top of page

Trump contre la Colombie : cocaïne ou pétrole ?

ree

Donald Trump et le président colombien Gustavo Petro. Photomontage La Silla Vacía


A en croire les informations diffusées ici et là, les États-Unis s'apprêtent à intervenir en Colombie, dont le président de gauche Gustavo Petro serait, aux dires de Donald Trump, un "baron de la drogue". Elle a bon don, la cocaïne... Et si les véritables raisons du courroux trumpiste étaient à chercher ailleurs ?


¡Caramba!, comme on dit, au Mexique plutôt qu’en Colombie. Le Mexique de Claudia Sheinbaum, ça viendra, mais pour l’heure, après le Venezuela de Nicolas Maduro, c’est contre la Colombie de Gustavo Petro que Donald l’atrabilaire a dégainé ses foudres. Menaçant d’étendre les opérations militaires américaines dans les Caraïbes, Trump le "faiseur de paix" (sic) enverra-t-il ses Marines à l’assaut de la paisible Colombie ? Qualifiant le président de gauche Gustavo Petro de « baron de la drogue » et l’accusant de favoriser la production massive de stupéfiants dans son pays, Trump avertit : « [Petro] ferait mieux de fermer ces champs de la mort immédiatement, ou l’Amérique les fermera pour lui, et ce ne sera pas fait d’une manière agréable ». Pour contribuer à cette "fermeture immédiate", le locataire de la Maison-Blanche a suspendu toutes les aides et subventions américaines à la Colombie, qui représentaient plusieurs centaines de millions de dollars par an — notamment dédiés à la lutte antidrogue. Comprenne qui pourra…

 

Certes, la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne, avec 2.600 tonnes en 2023 selon l’ONU, près du double de la production annuelle moyenne entre 2013 et 2021. Gustavo Petro conteste toutefois les chiffres onusiens : la méthode employée applique en effet des rendements mesurés dans des zones de très forte productivité (côte pacifique, Putumayo, Catatumbo) à l’ensemble du territoire, y compris à des zones dites « en dépérissement » où les rendements sont bien plus faibles.​ D’autre part, les échantillonnages et entretiens sont réalisés tous les quatre ans ; ainsi, les chiffres de 2022 reposaient encore sur des données de 2019. La "soudaineté" du saut en 2023 est due uniquement aux mesures dans des poches atypiques.​ D’autant que les trafiquants sont malins, et dans les zones de production, les rendements à l’hectare ont presque doublé en dix ans…


ree

 L'épandage de glyphosate sur les plantations de coca a été interdit à partir de 2015. Photo Via Campesina


En 2015, la Cour constitutionnelle colombienne avait interdit, suivant les recommandations de l’OMS, l’épandage de glyphosate à haute concentration largué par avion sur les plantations de coca : une technique évidemment catastrophique pour l’environnement et pour les paysans (1). En 2019, lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà fait pression sur le président colombien de droite, Ivan Duque, pour reprendre ces épandages. En vain : la Cour constitutionnelle colombienne a définitivement confirmé cette interdiction en 2022.

 

Cette même année 2022, Gustavo Petro a engagé une réforme axée sur le développement rural et social plutôt que sur la seule répression : incitation des cultivateurs à remplacer la coca par des cultures légales (cacao, café, banane, etc.), grâce à des subventions, des crédits, une aide technique, et l’amélioration de l’accès aux marchés ; participation active des communautés paysannes dans la définition des alternatives et leur accompagnement, pour éviter leur marginalisation économique. Des mesures qui restent difficilement applicables dans des territoires contrôlés par des groupes armés, mais d’ores et déjà, des projets pilotes de développement alternatif ont permis de protéger . 600 hectares de forêt, de planter 18.000 arbres fruitiers ou de bois d’œuvre (dans le Putumayo, Caquetá, Guaviare, Meta) et d’apporter des revenus de substitution à 1.400 bénéficiaires.

 

Ce « développement alternatif » n’a toutefois de chance de s’inscrire dans le long terme que si les aides promises sont au rendez-vous (des paysans ayant arraché leur coca se retrouvent parfois sans soutien, ce qui les pousse à replanter la coca ou à diversifier les cultures illicites), avec de surcroît un investissement dans les écoles, les routes, l’accès à l’eau ou à la santé. Vu l’état d’abandon dans lequel l’Etat colombien a laissé pendant des décennies certains territoires (dans un pays deux fois plus vaste que la France, avec des régions parfois difficiles d’accès), un tel programme ne se réalisera pas du jour au lendemain ! Au moins est-il engagé… Malgré les rodomontades trumpistes, la suspension des aides américaines va en ralentir le cours, et risque fort de relancer la production de cocaïne : CQFD.

"Éradiquer la coca ? Le chemin tortueux de la paix en Colombie", lire l'enquête publiée sur les humanités en décembre 2021. ICI

A vrai dire, la cocaïne est loin d’être la première préoccupation de Donald Trump (d’autant que les cryptomaniaques et autres technolâtres de la Silicon Valley sont loin de tous carburer à la kétamine comme Elon Musk). Si la Colombie de Petro lui reste sur l’estomac, c’est pour de tout autres raisons. Il faut bien qu’il rende la monnaie de leur pièce aux magnats des hydrocarbures qui ont financé sa campagne et ardemment soutenu le fameux « dry, baby, dry ». Or, parmi les récalcitrants à cette frénésie extractiviste, il y a l’actuel président colombien.

 

Depuis son arrivée au pouvoir en 2022, Gustavo Petro a fait de la lutte contre les politiques extractivistes (pétrole, charbon, or) un pilier de son programme, cherchant à transformer la Colombie d’un modèle fondé sur l’extraction vers un modèle productif, durable et socialement équitable.​ Le gouvernement a mis en pause les nouvelles licences d’exploration pétrolière, gazière et charbonnière. En 2023, la Colombie est devenue le premier grand pays au monde à rejoindre la coalition de non-prolifération des combustibles fossiles, s’engageant à stopper toute expansion du charbon, du pétrole et du gaz, et Petro a annoncé à Davos 2024 que son pays ne « contracterait plus » de nouveaux projets d’exploration.​ Des politiques d’appui à l’écotourisme, à la restauration écologique et à la reconversion industrielle accompagnent cette mutation.​

 

ree

 Manifestation contre le fracking (forage par fracturation hydraulique) à San Martín, municipalité du département de Cesar,

dans le nord-est de la Colombie, connue pour avoir été l’un des territoires emblématiques de la contestation contre le fracking. Photo DR.


Vraiment un mauvais coucheur, ce Gustavo Petro. En février dernier, il a ordonné à la compagnie nationale Ecopetrol d’annuler une coentreprise avec la société américaine Occidental Petroleum (Oxy). Ce projet devait produire environ 90 .00 barils par jour grâce à la fracturation hydraulique, que le président colombien a qualifiée de « mort de la nature ». Avant cela, Chevron, ExxonMobil, ConocoPhillips, se sont vus refuser des permis d’exploitation pétroliers ou gaziers. Last but not least, une licence environnementale obtenue par Anadarko Colombia Company, une filiale d’Occidental Petroleum, pour l’exploration d’un bloc offshore dans les Caraïbes colombiennes, a été suspendue…

 

C’est curieux… Qu’il s’agisse du Figaro, du Monde, etc., personne n’évoque ce « contentieux » pour expliquer le gros courroux anti-colombien de Trump. La cocaïne a bon dos. L’argent des hydrocarbures, ça doit compter pour du beurre ?

 

Jean-Marc Adolphe

 

(1). Dans le film documentaire Colombie, poison contre poison datant de 2016, le journaliste Marc Bouchage a notamment recueilli les témoignages des victimes en Colombie et à la frontière avec l’Équateur. Il y montre les ravages des fumigations : enfants malades ou morts nés, destruction des plantations vivrières de cacao et de papaye, mort du bétail, peaux brûlées et explosion des cancers…

 

Les humanités, ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI

Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

 

Commentaires


nos  thématiques  et  mots-clés

Conception du site :

Jean-Charles Herrmann  / Art + Culture + Développement (2021),

Malena Hurtado Desgoutte (2024)

bottom of page