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L'art interdit privé de musée

Santiago Sierra, Prisonniers politiques dans l’Espagne contemporaine


Premier musée au monde dédié exclusivement aux œuvres d'art censurées, le Musée d'Art Interdit ferme ses portes moins de deux ans après son ouverture à Barcelone, sur fond de conflit social. La collection qui le constituait devrait devenir itinérante.


Moins de deux ans après son ouverture à Barcelone en octobre 2023, saluée par la presse internationale (lire ICI sur Le Monde), le Musée de l'Art Interdit (Museu de l'Art Prohibit) ferme ses portes. Premier et unique musée au monde dédié exclusivement aux œuvres d'art censurées, installé dans la Casa Garriga Nogués, un bâtiment moderniste du quartier de l'Eixample, le musée a été fondé par Tatxo Benet, un journaliste et homme d'affaires catalan qui est également l'un des fondateurs de Mediapro, société de médias et de production audiovisuelle. Il était dirigé par Rosa Rodrigo, ancienne directrice du développement stratégique au Musée Reina Sofia à Madrid, avec une direction artistique assurée par Carles Guerra, un commissaire indépendant qui a précédemment dirigé des institutions telles que le MACBA et la Fondation Antoni Tàpies. Y étaient exposées 42 œuvres de la collection de Benet, qui compte environ 200 œuvres censurées, couvrant des peintures, sculptures, gravures, photographies, installations et pièces audiovisuelles ayant été interdites ou dénoncées pour des raisons politiques, sociales, commerciales, de genre ou religieuses. Au cours de ses premiers mois d'activité, le musée a attiré plus de 13.000 visiteurs, présentant des œuvres controversées d'artistes tels que Picasso, Banksy, Andy Warhol, Robert Mapplethorpe, Ai Weiwei, Francisco de Goya et Gustav Klimt.


L'intérêt de Tatxo Benet pour l’art censuré a commencé en 2018 lorsqu’il a acquis l’œuvre de Santiago Sierra, Prisonniers politiques dans l’Espagne contemporaine, ensemble de vingt-quatre photographies de personnes au visage pixélisé, condamnées pour agressions de policiers, « apologie du terrorisme », ou « sédition », qui a été immédiatement retirée de la foire d’art ARCO à Madrid après son acquisition. Ce moment décisif a convaincu Benet d’acquérir des œuvres qui avaient été « censurées, interdites ou dénoncées pour des raisons politiques, sociales ou religieuses », menant finalement à sa collection de plus de 200 pièces. « Lorsqu’il y a un acte de censure, deux choses se produisent : la liberté d’un artiste est restreinte, mais aussi la liberté du public d’interagir avec l’œuvre d’art est limitée », expliquait-il au magazine Art Newspaper.


A gauche : McJesus (2015), de l’artiste finlandais Jani Leinonen. Photo Joël Codina / Museu de l'Art Prohibit.

A droite : León Ferrari, Civilisation occidentale et chrétienne.


La collection couvre des thèmes et des controverses variés, présentant des œuvres telles que McJesus de Jani Leinonen (montrant Ronald McDonald crucifié), la sculpture provocante d’Ines Doujak représentant l’ancien roi d’Espagne, et Civilisation occidentale et chrétienne de León Ferrari montrant le Christ sur un avion de chasse américain. Loin de simplement accumuler des pièces controversées, Benet considère sa collection comme représentant « un potentiel sans égal au sein de nos sociétés » pour affronter les abus de pouvoir à travers l’expression artistique et défendre « la liberté créative ».


Mais la « liberté créative » peut-elle s'exonérer des droits sociaux ? Depuis plusieurs mois, les employés du musée dénonçaient des conditions précaires : de longues périodes debout, des pauses insuffisantes, une climatisation inadéquate et le statut des personnels. Un mouvement de grève a commencé en janvier dernier, après la résiliation par le Musée d'art interdit d'un contrat avec l'un de ses sous-traitants, Magmacultura, qui gérait une partie de son personnel d'accueil. Soutenu par le syndicat Solidaritat i Unitat dels Treballadors ("Solidarité et Unité des Travailleurs"), qui a déjà organisé plusieurs grèves dans plusieurs musées de Barcelone, y compris des lieux prestigieux comme le Museu Picasso, le MACBA, le Museu de la Música et le CCCB, le conflit social s'est envenimé, avec des rassemblements de protestation devant le musée qui ont entraîné, selon sa direction, une grosse baisse de fréquentation et de recettes. Exit, donc, le Musée d'art interdit. Tatxo Benet a annoncé son intention d'en faire une collection nomade avec des expositions itinérantes à travers le monde...


Nadia Mevel


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