La patate, nouveau talon d’Achille de Vladimir Poutine

En Russie, la pomme de terre, c’est quasiment sacré. Certes, il n’en a pas toujours été ainsi. La culture de la pomme de terre a été autoritairement imposée au début du 19ème siècle par le gouvernement tsariste sous la direction du comte Pavel Kisseleff. Les paysans de l’époque, souvent méfiants envers cette culture inconnue, surnommaient la pomme de terre « pomme du diable » et craignaient qu'elle ne soit utilisée pour les empoisonner ou les asservir. Dans plusieurs provinces, notamment dans l'Oural, la Volga et Viatka, les paysans détruisirent des plantations, attaquèrent des fonctionnaires et résistèrent aux forces de l'ordre. Entre 1834 et 1844, ces « émeutes des pommes de terre » furent sévèrement réprimées : des milliers de paysans furent arrêtés, certains exécutés, d'autres déportés en Sibérie ou enrôlés de force dans l'armée. En 1843, face à l'ampleur des révoltes, le gouvernement mit fin à l'obligation de cultiver la pomme de terre. Des incitations furent ensuite mises en place pour encourager sa culture, et le tubercule devint progressivement un aliment de base en Russie.

Sauf qu’aujourd’hui, la Russie traverse une crise majeure de la pomme de terre, marquée par une pénurie et une flambée historique des prix, qui ont augmenté de plus de 50 % en un an. Et ça continue, indique Meduza : au début du mois de mai 2025, le prix de détail moyen d'un kilo  de pommes de terre avait atteint un sommet historique de plus de 85 roubles (contre 30 roubles un an plus tôt). Et ce n'est que la moyenne nationale : dans certaines régions, les acheteurs ont été stupéfaits de voir des prix allant jusqu'à 200 roubles le kilo.

Depuis le début du conflit en Ukraine, la Russie a drastiquement limité ses importations de produits alimentaires en provenance de l’Union européenne, notamment des principaux fournisseurs de pommes de terre comme les Pays-Bas et l’Allemagne. Poutine comptait se tourner vers son ami Alexandre Loukachenko. Mais en Biélorussie aussi, la patate bat de l’aile, en raison de conditions météorologiques défavorables. Les stocks sont épuisés.

Ayant sacrifié la sécurité alimentaire à des fins politico-militaires, Poutine alimente ainsi…  le mécontentement intérieur. Vers de nouvelles émeutes des pommes de terre ?

• Photo en tête d’article : des ouvriers agricoles trient des pommes de terre issues d'un champ de la région sibérienne de Novossibirsk, le 19 septembre 2023. Photo Vladimir Nikolayev.