Madagascar, la révolution qui advient
- Jean-Marc Adolphe
- il y a 4 heures
- 6 min de lecture

Samedi 11 octobre à Antananarivo, des soldats malgaches se sont joints
aux manifestations menées par le collectif Gen Z. Photo DR
Et le pouvoir vacille... Dès le 27 septembre, deux jours après le début de la fronde menée à Madagascar par le collectif Gen Z, nous avons alerté sur l'importance de ce mouvement, en expliquant les raisons profondes du soulèvement. Depuis, à Antananarivo comme dans d'autres villes du pays, les manifestations n'ont pas cessé. Le départ du président Andry Rajoelina est désormais réclamé par le mouvement Gen Z. Hier, samedi 11 octobre, une unité cruciale de l'armée a refusé de tirer sur les manifestants et a rejoint la contestation. Pour le poète et journaliste Elie Ramanankavana, « le divorce est consommé (et) un point de non-retour a été franchi ».
Au petit matin de ce dimanche 12 octobre, à Antananarivo, « la ville est très calme », indique Sarah Tétaud, correspondante à Madagascar de RFI (fil d’actualités à suivre ICI), « mais il est difficile encore de savoir à qui la confiance politique du pays va être accordée », ajoute-t-elle. La fronde lancée depuis le 25 septembre par le collectif Gen Z (sur les humanités, lire ICI), née de la colère contre les coupures d’électricité et d’eau, a pris de l’ampleur.
Le mouvement touche désormais toutes les grandes villes du pays (Toliara, Antsiranana, Toamasina, etc.), et le ras-le-bol (« Leo be », "il y en a marre") s’est étendu à la dénonciation de la corruption, des inégalités et des conditions de vie. Les revendications ont évolué vers des demandes plus politiques telles que la démission du gouvernement, du préfet de la capitale, et des excuses publiques de l’exécutif. La réaction des autorités a été extrêmement brutale : usage de gaz lacrymogène, grenades assourdissantes, et tirs à balles réelles sur les manifestants… Le président malgache Andry Rajoelina est aujourd’hui dans le collimateur de la contestation. Le 6 octobre, il a nommé comme Premier ministre un militaire, le général Ruphin Zafisambo, qu’il a chargé d’une « médiation » via le Conseil œcuménique des Eglises Chrétiennes. En vain : les manifestations n’ont pas cessé.
Un cap décisif semble avoir été franchi ce samedi 11 octobre : des membres du CAPSAT, une unité militaire clé, ont appelé à la désobéissance et soutenu les manifestants, escortant certains sur la place du 13 Mai. Des vidéos montrent des soldats sommant leurs pairs de refuser de tirer sur la population (voir ci-dessous)
Selon des médias locaux, les services de secours font état de deux personnes décédées lors manifestations de ce samedi, ainsi que 26 personnes blessées. « On est venus pour accompagner le peuple » explique ainsi le colonel Mickaël Randrianirina, « et lorsqu'on est passés devant le Toby de Ratsimandrava (1), il y avait un blindé de la gendarmerie qui a fait feu sur nous deux fois. Ils ont touché un militaire et un journaliste. Le journaliste a été touché, tandis que le militaire est mort », ajoutant : « Nous ne sommes pas payés pour tirer sur les gens et les torturer. Ce sont nos amis et nos enfants ».
La présidence malgache a dénoncé, ce dimanche 12 octobre au matin, « une tentative de prise de pouvoir illégale par la force actuellement en cours sur le territoire national », appelant les forces vives de la nation à faire bloc pour « défendre l'ordre constitutionnel et la souveraineté nationale ». Mais le président est-il encore à son poste ? Rien n’est moins sûr : certaines sources, invérifiables pour l’heure, affirment qu’il aurait pris la fuite.
D’heure en heure, la situation risque donc d’évoluer. Ce dimanche, la Gen Z a appelé une nouvelle fois à manifester, à partir de 11 h, dans les rues de la capitale. Dans l’attente de nouvelles informations, nous publions ci-dessous un texte publié sur sa page Facebook par le du poète et journaliste Elie Ramanankavana (voir notre publication du 28 septembre sur les « voix malgaches », ICI), avec qui les humanités sont resté en en contact.
Jean-Marc Adolphe
(1). Lieu symbolique pour les forces armées et les célébrations militaires à Madagascar, le Toby de Ratsimandrava est une base de la gendarmerie nationale malgache située à Andrefan'ambohijanahary, à Antananarivo, capitale de Madagascar. Le terme « toby » signifie camp ou poste en malgache. Ce site porte le nom du colonel Richard Ratsimandrava, ancien chef de la gendarmerie et chef d'État malgache en 1975, assassiné quelques jours après son accession au pouvoir.

Illustration : Jz Rabibisoa
ET MAINTENANT? ... PROTECT THE Z REVOLUTION,
par Elie Ramanankavana
Et maintenant ? La question poignard qui retourne le ventre. Et maintenant ? Le noir total ? L’histoire se tait ? Oracle, dis-nous la vérité qui travaille le ventre du passé et qui enfantera l’avenir.
Les faits ? Les forces de l’ordre sont divisées. Les tirs ouverts sur le Toby Ratsimandrava sont une déclaration de guerre. Chaque détonation disait : « Gendarme, tenez-vous bien ; l’armée ordonne ». Peu importe la courte insistance du Premier ministre Zafisambo Ruphin dans son allocution du 11 octobre, la division a été signée à feu et à sang, celui d’un militaire tombé sous les balles de tireurs embusqués, très probablement issus des rangs de la gendarmerie.
Le divorce est consommé. Un point de non-retour a été franchi. Sur quoi repose désormais le régime ? L’armée a basculé. Peu importe la masse d’hommes que compte encore la gendarmerie, et la vacillation de leur loyauté jour après jour, le rapport de forces est clair : l’armée dispose d’une puissance de feu que la gendarmerie ne pourra jamais égaler. La légitimité est enterrée. Les communications échouent coup sur coup. La force ne tient plus la route. Le régime n’est plus acculé, il est pendu par les pieds dans une cage à loups.
Nous sommes entrés dans la cinquième phase des mouvements populaires malgaches, celle où l’armée bascule. Le mouvement mené de front par la Gen Z, lent mais persévérant, montre désormais une efficacité sans pareil. Jamais l’armée n’a basculé aussi vite.
Deux scénarios se dessinent. Le premier reste celui d’un directoire militaire, plus que probable. Le second, plus porteur d’espoir, serait la neutralisation effective du président de la République dans un dispositif le tenant au cou jusqu’à la fin de son mandat. Ce scénario pourrait s’accompagner d’une interdiction de sortie du territoire et de l’ouverture d’un procès devant une juridiction spéciale et indépendante. Un tel processus viserait à traduire devant la justice les responsables des exactions et des morts perpétrés par la Gendarmerie nationale, Andry Rajoelina en tête. En tant que chef suprême des armées, il incarne le plus haut commandement et doit répondre des actes de ses subordonnés. L'article 114 du Code Pénal Malgache réprime les attentats à la liberté (garantie par la constitution), en ces termes : "Lorsqu'un fonctionnaire public, un agent ou un préposé du Gouvernement aura donné ou fait quelque acte arbitraire ou attentatoire, soit à la liberté individuelle, soit aux droits civiques d'une ou de plusieurs citoyens, soit à la Constitution, il sera condamné à la peine de dégradation civique. Si néanmoins il justifie qu'il a agi par ordre de ses supérieurs, sur des objets du ressort de ceux-ci, sur lesquels il leur était dû l'obéissance hiérarchique, il sera exempt de la peine, laquelle sera, dans ce cas, appliquée seulement aux supérieurs qui auront donné l'ordre". La dégradation civique impliquant "la destitution et exclusion de toutes fonctions, emplois ou offices publics, la privation du droit de vote, d'élection et d'éligibilité", elle constituera ainsi l'épitaphe sans concession d'un Prézida sans vergogne.
Quoi qu'il en soit, ça empeste la chair décomposée d'un président mort-vivant. À l'entour, déjà, rôdent les charognards. Leurs rondes nous rappellent brutalement que toute révolution porte en elle les germes de sa propre trahison. Leur appétit est un appel à faire plus que jamais preuve de lucidité et d'intelligence. La mer est plus que jamais politique, la barque doit s'adapter où elle coulera à mi-chemin du rivage. Alors, à tous ceux qui ont à cœur la qualité des rayons de soleil que demain nous réserve, à tous ceux qui se posent la question "Et maintenant ?", je vous dis PROTECT THE Z REVOLUTION !.
Elie Ramanankavana
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