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Des voix autochtones pour changer de cap

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Le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui vient de se tenir à Abu Dhabi, s'est prononcé pour la reconnaissance de l’écocide comme crime international. Un congrès marqué, en outre, par le premier Sommet mondial des peuples autochtones et de la nature. Cela n'a rien d'exotique : gardiens légitimes de la vie sur Terre, les peuples autochtones exigent aujourd'hui d'être pleinement associés à la gouvernance de leurs territoires. Militant.e.s et scientifiques, artistes et leaders communautaires : la preuve en dix portraits.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que le premier Sommet mondial des peuples autochtones et de la nature, qui vient de se tenir à Abu Dhabi du 8 au 10 octobre, n’a pas vraiment retenu l‘attention des médias français. Normal, sans doute, dans un pays qui n’a toujours pas ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), texte fondamental sur les droits des peuples autochtones, privant ainsi les nations amérindiennes de Guyane (Kali’na, Palikur, Wayãpi, Wayana, Teko, Lokono) d’un cadre juridique pour revendiquer la propriété collective de leurs terres ou exiger leur consentement préalable à tout projet d’exploitation. En 2024, le Congrès des élus de Guyane a proposé la création d’une Assemblée autochtone consultative, mais le gouvernement français n’a donné aucune suite.

 

Ce premier Sommet mondial des peuples autochtones et de la nature s’est tenu au cœur du Congrès mondial de la nature 2025 de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a réuni plus de 10.000 participants. Si on en a éventuellement entendu parler, c’est uniquement au sujet de la liste rouge des espèces menacées. Parmi celles qui ont été ajoutées à cette liste : trois espèces de phoques arctiques (menacés par la fonte des glaces), le Courlis à bec grêle (échassier qui nichait en petites colonies dans les zones humides de la Sibérie occidentale, menacé par la perte de ses habits migratoires) et les arbres à encens du genre Boswellia, présents au Yémen et à Oman. Mais lors de leur congrès, les membres de l’UICN ont adopté 148 résolutions, dont la reconnaissance de l’écocide comme crime international. Une première, qui devrait pousser les États à transposer cette infraction dans leurs législations et à soutenir son intégration au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Ce n’est pas rien !

 

Reconnus par l’UICN comme gardiens légitimes de la vie sur Terre par l’UICN, et y disposant depuis le dernier congrès de Marseille en 2021, d’une représentation à part entière, les peuples autochtones ont inauguré à Abu Dhabi un Pavillon conçu comme un « foyer vivant » célébrant « la sagesse ancestrale, la résilience et l’innovation communautaire ». L’occasion, pour les humanités, de distinguer quelques personnalités engagées dans ce patient chemin de reconnaissance.

 

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Anita Tzec. Photo DR


Parmi les figures phares : Anita Tzec, responsable des programmes autochtones à l’UICN, dirigeante maya yucatèque originaire du Belize, figure reconnue pour son engagement en faveur des droits des peuples autochtones et de la conservation inclusive de la nature.​ Anita Tzec possède un solide parcours universitaire en sociologie, en études autochtones et en ingénierie agricole, enrichi par une activité scientifique liée aux droits des peuples autochtones et à la gouvernance environnementale. Elle a obtenu un Doctorat (PhD) en sociologie, obtenu à la Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO) entre 2008 et 2014. Sa thèse portait sur l’analyse socio-politique de la lutte pour les droits fonciers des Mayas dans le sud du Belize. Elle a ensuite obtenu Postdoctorat en sociologie et anthropologie à l’Université de Leiden (Pays-Bas), centré sur les droits fonciers et patrimoniaux autochtones. Elle y a poursuivi ses travaux sur la gouvernance indigène et la conservation inclusive. Ses travaux les plus récents articulent recherche académique, plaidoyer et action politique autour d’un fil directeur : la reconnaissance des savoirs autochtones comme fondement d’une gouvernance mondiale équitable de la nature.

 

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Whaia. Photo DR


WHAIA, également connue sous le nom de Whaia – The Māori Sonic Weaver, est une chanteuse, artiste sonore et activiste maorie originaire d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande). Elle est reconnue pour son travail mêlant musique traditionnelle, arts spirituels et performance écologique, où elle se présente comme une tisseuse sonore reliant la voix, les sons naturels et les instruments ancestraux. Alliant le karanga (appel cérémoniel féminin maori) à des sons électroniques et à des paysages sonores issus d’éléments naturels tels que l’eau, le vent ou les baleines, ses performances, comme “Singing Waters”, sont souvent des rituels musicaux in situ, conçus pour relier les communautés à l’esprit du lieu et célébrer la relation sacrée entre les humains et les écosystèmes aquatiques. Son engagement dépasse la scène musicale : Whaia participe à des événements internationaux associant droits autochtones et écologie sonore, comme le festival Présence autochtone 2025 à Montréal, où elle a co‑créé le spectacle “Chant de la baleine” aux côtés d’artistes autochtones d’Australie, du Canada et du Pacifique.​ Elle y défend une vision de l’art comme outil de guérison culturelle et écologique, fondée sur la reconnexion aux racines spirituelles et à la Terre‑Mère. Elle est en outre membre du conseil d'administration d'Oceanic Global.

 

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Eric Terena. Photo DR


Eric Terena, de son nom complet Eric Marky Terena, est un artiste, journaliste et activiste autochtone brésilien, issu du peuple Terena, dans la région du Pantanal (Mato Grosso do Sul) au Brésil.​ DJ et producteur, il est le fondateur du projet “ORIGINS”, une fusion novatrice entre chants ancestraux indigènes, hip‑hop, spoken word et musique électronique. À travers ce mélange, il célèbre la puissance spirituelle et culturelle des peuples autochtones du Brésil tout en abordant des thèmes de justice environnementale et de résistance.​

Eric Terena est en outre le co‑fondateur du réseau Mídia Índia, une plateforme médiatique gérée par et pour les peuples autochtones, qui regroupe plus de 800 créateurs et journalistes autochtones à travers le Brésil. Formé en journalisme à l’Université catholique Dom Bosco, il développe une spécialisation en ethnomédia, concept associant médias modernes et savoirs traditionnels pour renforcer la communication interculturelle.​ Par son travail documentaire, il a couvert des mobilisations majeures : la campagne présidentielle de Sonia Guajajara (2018), les marches “Acampamento Terra Livre” à Brasilia, et plusieurs COP climatiques dont celles de Madrid et Glasgow.​ Artiste ambassadeur du réseau Youth4Climate et membre du mouvement API (Articulação dos Povos Indígenas do Brasil), il milite pour la reconnaissance politique et médiatique des peuples amazoniens sur la scène mondiale. Son message — “Nos voix sont notre forêt” — résume son engagement à faire de la musique, du film et du numérique des armes culturelles de survie et d’unité autochtone.​

 

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Alessandra Yupanqui. Photo DR


Alessandra Yupanqui (parfois orthographiée Yupanki) est une journaliste, conteuse et militante andine originaire de Cusco, au Pérou, reconnue comme cofondatrice et rédactrice en chef de Sapiens, un média numérique dédié à la durabilité, la culture autochtone et la justice climatique.​ Elle milite pour une revalorisation des cultures autochtones andines comme modèles contemporains de résilience écologique. Elle résume sa vision en affirmant que « la communication est un outil pour façonner la culture ».​

Fondé à Cusco, Sapiens se décrit comme le premier média péruvien de vulgarisation durable en Amérique latine, articulé autour de trois axes : science, culture et planète. La plateforme vise à démocratiser la conversation sur la transition écologique en donnant la parole aux communautés autochtones, femmes rurales et jeunes créatifs.​

Lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025 à Abu Dhabi, Alessandra Yupanqui a dénoncé la vision utilitariste de la nature dans la modernité occidentale, appelant à replacer la cosmovisión andine — fondée sur la réciprocité et l’équilibre — au cœur des politiques climatiques.​

En tant que jeune figure andine médiatique, elle est devenue une voix majeure du journalisme climatique décolonial en Amérique latine : un pont entre le récit ancestral et la génération numérique.

 

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Simón Crisóstomo Loncopán lors de la signature de l'accord qui a établi le Conseil de gouvernance et de gestion du parc national Villarrica, au Chili, en décembre 2024. Photo Nicolás Amaro / El Pais.


Simón Crisóstomo Loncopán, connu sous le nom spirituel Füta Mawiza, est un géographe et leader mapuche originaire de Curarrehue, au sud du Chili, engagé dans la gouvernance territoriale autochtone et la cartographie participative.​ Président de l’Asociación Mapuche Winkul Mapu de Curarrehue, il défend les droits territoriaux des communautés de la cordillère de la région de l’Araucanía, un espace au cœur de la cosmovision mapuche, où la montagne (« füta mawiza » signifiant grande forêt ou grand massif sacré) est considérée comme un être vivant.​

Simón Crisóstomo est le fondateur et coordinateur scientifique de l’Iniciativa Füta Mawiza, un programme de planification territoriale et de conservation bioculturelle mené par les communautés mapuches en collaboration avec des institutions telles que l’UICN et l’Inclusive Conservation Initiative (ICI). Cette initiative vise à cartographier et gérer collectivement plus de 176 000 hectares de forêts, rivières et zones sacrées dans la cordillère andine, en conjuguant géographie moderne et savoirs mapuches.​

Lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN 2025 à Abu Dhabi, il a plaidé pour une co‑gouvernance environnementale fondée sur la reconnaissance des peuples autochtones comme administrateurs légitimes de leurs écosystèmes.​

Sous sa direction, l’initiative Füta Mawiza a établi des alliances avec des institutions locales et internationales (CI, Observatorio Ciudadano, FARN, ANAPAC) pour intégrer les territoires autochtones de conservation (TICCA) dans les stratégies chiliennes de biodiversité. Son travail, à l’intersection de la science et de la cosmovision mapuche, illustre la transition vers une écologie autochtone appliquée, où cartographier, c’est raconter le territoire comme mémoire vivante.

 

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Joseph Itongwa Mukumo. Photo DR


Joseph Itongwa Mukumo est un leader autochtone congolais, originaire du peuple Bambuti‑Babuluko de Walikale, dans la province du Nord‑Kivu (République démocratique du Congo). Il est actuellement Directeur exécutif national de l’Alliance des peuples autochtones pour la promotion des actions citoyennes (ANAPAC‑RDC), une organisation pionnière dans la défense des droits des peuples autochtones et la promotion d’une gouvernance environnementale inclusive. Diplômé en développement rural, Joseph Itongwa a fondé le PIDP‑Shirika la Bambuti, un programme d’intégration sociale et économique pour les peuples pygmées du Kivu et du Maniema. Il a aussi coordonné le Réseau des peuples autochtones et des communautés locales pour la gestion durable des écosystèmes forestiers (REPALEF).

Militant au sein du Consortium des territoires et aires conservés par les peuples autochtones et communautés (APAC), Joseph Itongwa participe aux grandes négociations internationales sur la biodiversité, la conservation et l’action climatique, notamment dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et des forums du Fonds pour l’environnement mondial (GEF).

 

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Krizzley Ordoñez García. Photo DR


Krizzley Ordoñez García est une jeune leader autochtone q’eqchi’ originaire de Copal La Esperanza, dans la région de Coban (Alta Verapaz, Guatemala).​ Âgée de 18 ans, elle appartient à une famille autochtone marquée par l’exil : ses parents ont fui le Guatemala durant le conflit armé interne et ont trouvé refuge au Mexique avant de revenir dans leur communauté d’origine. Son père, Rigoberto Ordoñez, est une autorité traditionnelle reconnue, dont elle a accompagné dès l’enfance les activités communautaires et cérémonielles. C’est dans ce contexte que Krizzley a développé un fort engagement pour la préservation culturelle, la sécurité alimentaire et la gestion durable de la nature.

Krizzley Ordoñez s’est illustrée au sein d’un réseau de jeunes autochtones environnementalistes œuvrant à la sensibilisation dans les écoles rurales du département de Coban. Elle y anime des ateliers sur les savoirs traditionnels et la préservation des écosystèmes et organise des marchés paysans, des randonnées écologiques et des activités de renforcement de la paix interculturelle.​

Diplômée en 2024 en développement communautaire, elle possède une expérience dans la reforestation, la production biologique et les systèmes agroforestiers, et soutient les femmes et enfants dans les programmes de renforcement du leadership local. Krizzley Ordoñez incarne la nouvelle génération du leadership autochtone d’Amérique centrale, alliant savoirs ancestraux et approche participative du développement durable.


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 Lucy Mulenkei. Photo DR


Lucy Mulenkei est une femme massaï originaire du Kenya, journaliste de formation, militante des droits humains, du climat et de la biodiversité, et l’une des figures les plus influentes du mouvement autochtone africain contemporain.​

Après dix‑sept ans de carrière comme journaliste radiophonique en zones rurales, elle a fondé en 1999 le Réseau d’information autochtone (Indigenous Information Network – IIN), qu’elle dirige encore aujourd’hui. Cette organisation relie plus de 100 communautés autochtones d’Afrique de l’Est autour des droits fonciers, de la sécurité alimentaire et de la participation politique.​

Lucy Mulenkei est coprésidente du Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité (IIFB) et cofondatrice de l’Organisation des femmes autochtones africaines (AIWO) ainsi que du Réseau des femmes autochtones pour la biodiversité (IWBN). Elle siège aussi comme vice‑présidente du Forum international des femmes autochtones (FIMI) et membre du groupe consultatif autochtone du Fonds pour l’environnement mondial (GEF‑IPAG).​

Spécialiste du genre et du développement communautaire, elle œuvre à l’intégration de l’approche fondée sur les droits humains dans les politiques environnementales nationales et internationales, en insistant sur les droits des femmes et des filles autochtones, notamment en matière de santé reproductive, d’éducation et de participation citoyenne.​ Elle siège également au groupe consultatif du PNUE/FAO pour la restauration des écosystèmes dans le cadre de la Décennie des Nations Unies sur la restauration des écosystèmes, apportant la perspective autochtone aux politiques mondiales sur le climat et la biodiversité.​

Elle a été honorée du Prix du leadership environnemental et du “Woman of the Year Award” du magazine EVE pour son travail sur les droits des bergères massaï et des femmes rurales kényanes.​ Son travail incarne l’articulation entre féminisme autochtone, écologie sociale et savoirs traditionnels, défendant une gouvernance mondiale fondée sur la réciprocité, la justice et la voix des communautés locales.

 

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Onel Masardule. Photo DR


Onel Iguairquipiler Masardule Herrera est un leader autochtone guna (Panama), directeur exécutif de la Fondation pour la promotion du savoir autochtone (FPCI) et l’une des voix les plus reconnues du mouvement autochtone d’Amérique centrale pour la justice climatique et la gouvernance environnementale.​

Originaire de la région autonome de Guna Yala, sur la côte caraïbe du Panama, Onel Masardule appartient au peuple guna, connu pour la richesse de ses traditions maritimes et son organisation communautaire exemplaire. Diplômé en sciences de l’environnement et en gouvernance territoriale, il possède une spécialisation en changement climatique et travaille à la transmission intergénérationnelle des savoirs traditionnels.​ Son organisation mène des programmes de formation communautaire, de cartographie participative et de gestion durable dans les communautés guna, emberá et wounaan du Panama.​

Fervent défenseur du principe selon lequel “la conservation sans les peuples est une contradiction morale”, Onel Masardule milite pour une relecture décoloniale des politiques environnementales. Il plaide activement pour que les peuples autochtones reçoivent un accès direct aux financements climatiques et soient parties intégrantes des stratégies nationales de réduction des émissions et de conservation de la nature.​


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 Tunga Bhadra Rai. Photo DR


Tunga Bhadra Rai est un chercheur, anthropologue et responsable autochtone népalais, membre du peuple Rai, l’une des principales nationalités autochtones de l’Himalaya.​

Il est directeur du programme “Changement climatique” à la Fédération népalaise des nationalités autochtones (NEFIN), la principale organisation faîtière représentant plus de 50 peuples autochtones du Népal. À ce poste, il coordonne les programmes nationaux sur le savoir traditionnel, la justice climatique et la reconnaissance politique des peuples autochtones. Il est aussi membre de l’Indigenous Peoples Advisory Group (IPAG) du Fonds vert pour le climat (GCF), qu’il a présidé lors de sa première session en 2022.​

Anthropologue formé à l’Université de Tribhuvan, Tunga Bhadra Rai a consacré ses recherches à la cosmovision, au patrimoine et à l’identité des peuples autochtones du Népal, mettant en évidence leurs contributions à la résilience climatique et à la durabilité écologique. Il plaide pour une action climatique équitable, fondée sur la redistribution du pouvoir et des ressources vers les communautés de base. Selon lui, la durabilité mondiale exige de « reconnaître le rôle des peuples autochtones non pas comme bénéficiaires, mais comme architectes du futur climatique et culturel de la planète ».​

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