Racketté par la France depuis le début du 19ème siècle, qui fit chèrement payer l’émancipation de la première république indépendante noire de l’Histoire moderne, Haïti s’enfonce chaque jour dans le chaos, livré à la violence des gangs, miné par la pauvreté, et maintenant en proie au choléra. Mais les puissances occidentales, France en tête, ne semblent pas vouloir laisser au peuple haïtien les rênes de sa destinée.
Cet article vous est offert par les humanités, média alter-actif et engageant.
Abandonnez-vous, abondez-vous, abonnez-vous : ICI.
ACTE 1. Depuis l’annonce, le 11 septembre dernier, de l’augmentation du prix du carburant – il a doublé –, Haïti se trouve à nouveau en état d’insurrection. Les rues sont désertes, les quartiers barricadés et les villes vivent au rythme des manifestations, tournant ici ou là à l’émeute. Comme en 2018-2019, lors du soulèvement populaire contre la vie chère et la corruption, l’oligarchie et les inégalités, Haïti est en mode peyi lock (pays bloqué).
Le pillage et l’incendie d’un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM), la plus grande institution onusienne, a suscité l’émoi de la communauté internationale. Les réactions semblent plus outrées qu’en juillet passé, face au massacre – plus de 300 personnes tuées – qui secouait un quartier populaire de la capitale, Port-au-Prince. Il est vrai qu’il ne s’agissait alors que d’une énième péripétie dans l’effondrement d’un pays ingouvernable, et que les gouvernements « amis » étaient occupés à un dossier autrement plus sérieux et urgent : le renouvellement de la mission onusienne sur place, dont l’échec, patent, est à la mesure de son discrédit. (…)
Frédéric Thomas, « Haïti : de désespoir et de rage », sur le site du CETRI (Centre Tricontinental), lire la suite ICI : https://www.cetri.be/Haiti-de-desespoir-et-de-rage
ACTE 2. Dans le contexte d'une crise majeure en Haïti, où « la violence endémique des gangs et les troubles populaires généralisés, ont aggravé une situation humanitaire déjà désastreuse », le conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité, ce vendredi 21 octobre 2022, une série de sanctions à l’encontre des gangs qui sévissent à Haïti depuis plusieurs semaines. Cette résolution comprend « un gel ciblé des avoirs, une interdiction de voyager et des mesures d'embargo sur les armes ». En outre, un comité sera en outre chargé de désigner « les personnes et entités devant faire l'objet des sanctions", lesquelles s'appliqueront "pour une période initiale d'un an. »
Dans le viseur de l’ONU, sont ainsi ciblés tous ceux qui participent ou soutiennent :
Des activités criminelles et la violence impliquant des groupes armés et des réseaux criminels, y compris le recrutement d'enfants, les enlèvements, la traite des personnes, les homicides et la violence sexuelle et sexiste.
Le trafic illicite et le détournement d'armes et de matériel connexe, ou les flux financiers illicites qui y sont liés.
Le Conseil de sécurité mentionne également ceux qui entravent « l'acheminement de l'aide humanitaire vers et à l'intérieur d'Haïti », mais aussi ceux qui attaquent « le personnel ou les locaux des missions et opérations de l'ONU » ou qui fournissent « un soutien à de telles attaques ».
« Cette résolution est une première réponse aux appels à l'aide de la population haïtienne », s'est félicitée l'ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU Linda Thomas-Greenfield.
Jimmy Cherizier alias "Barbecue" leader du G9, entouré de ses hommes. Photo DR
Le texte de la résolution évoque enfin le nom de Jimmy Cherizier (surnommé "Barbecue"), qui serait le cerveau d’une fédération de bandes organisées en Haïti, baptisée "Famille G9 et alliés". Ancien policier reconverti en chef de gang, Jimmy Cherizier est loin d’être un enfant de chœur ; on lui doit de nombreux massacres et autres "opérations de nettoyage". Mais il est peu probable que les sanctions à son encontre, décidées par le Conseil de sécurité de l’ONU, aient la moindre incidence sur le chaos qui s’est installé à Haïti.
Plus tôt dans la semaine, le Conseil de sécurité avait discuté du possible envoi d'une force internationale pour permettre à la population de sortir du "cauchemar", sans toutefois prendre de décision sur cette option qui est loin de faire l'unanimité. « La situation est absolument dramatique », avait pourtant déclaré le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres. « Le port est bloqué par les gangs qui ne laissent pas sortir le carburant (...) Sans carburant, il n'y a pas d'eau. Et il y a le choléra », dont le traitement nécessite un bon approvisionnement en eau potable.
Des manifestants exigeant la démission d'Ariel Henry, premier ministre par intérim d'Haïti, ont allumé des feux
dans les rues de Port-au-Prince ce mois-ci. Photo Richard Pierrin / Agence France-Presse
ACTE 3. Pour Lydia Polgreen, chroniqueuse au New York Times, revient sur l’histoire d’Haïti, qu’elle connaît bien, dénonce « l’usurpation de la volonté d’une majorité de la population haïtienne », et interroge : « Les Haïtiens auront-ils vraiment une chance de résoudre cette question par eux-mêmes, ou les étrangers joueront-ils encore une fois un rôle décisif dans l’avenir du pays ? »
A lire ci-dessous :
PORT-AU-PRINCE, Haïti — Les hommes armés qui ont envahi en juillet le quartier où habitait Christelle Pierre lui ont donné un choix difficile : fuir ou mourir. Elle était enceinte de six mois de son premier enfant. Les hommes faisaient partie de l’un des gangs criminels violents de plus en plus présents dans cette ville. Ils ont mis le feu au quartier et l’ont réduit en cendres.
J’ai rencontré Christelle à la fin du mois dernier, quelques jours après qu’elle a accouché dans un parc public, sur un grand morceau de carton. Les couches en tissu, les couvertures duveteuses et le matelas pour bébé pour lesquels elle avait soigneusement économisé ont brûlé. Disparu aussi, son mari : les gangsters lui ont tiré une balle dans la tête et ont laissé son corps se consumer dans l’incendie qu’ils avaient allumé.
« Je ne peux pas rester dans la rue avec un bébé, m’a-t-elle dit. Mais je n’ai nulle part où aller. Il n’y a pas d’abri, pas de nourriture, pas de médicaments, pas de travail. Il n’y a que le chaos dans ce pays. »
Haïti est en chute libre.(…) Les gangs, dont la plupart ont des liens avec des dirigeants politiques et les milieux d’affaires, ont pratiquement paralysé l’économie d’Haïti en coupant les circuits de distribution pour le carburant et la nourriture. La faim frappe de nombreuses familles. Le choléra, qui a déjà tué environ 10 000 personnes ici, se répand à nouveau.
Officiellement, le gouvernement d’Haïti est dirigé par un Premier ministre par intérim. Profondément impopulaire, Ariel Henry, est arrivé au pouvoir avec le soutien des États-Unis et d’autres grandes puissances régionales après l’assassinat du président il y a plus d’un an. Lui et ses bailleurs de fonds étrangers ont ignoré la proposition de coalition faite par la société civile haïtienne afin de créer un gouvernement par intérim plus représentatif et permettant d’envisager un retour à la démocratie. Les manifestations de rues réclamant sa démission secouent les grandes villes depuis des semaines. La situation sécuritaire est devenue si grave que vendredi, Henry a plaidé pour qu’une mission de sécurité internationale vienne aider à reprendre les rues la police dépassée par les événements.
Les Haïtiens auront-ils vraiment une chance de résoudre cette question par eux-mêmes, ou les étrangers joueront-ils encore une fois un rôle décisif dans l’avenir du pays ?
Je me pose cette question depuis ma première visite en Haïti en tant que jeune journaliste pour le New York Times. C’était en 2004, à la veille du bicentenaire de l’indépendance, la seule révolte moderne réussie par les esclaves. Mon expérience à Haïti a placé l’autodétermination et de l’autodétermination des peuples du Sud autrefois colonisés au centre des sujets d’intérêt de ma carrière de correspondant en Afrique et en Asie. Et c’est la question de l’autodétermination qui m’a ramené à Haïti. Haïti est indépendante de longue date, mais où était sa vraie liberté ? Elle a connu des élections depuis longtemps, mais où était sa vraie démocratie ?
En 2004, Jean-Bertrand Aristide, un ancien prêtre catholique charismatique, devenu le premier président élu démocratiquement du pays, a fait face à une vague de protestations, certaines soutenues par ses ennemis de longue date, la minuscule élite du pays, ainsi que par d’anciens fidèles qui le considéraient de plus en plus comme un autocrate. Les élections législatives attendaient toujours leur second tour, et Aristide régnait essentiellement par décret. Les États-Unis et leurs partenaires européens ont bloqué l’aide de centaines de millions de dollars qu’ils avaient promise, pour faire pression politique. Selon les militants des droits humains, Aristide donnait aux gangs de rue les moyens de protéger son gouvernement, d’intimider et même de tuer les opposants à son gouvernement.
J’ai soudainement été replongée dans cette histoire complexe. Lorsque, en tant que journaliste, vous rendez compte quotidiennement d’événements historiques, vous pouvez vous perdre dans des faits sans importance. J’ai passé mes journées dans les rues à interviewer des gens ordinaires dont la plupart étaient fidèles à Aristide, lui-même issu des bidonvilles de la ville. Leur colère était palpable et se manifestait dans de violents affrontements de rue.
Comme de nombreux correspondants étrangers à Haïti à cette époque, j’ai passé mes soirées à apprendre sur le pays en écoutant de jeunes Haïtiens qui me ressemblaient : une vingtaine d’années, études en Amérique du Nord, parlant couramment l’anglais et le français, expérience cosmopolite. Leurs riches parents possédaient des entreprises menacées par les politiques redistributives d’Aristide, et ils appuyaient les partis politiques et ceux qui voulaient le démettre de ses fonctions. Après tout le temps passé avec eux à boire de la bière Prestige et à partager des plateaux de poulet djon djon, mes vues ont peut-être été inévitablement façonnées par les leurs, adoucissant la dure réalité : l’usurpation de la volonté d’une majorité de la population haïtienne.
À la fin de février 2004, après une insurrection armée, Aristide a quitté le pouvoir, et le pays à bord d’un jet américain. Les Marines américains sont arrivés peu après, alors que le président George W. Bush déclarait : « Il est essentiel qu’Haïti retrouve l’espoir en son avenir. Ceci est le début d’un nouveau chapitre. »
Qui voulait qu’Aristide parte ? J’avais assisté à de nombreuses manifestations de rue contre son gouvernement et constaté que l’opposition n’était pas seulement limitée à une petite élite riche. Mais compte tenu de son énorme popularité parmi les pauvres, il semble peu probable que la majorité des Haïtiens voulait son départ.
Aristide s’était fait de puissants ennemis. Il avait exigé que la France paie à Haïti 21 milliards de dollars, pour remboursement de la dette honteuse qu’elle avait exigée de sa colonie après sa libération. Les Français étaient parmi les premières nations à exiger le départ d’Aristide.
Ø A lire sur les humanités : « Haïti : le scandale du racket français » (23 mai 2022)
Ses alliés diront plus tard que son départ était un enlèvement ; l’ambassadeur français de l’époque a récemment déclaré au New York Times que les États-Unis et la France avaient effectivement procédé à un « coup d’État ». Les responsables américains ont longtemps rejeté ces deux affirmations. Plus tard, les rapports d’enquête publiés dans le New York Times ont démontré comment une puissante organisation conservatrice américaine a contribué à conforter l’opposition et ont soulevé de nouvelles questions sur le rôle des États-Unis.
Dans un autre pays, un leader comme Aristide aurait pu terminer son mandat, faire face à la défaite, puis nourrir sa rancune politique et observer ses ennemis depuis la ligne de touche. Qu’est-ce que l’autonomie, à part le droit de choisir sa propre désillusion ? Mais nous sommes à Haïti, un pays où tous les dirigeants ou presque ont quitté le pouvoir de deux façons : en exil ou dans un cercueil.
Debout sur le tarmac à l’aéroport ici le 29 février 2004, regardant s’envoler l’avion américain qui emmenait Aristide en exil, je ne pouvais pas m’empêcher de sentir que quelque chose de précieux venait d’être perdu. Le meilleur de ce qu’Aristide représentait a disparu — une demande de redistribution juste, à l’extérieur et à l’intérieur du pays, une voie vers la vraie démocratie et l’équité. Ce qui restait était le pire : les gangs qui avaient aidé à assurer sa présidence. Il restait un traumatisme dont Haïti ne s’est jamais vraiment remis, restant une nation brisée vivant dans l’ombre du pays le plus puissant du monde.
Qu’est-ce que le monde doit faire pour Haïti aujourd’hui ?
D’abord et avant tout le laisser tranquille. Donner aux Haïtiens le temps, l’espace et le soutien pour imaginer un avenir différent pour leur propre pays.
Dan Foote, ancien envoyé spécial des États-Unis à Haïti, critique désormais la politique de Washington de façon particulièrement virulente : « la politique étrangère américaine considère toujours inconsciemment Haïti comme une bande de Noirs stupides qui ne peuvent pas s’organiser et que nous devons leur dire quoi faire, sinon ça va vraiment mal tourner. Mais tous les pays ont bousillé Haïti chaque fois qu’on y est intervenus. Il est temps de donner une chance aux Haïtiens. Que peut-il arriver de pire que ce qui est déjà arrivé ? Pire que ce que nous avons fait ?»
Haïti a été usée et abusée par de plus grandes puissances depuis que Christophe Colomb a débarqué sur la côte nord de l’île en 1492. Les États-Unis ont hésité entre fuir Haïti ou l’étouffer, refusant d’abord de reconnaître le pays, puis l’envahissant en 1915, le transformant en quasi-colonie pendant 19 ans. Les tactiques de la Guerre froide ont permis aux États-Unis de conserver une influence profonde sur la politique et l’économie d’Haïti, parfois avec difficulté, lors des dictatures des Duvalier, père et fils, de 1957 à 1986.
Au cours des douze dernières années, la politique haïtienne s’est de plus en plus fracturée, alors que le pays était frappé par un tremblement de terre dévastateur et une série de tempêtes et d’ouragans. La scène politique a été dominée par des dirigeants de centre-droit soutenus par les Américains accusés, à juste titre semble-t-il, de corruption et de collusion avec des réseaux criminels.
Entre isolement et ingérence étrangère, la culture politique du pays s’est transformée en mauvais bouillon de paranoïa fratricide. En l’absence d’une économie avec une assise industrielle, le pays est partagé entre une classe de profiteurs qui fait de l’argent en important et revendant des marchandises — et une population désespérément pauvre qui survit avec de maigres salaires et les envois de fonds d’une diaspora prospère aux États-Unis, au Canada, en France et ailleurs.
Ces dernières années ont ébranlé la foi des Haïtiens dans les élections. Lors de la première élection vraiment démocratique, en 1990, plus de la moitié des électeurs avaient voté. Lors de la dernière élection, moins de 20% l’ont fait.
Les Haïtiens ont aussi, à juste titre, peu confiance dans les étrangers. Jean Rosier, un garde de sécurité de 53 ans, fait écho à ce que beaucoup de gens en Haïti m’ont dit : « Les puissances internationales ne veulent pas de changement à Haïti […]. Elles préfèrent que nous soyons faibles, que nous soyons pauvres. Elles veulent que nous leur tendions la main pour pouvoir nous cracher dessus. »
Photos, de gauche à droite :
Une femme remue un pot de nourriture sur la place publique Hugo Chavez, où des familles ont dû fuir leurs maisons en raison d'affrontements entre bandes armées à Port-au-Prince, en Haïti, le 20 octobre 2022. Photo Odelyn Joseph / Associated Press
Une femme lave des vêtements à côté d'une femme berçant son bébé sur la place publique Hugo Chavez transformée en refuge pour les familles obligées de quitter leurs maisons en raison d'affrontements entre bandes armées à Port-au-Prince, Haïti, jeudi 20 octobre 2022.
Photo Ramon Espinosa / Associated Press
Une fillette peigne les cheveux d'un enfant sur la place publique Hugo Chavez transformée en refuge pour les familles obligées de quitter leurs maisons en raison d'affrontements entre bandes armées à Port-au-Prince, Haïti, jeudi 20 octobre 2022.
Photo Ramon Espinosa / Associated Press
Si les États-Unis ont considéré Haïti comme un terrain de jeu pour le capitalisme américain et un rempart contre le communisme, ils veulent maintenant simplement empêcher les migrants haïtiens d’entrer chez eux.
Les États-Unis ont beaucoup de comptes à rendre à Haïti, mais ils y sont tellement empêtrés que même l’inaction est une sorte d’action. Le mois dernier, Juan Gonzalez, Directeur principal pour l'hémisphère occidental pour le Conseil national de sécurité, a déclaré : « Il n’y a aucune solution simple pour Haïti. […] Laisser aux Haïtiens le soin de résoudre leurs problèmes, à mon avis, c’est ignorer la situation à l’intérieur du pays : elle est vraiment, vraiment préoccupante et va en se détériorant. »
La crise actuelle est un véritable casse-tête. Le gouvernement n’a aucune légitimité ; il demeure en place en grande partie grâce au soutien des États-Unis et d’autres puissances occidentales.
La volonté des étrangers ainsi que du gouvernement actuel est d’essayer d’organiser des élections le plus rapidement possible pour remplacer le gouvernement extraconstitutionnel par un gouvernement conforme aux souhaits du peuple haïtien. Mais dans un pays où l’on ne peut pas assurer la sécurité, il n’est guère possible de tenir des élections normales. Et si des élections, dans un cadre juste et libre, sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes pour une véritable autonomie. Il faudra beaucoup plus pour rétablir un minimum de confiance dans le gouvernement.
Dans mes conversations avec les Haïtiens, j’ai perçu un brin d’espoir, ténu mais persistant : il serait enfin temps de déclarer une sorte de banqueroute pour apurer toutes les vieilles dettes politiques et repartir sur un nouveau pacte pour qu’Haïti aille de l’avant.
Une grande partie de la société haïtienne, y compris les partis politiques rivaux, les syndicats, les groupes communautaires de base et les militants des droits de l’homme, se sont réunis pour proposer un cadre détaillé pour une transition politique.
Leur pacte, appelé l’Accord de Montana, propose de nommer un président par intérim, et a conduit à l’élection d’un ancien gouverneur de la banque centrale haïtienne nommé Fritz Jean comme candidat de consensus au début de cette année. Jean m’a dit que le pays avait besoin de temps pour reconstruire ses institutions et travailler à l’organisation d’élections. Il a promis de ne pas être candidat à la présidence lors de ces élections.
A télécharger : Texte de l’Accord de Montana, Conférence Citoyenne pour une Solution Haïtienne à la Crise, 30 août 2021
Pendant une grande partie de l’histoire de ce pays, le peuple haïtien a été le jouet de puissances extérieures et intérieures — de puissances coloniales et néocoloniales, d’élites économiques, de réseaux criminels mondiaux, de politiciens cherchant à se remplir les poches. Il y a un mot dans le créole haïtien : "granmoun". Traduit littéralement, cela signifie "grande personne". Mais le sens réel saisit quelque chose de plus profond. Être un granmoun, c’est être propriétaire de son destin, contrôler sa vie et son avenir. Un granmoun est un être souverain.
Magali Comeau Denis, une responsable du groupe qui tente de mettre en place l’Accord du Montana, a évoqué ce mot avec moi, en expliquant comment elle voit l’avenir d’Haïti. « C’est la première fois dans l’histoire d’Haïti que nous parlons vraiment de notre avenir avec les groupes économiques, sociaux, politiques et communautaires, en nous mettant autour d’une table, chacun donnant son avis, apportant des observations et faisant entendre ses objections », m’a-t-elle dit. Ensuite, elle a dit : « Voilà. C’est notre chance. »
La première étape pour aider Haïti à accomplir son destin, d’être la République noire indépendante voulue par sa révolution, c’est peut-être que nous la laissions seule suivre son chemin.
Lydia Polgreen pour The New York Times, 12 octobre 2022
Traduction pour les humanités : Isabelle Favre
ÉPILOGUE
« La solution existe depuis plus d’un an : elle a été formalisée par l’ensemble des acteurs de la société civile haïtienne au sein de l’accord de Montana (qui propose une transition de deux ans pour refonder l’État haïtien, NDLR) », dit pareillement Frédéric Thomas, chercheur au Centre Tricontinental, cité au début de cet article. « L’objectif est de redonner confiance aux institutions publiques, dont la police, pour leur permettre de se confronter réellement aux bandes armées.
On ne peut pas lutter contre l’insécurité sans lutter contre ses relais, ceux qui l’entretiennent et assurent l’impunité. Ce sont les personnes au pouvoir qui en sont responsables, elles ont largement échoué dans la réponse sécuritaire qu’elles devaient apporter. La solution viendra de la société haïtienne qui a un programme pour sortir le pays de la crise. C’est ce programme-là qu’il faut soutenir plutôt que de toujours reconduire les mêmes politiques qui ont échoué. »
Fabrice Mauries, nommé Ambassadeur de France à Haïti en septembre 2021 par Emmanuel Macron.
Dans une lettre ouverte du 26 septembre dernier adressée conjointement à Antonio Guterres et à Emmanuel Macron, les organisations sociales et politiques de la Plateforme française de solidarité avec Haïti écrivent notamment : « Nous voulons vous transmettre notre intime conviction que ce dont le peuple haïtien a besoin aujourd’hui, pour sortir de cette crise et de cette violence des gangs, c’est la mise en place d’un gouvernement de transition, élu par les Haïtien.es, en dehors de toute pression internationale, avec une feuille de route, un programme global qui va dans le sens de la satisfaction de leurs revendications légitimes.
Cela passe nécessairement par la démission d’Ariel Henry, qui a le soutien du Core Group et de certaines chancelleries de la communauté internationale et par des choix courageux, de votre part, pour mettre un terme à leurs démarches criminelles de déstabilisation de ce pays.
Nous, les organisations de la Plateforme, vous invitons à faire respecter la détermination du peuple haïtien, frustré de ses droits essentiels, dépourvu de ressources de toutes sortes et assoiffé de liberté. Il convient enfin d’établir, entre Haïti, la France et les Nations unies, des relations définies sur de nouvelles bases, prenant en compte les échecs diplomatiques de ces dernières décennies et les vrais besoins d’un peuple, qui ne demande qu’à bien vivre. »
Total silence radio de la part de l’Élysée et de la ministre française des Affaires étrangères. La France, qui a envers Haïti une dette incommensurable, n’est toujours pas disposée à réparer les crimes du passé. Pour la forme, Emmanuel Macron tiendra un discours de compassion pour les Haïtiens éprouvés par la violence des gangs et l’épidémie de choléra qui se profile. Il a nommé comme ambassadeur de France à Haïti un sacré progressiste : Fabrice Mauries qui, fut, pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, directeur adjoint de cabinet de Michelle Alliot-Marie. Et au fond, il continuera de faire payer à la première république noire indépendante de l’Histoire moderne l’outrage de son émancipation. C’est une politique cynique et criminelle. / Jean-Marc Adolphe
Photo en tête d'article : Matias Delacroix/ Associated Press
Comments