A bas les haies, vive le déluge !
- Isabelle Favre

- il y a 3 heures
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Vue sur le Bocage bourbonnais (Allier)
Alors qu’une consultation publique bat son plein, jusqu'au 16 décembre, sur le futur décret encadrant la destruction des haies, le débat s’enflamme : entre avis défavorable du CNPN (Conseil national de protection de la nature), inquiétudes écologiques et pressions pour « simplifier » les règles, la France s’interroge sur l’avenir d’un patrimoine bocager dont 70 % ont déjà disparu depuis 1950.
Jusqu'au 16 décembre, sur la plateforme officielle du ministère de la Transition écologique, une consultation publique est en cours sur le projet de décret fixant les règles et procédures applicables à la destruction de haies, en application de la loi n°2025-268 du 24 mars 2025 d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations futures (loi « OSARGA »). À ce jour, cette consultation a déjà recueilli plus de 2. 800 contributions, reflétant un vif débat sur la protection des haies, dont 70% ont disparu en France depuis 1950.
Alors que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) a émis un avis défavorable, critiquant une définition de haie trop restrictive (excluant les trouées), l’automatisation des traitements sur cartographies imprécises et un risque accru pour la biodiversité ; des associations appellent à une mobilisation massive pour renforcer la protection plutôt que de la simplifier au risque d’accélérer les destructions.
Ce projet de décret concerne tout « porteur de projet de destruction d’une haie […] les préfets de département, services déconcentrés, agents chargés de contrôles ». Sous couvert de simplifier le maquis administratif actuel en créant un guichet unique, on peut craindre au contraire une incitation aux arrachages supplémentaires dans un contexte déjà très défavorable au maintien du bocage (un réseau de haies et de bosquets). Toute destruction autorisée doit être « compensée par la plantation d’un linéaire de haies au moins équivalent ».
Au moins équivalent ! C’est méconnaître le temps qu’il a fallu depuis la plantation avant qu’elle ne devienne ces haies vives. On aimerait aussi savoir ce qu’il en est de l’Observatoire de la haie et plus généralement du Pacte en faveur de la haie, sur lequel s’était engagé le gouvernement en septembre 2023« France Nation verte », sic) (ICI).

Haie bocagère replantée à Messimy-sur-Saône (février 2024). Photo F. Grassaud / France TV
La loi Duplomb (août 2025) visait à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Ce projet de décret vient compléter la Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (mars 2025), singulièrement un de ses objectifs: « Sécuriser, simplifier et faciliter l’exercice des activités agricoles ». Mais quelles activités agricoles ?

Haie déchiquetée par une épareuse à Vauxrenard en Beaujolais / Photo / Collectif de la Pierre de Saint Martin
Du massacre à l’épareuse : destruction symbolique des haies agricoles
Qui n’a vu le long d’un chemin de campagne une haie vive défigurée, feuillage haché, branches coupées et hérissées ? L’épareuse est passée par là.
Depuis l’intérieur de la cabine d’un tracteur, un bras articulé contrôlé à distance automatise les tâches les plus pénibles en réduisant l’effort manuel. Économie de temps de travail, de carburant, de main d’œuvre… Mais, utilisée sur des branches trop grosses, l’épareuse risque de faire éclater le bois : haie déchiquetée, ce qui favorise l’apparition de maladies et de pourrissement du bois.
Sauf à descendre du tracteur, le contact est perdu. On est loin de L’homme des haies, livre où Jean-Loup Trassard décrit un vieil homme dont la seule occupation est l’entretien et le bon usage de haies : observation précise de la croissance favorisant la diversité végétale, attirant oiseaux et toute une petite faune ; un savoir qui identifie les bonnes branches à utiliser pour fabriquer de bonnes échelles, des barrières, etc. (1)
Loin de cette attention (d’un autre âge ?), on ne s’étonne plus vraiment de la perte de valeur, pour certains, de ces haies qui mêlent pour d’autres biodiversité (préservation du vivant) et présence paysagère (et autres services « écosystémiques »). Pourtant, même en Mayenne, le pays de Trassard, des agriculteurs imaginent à nouveau tailler des arbres en têtards – une forme de taille qui permet d’utiliser les rejets et d’en faire du petit bois (ICI). Ailleurs, leur préservation et des replantations sont un objectif officiel, assorti de conseils et de description de bonnes pratiques.
Et pourtant, les haies semblent ne plus avoir de valeur au regard d’autres considérations qui censurent totalement relations sensibles et usages. De façon quasi-caricaturale, on peut citer cet épisode au printemps dernier dans la Creuse, qui ressemble à un dialogue de sourds. D’un côté, la puissance publique faisant état d’une réglementation théorique et déjà fortement contestée et de l’autre, la sourde oreille aux contraintes qui, sauf mauvaise foi, sont réelles. Cependant, n’oublions pas les positions de la Coordination rurale, dont le président nouvellement élu appelle à « faire la peau » des écologistes (il est issu du département voisin de Haute-Vienne), avec pour ligne de conduite « la culture de la terre pour nourrir les hommes ». On se souvient de l’injonction « Tu nourriras le monde » et du film du même nom de Floris Schruyer et Nathan Pirard (ICI).
Ainsi, comme le relatait France Bleu le 15 mars 2025 :
« La FNSEA et la Coordination rurale sont en colère. Elles espéraient obtenir une dérogation pour repousser la date limite de la taille des haies. La préfecture confirme qu’il n’y en aura pas cette année. Les agriculteurs ne pourront plus couper les haies à partir de ce samedi 15 mars au soir. […] L’an dernier, la Creuse avait eu droit à une dérogation d’un mois, jusqu’au 15 avril. Cet aménagement faisait suite aux fortes pluies qui s’étaient abattues durant l’hiver. Avec les sols détrempés, les agriculteurs n’avaient pas pu utiliser leurs engins pour tailler les haies à la période recommandée. Cette année, en revanche, il n’y aura pas de dérogation pour le département. Les agriculteurs qui le souhaitent, peuvent faire une demande individuelle pour tenter d’obtenir le droit de tailler les haies jusqu’au 30 mars.
La FNSEA a déposé une nouvelle demande de dérogation collective au ministère de l’agriculture. La Coordination rurale 23 menace aussi d’arracher purement et simplement les haies si leur entretien devient trop compliqué. »
Probablement, en réaction au refus qu’avait essuyé sa demande de dérogation (ICI), envoyée à la préfecture creusoise le 6 mars 2025.

Bocage en très mauvais état / Illustration / Splann !
Pourtant, les chambres d’agriculture (2) semblent avoir présent à l’esprit à quoi sert une haie, lorsqu’elles tissent les éloges des services qu’elle rend aux humains (ICI):
« Qu’est-ce qu’une haie ?
Les haies sont des alignements d’arbres ou d’arbustes qui marquent souvent la limite entre deux parcelles ou deux propriétés.
Dans les années 1960 à 1980, de vastes opérations de remembrement de parcelles agricoles ont été menées dans le but de rationaliser les structures des exploitations agricoles en rassemblant et rapprochant des parcelles de faibles superficies ou trop dispersées pour être facilement exploitables.
L’objectif consistait également à faciliter l’activité des agriculteurs en limitant ses déplacements et en adaptant les surfaces exploitées à l’ampleur et à la modernité des nouveaux engins agricoles.
Salutaire économiquement et du point de vue de la modernisation de l’agriculture, cette démarche a occasionné cependant plusieurs impacts négatifs : structure et qualité des sols, gestion de l’eau, protections phytosanitaires... Ainsi, depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des bocages français.
Depuis plusieurs années, de multiples aides permettent de financer des projets de plantation de haies. Si ce dynamisme se traduit effectivement par le fleurissement dans le paysage de nouveaux chantiers de plantation, les haies et autre surfaces arborées représentent aujourd’hui seulement 3,6% de la surface agricole utile (SAU). L’objectif est de mettre en place des politiques incitatives qui permettent d’accélérer encore le rythme des plantations.
A quoi servent les haies ?
Les haies peuvent remplir différents rôles :
Favoriser la biodiversité : les haies offrent un habitat aux insectes pollinisateurs des cultures, mais également aux prédateurs des espèces considérées comme ravageurs : chauve-souris, souris, mulot...
Améliorer le bien-être animal en apportant de l’ombre et des surfaces de grattage aux troupeaux ;
Préserver la qualité de l’eau en jouant un rôle tampon vis-à vis des cours d’eaux (limitation du ruissellement, rétention de matières en suspension…)
Elles peuvent faire aussi office de brise vent, dans les régions particulièrement venteuses.
Les haies ont aussi de multiples valorisations. Lorsque la haie est arrivée en pleine production, il est possible de valoriser son bois en énergie à travers les traditionnelles chaudières à bois. De nombreux arbres de haies bocagères arrivés à « maturité » ont un important potentiel de valorisation en bois d’œuvre, c’est-à-dire en bois utilisé comme matériau de construction.
Comment cette pratique permet de s’adapter au changement climatique ?
Il existe de nombreux types de haies et tous n’ont pas la même capacité de stockage du carbone. Plus une haie est étagée plus sa capacité de stockage va être optimisée.
Ainsi, une haie pluristrate gérée durablement dans le Grand Ouest stocke en moyenne 5,90 tonnes équivalent C02 / km / an. La mise en place de pratiques de gestion durable de ses haies est donc primordiale pour faire face aux enjeux environnementaux et climatiques. »
L’épisode creusois permet de mesurer le fossé qui sépare une partie de la profession agricole des considérations écologiques, en commençant par un « petit » agriculteur sur son « exploitation ». La quantité, plutôt que la qualité, la diversité. Même dans le Limousin, un champ de tournesols au bord d’une petite route s’allonge d’année en année : en roulant à 80 km/heure, en égrenant non plus les grains, mais le nombre de secondes entre deux limites de cette monoculture : 48 secondes, soit plus d’un kilomètre. Comme si on ignorait le milieu naturel et humain : à la détresse de l’isolement (des emprunts à rembourser après l’achat d’équipement pour simplifier le travail, en solitaire) se mêlent des intérêts « supérieurs », des revendications qui ne se traduisent pas que sporadiquement par des manifestations sporadiques en tracteurs. Ils sont aussi défendus par un vrai lobby d’influence, à l’Assemblée nationale et au Sénat, auprès de rapporteurs et présidents de commissions (affaires économiques, développement durable, etc.), souvent issus de territoires ruraux et en lien étroit avec les syndicats dominants et leurs filières productivistes. Certains élus reprennent largement les demandes du lobby agricole pour l’écriture des articles et amendements, par exemple en matière de simplification des normes environnementales, de reconnaissance d’ouvrages hydrauliques contestés (mégabassines), pour un « intérêt général » justifiant la raison du plus fort (comme le démontre le magazine en ligne Splann, voir ICI).
Ces lobbies ont largement influencé la rédaction de la Loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
Énonçons les quatre enjeux déclarés : reconquérir la souveraineté alimentaire de la France pour la défense de ses intérêts fondamentaux (3) ; former et mettre l'innovation au service du renouvellement des générations et des transitions en agriculture ; favoriser l’installation des agriculteurs ainsi que la transmission des exploitations ; sécuriser, simplifier et faciliter l'exercice des activités agricoles. Sur ce quatrième point, le (vertigineux) Code de l’environnement est modifié, au chapitre du patrimoine naturel, créant une section intitulée : « La protection et la gestion durable des haies », étonnamment très détaillée sur… les conditions de leur destruction.
Pétition, convention, consultation, piège à con.science ?
Certains se sont battus pour défendre la transparence des informations sur des projets concernant notre environnement, et donc notre droit à accéder aux informations détenues par les autorités publiques et à participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement (voir la Charte de l’environnement et le Rapport de la commission Coppens de préparation de la Charte de l’environnement (ICI).
Au fait, qu’en est-il des propositions de la Convention citoyenne sur le Climat, rendues en 2020, et qu’en est-il de la toute récente pétition « Non à la loi Duplomb, pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » ? La première a laissé des traces écrites, des méthodes, et dans l’expérience des 150 participants (connaissances nouvelles, prises de paroles, « intelligence collective »). La seconde a d’abord montré l’incroyable capacité de mobilisation en plein été, avec 2,3 millions de signatures, et la possibilité de la déposer la pétition auprès de l’Assemblée nationale, qui s’en porte garante. Elle a suivi son petit bout de chemin institutionnel, a été examinée par la commission des affaires économiques (il n’y a pas de commission des affaires écologiques) le 5 novembre dernier, avec deux rapporteures, Aurélie Trouvé (LFI) et Hélène Laporte (RN). Comment concilier neutralité et séduction de l’électorat agricole ? Suite à cette commission, un rapport a été transmis à la Conférence des présidents (responsable de l’ordre du jour) pour décider d’un éventuel débat en hémicycle : une étape inédite due aux 2 millions de signatures. A l’heure où ces lignes sont écrites, le débat est programmé le 7 janvier 2026.
Engagement performatif… sur une consultation publique
Il est encore temps de réagir, en participant à cette consultation publique avant le 16 décembre 2025, en se rendant sur la page Internet créée par le ministère de la Transition écologique, où l’on peut d’ailleurs trouver une intéressante documentation pour prendre connaissance du dossier.
En parallèle de cet engagement, ou pour le susciter, les humanités ont organisé un atelier d’écriture intergénérationnel avec des groupes de 6 personnes, chaque strophe, confiée à deux d’entre elles et relue par les autres, étant située d’emblée dans le poème (début, milieu, fin : seule consigne).
« Dans le silence des champs que l’on déshabille,
Les haies s’effacent, témoins d’un temps qui vacille.
Elles étaient les murs verts, les veines du bocage,
Offrant refuge aux vies, mémoire des âges.
Chaque arbre abattu, chaque taillis délaissé,
C’est un peu de nous-mêmes que l’on vient perdre en hâte.
Car planter demain ne remplace jamais hier,La haie ancienne est un chant d’histoire et de terre.
Veillons donc, ensemble, à ce lien fragile,
Entre nature, travail, et paysages graciles.
Que nos voix se lèvent, que la loi résonne claire :
Protéger ces cheveux de nos champs, avec lumière. »
Isabelle Favre
NOTES
(1). Jean-Loup Trassard est un écrivain et photographe français, né le 11 août 1933 à Saint-Hilaire-du-Maine (Mayenne), se définissant comme un « écrivain de l’agriculture ». Fermier depuis 1960, il publie depuis 1961 chez Gallimard et Le Temps qu'il fait, après découverte par Jean Paulhan à la NRF. Il réside toujours en Mayenne, partageant son temps entre ruralité et Paris. Œuvres et thèmes : textes courts, récits, photographies sur la société rurale traditionnelle en disparition, mêlant ethnologie et poésie : L’Amitié des abeilles (1961), L’Érosion intérieure (1965), Territoire (1989), L’Homme des haies (2012). Expositions au Centre Pompidou (1992) et ailleurs, amitiés littéraires avec Michel Chaillou, Gérard Macé.
(2). Les chambres d'agriculture en France sont des établissements publics consulaires, au nombre de 89 au niveau départemental ou interdépartemental, créées par la loi du 3 janvier 1924 pour représenter et accompagner les agriculteurs. Elles soutiennent les exploitations agricoles dans leur performance économique, sociale et environnementale, via la formation, le conseil, la recherche et le développement. Elles défendent les intérêts des agriculteurs auprès des pouvoirs publics, promeuvent les innovations et gèrent des politiques publiques comme la réduction des phytosanitaires ou la gestion de l'eau. Au niveau régional et national (Chambres d'agriculture France), elles coordonnent ces actions et émettent des avis d'expertise. Élus tous les 6 ans par 3 millions d'acteurs agricoles (exploitants, salariés, propriétaires), elles comptent environ 4 200 élus et 380 collaborateurs nationaux.
(3). Voir "Ferme France", "souveraineté alimentaire" et agriculture paysanne", sur les humanités, 5 mars 2024, ICI





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