Trump et Xi Jinping sont en bateau, Trump tombe à l'eau
- Michel Strulovici

- 17 oct.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 oct.

Le mathématicien Liu Jun, lors de la cérémonie officielle pour son entrée à l'université Tsinghua, le 30 août 2025,
après qu'il ait décidé de quitter l'université de Harvard, où il a enseigné pendant 25 ans. Photo DR
Les attaques de Trump contre les universités américaines n'y sont pas pour rien... Après avoir enseigné 25 ans à Harvard, le mathématicien Liu Jun a rejoint une université chinoise. Et son cas est loin d'être isolé. La Chine dépasse désormais les États-Unis en nombre de chercheurs de premier plan.
« L’aveuglement est souvent la mère des plus grandes fautes. »
(Napoléon)
Il est des parcours de personnalités qui concrétisent, symbolisent, la totalité d'une période historique. L'histoire de Liu Jun, ce statisticien de renommée mondiale, est particulièrement éclairante.
Ce spécialiste de la science des données, de la biostatistique et de l'Intelligence artificielle, professait jusqu'à ces derniers mois à Harvard. Il était né, dans un autre monde, en avril 1965, dans une famille d'universitaires chinois, à Pékin. Tout juste avant le lancement par Mao de sa célèbre et criminelle "Grande Révolution culturelle prolétarienne", qui visait quel qu’en soit le coût, à la remise au pas, sanglante, du Parti et du pays. De 1966 à 1976, les célèbres "Gardes rouges" et l'armée assassinèrent entre 800.000 et 4 millions de Chinois, selon les sources. Leurs cibles, prioritairement les universitaires, les intellectuels et les cadres du Parti comme Deng Xiaoping, coupables de ne pas suivre la ligne de Mao.(1)
Liu Jun et ses parents, comme la quasi totalité des intellectuels chinois, vont être envoyés manu militari à la campagne. Tous vont y pratiquer le travail manuel obligatoire, assaisonné de séances de "rééducation" idéologique. Ce délire criminel cessera avec l'arrivée au pouvoir de Deng dont le slogan marque le début du take off chinois : « qu'importe que le chat soit noir ou blanc, l'important est qu'il attrape les souris ».
Liu Jun, de retour à Pékin avec sa famille, va alors pouvoir suivre des études scientifiques. Il y obtient sa licence de mathématiques en 1985. Il part aux États-Unis pour entamer des études supérieures à Rutgers au New Jersey, puis à l’université de Chicago, où il soutient son doctorat en statistique. Ce savant s'établit à Harvard où il enseigne, pendant 25 ans, la statistique et la science des données.
Puis, patatras, Trump est réélu et commence alors une guerre contre les universités coupables d'idéologies non conformes. Ces assauts avaient débuté pendant sa première mandature, dès 2016, mais ils prennent une ampleur inégalée depuis le lancement, aujourd'hui, d'une campagne néo-maccarthyste. Les « mises au pas », Liu Jin connaît et en a soupé. Lui et sa famille en furent déjà victimes. Aussi, quand l'administration trumpiste tente de mettre à genoux Harvard en supprimant 3 milliards de dollars de subventions fédérales, Liu Jun prend ses cliques et ses claques et fonce à Pékin rejoindre l'université Tsinghua.
La cérémonie officielle de son entrée à l'université Tsinghua, le 30 août 2025, par sa mise en scène, fait sens. Pour son entrée triomphale, Liu Jun reçoit le plus haut titre académique de l'université, celui de "Distingué professeur titulaire de Tsinghua". A ses cotés, le président de l'université, également secrétaire du Parti communiste chinois au sein de l'université, poste stratégique de direction et de supervision des politiques éducatives et scientifiques. Celui-ci est également membre de l'Académie des Sciences de Chine.
Lors de cet événement Liu Jun explique : « Quitter Harvard pour Tsinghua n'était pas un choix facile, mais face aux réductions drastiques de financement et au climat d'incertitude, je devais chercher un environnement où la recherche est réellement valorisée et soutenue. »
On ne peut mieux signifier le retournement en train de s'accomplir dans cette compétition scientifique mondiale.
Ce champ d'exploration de l'IA et des mégadonnées, le gouvernement chinois l'investit et le considère comme prioritaire. L'université où Liu Jun enseigne aujourd'hui vient, par exemple, de créer en juillet dernier le département de statistique et de science des données.
Depuis plusieurs années, le gouvernement chinois met en œuvre des programmes très attractifs en direction des scientifiques avec, notamment, le plan dit des "1 000 talents" (2) qui offre des primes conséquentes, des bourses de recherche, des postes de choix dans des universités et centres Recherche et Développement, ainsi que des conditions de vie avantageuses pour attirer voire rapatrier des scientifiques chinois exerçant en Occident.
Autant dire que l'agression contre les meilleures universités du pays entreprise par Trump et ses amis représente comme une divine surprise pour Pékin. La Chine réussit un double coup : accueillir l'intelligence du monde et en priver les États-Unis et, plus généralement, l'Occident. Liu Jun s'inscrit dans ce mouvement en essor. Tout comme Yang Dan, neuroscientifique réputé de Berkeley qui, lui, est reparti dès 2024 à Pékin.
Le très réputé nanochimiste de Harvard Charles Lieber, condamné pour ne pas avoir divulgué un financement chinois de ses recherches, a rejoint l'université Tsinghua en mai 2025, pour y diriger des projets en nanosciences (3). Le mathématicien Sun Song, ancien professeur à l'université de Berkeley et considéré comme un candidat sérieux pour la médaille Fields (l'équivalent pour les mathématiques du prix Nobel), a rejoint l'université du Zhejiang, proche de Shangaï, en 2024. Avant lui, cette université avait également recruté le mathématicien chinois Ruan Yongbin, spécialisé dans la géométrie algébrique, enseignant à l'université du Michigan. De même, le théoricien des nombres Liu Yifei de Harvard avait rejoint cette université.
Le physicien français, et lauréat du prix Nobel, Gérard Mourou a accepté en octobre 2024 une chaire à l'université de Pékin, où il est chargé de créer un nouvel institut de physique axé sur la collaboration internationale. Wang Zhonglin, pionnier de la nanotechnologie et largement considéré comme le « père des nanogénérateurs », s'est également installé à plein temps en Chine en 2023, prenant la direction de l'Institut de nanoénergie et des nanosystèmes de Pékin. Il enseignait principalement à la Georgia Institute of Technology (Georgia Tech) aux États-Unis, où il occupait le poste de Hightower Chair en science et ingénierie des matériaux à l'Insitut de technologie de la Géorgie. C'est une chaire universitaire dotée par fonds de dotation, généralement attribuée à un professeur éminent dans un domaine spécifique. Elle porte le nom de la famille Hightower, qui la finance. Ses travaux trouvent de nombreuses applications dans les domaines de la médecine, de l'énergie, de l'industrie et... de la défense.
La liste est donc longue de cette fuite inédite de cerveaux prestigieux vers la Chine. Elle s'allonge au rythme de la montée du néo-fascisme aux États-Unis. Plus Trump brandit son Make America great again, plus il détruit le futur des USA. Sous le regard sidéré et/ou réjoui du reste du monde. Un sondage de mars 2025 démontre l'immense angoisse des chercheurs états-uniens. Réalisé auprès d'un échantillon de 1.068 universitaires américains et portant sur la question : « Êtes vous un chercheur qui envisage de quitter le pays suite aux perturbations dans le domaine scientifique provoquées par l'administration Trump ? », 75,3% des sondés répondent "oui ". (4)
La politique de séduction chinoise a donc de beaux jours devant elle. Selon un rapport publié en janvier 2025, par Dongbi Data (5), société technologique basée à Shenzhen, spécialisée dans l'analyse des données, la Chine aurait dépassé les États-Unis en nombre de scientifiques de haut niveau, avec une croissance fulgurante de ses savants et une chute concomitante du "vivier" américain. En 2024, La Chine comptait plus de 32.000 chercheurs de premier plan, dépassant déjà les 31.700 répertoriés aux USA ! (6) Depuis l'arrivée de Trump, le mouvement s'est encore accéléré et nous assistons à ce qui s'apparente à un effet boomerang.
Mao Tse Toung aimait à utiliser l'expression biblique du « colosse aux pieds d'argile » en dénonçant les États-Unis et l'impérialisme en général. Il n'imaginait pas que la Maison Blanche organiserait ainsi son suicide.
« En toute chose il faut considérer la fin » concluait La Fontaine dans sa fable du Renard et du bouc. Sur la table de chevet de Trump trônent, parait-il, les discours d'Hitler. Il eût mieux valu pour les États-Unis que ce soient les œuvres complètes de notre fabuliste national.
Michel Strulovici
NOTES
(1). Je ne saurai trop conseiller sur cette période la biographie titrée Mao : l'Histoire inconnue, écrite par Jung Chang, écrivaine chinoise installée au Royaume-Uni, et l'historien Jon Halliday. Publié en 2005, ce livre retrace la vie de Mao Zedong en s’appuyant sur des interviews de personnes proches de Mao, des mémoires politiques récemment publiées, ainsi que des archives chinoises et russes nouvellement accessibles.
(2). Le plan des Mille Talents (ou programme « 1 000 talents ») est une initiative chinoise lancée en 2008 par le Parti communiste chinois. Son objectif est de recruter des scientifiques, entrepreneurs et experts de haut niveau, principalement dans les domaines des biotechnologies, des technologies de l'information et des industries high-tech. Initialement conçu pour attirer les Chinois vivant à l'étranger, il s'est étendu depuis 2011 aux experts étrangers non chinois. Le programme offre des avantages financiers très attractifs, comme des primes importantes en début de contrat et des aides diverses (logement, recherche) pour attirer ces talents en Chine.
(3). En 2011, Charles Lieber a été nommé par l'agence Reuters comme le premier chimiste au monde pour la décennie 2000-2010 en fonction de l'impact de ses publications scientifiques. Il est connu pour ses contributions à la synthèse, l'assemblage et la caractérisation de matériaux et de nanodispositifs à l'échelle nanométrique, l'application de dispositifs nanoélectroniques en biologie et en tant que mentor de nombreux leaders en nanoscience. (Source Wikipedia)
(4). Voir la Revue Grand Continent du 29 mars 2025.
(5). Dongbi Data produit notamment des rapports et des indices sur la recherche scientifique mondiale, comme le "Dongbi Index," qui analyse les tendances et la répartition des scientifiques de haut niveau à l'échelle globale.
(6). Le rapport cité indique qu'entre 2020 et 2024, le nombre de scientifiques de haut niveau en Chine est passé de 18.805 à 32.511, tandis qu’il a diminué aux États-Unis de 36.599 à 31.781. Ce basculement reflète aussi la stratégie chinoise d’investissement massif dans la formation et la recherche, alors que les États-Unis font face à des défis d’investissement dans l’éducation scientifique, accentué par la politique de terre brûlée dans ces domaines voulue par l'administration Trump.
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