édition de ce grand raout international vient d’y avoir lieu, du 16 au 20 janvier. Au menu : la « polycrise ». C’est le mot à la mode : crise sanitaire, crise en Ukraine, changement climatique…

L’espace d’une petite semaine, Davos est devenu « le refuge alpin d’une mondialisation ébranlée », titre Le Figaro. Pourtant, « la résistance de l’économie européenne fait souffler une brise d’optimisme », écrit Philippe Escande, l’éditorialiste du Monde. L’optimisme, c’est un élément à géométrie variable. Il n’est guère de mise pour ce qui concerne le devenir de la planète. En 2020, pourtant, le forum de Davos entendait relever « un défi sans ambages » avec un manifeste pour « éviter l’apocalypse climatique ». Un manifeste… manifestement resté au seuil des intentions.


Alors, à Davos, en marge du forum économique, une trentaine de manifestant.e.s. se sont invité.e.s pour donner de la voix. Parmi ces activistes qui ne relâchent pas la pression : Greta Thunberg, qu’on ne présente plus ; l’Ougandaise Vanessa Nakate, mise en lumière par les humanités en octobre 2021, venue rappeler les ravages du changement climatique en Afrique subsaharienne ; mais aussi Ayisha Siddiqa, issue d'une communauté tribale du nord du Pakistan, co-fondatrice de Fossil Free University et de Polluters Out ; et la jeune militante équatorienne d’Amazonie Helena Gualinga, porte-parole de la communauté Sarayaku, qui a réclamé des droits et plus d’autonomie face à l’État et aux grandes compagnies pétrolières : « Il faut que le pétrole reste en terre, qu’on arrête d’exploiter les territoires indigènes, et pour cela, les droits des peuples indigènes, les droits collectifs sont très importants. (…) Nous savons pour quoi il faut lutter. Les peuples indigènes ont fait cela depuis la première colonisation. »


Manifestation de femmes de la communauté Sarayaku, en mars 2018. Photo DR


En 2012, à l’issue d’une bataille juridique de 10 ans, la communauté Sarayaku avait remporté une victoire historique devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, qui avait estimé que l’Équateur avait violé son droit à être consulté sur des permis d’exploitation pétrolière accordés sur ses territoires. Les Sarayaku sont un peuple autochtone qui vit dans plusieurs villages le long d'un tronçon de la rivière Bobonaza dans la province de Pastaza, dans la partie sud de l'Amazonie équatorienne, sur le territoire autonome appelé Tayjasaruta, ou "Territoire autonome de la nation originelle kichwa des Sarayaku". Les Sarayaku mènent une vie autonome. Ils dépendent de la subsistance locale et leurs principales sources de revenus sont la pêche, l'agriculture, la chasse et, depuis quelques années, l'écotourisme. A Davos, Helena Gualinga a insisté sur le symbole pour le reste du monde que représente « le fait qu’un peuple si petit mais si organisé (...) ait pu faire expulser une entreprise, puisse s’assurer que ses droits sont respectés ».

Elle a aujourd’hui 20 ans, et Helena Gualinga est l’une de ces nouvelles voix de l’Amazonie qui parviennent à se faire entendre dans les enceintes internationales. « Depuis que je suis petite, j’ai vu toute ma famille se battre contre les grandes entreprises pour protéger nos territoires. C'est pourquoi nous avons été persécutés. Nous nous sommes rendu compte que ce sont les mêmes entreprises qui nuisaient à l'environnement », disait-elle en 2019 dans une interview lors de la COP 25 à Madrid.


De son nom complet Sumak Helena Sirén Gualinga, elle est née le née le 27 février 2002 dans la communauté quechua de Sarayaku. Son père, professeur au département de géographie et géologie de l'université de Turku, est finlandais, et c’est d’ailleurs en Finlande qu’elle a passé une partie de son adolescence et qu’elle a étudié. Pourtant, ses racines sont profondément restées amazoniennes. Et elle a de qui tenir. Sa mère, Noemí Gualinga, qui a été présidente de l'association des femmes quechuas. Ses tante et grand-mère, Patricia et Cristina Gualinga ont toutes deux milité pour les droits des peuples amazoniens et la cause écologiste. Et sa sœur aînée, Nina Gualinga, est elle aussi une militante chevronnée. Écoféministe, elle a reçu en 2018 l'International President's Youth Award du Fonds Mondial pour la Nature, en reconnaissance de son combat pour protéger la nature et les communautés de l'Amazonie. Nina Gualingua est en outre cofondatrice de Hakhu Amazon Design, un projet pour les femmes indigènes d'Amazonie équatoriale, qui permet de leur fournir une source de revenus à travers la création d'art et de bijouterie (https://hakhu.net).

« J'ai eu le privilège de grandir parmi tant de femmes leaders courageuses. J'ai beaucoup appris d'elles », confiait Helena Gualinga en avril 2021 dans une interview pour l’édition mexicaine du magazine Vogue : « Dans les processus communautaires et organisationnels de nos communautés, la chose la plus fondamentale a toujours été la voix des femmes. (…) J'ai appris à croire en moi et à ne pas sentir d’insécurité parce que je suis une femme, une jeune femme ou parce que je suis indigène. Et je pense que j'ai vraiment appris cela d'elles. Bien sûr, il y a une persécution politique des populations indigènes qui défendent l'environnement en Amérique latine. De nombreuses personnes que je connais ont vu leur vie menacée. Ce qui me motive, c'est de savoir que j'ai le pouvoir de changer les choses. Je crois qu'il faut joindre ma voix à celles des personnes qui se battent déjà. Je ne suis pas la seule, mais joindre ma voix à ce cri, à cette lutte, est important pour qu'elle continue. Pour ma part, c'est aussi la vie que j'ai eue, les privilèges dont j'ai bénéficié parce que j'ai un père européen, et le fait de savoir que je peux utiliser cela de nombreuses façons pour aider ou soutenir ma communauté. Je pense qu'il serait irresponsable de ne pas utiliser ma voix, de ne pas utiliser les privilèges que j'ai eus. Ce n'est pas une question de vouloir le faire, c'est une question de devoir le faire parce que c'est vraiment ma responsabilité. »


En bordure du parc Yasuni, la déforestation a déjà commencé. Photos Erin Schaff / The New York Times.


Et en Amazonie équatorienne, la partie est loin d’être gagnée. En 2007, l’ex-président Rafael Correa (aujourd’hui exilé en Belgique), avait proposé une solution inédite qui aurait permis de conserver sous terre les réserves nationales de pétrole, estimées à l'époque à environ un milliard de barils, dans une parcelle de terrain du parc national Yasuni, un trésor de biodiversité (L’Équateur exporte du pétrole de sa partie de l'Amazonie depuis un demi-siècle). En contrepartie, la communauté internationale devait s’engager à créer un fonds de 3,6 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur estimée de leur pétrole, afin de dédommager l'Équateur pour avoir conservé ses réserves intactes. Mais seules des contributions insignifiantes sont arrivées, pour un montant de 13 millions de dollars, principalement de l’Allemagne et de l’Italie. Privé de cette ressource, l’Equateur a commencé à lourdement s’endetter, principalement auprès de la Chine, qui a prêté 8 millions de dollars, lesquels devaient être remboursés… en pétrole.

L’industrie pétrolière jure ses grands dieux que les nouveaux projets d'extraction peuvent être développés sans causer de dommages à l’environnement, ce que contestent les scientifiques. « Cela va être un désastre complet », prévient Morley Read, un biologiste qui travaillent notamment sur les amphibiens et les reptiles. Pour Carlos Larrea, professeur à l'université Simon Bolivar de Quito, la destruction de l’écosystème du parc Yasuní est « un suicide ». Certains, au moins, n’auront pas leur mot à dire : dans cette partie de l’Amazonie subsiste un nombre inconnu d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent dans ce qu'on appelle l'isolement volontaire, refusant tout contact avec le monde extérieur. On les appelle les Tagaeris et les Taromenanes. Leur réserve et une zone tampon sont interdites de forage, mais les autorités ont envisagé de réduire cette zone afin de pouvoir extraire davantage de pétrole…


D’ores et déjà, il y a 12 plateformes pétrolières à travers la forêt, reliées par une route en gravier, et une équipe d'ouvriers a récemment terminé la construction d'une nouvelle plateforme érigée au milieu de la jungle.L'an dernier, pourtant, des milliers d'indigènes équatoriens ont participé à une grève de 18 jours qui a interrompu une grande partie des activités pétrolières du pays. « Nous ne voulons pas de pétrole », réaffirme Leonidas Iza, président de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur, l'organisation qui a contribué à diriger les protestations. Un référendum devrait avoir lieu prochainement pour ou contre l’exploitation des réserves pétrolières du parc Yasuni. On n’a pas fini d’entendre parler d’Helena Gualinga. L’une de ses premières apparitions publiques remonte à 2019 (elle avait alors 17 ans) lors de la COP 25 à Madrid. Revenant sur les interventions des sociétés pétrolières dans les territoires autochtones, elle avait alors déclaré : « Les gouvernements de notre pays continuent à donner en concession nos territoires, sans notre consentement, à l'industrie extractive qui est en train de créer le changement climatique. C'est un acte qui devrait être criminel. » Aujourd’hui, même le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dit peu ou prou la même chose.


Jean-Marc Adolphe

Photo en tête d'article : Helena Gualinga. Photo DR


Compléments


A lire

Sarayaku. La Forêt Vivante du Peuple du Midi en Amazonie équatorienne, sur Territories of Life.

Les femmes du Sarayaku, dignes résistantes en Amazonie (25 août 2020), sur kedistan.net


Vidéo

"Sarayaku, selva viviente, es Territorio de Vida" (2’30), en quechua, sous-titres en espagnol.


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