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Le djihad orthodoxe du Kremlin

Le patriarche Kirill et Vladimir Poutine visitent une église marine lors de la journée de la marine à Saint-Pétersbourg le 30 juillet 2017. Poutine bombarde, Kirill bénit. Tandis que les missiles russes s’abattent sur les villes ukrainiennes, le patriarche orthodoxe encense la guerre comme un combat contre le « Mal occidental », avec pour seul évangile la domination spirituelle du « monde russe » et son rouleau compresseur : églises récupérées, lieux de culte rasés, fidèles persécutés, pasteurs déportés. The Kyiv Independent a notamment documenté la situation à Melitopol, où la coexistence religieuse qui prévalait a été totalement éradiquée. La guerre ? Une lutte spirituelle contre les « forces du mal ». Dès le début de l’invasion russe, le patriarche Kirill, grand mamamouchi à barbe blanche de l’Église orthodoxe russe, accordait sa bénédiction « spirituelle » aux missiles qui allaient s’abattre en Ukraine. Les soldats russes tués au combat ? Ils verraient leurs péchés effacés. Même les armes nucléaires trouvent grâce aux yeux du Grand Pontife du Monde Russe, vu que celles-ci ont été créées « avec des orientations divines accordées aux scientifiques soviétiques » . Des membres de l'Église orthodoxe russe bénissent un missile balistique Topol-M. Photo DR Rien de surprenant : le patriarcat de Moscou est un soutien inconditionnel de la dictature poutinienne et de sa guerre d’agression, et ses hiérarques, à commencer par Kirill, sont totalement inféodés aux services de sécurité du FSB, comme leurs prédécesseurs l’étaient au KGB. Et puisque la sainte Russie est en guerre « contre les forces du Mal », cette guerre est sans frontières. Depuis le début des années 2000, l’Église orthodoxe s’est employée à reprendre des dizaines de lieux de culte à travers le monde. A Paris, pas besoin de reprendre quoi que ce soit. Dès le 16 avril 2023, nous avions alerté sur les agissements de la cathédrale de la Sainte-Trinité, alias « le Kremlin sur Seine » ( ICI ), un projet qui a bénéficié du soutien de Nicolas Sarkozy, inauguré en grandes pompes le 15 octobre 2016 (deux ans après l’annexion de la Crimée). Un an plus tard, les 1er et 4 mars 2024, alors qu’une tribune publiée par Le Monde  s’indignait enfin de l’étrange mansuétude accordée à un "centre spirituel et cultuel" qui relaie en toute impunité la propagande du Kremlin, nous étions revenus sur cette "cathédrale de Poutine", fortement suspectée d’être un « nid d’espions » ( ICI et ICI ). Alors que l’Élysée semble commencer à s’inquiéter sérieusement des campagnes de désinformation russes, « le Kremlin sur Seine » continue de jouir d’une totale impunité.   Ancien ambassadeur de Russie en France, aujourd'hui agent d'influence du Kremlin, Alexandre Orlov était invité sur LCI le 25 mars dernier (capture d'écran). A l’époque, nous avions pointé le rôle d’Alexandre Orlov, ancien ambassadeur de Russie en France, invité le 31 janvier 2024 par le maire de Nice, Christian Estrosi, à donner une conférence au Centre universitaire méditerranéen de Nice au nom du « dialogue avec la société civile russe ». Devenu « agent d’influence » du Kremlin, régulièrement invité par les médias français (comme le 25 mars dernier, sur LCI, où il déclarait que « L’Europe ne pourra pas faire face à la Russie » ), Alexandre Orlov avait été à la manœuvre-manigance, en 2011, pour annexer abusivement au Patriarcat de Moscou la cathédrale orthodoxe Saint-Nicolas, à Nice, jusque-là gérée par une association indépendante. Ce n’était pas suffisant : à Nice, restait à conquérir le cimetière de Caucade et la « vieille église » Saint-Nicolas-et-Sainte-Alexandra, confiés depuis les années 2020 à l’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice (ACOR), affiliée au Patriarcat de Constantinople (et, à partir de 2019, au patriarcat de Roumanie). A l’issue d’une longue procédure judiciaire, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a finalement donné raison, le 24 avril, à la Fédération de Russie, estimant que celle-ci était l’héritière juridique de l’Empire russe. « On pensait que tout le monde avait ouvert les yeux sur la Russie de Poutine , déplore Tatiana Chirinsky Abolin, trésorière de l’ACOR. Mais on donne tout de même raison à un Etat voyou contre une association française qui a plus de 100 ans d’existence et promeut une pratique religieuse ouverte » (propos recueillis par Benoît Vitkine dans Le Monde  du 25 mai dernier). En Ukraine, dans les territoires occupés, une "conquête" religieuse qui passe par les destructions et les persécutions Une « pratique religieuse ouverte » ? Voilà qui, aux oreilles du patriarche Kirill, doit être synonyme « d’Occident dépravé ». En Crimée occupée, depuis 2014, l’Église orthodoxe d’Ukraine a été totalement éradiquée  (1) : la dernière paroisse qui subsistait, à Eupatoria, y a été détruite en juillet 2024, et les autorités russes ont été jusqu’à exiger que les fidèles paient les travaux de démolition. Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, la Russie a intensifié sa répression contre les communautés chrétiennes ukrainiennes dans les territoires occupés. Cette répression vise principalement les églises qui ne relèvent pas du Patriarcat de Moscou, mais touche aussi d’autres confessions chrétiennes.   Une église détruite par une attaque russe sur le village de Bohorodychne dans la région de Donetsk en Ukraine. Photo Vladyslav Musiienko. Un militaire ukrainien à l'intérieur d'une église orthodoxe lourdement endommagée par les bombardements russes à Novoekonomichne, dans l'est de l'Ukraine, le 17 septembre 2024. Photo Evgeniy Maloletka/AP   Plus de 640 édifices religieux, dont au moins 596 églises chrétiennes, ont été endommagés ou détruits dans les territoires occupés depuis le début de la guerre. L’Église orthodoxe russe a pris le contrôle de plus de 1.600 paroisses ukrainiennes et de 23 monastères, souvent contre la volonté des fidèles locaux. Selon le ministère ukrainien des Affaires étrangères, au moins 67 membres du clergé de différentes confessions ont été tués, et plus de 30 ont été illégalement détenus par les forces russes. Les responsables religieux non encore inféodés au Kremlin subissent des pressions, des arrestations, des accusations d’être des « agents étrangers » ou des « espions américains », notamment dans les communautés protestantes et évangéliques. Des cas d’enlèvements, d’interrogatoires, de détentions illégales, de torture et de confiscation de biens ont été documentés (Lire ICI certains témoignages recueillis par CNN, en anglais).   A Melitopol, ville du sud-est de l’Ukraine, les services du FSB ont ciblé avec un zèle tout particulier les églises, les pasteurs et les fidèles. Les églises protestantes, autrefois nombreuses, ont presque disparu, seules celles fidèles à Moscou restent ouvertes. Dans un documentaire d'investigation, intitulé « No God but Theirs » (Nul autre Dieu que le leur), l'unité d'enquête sur les crimes de guerre du Kyiv Independent  révèle la persécution des communautés chrétiennes ukrainiennes à Melitopol, un lieu de diversité religieuse et culturelle. Depuis l'invasion à grande échelle de la Russie, tout cela a changé. À mesure que l'occupation s'installait, les églises sont devenues plus que des lieux de culte, devenant des piliers de la résilience, où les habitants se rassemblaient pour prier quotidiennement. Les destructions et la répression russes ont tout éradiqué au nom d’une idéologie sans partage : celle qui considère que les Slaves orientaux appartiennent à un seul espace spirituel et historique sous la protection de l’Église orthodoxe russe. Que de crimes commis au nom de cette « protection » ! Documentaire à voir ci-dessous : Nous relayions voici peu l'appel du Kyiv Independent , qui a produit ce reportage, à consolider son indépendance éditoriale ( ICI ) : l'objectif visé semble en être en bonne voie. L'an passé, The Kyiv Independent avait produit un autre documentaire, édifiant, sur les violences sexuelles utilisées par les Russes comme arme de guerre. Ce reportage (à voir ci-dessous) vient d'obtenir le Prix du journalisme ukrainien, avec la mention "Honneur de la profession". On ne dira jamais assez à quel point un certain journalisme est nécessaire. Et malgré tout, à Kyiv, un festival du livre En Ukraine, malgré les pires horreurs de la guerre imposée par Poutine, la culture ne baisse pas la garde. Le 13e festival Arsenal du livre se tient à Kyiv jusqu'à ce dimanche 1er juin. L'édition de cette année est co-organisée par la journaliste Oksana Forostyna   et l'historienne américaine Marci Shore, qui voit l’obsession de Poutine pour la « dénazification » de l'Ukraine comme une sorte de projection freudienne d'"accusation dans un miroir". En 2016, cette même historienne américaine, mariée à Timothy Snyder, avait qualifié Donald Trump de fasciste. Elle fut, à l'époque, qualifiée d'hystérique... « Tout est traduction »... Tel est le thème choisi pour cette édition. Traduire, pas seulement comme on pourrait l'entendre, d'une langue à une autre. Mais aussi : comment traduire une expérience ? Comment combler le fossé entre la langue et la guerre ? « Je crains qu'une grande partie de la souffrance humaine ne reste silencieuse pour l'éternité » , écrit Marci Shore. « Dans ces conditions, nous devrions d'autant plus apprécier ce que la langue peut faire, même si c'est de manière imparfaite, et apprécier ceux qui tentent de traduire en mots des moments à la frontière même de l'expérience humaine. Nous ne comprendrons jamais parfaitement l'expérience de quelqu'un d'autre, d'autant plus dans des situations extrêmes. Cela dit, l'acte de traduction - traduire nos propres expériences en langage, et traduire les expériences de quelqu'un d'autre d'une langue à une autre - est un acte de foi dans la possibilité d'une certaine forme de compréhension ». Jean-Marc Adolphe   NOTES (1). En juin 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a reconnu la responsabilité de la Russie dans des violations systématiques de la liberté religieuse en Crimée. Parce que vous le valez bien, les humanités  ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements   ICI Et pour recevoir notre infolettre :   https://www.leshumanites-media.com/info-lettre

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