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Les "villes cachées" de la mafia russe qui saccagent Bali


La maquette du projet "Hidden City" (ville cachée), à Ubud, pour lequel ont été rasés trois hectares d'une "forêt sacrée". Photo DR.


REPORTAGE EXCLUSIF A Bali fleurissent des "villes cachées", complexes touristiques haut de gamme, financés par des promoteurs vraisemblablement liés à la mafia russe et au trafic de drogue. Et qui n'hésitent pas, pour leur quête de profit, à raser des "forêts sacrées".


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De notre envoyée spéciale à Bali. Ici, à 10.000 kilomètres de Kiev, des femmes en bikini sirotent des jus détox vitaminés au bord d'une piscine, des centres de relaxation promettent de se libérer du stress, et une chanteuse d'opéra chante en russe pour ambiancer les clients d’un centre commercial. On est à Parq Ubud, et on a volontiers troqué la réalité sordide de la guerre russo-ukrainienne contre le paradis balinais. Cette "ville du futur", ouverte aux « entrepreneurs, jeunes familles, artistes », entend rassembler des personnes qui « partagent les mêmes valeurs et intérêts », annonce le site internet. La clientèle visée : les expatriés russes et ukrainiens. C’est la ruée vers l'or pour les promoteurs, qui proposent un package d'idéaux utopiques et de revenus passifs. Ce modèle de ville chic et fermée a connu un tel succès qu’un deuxième complexe va ouvrir sur une plage. William Wiebe, le co-fondateur américain de Parq Ubud, a noté un afflux des ressortissants russes et ukrainiens et la montée en flèche des demandes d’appartements lorsque la guerre a éclaté. Les candidats doivent désormais s’inscrire sur liste d’attente. Sur place, ils peuvent compter sur l’aide de leurs compatriotes déjà présents. Anna Pomarina, à la tête d’un cabinet de conseil russophone à Bali, dit « aider des dizaines d’entreprises à s’installer en Indonésie, parce qu’elles cherchent à gagner à nouveau de l’argent pour leur famille ou qu’elles veulent développer leurs activités existantes ».



De gauche à droite : Ketut Liyer, le guérisseur balinais rendu célèbre par le livre et le film Mange, prie, aime.

Dewa Berratha, qui dirige une école qui enseigne aux enfants la culture traditionnelle balinaise à Ubud.

Kadek, le fils de Gede, joue du gamelan, la musique traditionnelle balinaise, dans un temple d'Ubud.

Photos Annika Blau


Tout a commencé avec les serpents. Dans les premiers mois de 2023, des serpents et des oiseaux ont commencé à envahir l'enceinte de Eat Pray Love. Puis, on a entendu des tronçonneuses provenant de la forêt située derrière la maison de Gede et Pupsita. Gede est le fils de Ketut Liyer, le guérisseur balinais qui a aidé Julia Roberts, dans le rôle d'Elizabeth Gilbert, à mettre le mot "prier" dans "Mange, prie, aime". La forêt - où Gede a passé son enfance à jouer et qui, selon les habitants, abritait des esprits - a rasée. Elle a été remplacée par trois hectares de terre. "Je suis très choquée", dit sa femme, Puspita : "Pourquoi personne n'a demandé la permission alors que notre village a été brisé ?"



De véritables "villes autonomes" fleurissent un peu partout à Bali.

A quelques encablures de Parq Ubud, "Hidden city" est en construction.

Au centre de l'île de Bali, entre rizières et ravins escarpés, le complexe abritera une centaine de logements,

des magasins, des restaurants, une salle de sport et même une boîte de nuit. Pour le faire émerger,

trois hectares de la forêt des singes d’Ubud, réserve naturelle sacrée, ont été rasés.


Sur l’Ile des Dieux, l’autre nom de Bali, le paradis des uns devient l’enfer des autres. Ces complexes drainent une faune sans respect des Balinais et de leur culture, et les habitants d’Ubud se plaignent de comportements choquants et d’incidents qui éclatent régulièrement. Dans ce village traditionnel, comme partout à Bali, des touristes roulent à vélo en simple bikini ou même nus - point sensible pour les Balinais, profondément religieux. Une série d'accidents de moto impliquant des Russes et des Ukrainiens a récemment soulevé des questions sur la sécurité de la circulation sur l'île. Un homme a posé nu en haut d’une montagne sacrée. Un artiste russe a peint une fresque anti-guerre sur une maison, et un adolescent russe a été surpris en train de vandaliser une école.


De quoi pousser les villageois à faire circuler une pétition contre Hidden city et à obtenir une audience avec les promoteurs pour tenter de savoir ce qui se trame dans leur forêt. Le projet n’est pas remis en question pour autant, et chaque jour qui passe, les fondations en béton de la ville cachée s'élèvent dans la forêt désormais rasée. À moins d'un miracle, rien ne peut arrêter les promoteurs.



Nicholas Markov, l’homme d'affaires ukrainien (russophone) à l'origine du projet Hidden City. Photo DR


Nicholas Markov, l’homme d'affaires ukrainien (russophone) à l'origine de Hidden City, affirme que les problèmes ont été résolus, et s’étonne que le village n’accueille pas favorablement son projet, qui fera travailler « plus de 700 personnes ». Interrogé sur la forêt rasée pour faire place au complexe, il avance que chaque arbre abattu sera remplacé par trois autres. Et insiste sur le fait qu'il ne développe pas un "village russe", bien que le projet soit partiellement financé par des investisseurs russes et que le site internet soit rédigé en langues russe et anglaise.


Jusqu'à il y a peu, le site web de "Hidden City" indiquait que le principal partenaire du projet était une entreprise moscovite qui construit des zones industrielles dans toute la Russie, MBM. "Ce sont de vieux amis qui ont une très bonne expérience de la construction, c'est pour cela que nous travaillons ensemble", avait indiqué à un journal local Nicholas Markov, avant de retirer du site internet toute référence à cette entreprise, qui semble être lié"e à la mafia russe et au trafic de drogue.


Après la pandémie de Covid et avant la guerre, Bali était déjà devenue une destination incontournable pour de nombreux Russes et Ukrainiens. L'île se présente comme un lieu de travail pour les nomades numériques, promettant des visas de longue durée à une population instruite et férue de technologie. En décembre 2023, les autorités indonésiennes ont même annoncé l'élargissement de la liste des pays pour lesquels le visa deviendra facultatif, parmi lesquels la Russie et l’Ukraine. 200 000 milliards de roupies indonésiennes devraient ainsi être générés dès l'année prochaine.


Pour le professeur Alexey Muraviev, grand expert de l'influence de la Russie en Asie, le tourisme russe renforce le pouvoir du Kremlin, et relève du soft power : « Les touristes russes jouent un rôle important dans l'apport de revenus étrangers dans un certain nombre de destinations. Et il est certain que le volume de touristes russes et les dollars qu'ils apportent ont un impact sur la façon dont les pays hôtes perçoivent leurs relations stratégiques avec la Russie ». Alors que d'autres pays ont rejeté les touristes russes depuis la guerre en Ukraine, l'Indonésie les a accueillis, discutant même de vols charters directs entre les deux pays. La manne financière ne serait pas la seule raison. Selon Alexey Muraviev, la Russie courtise le gouvernement islamique de Jakarta, capitale indonésienne, et utilise son importante communauté musulmane pour nouer des liens avec des pays islamiques comme l’Indonésie. Les deux pays auraient conclu un accord d'échange de renseignements. En ce qui concerne la Russie, Bali est donc ouverte aux affaires…


Après "Hidden City" à Ubud, d'autres projets sont en cours : sur l'île de Sumba, et même sein du Parc national de Komodo, théoriquement réserve protégée (voir ICI). Mais la mafia jouit de tous les passe-droits possibles et imaginables.


Aurélie Marty


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