Trump dans le Golfe : Nétanyahou est-il largué ?
- Michel Strulovici
- il y a 14 heures
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Dernière mise à jour : il y a 15 minutes

Donald Trump et le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman lors d'une cérémonie
au terminal royal de l'aéroport international King Khalid à Riyad, le13 mai 2025. Photo Alex Brandon / AP.
La visite de Donald Trump en Arabie Saoudite et dans les pays du Golfe est d’abord motivée par des intérêts commerciaux et financiers. Il serait pourtant étonnant qu’entre tel et tel contrat, la question palestinienne ne soit point évoquée. Contesté en Israël même, et alors que la guerre à Gaza et la crise humanitaire, qui prennent des proportions dantesques, redeviennent des sujets incontournables pour les dirigeants arabes, il n’est pas certain que Nétanyahou reste bien longtemps le « meilleur ami » du président américain.
Bis repetita. Comme ce fut déjà le cas en mai 2017, lors de son premier mandat, Donald Trump a réservé son premier voyage officiel à l’Arabie Saoudite (1). L’avion présidentiel américain s’est posé ce mardi 13 mai sur le tarmac de l'aéroport international King Khalid à Riyad. Trump y a été accueilli en personne par le prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud et sa garde rapprochée, ce qui constitue « un honneur rare pour un président américain », commente Associated Press.
Officiellement, le but du voyage de Trump est strictement économique. Il s’agirait d’obtenir d’importants investissements des monarchies du Golfe vers les États-Unis. Après l’Arabie Saoudite, Trump poursuivra son périple dans les Émirats arabes unis, au Bahreïn, au Qatar, au Koweït et à Oman : une tournée princière. Le veau d'or des pétrodollars est toujours d’actualité : à Riyad s’est ouvert ce jour un "forum d’investissement américano-saoudien" auquel ont été conviés, outre l’incontournable Elon Musk (en sa qualité de patron de Tesla), les PDG de BlackRock (2), de Palentir (3), d'IBM, de Citigroup, parmi d’autres grandes entreprises de la Silicon Valley et de Wall Street.
Ces "négociations" sont du pain béni pour les deux parties. Consciente que la manne du pétrole ne durera pas éternellement, l'Arabie saoudite cherche à diversifier ses immenses avoirs. La monarchie wahhabite a élaboré pour ce faire un plan "Vision 2030". Le clinquant de certains projets phares (et pharaoniques) comme "Neom", mégapole futuriste en cours de construction, et "Qiddya", giga-projet de tourisme de luxe, d’aventure, de sport et de culture, qui ambitionne de devenir la « capitale mondiale du divertissement », pourraient faire oublier l’essentiel : le Fonds souverain saoudien est devenu en 2023 le plus actif au monde en investissant pas moins de 31,5 milliards de dollars (4). Dernier cheval de bataille (ou de Troie) : l’intelligence artificielle, dont l’Arable Saoudite entend devenir leader mondial, avec le lancement fin 2024 d’une société malicieusement baptisée "Humain". Avec des actifs sous gestion estimés entre 925 et 1.000 milliards de dollars en 2024, le fonds souverain saoudien cible une croissance de ses actifs à 1.100 milliards de dollars d'ici 2025 et à 2.000 milliards de dollars en 2030 (5). De quoi susciter la convoitise de Trump et justifier ce que l’AFP qualifie de voyage « des mille milliards ». En ligne de mire, l'industrie aéronautique, civile et militaire, l’énergie, et l’IA, comme il se doit.
Le voyage officiel du boss a été précédé par une tournée dans la région du fiston (Eric Trump) et du gendre (Jared Kushner), lesquels ont notamment signé, au nom de la Trump Organization et/ou de leurs propres fonds privés, des contrats pour la construction d'un golf et des résidences de luxe au Qatar, ou encore un immeuble à un milliard de dollars à Dubaï, dont les appartements pourront être achetés en cryptomonnaie (voir sur les humanités, le feuilleton de Maria Damcheva sur Trump et les cryptomonnaies). Le permanent mélange des genres qui caractérise la présidence Trump affiche ici de façon éclatante la fusion inédite, décomplexée, instaurée entre la politique du gouvernement des États-Unis et les intérêts privés de Trump & family. Après le soutien massif de l'oligarchie et de la mafia russes à l'homme d'affaires en faillite, voici venu le temps des fonds de pension dopés aux pétrodollars.
Tous les dirigeants de la région l'ont compris. L'ère des cadeaux princiers est ouverte. Le Qatar ne vient-il pas d'offrir au Président américain un Boeing 747-8 Jumbo, d'une valeur estimée à 400 millions de dollars (360 millions d'euros) pour remplacer les deux « Force One » de la Présidence ! « Je pense que c'est un beau geste venant du Qatar. Je pourrais être une personne stupide et dire 'Non, nous ne voulons pas qu'on nous donne un avion très cher, mais je ne suis pas du genre à refuser une telle offre », a commenté le président américain à la Maison Blanche, avant de s’envoler pour Riyad. De la prévarication au grand jour !
Pas d’escale à Tel Aviv
Mais en creux, il est un autre aspect de ce voyage, généralement omis par les commentateurs, que l'on doit analyser. Le meilleur « ami » de Trump dans la région, Benyamin Nétanyahou, ne fait pas partie des invités aux agapes. Contrairement à 2017, où après l’Arabie Saoudite, Trump s’était rendu en Israël, il n’y aura cette fois-ci pas d'escale à Tel Aviv. Serait-on en train d'assister à une nouvelle manière trumpiste de traiter du conflit israélo-irano-palestinien ?
La manière dont l'otage américano-Israélien a été libéré hier, après 600 jours d'emprisonnement par l'organisation terroriste du Hamas, semble le prouver. Trump et son administration ont négocié DIRECTEMENT avec ce proxy de l'Iran, sans prévenir leur allié Nétanyahou, sinon à la dernière minute. Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre qu'il s'agit là d'un geste que le Hamas, sur insistance de l'Iran, accomplit alors que le Président américain arrive dans la région. De même, les mollahs de Téhéran calment leurs proxys houtis alors qu'ils entament des négociations avec les États-Unis.
Nétanyahou tente bien d'expliquer que c'est son opération, écrasant Gaza et ses habitants sous les bombes, qui explique cette libération. Mais seuls les fanatiques de l’extrême droite israélienne font semblant d'y croire. Car l'escroc Trump n'aime l'escroc au pouvoir en Israël que le doigt sur la couture du pantalon. Quand, dans le Bureau ovale, « l'ami » américain annonce les négociations sur le nucléaire qu'il mène, seul, avec la dictature des Mollahs, la consternation qui se lit sur le visage de Nétanyahou vaut mille discours.
Jusqu'alors, celui-ci était persuadé du soutien et de la participation américaine à la future destruction des installations nucléaires iraniennes. Déjà, les bombes de l'aviation israélienne avaient détruit tout le système de radars de l'armée de Téhéran, il y a plusieurs mois, en prévision d'une attaque décisive sur les usines et labos enfouis. Israël n'a pas obtenu ce feu vert car Trump a choisi de négocier, seul. Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, celui-ci avait débloqué la livraison de bombes de 2.000 livres (907 kg), repoussée à des jours lointains par l’administration Biden : on sait que larguées par avion, les bombes de 2.000 livres sont dotées d'une grande précision et d'une puissance particulièrement destructrice, pouvant ainsi causer des dommages considérables aux installations militaires, aux centres de commandement et aux infrastructures. Enterrés ou pas.
Il est notable, en outre, que la proposition trumpiste d'une Riviera gazaouie dont les habitants auraient été expatriés dans des pays arabes consentants, est aujourd’hui jetée aux oubliettes. Les seuls à faire semblant d'y croire encore restent les membres du gouvernement d’extrême droite israélien. La Ligue arabe, qui regroupe 22 Etats, dirigée de facto par l''Arabie saoudite, a dit non, le 25 avril dernier. En choisissant Riyad comme première escale officielle de son nouveau mandat, le président américain envoie un « Je vous ai compris » clair à toute la région.
America first reste la manière Trump de tenter de résoudre les questions qui tuent et qui fâchent dans cette partie clé du monde. Et le voyage qu’il vient d’entamer vise à créer et à renforcer ces alliances à son profit. Si Netanyahou devient un obstacle à l'instauration d'une pax americana, on peut prendre le pari que Trump n'hésitera pas à choisir d'autres soutiens à sa politique, en Israël même. Et ces forces-là existent. Elles manifestent par centaines de milliers dans les rues de toutes les villes israéliennes, chaque samedi depuis des mois.
Comme le dit une célèbre maxime (dont l’origine reste incertaine) : « Gardez-vous de vos amis ; vos ennemis, je m'en charge ». Il n’est pas certain que l'actuel premier ministre israélien ait encore le temps d’en méditer le sens.
Michel Strulovici
NOTES
(1). Habituellement, les présidents américains réservent leur premier voyage officiel au Canada ou au Mexique.
(2). BlackRock, Inc. est le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, avec plus de 8.000 milliards de dollars sous gestion. Fondée en 1988 aux États-Unis par Larry Fink, l’entreprise est aujourd’hui un acteur central des marchés financiers mondiaux et détient des participations dans de nombreuses grandes entreprises, telles qu’Apple, Microsoft, Google, Amazon, Pfizer, Pepsi et Coca-Cola.
(3). Palantir Technologies Inc. est une entreprise de services et d'édition logicielle spécialisée dans l'analyse et la science des données, installée à Denver dans le Colorado. L'entreprise développe et commercialise deux logiciels dédiés à la fusion, la visualisation et le travail opérationnel sur les données : Palantir Gotham et Palantir Foundry. Gotham est d'abord utilisé par la communauté du renseignement des États-Unis (NSA, CIA, FBI, les US Marines, l'US Air force et les Opérations spéciales), ainsi que les services de police de New York et de Los Angeles. Ce logiciel est également utilisé par les services de renseignement d'une douzaine de pays européens, dont la France (Direction générale de la Sécurité intérieure.
(4). Selon le rapport annuel 2024 de Global SWF, qui dresse un état des lieux détaillé du secteur des fonds souverains (Sovereign Wealth Funds, SWF) et des fonds de pension publics (Public Pension Funds, PPF). Rapport complet (110 pages, en anglais), ICI.
(5). Le Fonds public d'investissement d'Arabie saoudite (Public Investment Fund, PIF) est le fonds souverain du Royaume d'Arabie saoudite, créé en 1971 par le roi Fayçal. Il est aujourd'hui présidé par le prince héritier Mohammed ben Salmane et dirigé par Yasir Al-Rumayyan. Le PIF est l'un des plus grands fonds souverains au monde, avec des actifs sous gestion estimés entre 925 et 1.000 milliards de dollars en 2024. Il occupe la 6e place mondiale en termes de taille des actifs, et cible une croissance de ses actifs à 1.100 milliards de dollars d'ici 2025 et à 2.000 milliards de dollars en 2030.
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