A 66 ans, la Mozambicaine Paulina Chiziane, dont un seul livre a été traduit en français, est la première romancière africaine à recevoir le prix Camões, plus importante distinction littéraire du monde lusophone.
Sa première école, dit-elle, fut un feu. Celui auprès duquel sa grand-mère racontait les histoires de son enfance. Et aujourd’hui, elle se dit conteuse, plutôt que romancière.
A 66 ans, la Mozambicaine Paulina Chiziane vient de recevoir le prix Camões, le prix littéraire le plus important du monde lusophone. Institué en 1988, le prix Camões a déjà récompensé six écrivains africains de langue portugaise : les Angolais Pepetela et José Luandino Vieira, les Capverdiens Arménio Vieira et Germano Almeida, et les Mozambicains José Craveirinha et Mia Couto (le seul à avoir été véritablement traduit et édité en français). Paulina Chiziane est la première écrivaine africaine à rejoindre ce palmarès. Sans doute ouvre-t-elle la voie à d’autres autrices importantes : la Mozambicaine Lília Momplé, la jeune Angolaise Djaimilia Pereira de Almeida, et les Capverdiennes Eileen Almeida Barbosa et Vera Duarte, toutes inédites en français. Parlera-t-on d’une forme de discrimination ? En tout cas, c’est aux femmes de son pays que Paulina Chiziane a tenu à dédier son prix.
Née à Manjacaze en 1955, Paulina Chiziane a grandi à Lourenço Marques (aujourd'hui Maputo) pendant la colonisation portugaise, qui hante une bonne partie de son œuvre. Elle milite un temps au sein du Frelimo (Front de libération du Mozambique), avant de publier en 1990 Balada de Amor ao Vento (Ballade de l'amour dans le vent), qui fait d’elle la première femme romancière au Mozambique.
Parmi les titres qui composent sa bibliographie, Ventos do Apocalipse (Vents de l'Apocalypse), en 1993, est centré sur la guerre civile mozambicaine, un roman dans lequel la boucle de la faim, de la mort, de la violence et de l'inhumanité menace de ne jamais se terminer. Chiziane semble peindre, comme lorsqu'elle était enfant mais sans trace d'innocence, des tableaux authentiques et macabres où il ne reste que la déraison, la folie et le massacre. Et elle laisse transparaître la désillusion de tout le processus post-indépendance.
O Alegre Canto da Perdiz (Le Chant Joyeux de la Perdrix), en 2008, est un puissant récit sur la discrimination, l'assimilation et le métissage.« Ce roman, écrit avec délicatesse, raconte l’histoire de l’émancipation des femmes africaines, cette force vitale qui transcende les barrières culturelles et les habitudes ancestrales. Dans le respect de la tradition, ces nouvelles adeptes d’un existentialisme qui ne dit pas son nom marchent à grandes enjambées vers leur indépendance. Elles ne quémandent plus, mais arrachent de haute lutte la reconnaissance de leurs mérites et prouvent, à leur façon mais sans ambiguïté, à quel point elles portent leur continent vers la modernité et le développement », écrivait le site critiqueslibres.com.
Dans son dernier ouvrage paru (en 2017), O canto dos escravizados (Le chant des esclaves), Paulina Chiziane révèle sa veine poétique, en dialogue avec le projet esthétique de ses "aînés" Noémia de Sousa et José Craveirinha. Ses poèmes font écho à la relation entre l'Afrique et la diaspora noire à travers des voix qui mettent en évidence les héritages ontologiques, historiques, politiques et ethnoculturels laissés par les personnes réduites en esclavage aux descendants africains du monde entier.
VIDEO (en portugais, 10’) : Mini-documentaire sur Paulina Chiziane, avec une analyse de O canto dos escravizados, par Isabela Cristina Silva Mesquita et Roberta De Bon Silva Mesquita.
« Le colonialisme est masculin », écrit Paulina Chiziane dans El alegre canto de la perdiz. Dans toutes son œuvre, elle donne à entendre des voix de femmes « pour compenser le silence d'une société patriarcale qui nie la voix, les droits et la présence des femmes. » Un engagement qui n’enlève rien, au contraire, à la vigueur littéraire de ses récits. « Raconter une histoire », dit-elle, « c'est emmener les esprits dans un vol d'imagination et les ramener au monde de la réflexion. »
Nadia Mevel
VIDEO : Long entretien en portugais (53’) avec Paulina Chiziane, avril 2019.
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