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2.000 morts, et puis l’oubli...

En mai 2024, au lendemain d'un glissement de terre meurtrier en Papouasie-Nouvelle6guinée. Photo Juho Valta/AP


Un an après le glissement de terrain qui a englouti le village de Yambali, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le bilan humain reste flou, entre 670 morts “officiels” et plus de 2.000 selon les communautés locales. Une catastrophe "naturelle" ? A l'époque, nous avions été les seuls à mener l'enquête à contre-courant. Quel bilan aujourd'hui ? L’aide internationale n’est jamais parvenue aux survivants, les ONG ont disparu du terrain, la presse internationale a tourné la page, et la mine d’or voisine a tranquillement repris ses activités. Décidément, la vie de certains ne pèse pas lourd face aux intérêts des multinationales.


Un an après la catastrophe, le bilan humain reste incertain. Le compteur est resté bloqué sur les premières estimations : 2.000 morts voire plus selon les communautés villageoises et les autorités locales, 670 selon l’ONU et l’Office International des Migrations, à partir d’images satellitaires. Combien de corps restent ensevelis sous les décombres ? Sans doute ne saura-t-on jamais. Il faut croire qu’en certains endroits de la planète, certaines vies comptent moins qu’ailleurs.


Le 24 mai 2024, un glissement de terrain dévastateur frappait la province d’Enga, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, engloutissant notamment le village de Yambali. Toute la presse internationale s’est fait l’écho de la catastrophe, attribuée à des précipitations exceptionnelles liée au changement climatique. Nous avons été les seuls, à l’époque, à véritablement enquêter et à remettre en cause la version officielle, en révélant l’impact  qu’a pu avoir la mine d'or de Porgera, la seconde plus grande mine d'or de Papouasie-Nouvelle-Guinée exploitée par une multinationale canadienne (lire ICI). Cette enquête fouillée n’a été reprise nulle part, surtout pas en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les deux quotidiens du pays sont contrôlés par un géant malaisien de l'exploitation forestière et par le groupe du milliardaire australo-américain Rupert Murdoch. Il y avait bien, jusqu’en 2022, une chaîne privée de télévision relativement indépendante. Pour avoir déplu à un membre du gouvernement, la responsable éditoriale de la chaîne a été licenciée pour “insubordination”, en même temps que 19 journalistes...


Après s’être fait l’écho de la catastrophe, la presse internationale s’est vite désintéressée du sujet. La Papouasie-Nouvelle-Guinée, c’est loin, et franchement, ça intéresse qui ? Après avoir contribué aux premiers secours (vivres, kits médicaux…), les ONG ont également déserté le terrain, difficile d’accès. Plus grave encore : l’aide internationale (environ 42 millions d’euros) n’est jamais arrivée à destination ! L’argent aurait été placé par le gouvernement papouasien sur un fonds fiduciaire, indique Willie Ipuia, un chef communautaire de Mulitaka, qui dénonce des faits de corruption.


Son reportage est recueilli par la radio néo-zélandaise, seul média a être retourné sur place un an après la catastrophe. Et le constat est plutôt accablant. Il n’y a toujours pas d’instance chargée de coordonner l'aide aux personnes déplacées et la reconstruction. Pour Andrew Ruing, un autre chef communautaire qui a vécu le glissement de terrain et a fait partie des personnes qui ont creusé dans les décombres pour tenter de dégager des survivants, « le gouvernement nous a laissé tomber » : « les corps sont toujours enterrés, il n'y a plus de maisons, plus de potagers. Tout a été détruit... Les gens sont dispersés partout »...


Un an après le glissement de terrain meurtrier, les personnes déplacées vivent encore dans des tentes

(ici, fourniers par le gouvernement australien). Photo DR


« Nous vivons toujours dans des tentes, il n'y a pas de travail, nous avons besoin de services tels que des écoles et des bureaux », poursuit Wamblip Junior, un survivant de la catastrophe, qui y a perdu deux enfants. Comme lui, beaucoup vivent encore dans des abris de fortune, sans accès à une aide suffisante, à l’eau potable ou à des services médicaux de base. Pourtant, la résilience des communautés reste palpable. Des initiatives locales émergent pour réhabiliter les terres, relancer l’agriculture et préserver la mémoire des disparus. Mais sans soutien institutionnel fort, ces efforts peinent à compenser l’ampleur des pertes.


Une multinationale canadienne, en toute impunité


La mine d’or de Porgera, elle, a doucement tranquillement ses activités. Les difficultés d'accès à la zone, qui ont entravé les secours, ne semblent visiblement pas la concerner. Source de multiples atteintes à l’environnement dénoncées depuis des années, avec des "retombées économiques" dont les populations ne voient guère la couleur, l’exploitation va continuer jusqu’à plus soif… au risque de provoquer de nouveaux glissements de terrains. Et Mark Bristow, le patron de la multinationale canadienne Barrick Gold propriétaire de la mine de Porgera, peut continuer à dormir sur ses deux oreilles. Il a bien survécu aux accusations de meurtres d’opposants locaux et de violences sexuelles perpétrés par la milice qu’il engagée pour "protéger" le site : qu’a-t-il à craindre de 670 à 2.000 victimes d’un glissement de terrain, alors qu’aucune enquête sérieuse (hormis celle des humanités) n’a cherché à établir un lien de cause à effet ? Lors de la dernière assemblée annuelle de la multinationale, Mark Bristow a été réélu avec plus de 98 % des voix. Il n’y a que l’argent qui compte, et les actionnaires de Barrick Gold ne vont pas aller chercher noise alors que la multinationale a dégagé en 2024 un bénéfice net de 2,14 milliards de dollars… en hausse de 69 % par rapport à 2023. 5% d’un tel bénéfice auraient suffi à reconstruire le village sinistré de Yambali, en Papouasie-Nouvelle-Guinée.


Qu’en est-il des vrais changements qui ont émergé de la longue période de négociation ? Avant le renouvellement de l’exploitation (à l'arrêt entre 2020 et début 2024), les autorités locales et l’État papouasien voulaient reprendre la main et faire cesser les violences, ou leurs causes. Cette négociation venait de se conclure début 2024. La catastrophe a eu lieu quelques semaines après la réouverture de la mine avec l’instauration d’une toute nouvelle organisation : New Porgera Limited marquant une évolution décisive dans l’actionnariat, puisque 51 % des parts de New Porgera Limited sont détenues par l’État papouasien, le gouvernement provincial d’Enga, propriétaires fonciers locaux, etc.), laissant 49 % à l’opérateur technique et industriel de la mine  Barrick Niugini Limited (« Niugini » signifie « Nouvelle-Guinée » en tok pisin, l’une des langues officielles de la Papouasie-Nouvelle-Guinée), BNL dans laquelle une multinationale chinoise, Zijin Mining Group Company Limited (aussi présente en République démocratique du Congo) détient une participation de 50 % depuis 2015. Ces dispositions étaient assorties de nombreux engagements : promouvoir une meilleure santé, une meilleure éducation et l'état de droit, un souci accru de la préservation de l’environnement naturel. L'amélioration des infrastructures d’une école primaire, et les travaux de rénovation d’un lycée, ont d’ores et déjà été annoncés. L’avenir dira si les actes suivent durablement les intentions.


Jean-Marc Adolphe, avec Isabelle Favre


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