Michel Strulovici

28 juil. 20236 Min

Quand les fonds de pension épuisent les nappes phréatiques

Cet été à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme) : les bords de l'Allier sont asséchés. Photo Renaud Baldassin / "La Montagne"

Le réchauffement climatique n'est pas seul responsable de la sécheresse ! Ainsi, les scientifiques ont beau alerter, depuis des années, sur l'impact des captages effectués par Volvic dans l'assèchement des nappes de la région des puys, en Auvergne, rien ne change. Quelle que soit l'ampleur des dommages écologiques (et désormais humains), les fonds de pension américains qui contrôlent le Groupe Danone, propriétaire de Volvic, ne sont pas disposés à calmer leur soif... de profits. Un exemple parmi d'autres d'une frénésie financière prompte à épuiser les ressources naturelles.

Volvic, l'eau pure de nos volcans. Evian et ses bébés danseurs, Salvetat qui « a mis le Sud en bouteilles », Badoit et son "badadi et badada", Aqua en Indonésie, et partout de par le monde, à leurs sources, le puissant groupe Danone embouteille à tout va, non sans proclamer : « Nous voulons toujours faire le bien, afin que notre entreprise soit une force pour le bien dans le monde. Bon pour la santé, bon pour la planète et bon pour les gens, enracinés dans la vision "One Planet. One Health" de Danone ». Ça, c’est du slogan !

De son côté le survitaminé groupe Nestlé capte les eaux de Vittel, celles qui nous donnent « un plus pour l'immunité », de Vergèze devenues Perrier, qui conjuguent « eau, air, vie » , de Hépar et « sa joie d'avoir un bon transit », de Contrex , « notre partenaire minceur », etc. (1)

Miracle de l’Évangile du capitalisme qui transforme l'eau, bien commun, en dividendes…

Volvic, saint-Graal

Prenons le cas de Volvic, l'exemple type du rapport entre le bouleversement de nos vies, cette ère anthropocène qui s'annonce et le rôle du capitalisme d'aujourd'hui. Volvic appartient, eau et âme, à Danone, qui fait lui-même génuflexion devant ses maîtres, les fonds américains dont le Massachusetts Financial Services (MFS), le célébrissime BlackRock (présent également chez Nestlé) ou encore Artisan Partners, domicilié dans l’État américain du Delaware, havre fiscal bien connu… Suivent, dans cette liste de mariage, d'autres fonds du même type, dont Bluebell Capital, un fonds dit "activiste" qui a obtenu en mars 2021 le limogeage du PDG de Danone, Emmanuel Faber (2) ; ainsi que des banques. La Caisse des dépôts et Consignations (1,7%) fait de la figuration, mais en profite quand même…

Les investisseurs institutionnels, comme on dit dans les dîners du Siècle, possèdent 78 % de l'ensemble. La moitié sont américains et seulement 20% français (voir ICI)

Voilà ce que vous buvez réellement quand vous étanchez votre soif avec "l'eau pure de nos volcans". Mais pourquoi raconter une histoire aussi désespérante ?

Au matin du 24 juillet, une fois n'est pas coutume, le journaliste de France Info, en préliminaire de la deuxième étape (Clermont-Ferrand – Mauriac) du Tour de France féminin, a fait son boulot. Il ne s'est pas autocensuré quand il a évoqué les problèmes de la Région.

44 communes, dont celle de Volvic, ont été déclarées en restriction d'eau par la Préfecture, depuis mai dernier. Et le barrage de Naussac (Lozère) ne permettra pas de soutenir le débit d’étiage de l’Allier. Il devrait être plein à cette période, or il est à 40 % de son taux de remplissage.

Pour parler de cette grave situation, le journaliste a notamment invité François Dominique de Larouzière. Cet hydrogéologue de l’association Preva (Préservation entrée volcans) et nouveau président du vénérable Institut des Sciences, belles Lettres et arts de Clermont-Ferrand, a fait une démonstration imparable des raisons de fonds ( de pension) de l'épuisement des nappes phréatiques de toute la région des puys.

Les deux sites de production de Volvic produisent chaque jour 4 millions de bouteilles ! Photo Frédéric Marquet / "La Montagne"

Volvic vampirise aujourd'hui 2,7 milliards de litres d'eau, soit six à huit fois plus que dans les années 1960 ! Et le géologue de faire le lien, constaté par des études scientifiques, entre ces cinq forages Volvic et l'assèchement des nappes phréatiques de la région. « C'est comme si on vidait la baignoire par le bas au lieu de la laisser déborder pour alimenter les cours d'eau », métaphorisait-il. Le 21 juin 2022, sur France Inter, ce même géologue expliquait déjà le phénomène en prenant l'exemple de la pisciculture de M. Edouard de Féligonde la plus vieille d'Europe, située à Malauzat près de Volvic (Puy-de-Dôme) : « Avant les captages, on avait un débit de 600 à 700 litres par seconde sur la source de la pisciculture. En 1983, on était descendu à 420 litres par seconde. Et en 2019, on est tombé à 70. »

Argument imparable : « lorsqu’on arrête de pomper à Volvic, ce qui se fait chaque année pour des opérations de maintenance, on voit le débit des résurgences remonter. Cela montre qu’il y a bien une corrélation directe.» Les scientifiques tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs années devant les conséquences de ces cinq pompages Volvic intensifs. Un ancien directeur de recherche du CNRS, Christian Amblard, expliquait au cours de la même émission de France Inter la dangerosité du processus. Plus d'eau pompée par Volvic, c'est moins d'eau dans les terres et les ruisseaux, c'est un sol plus aride, des arbres malades, des espèces en danger :

« certains ruisseaux deviennent des égouts, avec la pollution », s'alarmait-il. Et il prévenait : la population ne peut accepter ces conséquences pour la biodiversité, tout en voyant des millions de litres d'eau en bouteille partir dans des trains ou des camions, très souvent à l'étranger.

Quand l'air pur atteint des sommets...

Devant le tohu-bohu provoqué par leur soif inextinguible de profits, les propriétaires- fonds de pension, mènent campagne pour assécher la colère. Il faut aller voir la mignonne com de cette « eau minérale volcanique, source de force intérieure », pour croire en leurs efforts intenses pour rendre écolo le désastre environnemental observé en Auvergne. Certes, Volvic a décidé d'arrêter arrêt ses ventes au Japon, d'utiliser de nouvelles bouteilles en plastique totalement recyclables et aussi de baisser de 5% son pompage, etc. Mais il n'en reste pas moins que l'eau, ce bien commun et vital, continue d'être privatisée au grand bénéfice des actionnaires ; et qu'elle continuera à l'être, tant qu'elle représente une source de profits à l'aune des pénuries qui s'annoncent.

Markus Klinkmueller, patron de la société Swiss Air Deluxe, qui commercialise "l'air pur des montagnes". Photo Laura Zimmermann/Keystone

Après l'eau, voilà que certains rêvent de commercialiser « l'air pur de nos montagnes ». Une entreprise suisse, Swiss Air Deluxe, en a déjà initié la mise en spray en captant l'air à 3.000 mètres d'altitude ! Son directeur général l'affirme, ses produits sont un condensé de bienfaits pour la santé. Et ils s'arrachent comme des petits pains en Asie. « Les personnes qui vivent à la montagne ont moins de risques de développer des maladies cardio-vasculaires », remarque-t-il. Quand on sait qu'un adulte inhale en moyenne 10.000 litres d'air par jour et que la contenance du produit proposé contient 9 litres, on peut imaginer les profits colossaux encore en suspens que pourront faire les fonds financiers...

Créer la disette en épuisant les ressources naturelles pour un profit maximum et vendre pour de nouveaux profits les éléments en manque, telle est la loi de ce système.

Voici un siècle et demi, un philosophe anticipait ce pillage des ressources naturelles : « Tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les États-Unis d’Amérique, part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement et plus ce processus de destruction est rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. » (3)

Ce philosophe s'appelait Karl Marx. Dépassé, vraiment ?

Michel Strulovici

NOTES

(1). Autre aspirateur de nappes phréatiques, le groupe Alma/Roxane. Il s'agit d'une holding détenant des participations dans des entreprises commercialisant de l'eau plate et gazeuse en bouteilles. Le groupe possède 45 sources majoritairement en France et il occupe la troisième place des embouteilleurs français. Il commercialise entre autres Cristaline, Saint-Yorre, Vichy Célestins, Rozana, Saint Amand. Le groupe Alma a pour filiales Neptune et la Compagnie générale des eaux de source (CGES). Le groupe Alma réalise un chiffre d'affaires annuel de 1,1 milliard d'euros (en 2021).

(2). Un fonds "activiste" n’a rien à voir avec l’activisme écologique, par exemple. Les fonds activistes sont des fonds d'investissement qui se spécialisent dans des prises de participation (souvent minoritaire) dans des entreprises qu'ils estiment à fort potentiel, mais mal gérées. En novembre 2020, Bluebell Capital déplorait ainsi la performance boursière du Groupe Danone « décevante » et estimait que sous la présidence d’Emmanuel Faber, « le bon équilibre entre la création de valeur pour l’actionnaire et les questions de durabilité » n’avait pas été trouvé.

(3). Karl Marx, Le Capital, Livre I, pp. 566-567.

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