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Un journal dans la guerre

L'équipe de rédaction de The Kyiv Independent, dans les locaux du journal.


Publié en anglais, né dans la foulée d’un licenciement collectif au Kyiv Post, The Kyiv Independent s’est imposé comme une voix libre et essentielle depuis l’invasion russe. Financé par ses lecteurs et des campagnes participatives, ce média ukrainien a fait le choix du journalisme d’investigation, même face aux risques et aux pressions. Sa rédactrice en chef, Olga Rudenko, appelle au soutien.


« Les pourparlers de paix entre l'Ukraine et la Russie à Istanbul, après avoir fait l'objet d'un battage médiatique, se sont transformés en une véritable pagaille d'injures », titre ce jour The Kyiv Independent.


The Kyiv Independent est un journal en ligne ukrainien de langue anglaise, fondé en novembre 2021 par d’anciens journalistes du Kyiv Post après leur licenciement pour avoir défendu l'indépendance éditoriale. Basé à Kyiv, il s’est rapidement imposé comme une source majeure d'informations fiables sur l'Ukraine, notamment depuis l'invasion russe en février 2022. Le journal est financé principalement par des dons de lecteurs et des campagnes de financement participatif. Il a également reçu des subventions de la part du gouvernement canadien et de l'USAID (cette dernière source étant aujourd'hui tarie). Au lancement du journal, « le représentant d'un oligarque ukrainien a déclaré que son patron était prêt à nous financer. Nous avons réalisé que cela impliquerait des compromis sur l'indépendance éditoriale, et nous ne l'avons pas accepté ", confie la jeune rédactrice en chef du Kyiv Independent, Olga Rudenko.


Cette indépendance viscérale, The Kyiv Independent l'a manifestée peu après le début de l'invasion russe. Olga Rudenko a raconté cette histoire lors du symposium d'été du Centre for Investigative Journalism (CIJ), en juin 2023 (l'intervention d'Olga Rudenko a été publiée par le Global Investigative Journalism Network, ICI) :


« L'été [2022] a commencé et les choses à Kyiv commençaient à se normaliser. Le calme régnait à Kyiv, même si d'autres régions de l'Ukraine étaient en proie à des combats. Je commençais tout juste à reprendre mon souffle lorsqu'une journaliste me dit qu'elle a un tuyau pour un article d'investigation et qu'elle doit m'en parler parce que c'est un article risqué. Elle avait des informations selon lesquelles il se passait de très mauvaises choses dans l'une des unités de l'armée ukrainienne, plus précisément dans la Légion internationale, formée d'étrangers désireux de se porter volontaires pour combattre pour l'Ukraine. (...) Pour couronner le tout, l'un des commandants est un ancien gangster polonais recherché en Pologne et faisant l'objet d'une enquête criminelle en Ukraine également. Le problème est qu'à l'époque, le journalisme d'investigation en Ukraine était en quelque sorte en pause. Tout le monde se concentrait sur les crimes de guerre russes. Personne ne songeait à enquêter sur l'armée ukrainienne. Nous avions l'impression que nous étions dans le même bateau, que les militaires nous défendaient, qu'ils étaient intouchables. Nous craignions que la publication de cette histoire ne ternisse l'image de l'Ukraine à un moment où nous dépendons de nos alliés pour l'aide, les armes et le financement. Nous pourrions être qualifiés de traîtres dans notre pays. Nous pouvions faire l'objet de brimades ou de poursuites judiciaires car l'Ukraine est soumise à la loi martiale, ce qui donne beaucoup de liberté au gouvernement en ce qui concerne la presse. La troisième menace était que le principal protagoniste de l'histoire est un gangster qui a accès à beaucoup d'armes en ce moment. Que se passerait-il s'il voulait s'en prendre aux journalistes ? Des journalistes ont déjà été tués en Ukraine.

Il s'agissait d'un test énorme et très important pour nous. Nous avons décidé que nous allions publier ce reportage en faisant de notre mieux. Nous allions vérifier nos sources, faire preuve d'une grande diligence, mais nous allions publier l'article. Pourquoi ? Nous ne croyons pas à l'autocensure, et nous ne pensons pas que la guerre soit une excuse pour cela. Nous pensons que mettre en lumière les fautes commises par l'armée ukrainienne, même en temps de guerre, c'est aider l'Ukraine à long terme. Et nous étions prêts à prendre des risques. Quelques jours avant la publication, j'étais assise sur le sol de ma cuisine avec la version finale de l'article, 18 pages, et j'ai eu une petite crise de panique. Je craignais pour la sécurité des journalistes, pour les implications possibles pour eux et pour le Kyiv Independent. Mais nous avons publié l'article et la deuxième partie quelques mois plus tard. Cette deuxième partie contenait de nouvelles allégations, notamment le détournement d'armes, un sujet très dangereux. Cet article a ensuite remporté le Prix de la presse européenne, l'une des récompenses les plus prestigieuses que l'on puisse obtenir en Europe. J'ai pleuré lorsque j'ai appris la nouvelle, car je me souviens que j'étais assise sur le sol de ma cuisine, paniquée à l'idée de publier cet article, et je me souviens de toute la force qu'il nous a fallu pour le publier, et j'ai eu l'impression que cela avait en quelque sorte porté ses fruits. »


Hier, Olga Rudenko a adressé aux lecteurs du Kyiv Independent un message particulièrement touchant, qui est aussi un appel à soutiens :


« Avec notre communauté, nous avons choisi de répondre à l'horreur de la guerre et de l'agression russe par des actions. Ensemble, nous avons raconté des milliers d'histoires, servi d'yeux au monde sur le champ de bataille, documenté les atrocités russes et enquêté sur les crimes de guerre.

Aujourd'hui, nous voulons répondre aux nouveaux défis en faisant plus.

Alors que le monde commence à se lasser de l'Ukraine, nous en parlerons encore plus fort. Comme la trahison est dans l'air, nous crierons à ce qu'elle coûtera. Alors que la Russie cherche à s'en tirer avec des atrocités, nous les rendrons difficiles à oublier. C'est notre plan et notre promesse.

Pour faire plus, nous avons besoin de plus, de plus de personnes pour se tenir à nos côtés.

C'est pourquoi nous avons lancé aujourd'hui un effort pour faire croître notre communauté à 20.000 membres. Pour y arriver, nous devons recruter plus de 2.000 nouveaux membres.

Pour moi, cet objectif de croissance se connecte très naturellement à l'état d'anxiété dans lequel nous nous trouvons – c'est notre réponse à celui-ci. J'y vois de l'espoir, de la force et le sens d'un défi à relever. »


Nous ne savons que trop, aux humanités, que les moyens en jeu, pour produire une information indépendante, exigeante et de qualité, sont l'un des nerfs de la guerre (et évidemment, nous ne sommes pas en guerre comme l'est l'Ukraine). Pour soutenir l'équipe de The Kyiv Independent, il en coûte 5 € par mois (comme pour les humanités). Le lien, c'est ICI.


Jean-Marc Adolphe

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