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Olivier Masmonteil : peindre le paysage, puis en explorer l’invisible

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Olivier Masmonteil, Sans titre 5, 2024, Huile sur toile, 180x160cm


Grand entretien suivi de portfolio : l’artiste peintre Olivier Masmonteil revient sur les trois grandes phases de sa vie artistique — de l’apprentissage à la « destruction » de la peinture — et sur sa quête d’un langage pictural capable de saisir non seulement le paysage visible, mais aussi ce qui le traverse, en écho aux transformations profondes du monde qui l’entoure.

 

Olivier Masmonteil, né en 1973 à Romilly-sur-Seine, est l’un des peintres français les plus singuliers de sa génération, installé à Paris mais nourri par une enfance corrézienne et une pratique du voyage quasi permanente. Longtemps identifié comme « peintre de paysage », il a fait de ce genre apparemment académique un véritable laboratoire où se rejouent mémoire intime, histoire de l’art et fantasme de l’horizon.Formé à l’Académie Jacques Gabriel Chevalier de Brive puis à l’École des beaux-arts de Bordeaux, Olivier Masmonteil persiste dans la peinture alors même qu’on lui annonce sa disparition, revendiquant un métier scrupuleux, technique, patiemment construit dans la durée. Ses paysages, souvent composés de mémoire, fonctionnent comme des cartographies sensibles où se superposent souvenirs de Corrèze, réminiscences de voyages au long cours et citations détournées des grands maîtres, de la peinture classique aux avant-gardes modernes.


Depuis 2012, l’artiste élargit son champ à d’autres genres – portrait, nu, nature morte – tout en continuant de revisiter la mémoire collective de la peinture à travers de vastes séries, comme autant de chapitres d’un roman pictural en cours. Fidèle au figuratif mais travaillant par strates, collages et glissements d’échelles, il compose des images où l’horizon devient à la fois motif, ligne de fuite et question philosophique, invitant le regardeur à habiter le tableau plutôt qu’à le contempler à distance.


Sa récente exposition « Parfois j’ai peint le paysage », présentée de novembre 2024 à janvier 2025 dans les Salons Aguado de l’Hôtel d’Augny à Paris, prolongeait cette réflexion sur la persistance du paysage à l’ère contemporaine : loin de la carte postale, la toile y devient un territoire d’expérimentation où se confrontent désir de peinture, doute, et joie obstinée de continuer à regarder le monde.


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Olivier Masmonteil dans son atelier parisien, en mars 2019. Photo Frédéric Elin.


ENTRETIEN


Isabelle Favre - Une vie d’artiste, et singulièrement de peintre se construit selon vous en trois étapes. Pour ce qui vous concerne aussi ?

 

Olivier Masmonteil - Dans ma propre histoire, je vois trois chapitres. Chapitre 1, la possibilité de peindre.  Chapitre 2, le plaisir de peindre et Chapitre 3, détruire la peinture. Ces trois étapes dans la vie d'un peintre, je les ai observées chez de grands artistes que j'aime bien. Chez Titien (mort en 1576 à Venise) cela commence par son apprentissage chez Bellini, ce premier chapitre de la possibilité de peindre. Puis ensuite, il devient le plus grand peintre maniériste de Venise : c'est la deuxième phase. Enfin, la troisième phase sa palette s'obscurcit : il perd son fils, Venise est ravagée par la peste. On sent qu’autre chose l’habite.

 

Au XIXe siècle : Claude Monet. Lors de sa phase d'apprentissage avec Eugène Boudin, il s’initie à la peinture en extérieur. Puis commence la grande phase impressionniste. A l’âge de 50 ans, apparaissent les séries, les meules de foin, les cathédrales de Rouen, les boucles de la Seine, et puis, bien sûr, les nymphéas : on sent qu'il y a une autre préoccupation dans sa peinture

 

Plus proche de nous, Pierre Soulages : après une période d'apprentissage, puis la période d'abstraction lyrique, les Outrenoirs

 

Ces trois phases de la vie, je les ai aussi trouvées dans la parabole du chameau, du lion et de l'enfant racontée par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra : d’abord, la traversée du désert par le chameau, avec sa culture, son éducation. Puis vient la phase du lion, cette phase où on s'adresse au monde, avec une sensation de toute puissance. Et puis lors de la dernière phase, l'enfant doit tuer le lion, pour retrouver quelque part cette innocence des débuts. On retrouve la notion d'éternel retour...


Concrètement, comment avez-vous abordé ces trois chapitres ? 

 

Olivier Masmonteil - Dans un premier temps, avec mon paysage originel ; j'ai grandi dans le Limousin, dans un village à côté de Tulle, Saint-Fortunade. C'est le paysage autour de moi qui m'inspirait, je pêchais beaucoup à la mouche : il y avait les rivières, les cascades, les ciels. J'ai appris à peindre en regardant le paysage. 

Puis, après mes premières expositions, j'ai voulu comprendre le langage de la peinture, en étudiant celui des plus grands peintres. J'ai commencé à m'en inspirer, à copier certains, à travailler dans un foisonnement de sujets, de styles de peinture.

Enfin, en 2024, j'ai ressenti le besoin de faire à nouveau évoluer ma peinture, d’aller un peu plus loin, et je me suis aperçu que j’étais en train d’entrer dans le chapitre 3, celui que j’appelle « Détruire la peinture ». Je trouve que cela correspond finalement bien à l'attitude que j'ai aujourd'hui avec le paysage, une attitude plus sensorielle, envers l'invisible du paysage, et qui m’oblige à détruire tout ce que j'ai appris.

 

Détruire le paysage, en peinture, mais y a-t-il une idée sous-jacente sur l’évolution du paysage qui vous environne ?

 

Olivier Masmonteil - Oui, j’aborde cette période dans mon travail alors que le monde s'effondre autour de moi, c'est-à-dire que les rivières où j'ai appris à pêcher disparaissent ; petit à petit, elles perdent leur vie. Dans la rivière Dordogne où j'ai beaucoup pêché, elle est en train de disparaître. Il n'y a plus d'insectes, il n'y a plus de poissons, c'est très triste. Certaines des rivières où j'ai appris à pêcher avec mon grand-père ont totalement disparu, elles sont asséchées.

Certains arbres sont en train de mourir. Forcément, le rapport au paysage change, c'est mon sujet et mon sujet est en train de mourir. Donc, je le peins plus de manière sensorielle, je cherche l'invisible du paysage. C'est un changement de motif : d'un motif visible, l'arbre, la rivière, les cascades, à un motif invisible, le vent, la chaleur, une forme de lumière, des motifs beaucoup moins tangibles, difficiles à représenter, soit avec la photo, soit avec la peinture. La musique a pu le représenter, classiquement Le printemps de Vivaldi : quand on écoute cette musique, on entend, on « voit » le printemps, mais ce n'est pas une représentation visible.

 

Vous essayez de représenter ces figures invisibles ?

 

Olivier Masmonteil - En fait, c'est plus une présence qu'une figure ou une figuration. On sent qu'il peut y avoir un personnage dans le tableau, on sent qu'il peut y avoir une rivière, mais elle n'est pas matérialisée par ce qui la représente. Elle est matérialisée par l'émotion qu'elle peut provoquer, par des couleurs. Tout d'un coup, une couleur devient plus liquide, une autre couleur plus matérielle. Et ça, la peinture à l'huile le permet. Pour y parvenir, il m’a fallu ces 25 ans de peinture, à comprendre quel était l'outillage de la peinture, et en même temps, à comprendre comment on pouvait représenter les choses du monde invisible.

 

Vous avez beaucoup peint par séries, et même plusieurs séries à la fois. Pouvez-vous décrire cette manière de travailler ?

 

Olivier Masmonteil - En premier lieu, il y a des raisons techniques : la peinture à l'huile met un certain temps à sécher, donc à chaque fois que j'interviens sur un tableau, il faut que j'attende une semaine ou 10 jours avant de le reprendre. Donc ça me laisse le temps d'en démarrer d'autres. Ces séries évoluent en fonction du format, de ce que je cherche à évoquer : il y a des séries qui sont plus sur la nuit, des séries qui sont plus sur une saison, qui sont plus sur un type d'environnement. Généralement j'en démarre plusieurs, je démarre 5 ou 6 tableaux d'une série. Souvent travailler sur plusieurs tableaux en même temps fait que les tableaux se nourrissent les uns les autres. Une solution que j'ai trouvée sur un tableau, je la teste sur un autre, un accident qui est arrivé sur un tableau peut faire apparaître autre chose sur un tableau à côté. Travailler plusieurs tableaux en même temps, de différents formats permet d'interroger un sujet de différentes manières.

 

Vous dites qu'un peintre passe plus de temps à regarder son tableau qu'à le peindre ?

 

Olivier Masmonteil - En peinture, le temps d'action finalement est très court, par rapport au temps de réflexion et d'observation. Là encore, c’est une question technique parce qu'il faut laisser sécher. Mais pas seulement. Non, pas seulement. Quand un tableau semble terminé, généralement je le cache pour ne pas le voir pendant 10 jours. Parce que c'est une façon de le mettre un peu au repos, et quand je le retourne pour le regarder à nouveau, des éléments ressortent qu'il faut modifier, ou à l'inverse je me dis : « maintenant il est fini, tout marche correctement ».

 

Vous avez évoqué les différents formats des toiles sur lesquelles vous travaillez. Que créent ces différences ?

 

Olivier Masmonteil - Je classe les tableaux en trois tailles : les plus petits que moi, les plus grands que moi, et ceux qui sont à mon échelle. Les plus petits que moi ont une taille de 50 cm par 60 cm maximum. Avec ces tableaux, on a un rapport plus intellectuel, on est assis devant sa toile, comme pour de l'écriture, on intellectualise beaucoup plus, on est obligé de mettre beaucoup moins de matière, donc il se passe des choses plus subtiles. Dans les tableaux plus grands que moi, on est totalement immergé, ces tableaux impliquent le corps, c'est presque une danse face au tableau, on est obligé de faire des grands gestes. Il y a ce rapport au corps et à l'immersion dans le paysage, comme si le corps était dans le paysage. Avec les tailles intermédiaires, il y a confrontation du corps et de la pensée, comment parvenir à mêler les deux.

 

Dans un autre moment de votre travail, vous avez revisité à votre manière des tableaux de maîtres, de peintres qui ont marqué l'histoire de l'art. Pouvez expliquer ce qui vous motive, ce que vous voulez créer par ce travail ?


Olivier Masmonteil - Ce travail fait partie du chapitre précédent « Le plaisir de peindre ». Chaque peintre a son propre langage et j’ai voulu comprendre le langage de ceux que j'aimais. Je voulais essayer d'apprendre à parler « le » Vermeer, à parler « le » Poussin, à parler « le » Titien, à parler « le » Courbet, à parler « le » Monet. La seule manière qu'on a, en tant que peintre, pour acquérir ce langage, c'est copier pour essayer de comprendre comment ces peintres utilisaient la couleur, comment ils utilisaient leur palette, comment ils travaillaient leur touche, comment ils fabriquaient leurs tableaux. Après être entré dans ce langage par la copie et avoir commencé à le comprendre, j'ai voulu l’amener vers un langage qui m'était propre.  J’ai essayé de voir comment je pouvais faire mien le langage de Vermeer, comment je pouvais le ramener à moi en partant de lui.


Il y a une forme de dialogue quand même ? 

 

Olivier Masmonteil - Oui, il y a une forme de dialogue. Quand on copie un peintre, on a l'impression de lui parler. Et il y avait des moments assez troublants dans l'atelier avec la certitude que la palette qu'on avait trouvée, c'était la palette qu'avait Vermeer à ce moment-là. Alors, tout d'un coup, on se dit « il a mis ce bleu ! ». Et ce bleu, si je le mélange à ce rose qu'il avait mis juste avant, ça donne le violet d'un autre élément du tableau. On redécouvre comment telle couleur était utilisée par ce peintre, quelque part c’est comme pour une recette de cuisine.


La couleur joue un rôle décisif ?

 

Olivier Masmonteil - Je pense que la couleur joue un rôle pour tous les peintres, mais... ce n’est pas le même.  Et puis, il y a eu des évolutions au cours de l'histoire de l'art. A la Renaissance, on diversifie les pigments, on invente la peinture à l'huile. Venise est un port important où des pigments minéraux ou organiques arrivent du monde entier. La couleur va éclater, faisant des Vénitiens des « peintres de la couleur ». Et au même moment, au nord de l'Europe, des peintres flamands inventent la peinture à l'huile. La Renaissance en peinture, c'est la rencontre du nord et du sud, la rencontre de la peinture à l'huile et de la couleur.

 

Alors, on travaille la couleur sur les palettes de façon linéaire. C'est-à-dire qu'on part d'une teinte, on va vers une autre, horizontalement, et on compose sa couleur comme ça. Au milieu du XIXe, un scientifique qui s'appelle Chevreul, qui s'intéresse beaucoup à la couleur va établir la théorie des trois couleurs primaires qui permettent de réaliser toutes les autres couleurs du cercle chromatique. Les peintres vont commencer à changer leur manière de peindre et à décomposer la couleur de façon circulaire. L'invention du tube de peinture va permettre d'aller peindre en extérieur. Tout cela change complètement la manière d'utiliser la couleur. Plus récemment apparaissent des pigments chimiques qui font à nouveau travailler la couleur différemment. La fabrication des couleurs va s’industrialiser, ce qui va faire baisser le prix de la peinture rendant possibles les démarches nouvelles du XXe siècle.

 

Vous parlez du prix de la peinture pour les peintres. Vous êtes aussi sensibles aux formes d’élitisme du côté des regardeurs, à la récente financiarisation de l’art ?

 

Olivier Masmonteil - La peinture a toujours été associée au pouvoir. Depuis Lascaux, la peinture renferme quelque chose de magique. Elle a certainement servi à expliquer des mythes ; les premiers peintres étaient probablement des chamanes. Plus tard, les peintures ont permis de représenter les batailles, la puissance des rois, des princes, la puissance de l'église, au service du pouvoir. Au XVIIe, la bourgeoisie a commencé à s'intéresser à la peinture, elle est devenue un signe extérieur de richesse dans leur intérieur. Dans les Flandres comme en Italie ou en France, la peinture, tout en se démocratisant, est restée l'apanage d'une certaine classe bourgeoise qui pouvait commander les peintures.

 

Au milieu du XXe siècle, des mouvements d’avant-garde ont essayé de remettre en cause la peinture bourgeoise : des artistes comme Marcel Duchamp, le groupe Supports/Surfaces… Dans les années 1980, la peinture a commencé à faire l'objet de véritables spéculations financières :  les gens achetaient la peinture dans l'espoir de la revendre plus chère. Cela a fait la fortune des salles des ventes, il y a eu l'essor des galeries, et le fantasme qu'un tableau acheté 5 000 euros pouvait valoir plus tard plusieurs millions

 

Donc ça a provoqué cette financiarisation du monde de l'art. A la mort de Jean-Michel Basquiat en 1988, tout le monde a voulu avoir un tableau de Basquiat, ce qui a déclenché une envolée des prix. Depuis, beaucoup de gens ultrariches ont cherché à spéculer sur l'art. Il est fait de pièces uniques. Dans un marché capitaliste, une pièce unique a énormément de valeur quand on peut la reproduire en objets à l'infini. Dans la société de consommation où on peut fabriquer des vêtements à l'infini, on peut fabriquer des objets à l'infini. L'art, crée des objets uniques.

 

Selon moi, on est arrivé au paroxysme de cette spéculation avec des tableaux qui valent plusieurs millions. Certains peintres vivants sont en train de contester la valeur financière accordée à leurs propres tableaux et disent qu’à force d’imaginer l'argent qu’ils représentent, on ne les regarde plus. On peut faire un parallèle avec la spéculation sur le vin : on achète une bouteille de Pétrus, mais on ne la boit pas parce qu'elle coûte trop cher. Au final, plus personne ne sait quel goût a le Pétrus puisque personne ne veut le boire et tout le monde garde la bouteille dans sa cave. De la même manière aujourd'hui, certaines peintures ne sortent plus des coffres.

 

A l’heure actuelle, des artistes s’engagent pour lutter contre cette tendance ?


Exactement. Pour lutter contre cette spéculation. En octobre dernier avait lieu Art Basel Paris [la FIAC - La Foire internationale d’art contemporain, qui avait lieu chaque année depuis 1974 au mois d’octobre à Paris, s’est arrêtée en 2022 et reprise par le groupe suisse MCH, propriétaire de la foire Art Basel, une « marque » - NDLR] ; c'est le marché mondial de l'art contemporain. Je suis allé le visiter : sur la plupart des stands, il y avait des tableaux à plusieurs millions d'euros. A l’évidence, l'objet de cette foire ce n'est pas de pouvoir regarder la beauté des tableaux mais de savoir combien ils valent et si c'est un placement intéressant que d'acheter telle œuvre d'art.

 

Pour essayer de sortir de ce système, il y a de plus en plus d'initiatives de peintres. Avec l'utilisation du multiple, notamment : la lithographie, la gravure, toutes les techniques de l'estampe permettent de faire une œuvre à plusieurs exemplaires ce qui fait baisser son prix. Par ailleurs, certains artistes refusent de vendre leurs œuvres au-delà d'un certain prix. Toute la difficulté est de ne pas se faire récupérer par le marché. Pour ce qui me concerne si, demain, je vends une œuvre à 5 000 euros, j'essaie de faire attention à ce que la personne l'achète réellement pour sa valeur artistique, parce qu'elle aime cette toile et qu'elle ne va pas s'amuser à la revendre beaucoup plus cher, dans six mois.  Quelque part, on choisit les personnes à qui on vend les tableaux.

 

Quel rôle jouent les galeries ?

 

Olivier Masmonteil - Certains galeristes exposent un artiste qui a du succès et lui demandent de faire toujours la même chose. Ou le galeriste se dit « J'expose cet artiste et je vais le faire acheter par un très grand collectionneur, ça va faire augmenter son prix ». Très peu de galeristes disent « ce que j'aime, c'est la démarche de cet artiste et je vais l'accompagner le plus longtemps possible pour voir jusqu'où il va amener ce parcours, cette démarche ».

 

Je travaille très peu avec les galeries pour éviter ces écueils. La rare galerie avec laquelle je travaille, c'est la galerie Antoine Dupin : je l'aime beaucoup parce que justement, ce qui l'intéresse, c'est de voir comment je vais faire évoluer mon travail. Pour ça, il essaie de défendre, et bien sûr de vendre mon travail, mais de le vendre au prix qui nous semble l'un et l'autre correct et ne pas s'amuser à le faire grimper dans des sommes beaucoup trop élevées. Cela priverait un certain nombre de gens de la possibilité d'acheter une œuvre et puis cela serait en désaccord avec ma volonté d’assumer une certaine forme de sobriété. Je suis sensible aux propos qui envisagent d’arrêter la société de consommation. Je n'ai pas besoin de vendre cher parce que je n'ai pas envie d'avoir une grosse voiture. Je n'ai pas envie de vendre quelque chose que je ne suis pas capable d'acheter. Je n'ai pas envie de dépenser de l'argent inutilement. Mon travail de peintre me suffit et l'argent que je gagne me suffit parfaitement pour avoir une vie très heureuse.


Vous donnez une part importante au collectif ?

 

Olivier Masmonteil - Le métier de peintre, on le voit souvent comme quelque chose de très solitaire. Il n'a pas été tant que ça dans l'histoire de l'art. Jusqu'au milieu du 19e, les peintres étaient en atelier. Il y avait beaucoup de gens autour d'eux, les gens qui broyaient les pigments, les gens qui préparaient les fonds, les châssis des toiles. Forcément, c'était une démarche collective.


Les ateliers communiquaient entre eux. Certains apprentis passaient d'un atelier à un autre. Plus récemment, les artistes ont travaillé de manière un peu plus solitaire, mais ils aimaient bien se retrouver à plusieurs. Dans le mouvement impressionniste, Renoir et Monet par exemple ont beaucoup échangé et travaillé ensemble. On peut voir leurs deux tableaux intitulés La Grenouillère [une guinguette sur l’île de La Grenouillère sur les boucles de la Seine en aval de Paris, NDLR] : ils ont peint côte à côte en comparant leur manière de travailler un même sujet.

Autour du Bateau-Lavoir à Montmartre se retrouvaient, entourés de poètes, Pablo Picasso, Georges Braque, Henri Matisse, …, pour travailler ensemble, fréquenter les mêmes cafés, échanger, discuter, s'affronter autour de la peinture. Cet esprit perdure. Quand je suis allé travailler en Allemagne, j’ai vu que cet esprit collectif était très présent. J'ai essayé de l'importer en France. Aujourd'hui, à nouveau, beaucoup d'artistes se regroupent pour travailler ensemble.

 

Vous avez aussi une démarche pédagogique ?

 

Olivier Masmonteil - Cela m'a plu de le faire pendant une dizaine d'années mais aujourd'hui, je préfère me consacrer beaucoup plus à mon travail. Il y a eu une époque où j'essayais de faire beaucoup de pédagogie parce que je rencontrais beaucoup d'artistes qui venaient discuter de peinture avec moi et je m'apercevais qu'ils n'avaient aucune notion d'histoire de l'art, beaucoup de failles sur la technique, beaucoup ne savaient pas vraiment dessiner. Au lieu d’essayer de les conseiller, j'ai décidé de faire des vidéos pour donner des pistes pour travailler. J'ai travaillé avec Lefranc-Bourgeois et nous avons travaillé différents aspects : utiliser la couleur, la peinture à l'huile, les médiums, entoiler un châssis, mieux dessiner. Avec toutes ces petites vidéos, je souhaitais faire comprendre que peindre est un vrai métier, et que c'est un métier qui s'apprend. Pour moi, cela a duré 10 ans : 5 ans d'études avec un prof de peinture et de dessin classique, puis 5 ans au Beaux-Arts pour essayer de comprendre la peinture contemporaine, l'interroger. Alors, j'ai attaqué le chapitre 1 dont nous avons parlé : parfaire mon éducation artistique, l'enrichir de lecture, de lecture dans l'histoire de l'art, de lecture de philosophie, de tout ce qui constitue le bagage qu'on doit avoir quand on veut peindre.


Aujourd'hui, beaucoup de gens vont acheter de la couleur, un châssis et font n'importe quoi sur une toile. C'est très jubilatoire de faire n'importe quoi sur une toile. On s'amuse beaucoup. Comme un enfant s'amuse avec de la couleur. A l'école maternelle, on donne de la couleur à un enfant. Il s'amuse, il fait plein de choses. C'est très jubilatoire. Mais à partir du moment où on veut faire son métier de peintre, il faut savoir interroger, savoir faire naître son propre langage. Pour faire naître son propre langage, il faut acquérir celui des autres. Ça demande de la pratique et du temps de travail.

 

Je viens de lire un petit ouvrage d'entretien entre Charles Juliet et Fabienne Verdier. Elle décrit son apprentissage de la calligraphie. Elle est partie dix ans en Asie pour rencontrer un maître calligraphe. Elle a dormi trois mois devant sa porte pour qu'il accepte de l'apprendre en formation. Il lui a bien dit que ça allait prendre dix ans. Quand il a enfin accepté, elle s’est réjouie « ça y est, je vais pouvoir dessiner ». Mais son maître d'apprentissage l’a fait regarder un paysage pendant un an, en restant assise à le contempler. Il lui a dit « avant d'apprendre à représenter les choses, il faut que tu apprennes à regarder ». C'est exactement ce que j’ai vécu quand j'ai appris le dessin. L'apprentissage du dessin, c'est l'apprentissage du regard. Et cela prend beaucoup de temps.

 

... et suppose de nouvelles expériences, sans cesse ? Votre retour récent à la peinture en extérieur ?

 

Olivier Masmonteil - Quand j'étais au Beaux-Arts. Je me confrontais à l'extérieur, ça me plaisait beaucoup. Je l’ai dit, j'avais beaucoup travaillé en extérieur quand j'avais 20-25 ans, quand j'avais mon atelier en Limousin. Il y a 3-4 ans, c'est une expérience qui me retravaillait. J'avais très envie de sortir de l'atelier pour me reconfronter à nouveau au paysage. Et j’ai retrouvé cette manière totalement différente qu'on a de peindre quand on est en extérieur. C'est-à-dire qu'on ne peut pas forcément peindre ce qu'on a sous les yeux, parce que ce qu'on a sous les yeux change en permanence. Les lumières changent, les nuages changent. On est obligé de peindre autre chose. Et c'est là où, petit à petit, j'ai pris conscience de cette nécessité : essayer de peindre l'invisible du paysage. Quand j'allais retourner à l'atelier, il fallait que je reste complètement imprégné de cette sensation pour pouvoir peindre, notamment des souvenirs, la mémoire de tous ces paysages qui m'avaient construit. Une ou deux fois par an, je fais désormais des sessions en extérieur où je pars trois semaines à un mois pour travailler sur un paysage. Je peux le voir le matin, le soir, en journée, quand il pleut, quand il fait beau. Et toute cette variété de lumières, d'ambiances, de paysages, nourrissent encore un peu plus le travail.

 

Au mois de juin 2025, j'ai eu la chance de faire une expérience passionnante. J'ai pu peindre le bassin des Nymphéas. J'ai pu y aller après la fermeture du jardin. J'étais tout seul sur le bassin et j'essayais de me confronter à ce sujet que Monet s'est fabriqué et qu'il a peint pendant 20 ans.  J'aime énormément ces tableaux. J'essayais de comprendre ce qu'il peignait et pourquoi il avait construit ce bassin et pourquoi il avait pu le peindre pendant des années jusqu'à sa mort.

 

Propos recueillis par Isabelle Favre, octobre 2025

 

 PORTFOLIO


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Sans-titre, 2024. Huile sur toile,180x160cm


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Sans-titre, 2024. Huile sur toile,180x160cm


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Souvenir de paysage, 2025. Huile sur toile, 110-x-130-cm


Série "Paysages effacés"


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Voyages effacés, 2021. Huile-sur-toile, 55x46cm


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Voyages effacés, 2021. Huile-sur-toile, 162x130-cm


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Madagascar, souvenirs effacés, 2019. Huile-sur-toile,120x100cm


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Madagascar, souvenirs effacés, 2019. Huile sur toile,100x120cm


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