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Béatrice Helg, architecte de lumière

Dernière mise à jour : il y a 2 jours


Béatrice Helg, Cosmos XX, œuvre numérique pigmentaire (2022).


L’univers de la photographe suisse Béatrice Helg, à la fois rigoureux et sensible, oscille entre abstraction géométrique et poésie matérielle. Au musée Réattu, à Arles, elle expose cet été ses Géométries du silence : 75 tirages uniques, pour la plupart en grand format, qui invitent à une forme de méditation visuelle.


Le musée Réattu d’Arles présente, du 5 juillet au 5 octobre 2025, l’exposition consacrée à l’œuvre de la photographe suisse Béatrice Helg, Géométries du silence. Daniel Rouvier, conservateur et directeur du musée Réattu, a choisi avec l’artiste d’accrocher soixante-quinze tirages uniques, pour la plupart en grand format, répartis dans différents espaces de l’ancien Grand prieuré de l’Ordre de Malte. Cette vaste monographie, présentée aux visiteurs dans les lieux les plus appropriés du musée, a fait l’objet d’un très beau catalogue avec des textes de Patrick de Carolis, David Campany, Nathalie Herschdorfer et Daniel Rouvier.

 

Patrick de Carolis, natif d’Arles, maire de la cité (1), évoque dans la préface de ce catalogue Lucien Clergue et Jean-Maurice Rouquette qui, en 1965, cinq ans avant la création des Rencontres de la photographie d’Arles, créèrent une section d’art photographique au sein du Réattu, monument historique et musée des beaux-arts fondé par le peintre arlésien Jacques Réattu, Grand prix de Rome en 1791. Dès les années 1970, l’établissement a « accueilli sur ses cimaises et dans ses collections » l’œuvre de photographes classiques mais également de praticiens s’étant illustrés dans ce qu’il est convenu d’appeler les images « fabriquées ». Une forme de retour au pictorialisme du XIXe siècle, selon nous, mettant en cause le réalisme – le noème de la photographie ou fameux « ça a été là » de Roland Barthes –, la narration, l’anecdote. La photo, dans le cas qui nous occupe, devient, qui plus est – ou qui moins est – iconoclaste dans la mesure où nous n’y trouvons pas trace de représentation humaine (2).

 

Béatrice Helg, Crépuscule XIV, Cibachrome (2006)


Béatrice Helg s’inscrit depuis plus de trente ans dans ce courant d’images mises en scène, non in situ, mais en huis clos, dans le cadre de l’atelier d’artiste, autrement dit de son studio. Les séries présentées à Arles ont pour titres : Théâtres de la lumièreEsprit froissé, CrépusculeÉclatsCosmosRésonance et Natura. Nathalie Herschdorfer, l’actuelle directrice du musée de l’Élysée de Lausanne, convoque le peintre américain Mark Rothko pour parler de l’art de sa compatriote qui a étudié la photo aux États-Unis, d’abord en Californie puis à New York où elle débuta d’ailleurs sa carrière, fin des seventies, début des années 1980. « La photographe explore le pouvoir de l’abstraction pour évoquer ses émotions (…) Minimaliste à bien des égards, l’œuvre de Béatrice Helg nous emmène au-delà du visible ». Pour décrire son style et son univers, Nathalie Herschdorfer souligne qu’il est à base « d’éléments en métal rouillé, d’arrière-plans qui évoquent le monde industriel » ; ceux-ci ont les couleurs de terre des matériaux bruts. Et, effectivement, certaines pièces peuvent faire songer aux Oxydations (1977) d’Andy Warhol, que celui-ci nommait "Piss Paintings". Rappel de la Fontaine (1917) de Duchamp ? Le fait est que la miction a pour effet de décolorer un support cuivré.

 

Pour sa part, David Campany, directeur artistique de l’International Center of Photography de New York, rapproche les compositions de matières, de formes et de lumières de la photographe de sculptures, de scénographies et d’installations artistiques dont les précurseurs, dans le domaine de la photographie sont Florence Henri et Man Ray. À la question « que voyons-nous dans l’œuvre de Béatrice Helg », Campany répond : « Des formes géométriques – cercles, carrés, rectangles, rhomboïdes, trapèzes – évoquant quelque chose d’ancien et même de platonicien, mais aussi quelque chose de moderne du XXe siècle (Cubisme, Minimalisme) ». Le paradoxe étant, selon lui, que « la photographie transforme les choses en signes ».

 

Daniel Rouvier résume dans son texte les rapports entre la peinture et la photographie depuis l’invention de celle-ci par Niépce en 1826. Il nous précise que le fondateur de la staged photography ou photographie mise en scène est le « photographe plasticien » Jeff Wall, un contemporain de Béatrice Helg sans lequel l’œuvre de celle-ci « n’aurait sans doute pas vu le jour ». Ce qui ne l’empêche pas d’avoir son originalité et bien d’autres sources d’inspiration puisqu’elle est passionnée de musique, d’opéra (de Wagner, en particulier), d’architecture, de sculpture. Et de théâtre, et de lumière. Sur un mur, une phrase de Claude Régy, adressée par le metteur en scène à la photographe : la lumière « dépend de tout mais tout dépend d’elle ». Sous verre, un texte écrit/dessiné à la main par Bob Wilson, débute, plus ou moins, ainsi : « Pour Béatrice, une brillante artiste de la lumière. Sans lumière, pas d’espace. La lumière rend plus sombre l’ombre. »

 

Nicolas Villodre

 


Notes


(1). Patrick de Carolis fut, entre autres, danseur, journaliste, directeur de France télévisions, initiateur de la chaîne France 24, président de l’Académie des beaux-arts, directeur du musée Marmottan, avant de se lancer dans la politique au côté d’Édouard Philippe.

 

(2). Les seuls signes ou vagues traces de « forme humaine » sont ceux de sa série Esprit froissé, des voiles fantomatiques réalisés en papier, comme les tigres du président Mao. Les clichés font illusion, sans doute aussi allusion à la photographie spirite en vogue avant 1900, usant de la surimpression – truc ou tour de passe-passe répandu au temps d’Allan Kardec, désacralisé ou démystifié par l’adepte de magie blanche qu’était Georges Méliès.


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