LE TOUR DU JOUR EN 80 MONDES. De la Somalie sous sècheresse-famine aux États-Unis sous ouragan et évangélistes, de l’Iran sous mollahs à la Grèce sous marée humaine, en passant par Cuba, Mexico, Haïti et autres havres de pas toujours paix, ce voyage en humanités se termine en Inde avec Durga, la déesse bengalie qui a triomphé du bien sur le mal, à Kolkara, alias la « ville de la joie ». Parce que sinon, comme le chantait Catherine Ribeiro, ce n’est rien que vies monotones, chacun pour soi et tout le bazar.
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« Nous avons des vies monotones / Rien dans le cœur rien dans la main / Comme on ne dit plus rien à personne / Personne ne nous dit plus rien / Nous avons des vies monotones / Des maisons vides et fermées / Des portes lourdes et blindées / Que n'ouvriront plus jamais personne / Mais comme il faut quand même qu'on vive / Ce soir avec le même convive / C'est pas le festin qu'on croyait / Pas de fusée pas de vin pas de sorbet / Y'a plus qu'à tirer la nappe à soi / Continuer chacun pour soi / Nous avons des vies monotones / Rien dans le cœur rien dans la main / Comme on n'attend rien de personne / On n'a plus réponse à rien / Nous avons des vies monotones / Entourées d'hommes et de chiens / Ceux qui mangent dans notre main / Ce sont ceux-là qu'on abandonne / Mais comme il faut quand même qu'on vive / Ce soir avec le même convive / C'est pas la fête qu'on croyait / Où sont les lumières qui brillaient / Y'a plus qu'à tirer la nappe à soi / Continuer chacun pour soi / Nous avons des vies sans mélange / Qui s'en iront de tous côtés / Raides et droites comme une planche / Sur l'océan de pauvreté / Mais comme il faut quand même qu'on vive / Ce soir avec le même convive / C'est pas le festin qu'on croyait / Pas de fusée pas de vin pas de sorbet / Y'a plus qu'à tirer la nappe à soi / Continuer chacun pour soi. »
Catherine Ribeiro, Vies monotones
« Vivre libre », dernier concert filmé au Bouffes du nord, le 12/02/1995
Il a suffi qu’il dise « Pas de panique » pour que la panique s’installe. Au début, son porte-parole et l’un de ses ministres avaient minimisé la situation, « mais non mais non, tout va bien, il y a des tensions ici ou là, mais on, gère ». On en est arrivés là, quand des responsables disent « on gère », les gens commencent à flipper. Et alors, soupçonneux qu’on les mène en bateau, ils sont prêts à prendre la tangente, à charger la bagnole de kérosène, et en voiture Simone. Pour aller où ? Oh, pas bien loin, juste faire le tour du quartier, plusieurs fois. Et à force de faire le plein des pleins, jerricanes compris, les réserves se vident. Chacun qui pouvait a rempli sa peur de manquer, à la fin ça fait pénurie pour les autres, mais comme chantait Catherine Ribeiro, « Y'a plus qu'à tirer la nappe à soi / Continuer chacun pour soi. »
C’est comme avec les masques, au début du Covid, plutôt que de dire « zut, on a merdé, on n’a pas vu venir et on n’a pas renouvelé les stocks », la gouverne-qui-ment a prétendu que tout était sous contrôle, « on gère ». Les gens, ils voyaient bien que des masques, il n’y en avait pas tant que ça, pas pour tout le monde, pas tout le temps. Là, c’est pareil avec l’essence. Il eut fallu dire : risque de tarissement (sinon de provisoire pénurie), à partir de ce soir minuit, c’est 20 litres de carburant par personne, sauf pour ambulanciers et autres qui nécessitent pour travailler.
Pendant quelque temps, on a bien manqué de moutarde, on a préféré dire que c’était rapport à l’Ukraine alors que la raison majeure venait du réchauffement climatique et de récoltes foireuses au Canada, vu que la « moutarde de Dijon », elle est essentiellement fabriquée à partir de graines de moutarde noire importées du pays à la feuille d’érable. La vie sans moutarde, on s’y est habitués, et même maintenant dans les supermarchés, pas plus d’un pot de moutarde par personne. Il n’y a pas encore eu de manifestations, pourtant ça aurait de la gueule. L’essence, c’est autre chose. Je ne sais qui a choisi ce mot pour désigner un hydrocarbure, ça été un coup de génie : l’essence, c’est devenu l’essence-même de nos vies dopées au pétrole.
Ici-bas, en tout cas, parce qu’il y a d’autres mondes, même si on préfère ne pas les voir.
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« Et la lune qui vagabondait / Entre nuage et cyprès / Une larme s'écrasait dessus la mer / Et l'enfant qui la regardait /
La prenant pour un lampion / Entendit des pleurs et des lamentations / La misère... jamais... / La misère... jamais... / Jamais... »
(Catherine Ribeiro, La Lune)
Camp de déplacés à la périphérie de Dollow, en Somalie. Photo Jérôme Delay
En Somalie, ils sont en panne des sens. Celui du goût, en tout cas.
« Le lait de chamelle frais me manque. Je l'adorais », dit Nimco Abdi Adan, 29 ans, en souriant à ce souvenir. Elle n'en a pas goûté depuis deux ans. Nimco fait partie des milliers de personnes qui ont atterri dans un camp de déplacés à la périphérie de Dollow.
La Somalie est en proie à la pire sécheresse dont on puisse se souvenir. Dans cette nation de poètes, les sécheresses sont nommées en fonction de la douleur qu'elles provoquent. Il y a eu "Prolongée" dans les années 1970, "Tueuse de bétail" dans les années 1980, "Equal" il y a cinq ans pour sa portée à travers le pays. Il y a dix ans, c'était simplement "Famine", qui a tué un quart de million de personnes. Les Somaliens disent que la sécheresse actuelle est pire que toutes celles dont ils se souviennent. Elle n'a pas encore de nom. Diriye, qui pense que personne ne peut survivre dans certains des endroits qu'il a visités, en suggère un sans hésitation : "White Bone" (Os blanc). Des milliers de personnes sont mortes, dont près de 900 enfants de moins de 5 ans traités pour malnutrition, selon les données des Nations unies. L'ONU affirme qu'un demi-million de ces enfants sont en danger de mort, « un cauchemar à venir, que nous n'avons jamais vu au cours de ce siècle. »
Au cœur de cette crise, en plus du réchauffement climatique, dans les zones où la famine sera probablement déclarée, se trouve un groupe extrémiste islamique lié à Al-Qaïda. On estime que 740.000 des personnes les plus désespérées par la sécheresse vivent dans des zones contrôlées par les extrémistes d'Al-Shabab. Pour survivre, ils doivent s'échapper. L'emprise d'Al-Shabab sur de grandes parties du sud et du centre de la Somalie a largement contribué aux décès de la famine de 2011. Une grande partie de l'aide n'a pas été autorisée à pénétrer dans ces zones, et de nombreuses personnes affamées n'ont pas pu en sortir. (Reportage complet -en anglais- sur Associated Press, photos Jerome Delay, ICI)
Ci-dessous : séquence photos. Camp de réfugiés à Dollow, en Somalie (7 photos). Photos Jérôme Delay / Associated Press. Jérôme Delay est le photographe en chef d’Associated Press pour l’Afrique. Son compte Twitter : https://twitter.com/jeromedelay
A Cythère, marée humaine
A 220 kilomètres au sud d’Athènes, l’île de Kythira est bien connue sous le nom francisé de Cythère. « Une quarantaine de villages pittoresques, des plages paradisiaques, une mer aux bleus étourdissants, un ancien château vénitien, de bonnes tavernes traditionnelles : cette île offre de multiples perspectives. Ce qui en fait une destination idéale pour quelques jours de vacances », vante un site de tourisme. Eux n’étaient pas vraiment en vacances. Au matin du jeudi 6 octobre, un voilier transportant une centaine de migrants a coulé en raison de vents violents. Autant qu’ils ont pu, habitants de l’île et pompiers ont secouru les naufragés. Pas tous : 22 morts et une douzaine de disparus. Au milieu d'épaves brisées dans les eaux balayées par le vent, la vague s’est mise à rejeter des corps flottants.
Ce naufrage-là, ce naufrage de plus, comme bien d’autres, c’est notre naufrage à tous. Naufrage moral et politique.
Photo Thanassis Stavrakis / Associated Press
Nature en furies
La nature est humaine, trop humaine. La preuve : aux ouragans, on leur donne des prénoms, c’est bien la preuve que nous les avons enfantés. Le dernier né s’appelait Ian. Et il restera dans l’histoire de la météorologie
comme l'un des phénomènes cycloniques les plus dévastateurs. Une « catastrophe naturelle », qu’on dit, sauf qu’elle n’est pas totalement si naturelle que ça. En Floride, au moins 100 morts et près de 50 milliards de dollars de dégâts estimés, selon les assurances. Hélas pas encore suffisant pour que les Américains rapprochent leur mode de vie de celui de la Somalie et arrêtent de continuer à détruire la planète.
Avant la Floride, Ian a fait un petit tour par Cuba, avec des vents qui ont dépassaient les 200 km/h. Dans la nuit du 26 au 27 septembre, il a particulièrement touché les provinces de Mayabeque et de Pinar del Río, où plus de 100.000 maisons ont été détruites.
Dans la province de Pinar del Rio, justement, au matin du 5 octobre, à La Coloma, un enseignant séchait au dehors les livres de son école (Photo Ramon Espinosa / Associated Press).
Le souffle des colères
Un ouragan, on sait calculer sa force. Est-ce qu’on sait calculer la vitesse d’une colère ? Depuis 1825, Haïti, « coupable » de s’être affranchie de l’esclavage, n’a jamais pu remonter la pente du « racket français » qui lui fut imposé, et qui aura représenté pour Haïti un manque à gagner évalué à 115 milliards de dollars. (Lire ICI). L’ancien président François Hollande a bien voulu consentir à parler d’une « dette morale » de la France, mais pas plus, hein ? De là à reconnaître que la forteresse de Bercy a été en partie sur la spoliation des richesses haïtienne, il y a un sacré pas… que ne franchira pas non plus Emmanuel Macron, issu du même sérail colonialiste-esclavagiste. « Brigitte, où sont mes boutons de manchette ? »
Alors, à Haïti, parfois la colère s’embrase, avec des moyens de fortune, comme ce jeune homme armé d’un fusil… morceau de bois, lors d’une manifestation appelant à la démission du Premier ministre Ariel Henry, à Port-au-Prince, le 3 octobre 2022. (Photo Odelyn Joseph / Associated Press)
En Équateur, une femme pleure en tenant son enfant dans ses bras alors qu'elle attend des nouvelles de son compagnon détenu à l'intérieur de la prison de Latacunga, après une émeute meurtrière qui a fait au moins 15 morts et 20 blessés, le 4 octobre. (Photo Dolores Ochoa / Associated Press)
Au Mexique, le 2 octobre, a eu lieu une marche en souvenir du massacre de Tlatelolco, à Mexico, en 1968. Ce jour-là, les forces armées mexicaines avaient ouvert le feu sur un groupe d’étudiants et de civils qui manifestaient sur la Place des Trois Cultures contre les Jeux olympiques d'été de 1968, dix jours avant leur ouverture. Il y eut entre 200 et 300 mots, le nombre exact de victimes n’a jamais été élucidé (Lire ICI). 54 ans plus tard, un manifestant brandit une pancarte sur laquelle on peut lire en espagnol "Bon flic = flic mort". Photo Marco Ugarte / Associated Press.
En Iran, « Bon flic = flic mort », c’est un slogan qui devrait faire sens. Alors qu’à Téhéran et dans quasiment toutes lesvilles de l’islamique république, les manifestations ne faiblissent pas après le brutal décès de Mahsa Amini, arrêtée à Téhéran par la sinistre "police des mœurs" iranienne ; c’est à Washington que manifeste Nasi, le 1er octobre. Sa fille a été tuée le 8 janvier 2020 lorsque le Corps des gardiens de la révolution islamique a abattu l'avion de ligne Ukraine International Airlines Flight 752, tuant les 176 personnes à bord (un récit exclusif à venir bientôt sur les humanités). Photo Cliff Owen / Associated Press.
Des mollahs aux évangélistes, c’est la même daube
Aux États-Unis, ces derniers (évangélistes), anti-avortement, anti-LGBT, anti-BlackLivesMatter, climatosceptiques, covidosceptiques, etc, s’investissent à fond dans le ReAwaken tour, un mouvement de protestation qui estime que la "victoire" de Trump a été volée aux dernières élections, et qui s’agitent en vue des élections de mi-mandat.
Restaurer et protéger les racines chrétiennes de la nation, tel est le message répété à l’envi par ces néo-fascistes religieux qui rêvent de déconstruire l'idéal constitutionnel d'une démocratie pluraliste.
Photos ci-dessous, de gauche à droite : à l'église Cornerstone de Batavia, dans l’État de New-York, une femme se fait baptiser, le 12 aout dernier, aux couleurs du drapeau américain. Dans cette même église Cornerstone, les militants prient. Selon un sondage réalisé par l'Université du Maryland en mai dernier, 61 % des républicains sont favorables à ce que les États-Unis soient déclarés nation chrétienne. Leur candidat, dans ce coin de l’État de New York, est un certain Roger Stone, lobbyiste libertarien qui a travaillé pour les campagnes de Richard Nixon, de Ronald Reagan, de George W. Bush et de Donald Trump, condamné à 40 mois de prison pour trafic d’influence mais gracié par Trump. Le cabinet de lobbying qu’il a fondé a notamment travaillé pour Mobutu au Zaïre et pour Marcos aux Philippines, ce qui lui a valu le surnom de "lobby des tortionnaires". Une autre de ses spécialités est d’avoir validé les "théories du complot" en revendiquant l’usage des "fake news". Donc, quelqu’un à qui même le Bon Dieu ne donnerait pas la confession. (Photos Carolyn Kaster / Associated Press).
Ces dérangés du ciboulot se sont donnés une effigie qui confortent leurs croyances : une petite statuette de Donald Trump dorée à l’or fin….. Même le rebord de ma cheminée n’en voudrait pas, pour tout l’or du monde ! (Photo Carolyn Kaster / Associated Press).
En Inde, d’autres effigies
En Inde, c’était il y a peu, le temps du festival de Kolkata, la Durga Puja, déclaré en décembre dernier "patrimoine culturel immatériel de l'humanité" par l’UNESCO, et dont c’était la première édition après deux années pandémiques. Kolkata, c’est la « ville de la joie », et ce festival de cinq jours commémore le massacre d'un roi démon par la déesse Durga, marquant le triomphe du bien sur le mal.
Le festival est marqué par des prières à Durga, des fêtes, des réjouissances, de la musique, des danses et des pièces de théâtre qui marquent la victoire du bien sur le mal. Les gens visitent des centres communautaires richement illuminés et décorés avec des idoles de Durga et d'autres déesses vénérées par la communauté bengalie. Les artistes ont commencé à préparer le festival il y a plusieurs mois en fabriquant des milliers d'idoles en argile à Kumortuli, la plus ancienne colonie de potiers de Kolkata. Le quartier artistique s'est développé de manière anarchique dans les ruelles étroites et encombrées de la rive orientale de la rivière Hooghly. Les visages des idoles sont moulés ou même fabriqués à la main. L'argile est recueillie dans la rivière Hooghly et mélangée à de petits morceaux de foin et à de la poussière de bois recueillis dans les scieries. Les artistes peignent les idoles dans les couleurs choisies par leurs clients.
Photos Bika Das (diaporama 6 photos) / Associated Press