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Jean-Joseph Rabéarivelo, Jean-Luc Raharimanana, Na Hassi et Elie Ramanankavana, voix malgaches


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A Madagascar, "l'île rouge". Photo Retlaw Snellac / Flickr


D'une "figure fondatrice" aux voix de la "jeune garde" contemporaine, petit voyage express au sein de la poésie malgache


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Jean-Joseph Rabéarivelo. Photo CNRS


Jean-Joseph Rabéarivelo, figure fondatrice


Figure fondatrice des lettres malgaches, Jean-Joseph Rabéarivelo fut l’auteur d’une œuvre poétique et romanesque de rare intensité. Presque quatre-vingt-dix ans après son suicide tragique en 1937, à l’âge de 34 ans, et ses dernières pensées pour Baudelaire, l’homme demeure un modèle admiré pour les écrivains malgaches contemporains.

(source : RFI, qui a publié en août 2025 un entretien avec l’écrivain Jean-Luc Raharimanana, sur la richesse et l’inventivité de l’œuvre du poète disparu, à l’occasion de la réédition par les éditions Project’iles de son recueil de poèmes Presque-songes, paru en 1934 pour la première fois. https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-%C3%A9criture/20250817-po%C3%A9sie-malgache-relisant-presque-songes-de-rab%C3%A9arivelo-avec-jean-luc-raharimanana)


Tonokira

Extrait des Six poèmes en vers libres Hova (1931)


(version malgache)

Misy eritreritra atopatopan’ alina

Vakivakim-botry tsy tafavoaky ny onja

Misy eritreritra tsy afaka miarina

Ho tonga eo am-bava, fa ao anaty monja

Vakivakim-botry tsy tody tora-pasika

Mivalombalom-poana ery am-binanin-drano

Jerena ny eny aloha, tany midadasika ;

Ny eo aoriana kosa ranobe manganohano

O ry eritreritro rahefa tera-bolana

Ka toa misotro kintana izato zavatra hita !

O ry eritreritro mifatotra, miolana,

Vakivakim-botry nandeha fa tsy tafita !

Fotoana mamy loatra no ahaterahanao,

Fa efa miala voly ery ampara-maso

Izay rehetra inoantsika ho izao tontolo izao

Dia ny tohin’ ny eto Iarivo madio mangasohaso

Fotoanam-pahatoriana, fotoam-pahasambarana ;

Mety raha misandratra avy ao anaty foko,

Ny hira tsara indrindra, ny hira izay hamarana

Ny fara-vetsovetso, ny faran’ ny toloko…

 

Traduction de l’auteur :

Il est des pensées que fait jaillir la nuit,

épaves de pirogues qui ne peuvent se dégager des flots ;

il est des pensées qui n’arrivent pas à se hausser

jusqu’aux lèvres et qui ne sont qu’intérieures.

Épaves de pirogues perdues loin des bancs de sable,

qui se charrient simplement près du golfe.

Devant, l’on voit une terre désertique,

et derrière, l’océan infini.

Ô mes pensées, quand naît la lune,

et que tout ce qui se voit paraît boire les étoiles !

Ô mes pensées, liées, enlacées,

épaves d’une pirogue aventureuse qui n’a pas réussi,

vous êtes suscitées en un moment suave

puisque déjà se repose aux limites de la vue

tout ce que nous croyons être l’univers,

et qui est le prolongement d’Iarive-la-sereine ;

en un moment de paix, en un moment de bonheur :

il siérait bien que s’élevât du fond du cœur

le plus beau chant, le chant qui dit

la dernière élégie, la fin du sanglot.



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Jean-Luc Raharimanana. Photo Pascal Gély / RFI


Jean-Luc Raharimanana, à vif


«Mes livres sont des linceuls pour ensevelir la mémoire des insurgés de 1947», dit Jean-Luc Raharimanana, auteur d’une œuvre protéiforme, composée de romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de poésie.


Jean-Luc Raharimanana (nom qui signifie, en malgache, celui qui a le don de créer) est né le 26 juin 1967, à Tananarive, à Madagascar, où il réside jusqu’à l’âge de vingt-deux ans : « Petit, j’ai eu conscience de jouir d’une enfance exceptionnelle. Autour de moi, il y avait beaucoup de misère. La colonisation a fracassé l’histoire familiale. Le grand-père a disparu très tôt. Mon père a eu une enfance dure, compliquée, battue. Il nous l’a très peu racontée. Ce décalage entre mon récit et l’absence de récit chez le père m’étonne toujours. » Bénéficiaire d’une bourse d’études et Licencié-ès-Lettres de l’Université d’Antananarivo, il vient en France en 1989 pour suivre des cours à la Sorbonne et à l’INALCO, avant comme journaliste pigiste pour RFI, et d’enseigner le français en Seine-Saint-Denis.


En 2002, il revient à Madagascar, défendre son père, historien et animateur à la télévision, arrêté et torturé par le régime de Ravalomanana : « J’ai eu une enfance heureuse, magnifique, et c’est là que le poète s'est construit, mais j’ai découvert peu à peu et la violence de l’histoire du pays, et celle de l’enfance de mon père en lisant les lettres d’amour de mes parents. Ce fut une déflagration incroyable d’apprendre que mon père fut un enfant battu, sous la colonisation, après que son propre père, administrateur colonial soupçonné de positions nationalistes, indépendantistes, a disparu. Pendant de longues années, j’ai posé des questions à mon père, et c'est en 2002 seulement qu’il a commencé à raconter alors qu’il sortait de prison où il avait été torturé. J’avais compris que le plus dur pour lui n’était pas tant la torture politique que ce retour à l’enfant battu qu’il avait été. »


Son travail littéraire (poésie, théâtre, essai, nouvelles) s’inspire de Madagascar, de sa riche tradition orale et de son abondante mythologie. Marqué à vif par l’histoire, la géographie magique/maléfique de son pays, il ressent la nécessité de se consacrer à la restitution de la mémoire malgache, trahie par des récits où se confondent mythe et réalité. Raharimanana entame magnifiquement depuis 1989, par le poème, le théâtre, l’essai et la fiction, un travail de mémoire significatif. Il évoque son île-continent, non comme un triomphe des sables d’or et des criques magiques, mais comme le lieu de la souffrance, de la misère et des passions, une identité inachevée, coupée dans son élan par la colonisation et l’indépendance bradée à des dirigeants sans scrupules. Au fil de ses œuvres, il se révèle comme un auteur sans concession, où le ténébreux côtoie le flamboyant, où la frontière entre le rêve et la réalité s’avère de plus en plus tenue.



Jean-Luc Raharimanana est l’auteur entre autres de Nour 1947 (2001), Revenir (2018) et d’autres romans, récits et mémoires, qui creusent à leur tour la mémoire de l’île natale.


J'attends qu'en mon âme se lève le chant...

J’attends qu’en mon âme se lève le chant.

J’attends que la mort m’entame son chant d’appel et d’amour,

qu’elle glisse sa voix d’au-delà de l’horizon et me la coule tout au fond de

     l’être.

Je voudrais en moi l’ingurgiter en moi la sentir remonter de la gorge, palper

     la langue, flatter la salive, séduire la bouche.

Et la déchirer, la déchiqueter avec mes dents, la réduire en bouillie, la cracher

     agonisante sur le sable.

Mon cœur bat.

Depuis longtemps, il battait la mesure de ma vie.

Comme un son de tam-tam qui résonne dans les savanes et qui trahit la présence

     d’une vie.

Au loin

répond le chant de la mort.

Je l’attends.

Il viendra infailliblement. Le battement du cœur est un appel à la mort.

Silence.

Je remets au vent son souffle puis l’attrape de nouveau.

J’attends que lassé, le vent me passe le souffle de la mort. J’ai rattrapé le

      silence et m’en suis couvert comme d’un linceul exquis.

L’aube s’égoutte lentement, nous imbibe d’ombres et de fades couleurs.

 

In Revue Poésie 1, N°21, mars 2000    

Le cherche midi éditeur, 2000 


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Na Hassi. Photo DR

Na Hassi et Elie Ramanankavana, la jeune garde


Poète-slameuse, performeuse, née à Madagascar en 1989, Na Hassi appartient à la jeune garde de la poésie malgache. Ses textes sont parus dans des ouvrages collectifs : Takelaka Tsara Soratra (RanjaSoa Publishing), Les mots d'une île à l'autre (éditions UDIR), Project-îles Revue, Revue Politikà, Catalogue Madame Zo (Fondation H) et Indigo. Son premier recueil de poésie Zana-bolana Femme Lunaire, parait en 2021. En 2024, elle transpose son écriture dans Text'île, une installation artistique lors de l'Exposition Vavy, les archives de nos vies. Sa première autofiction, Restez vivants !, paraît en 2024, dans le cadre de la XVe édition du Slam national de Madagaslam.


Ci-dessous : "Tisser des liens", performance de lecture poétique des textes rédigés en dialogue avec Madame Zo et ses œuvres, une déambulation dans les salles d'exposition de la Fondation H, mai 2023.



Né en 1995 à Antananarivo, poète, écrivain et critique malgache, Elie Ramanankavana s’est fait connaître en ligne avec des poèmes saisis au vol. Pénétrants, incisifs, ses textes sont porteurs d’une juste ivresse. Des mots qui n’hésitent pas à désosser le réel pour le laisser ouvert, les entrailles à l’air. Il incarne cette jeunesse malgache assoiffée d’écriture, qui s’empare de l’art pour briser les frontières de l’île.


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Elie Ramanankavana. Photo DR


Parmi ses poèmes, "Le géant" et "Chandelle noire" exposés à la Fondation H, dans le cadre du prix Paritana 2022 et 2023, "Vision", "Tisser les aiguilles de toute horloge" et autres exposés à Is'art Galerie en 2023. Dernier ouvrage paru : Encre et Lumière, un recueil de 18 poèmes édité aux éditions Mpariaka Boky


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  • Pour en savoir plus : en avril dernier, les éditions Seghers ont publié la première anthologie de poésie malgache, recueil de 368 pages, avec des textes réunis par Dominique Ranaivoson, qui écrit dans sa préface : "Cette anthologie est conçue comme une vaste promenade dans un imaginaire tantôt proche, voire commun, tantôt lointain. Elle permet à celui qui lit le français de comprendre qu'il ne peut entendre toutes les voix sourdant d'un ailleurs en partie inaccessible." (voir ICI)










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