top of page
Naviguez dans
nos rubriques

Climat : grand-mère Courage



« Ma maison est mon seul péché climatique. Elle est trop grande pour deux », avoue Rosmarie Wydler-Wälti dans son jardin à Bâle.

Photo Keystone


Elles ont plus de 64 ans. On les appelle les Aînées, et après un long combat, elles ont fait condamner la Suisse pour inaction climatique, par la Cour européenne des droits de l'homme. Une première historique. Rencontre avec l'une de ces "Aînées", Rosmarie Wydler-Wälti, écologiste et féministe depuis toujours.


Pour grandir, ou simplement continuer, les humanités, journal-lucioles, a besoin de vous.

Pour s'abonner : ICI. Pour s'inscrire à notre infolettre : ICI


Historique. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé, mardi 9 avril, que le gouvernement suisse avait violé les droits de l'homme de ses citoyens en ne faisant pas assez pour lutter contre le changement climatique.

L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, qui donne raison aux plus de 2.000 Suissesses qui ont porté l'affaire devant les tribunaux, devrait avoir des répercussions sur les décisions judiciaires rendues en Europe et au-delà, et inciter davantage de communautés à intenter des actions en justice contre les gouvernements pour des raisons climatiques.


Ces Suissesses n'ont pas l'âge de Greta Thumberg, mais la fougue n'a pas d'âge. Connues sous le nom de KlimaSeniorinnen et âgées de plus de 64 ans, elles ont déclaré que l'inaction de leur gouvernement en matière de climat les exposait au risque de mourir pendant les vagues de chaleur. Elles ont fait valoir que leur âge et leur sexe les rendaient particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique.


Dans son arrêt, la présidente de la Cour, Siofra O'Leary, a déclaré que le gouvernement suisse n'avait pas respecté ses propres objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et n'avait pas établi de budget carbone national. "Il est clair que les générations futures risquent de supporter de plus en plus lourdement les conséquences des manquements et des omissions actuels en matière de lutte contre le changement climatique", a déclaré Mme O'Leary.


L'Office fédéral de la justice, qui représentait le gouvernement suisse au tribunal, a pris acte de la décision.

Le verdict dans l'affaire suisse, qui ne peut faire l'objet d'un appel, aura des répercussions internationales, notamment en établissant un précédent juridique contraignant pour les 46 pays signataires de la Convention européenne des droits de l'homme.



Des membres de Senior Women for Climate Protection réagissent après le verdict du tribunal à Strasbourg, le 9 avril 2024.

Photo Christian Hartmann / Reuters


A la pointe de ce combat, l'une de ces dames s'appelle Rosmarie Wydler-Wälti.


Du séjour de la maison mitoyenne qu'elle habite avec son mari à Bâle, on voit un petit jardin. Des livres sur la crise climatique s’empilent sur un canapé. L’un d’eux est intitulé How Women Can Save the Planet. « Cette maison est mon seul péché climatique », avoue-t-elle d’entrée. Elle est équipée de panneaux solaires, mais elle est trop grande pour deux. Rosmarie Wydler-Wälti essaie depuis toujours de mener un mode de vie durable. Elle n’achète que ce dont elle a besoin, ne prend plus l’avion depuis longtemps et conserve «chaque bout de ficelle et petit sachet». Recycler plutôt que jeter: ce principe lui a été inculqué par ses parents.


Un devoir de protection de l’État ?


Jeune mère déjà, elle participait au mouvement écologiste et féministe. Et elle a été marquée par l’année «traumatisante» de 1986, avec la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et l’incendie d’un hangar de produits chimiques près de Bâle. «Les enfants ne pouvaient plus sortir, car on ne savait pas si l’air était empoisonné», se souvient-elle. Rosmarie Wydler-Wälti n’est membre d’aucun parti et n’a jamais rempli de mandat politique. Mais lorsque l’association "Aînées pour la protection du climat" a été fondée en 2016 sur une idée de l'ONG Greenpeace, elle a tout de suite été prête à en prendre la coprésidence. Elle partage cette fonction avec la Genevoise Anne Mahrer, 75 ans, ancienne conseillère nationale des Verts en Suisse.


Aujourd’hui, l’association compte près de 2.500 membres, toutes des femmes de âgées de 64 à plus de 90 ans. Toutes unies par la conviction que la Suisse devrait en faire plus pour réduire les gaz à effet de serre et atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Les Aînées s’appuient sur la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. L’État a un devoir préventif de protection, avancent-elles, il doit protéger le droit à la vie. Les vagues de chaleur dues au réchauffement climatique, plus fréquentes et plus intenses, représentent une menace, soulignent-elles. Elles entraînent davantage de maladies et une mortalité accrue chez les seniors, en particulier les femmes.


Vagues de chaleur mortelles


Les statistiques démontrent en effet que les plus vulnérables faces à la chaleur sont les femmes âgées. D’après une récente étude de l’Institut tropical et de santé publique suisse, commandée par les offices fédéraux de la santé publique et de l’environnement, la Suisse a enregistré 474 décès dus à la chaleur durant l’été de 2022. Toutes les victimes avaient plus de 75 ans, et 60 % étaient des femmes. La part des décès dus à la chaleur par rapport à la mortalité totale a donc été plus importante chez les femmes de cette classe d’âge que chez les hommes. Le fait que les Aînées n’acceptent en leur sein que des femmes a donc aussi des raisons tactiques: «Nous pouvons faire valoir que nous sommes concernées», note Rosmarie Wydler-Wälti.


Les Aînées ont suivi la procédure judiciaire nationale et échoué trois fois: auprès du Département de l’environnement, du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal fédéral. Ce dernier a estimé qu’elles n’étaient pas assez atteintes dans leurs droits. En 2020, elles ont donc décidé de se rendre à Strasbourg: l’association et quatre femmes ont intenté une action contre la Suisse auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En mars 2023, une assemblée de 17 juges les a reçues en audience publique. Les avocats des plaignantes et les représentants du gouvernement suisse ont fait valoir leurs arguments. Ces derniers ont notamment avancé que la protection climatique est une tâche politique complexe, et non une affaire relevant des tribunaux.


« Nous avons déjà perdu beaucoup de temps »


Présente dans la salle d’audience, Rosmarie Wydler-Wälti a eu l’impression « que pour la première fois, on nous prenait vraiment au sérieux ». Le cas des Suissesses pourrait même créer un précédent pour les États du Conseil de l’Europe, dont la Suisse fait partie depuis 1963. Car il s’agit de la première fois que la CEDH examine un possible lien entre protection climatique et droits de l’homme. Mais pourquoi les Aînées n’essaient-elles pas de rassembler des majorités par la voie démocratique en Suisse, comme cette année, quand le peuple a accepté une nouvelle loi sur le climat ?


Depuis qu’elles ont saisi la CEDH, et aujourd'hui gagné, les Aînées sont connues. Les gens les félicitent pour leur courage et leur ténacité. Ou leur suggèrent de retourner garder leurs petits-enfants. Dans un e-mail anonyme, quelqu’un leur a écrit que jadis, les femmes comme elles étaient condamnées au bûcher. « Être comparée à une sorcière est un compliment, juge Rosmarie Wydler-Wälti, car c’étaient des femmes fortes. »


Nadia Mével


------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Les humanités / journal-lucioles, ce n'est pas pareil.

Pour dire que oui, et soutenir : Abonnements (5 € par mois ou 60 € par an), ou dons, essentiels à la poursuite de cette aventure éditoriale : ICI

79 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page