top of page

Trump, hors-la-loi, en son bunker

ree

Donald Trump dans les dorures de la Maison-Blanche, montrant une maquette de sa future salle de bal à 300 millions de dollars.

Photo Getty Images.


Vingt-quatre jours de shutdown-chaos et un président qui s’en frotte les mains. Tandis que des dizaines de milliers de fonctionnaires font la queue aux banques alimentaires, Donald Trump licencie, piétine la loi et... construit une salle de bal. Un leurre ? La salle de bal en question dissimule un bunker, dont la "modernisation" est en marche. En vue de quelle "crise nationale majeure" ?


Déjà 24 jours. Certes, ce n’est pas encore le shutdown le plus long de toute l’histoire des États-Unis. Le record, de 35 jours consécutifs, du 22 décembre 2018 au 25 janvier 2019, appartient à un certain… Donald Trump, lors de son premier mandat (1). En cause, alors : le financement, pour 5,7 milliards de dollars, de la construction d’un mur à la frontière mexicaine, que les Démocrates refusaient catégoriquement. Ces 35 jours de shutdown avaient alors coûté plus de 3 milliards de dollars à l’économie américaine, selon l’évaluation du Congressional Budget Office. Là, on ne connaît pas encore le montant de l’addition, vu que le bazar est loin d’être terminé. A dix reprises déjà, le Sénat a rejeté des projets de loi visant à rouvrir le gouvernement. Un nouveau vote est prévu ce dimanche 26 octobre : a minima, un "accord restreint" pourrait permettre de rouvrir temporairement l’administration américaine d’ici la fin du mois.

 

Alors que la clique MAGA inonde réseaux sociaux et médias vociférants de fake news pour faire porter le chapeau aux Démocrates, Trump se délecte. Le chaos provoqué par le shutdown, il s’en bat les bowls. Mieux, ça l’arrange. Et de une : bien plus efficacement que le DOGE de feu Elon Musk, ça lui permet de licencier en masse des employés fédéraux jugés indésirables. Les premiers en avoir fait les frais dès le 1er octobre, au premier jour du shutdown, ont été les 27 membres du National Council on the Humanities (NCH), un organe consultatif fédéral américain rattaché à la National Endowment for the Humanities (NEH) créé en 1965, qui a pour mission d’aider à définir les politiques et priorités de financement de la recherche et de la culture humaniste aux États-Unis. Tout un symbole !


Congés obligatoires prévus pour les agences fédérales américaines

(source : Wikipedia)


ree

 

Parmi les 700.000 fonctionnaires fédéraux mis au chômage, et non rémunérés, nombre d’entre eux en sont réduits à fréquenter les banques alimentaires. « Je n’aurais jamais imaginé devoir chercher de la nourriture. Les factures s’accumulent, j’ai des enfants à nourrir et plus un dollar qui rentre », témoigne ainsi sur NBC Anthony Speight, employé fédéral depuis 17 ans. Les mêmes scènes se répètent dans tout le pays. À Los Angeles, Atlanta, Denver et Houston, des distributions spéciales ont été mises en place pour les salariés fédéraux en chômage technique. Les bénévoles rapportent une hausse de 40% des demandes d’aide depuis début octobre. Et cela ne concerne pas que les employés fédéraux : en Californie, le gouverneur démocrate Gavin Newsom a même déployé la Garde nationale pour épauler les banques alimentaires débordées par l’afflux de familles privées de salaire ou d’aides sociales, certaines risquant la fin prochaine de leurs allocations SNAP (bons alimentaires fédéraux) (Lire ICI).


Et deux : si le Congrès reste habilité à délibérer et légiférer pendant le shutdown (à l’exclusion, cependant, de toute décision qui engagerait des crédits), son activité est réduite du fait de la mise au chômage forcé des assistants parlementaires, et aussi parce que l’impasse budgétaire occupe l’essentiel des débats. Donald Trump peut ordonner l’exécution extra-judiciaire de supposés narco-trafiquants en mer des Caraïbes, il peut annoncer une prochaine intervention terrestre au Venezuela et en Colombie, cela passe quasiment comme une lettre à la poste. Pas tout à fait, quand même : les chefs démocrates des commissions du Renseignement, des Forces armées et des Affaires étrangères (Gregory Meeks, Adam Smith, Jim Himes, Bennie Thompson) ont publié une déclaration conjointe accusant le président Donald Trump d’avoir ordonné des frappes létales sans autorisation du Congrès, en violation du War Powers Resolution Act.​ Ils dénoncent une « expansion dangereuse et abusive » du pouvoir présidentiel et exigent des explications urgentes sur la légalité, les objectifs et le cadre stratégique des opérations navales menées depuis début septembre (voir ICI). Même dans le camp républicain, des élus libertariens comme Paul Rand, sénateur du Kentucky, rejettent toute opération militaire sans vote du Congrès, rappelant que « les cartels, aussi dangereux soient-ils, ne constituent pas une armée ennemie relevant du droit de guerre » (voir ICI). Foutaises, pour Donald Trump, pour qui une « déclaration de guerre n’est pas nécessaire »  : « Nous allons tuer ceux qui inondent notre pays de drogue. Ce sont des terroristes, pas des criminels ». Contre le "terrorisme", tout est permis, CQFD.


ree

 Des soldats américains s'entraînent au Panama sur fond de tensions avec le Venezuela. Photo DR


Mais au fait, en plein shutdown, les militaires appelés à intervenir au Venezuela et en Colombie, qui les paie ? Le 23 octobre, un texte baptisé “Shutdown Fairness Act” visant à rémunérer les militaires et le personnel essentiel a encore échoué à franchir le seuil des voix nécessaires au Sénat. Qu’à cela ne tienne, Étienne. Ce même 23 octobre, lors d’un évènement à la Maison-Blanche, alors que les pelleteuses finissaient de détruire son aile Est, Donald Trump a fort opportunément annoncé qu’un « généreux donateur » venait de faire rubis sur l’ongle un chèque de 130 millions de dollars pour contribuer au paiement des soldes militaires (2). Identité de ce donateur providentiel ? Mystère et boule de gomme. C’est « un ami à moi, un patriote », a juste indiqué Donald Trump. Peut-être Peter Thiel le fasciste dirigeant de Palantir, qui est contre l’État fédéral, mais qui empoche de juteux contrats du Pentagone et à qui la Maison Blanche a commandé un logiciel de surveillance de masse ? Ou un émir saoudien ou qatari avec qui la famille Trump est en affaires dans le Golfe, vu qu’on ne refuse jamais d’aider un ami qui est dans le besoin, surtout si cette "aide" sera rendue au centuple ? (3)  Allez savoir. Circulez, il n’y a rien à voir… Normalement (un mot bizarre dans le vocabulaire trumpiste, on le concède), l’Anti-Deficiency Act interdit aux agences fédérales d’utiliser des fonds non autorisés par le Congrès, qui plus est lorsqu’il s’agit de budget militaire (4). Donc, c’est illégal. Là encore, Trump balaie cet argument d’un revers de main : « c’est un acte de patriotisme ».

 

Hors-la-loi, Donald Trump s’en bat les bowls (bis repetita). Qu’on ne vienne pas lui chercher chicane : il est tout occupé à son grand œuvre, la "rénovation" de la Maison Blanche, avec destruction de son aile Est pour y édifier une "salle de bal" à 300 millions de dollars (financés, là aussi, par des « grands patriotes »). Mais pendant que les gazettes dissertent sur le décor et le plan de table, qu’y a-t-il sous cette histoire, complaisamment mise en scène et rapportée par les médias du monde entier ? Quand on dit « sous cette histoire », on veut dire, littéralement : dessous.

 

En sous-sol de la future "salle de bal" de mister Trump, on trouve une installation stratégique hautement sécurisée : le Presidential Emergency Operations Center (PEOC), autrement dit le Centre présidentiel d’opérations d’urgence.​ Ce bunker a été construit en 1942, sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, en pleine Seconde Guerre mondiale. Officiellement, l’aile Est alors érigée servait de façade pour dissimuler les travaux souterrains. Aujourd’hui, relié par des tunnels et réseaux sécurisés aux autres bâtiments du complexe présidentiel, notamment l’aile Ouest et l’Eisenhower Executive Office Buildin,​ le Presidential Emergency Operations Center sert de centre de commandement et de crise en cas d’attaque, de catastrophe nationale ou d’urgence nucléaire. Ce poste de commandement présidentiel fortifié, un des lieux les plus secrets et protégés des États-Unis, est utilisé uniquement en cas de crise majeure nationale. C’est là que le vice-président Dick Cheney s’était réfugié avec le Secret Service le 11 septembre 2001, tandis que George W. Bush se trouvait en Floride.​ Donald Trump aussi connaît l’endroit. Le 29 mai 2020, en plein mouvement Black Lives Matter, alors que des milliers de manifestants se rassemblaient devant les grilles de la Maison-Blanche et que plusieurs affrontements avaient éclaté à Lafayette Square, le Secret Service avait décidé d’évacuer le président, ainsi que Melania et Barron Trump, vers le PEOC par mesure de sécurité.​ Selon plusieurs sources de presse (AP, New York Times, CNN, Washington Post), Trump serait resté dans le bunker environ une heure, avant de regagner ses appartements.

 

Un laps de temps suffisant pour lui donner des idées ? D’après plusieurs sources de CBS News citées depuis le 22 octobre dernier, le bunker situé sous l’aile Est de la Maison-Blanche sera modernisé dans le cadre du vaste chantier de reconstruction lancé par Trump. Les journalistes de CBS (notamment Jennifer Jacobs, correspondante à la Maison-Blanche) ont confirmé que la White House Military Office supervise directement cette "rénovation", parallèlement à la démolition complète de l’aile Est et à la construction de la nouvelle salle de bal présidentielle. On n’en saura pas plus : c’est « secret défense ». Après les journalistes, même les membres du Congrès seront tenus à l’écart. Après avoir entrepris de purger l’armée de tout élément déloyal, le secrétaire d’État à la Guerre, Peter Hegseth e exigé le 15 octobre que toute interaction avec les membres du Congrès, leurs collaborateurs ou les médias soit validée par l’Office of Legislative Affairs du département de la Défense. Le texte stipule que « toute communication non autorisée pourrait compromettre les priorités du Département essentielles à l’atteinte de nos objectifs législatifs »

 

On n’en saura pas davantage sur les plus 70 millions de dollars d’« armes légères, munitions et accessoires de munitions » affectés à l’ICE (police de l’immigration) depuis le 20 janvier. Gaz lacrymogènes, balles en poivre ? Que recouvrent exactement les « armes chimiques » qui figurent parmi les ordres de commande ? S’agit-il d’aller débusquer le narcotrafiquant dans la jungle amazonienne ou colombienne ? De traquer le migrant clandestin dans la jungle urbaine de Chicago, Los Angeles ou New York ? Ou, plus vraisemblablement, de mater l’« ennemi intérieur » qui s’époumone en « No Kings » ? Car, selon toute vraisemblance, ce redoutable « ennemi intérieur » s’apprête à remporter dans les grandes largeurs les prochaines élections de mi-mandat (midterms) dans un an, le 23 novembre 2026. Donald Trump ne peut pas perdre ces élections ; il perdrait alors sa majorité au Congrès. Mais il ne peut non plus les gagner. Seule solution : les annuler, en invoquant un cas de force majeure (une insurrection ?) qu’il aura lui-même provoqué. Réfugié dans son bunker archi-sécurisé et modernisé de la Maison-Blanche, il tiendra jusqu’au bout du bout. Mais en plus du réseau en 8G qu’il a certainement imaginé pour pouvoir continuer à déverser sa bile sur Truth Social, a-t-il prévu, dans les plans d’aménagement du bunker, un circuit d’évacuation des latrines suffisamment performant pour évacuer sa merde ? Car ces effluves excrémentiels, qu’il s’amusait à déverser sur les manifestants No Kings via une récente vidéo générée par IA, il pourrait bien finir par s’y noyer, comme s’apprête à le clamer joyeusement ici-même (en France) une poignée de jeunes gens. Mais ça, c’est pour une prochaine chronique…

 

Jean-Marc Adolphe

 

NOTES

 

(1). Avant 2019, le précédent record remontait au shutdown de 1995-1996 sous Bill Clinton, d’une durée de 21 jours, provoqué par des désaccords entre le président démocrate et le Congrès républicain sur la réduction du déficit fédéral.

 

(2). Le montant des salaires et avantages des militaires actifs est estimés à plus de 6,5 milliards de dollars pour une quinzaine : ce don providentiel ne couvre donc qu’une fraction infime des besoins.

 

(3). « L'utilisation de dons anonymes pour financer notre armée soulève des questions troublantes quant au risque que nos propres troupes soient littéralement achetées et payées par des puissances étrangères », a déclaré dans un communiqué le porte-parole de Chris Coons, sénateur démocrate du Delaware, membre de la commission sénatoriale des crédits pour la défense.

 

(4). Une circulaire du Pentagone datant du mois de mars dernier définit les fins auxquelles des dons privés peuvent être utilisés, telles que l'entretien d'écoles, d'hôpitaux et d'autres bâtiments, ainsi que l'aide aux militaires blessés. Cette politique exige également que le département consulte les responsables de l'éthique avant d'accepter des dons supérieurs à 10.000 dollars.

Les humanités, ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI

Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

Commentaires


nos  thématiques  et  mots-clés

Conception du site :

Jean-Charles Herrmann  / Art + Culture + Développement (2021),

Malena Hurtado Desgoutte (2024)

bottom of page