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Au secours (de la planète), les sauvages !



Communautés indigènes, peuples autochtones : jadis considérés comme "sauvages", ils sont aujourd’hui reconnus comme d’essentiels "gardiens de la planète". Pourtant, lors des prochains grands rendez-vous internationaux sur le climat (en Égypte, du 7 au 18 novembre) et la biodiversité (à Montréal, du 5 au 17 décembre), leur voix risque de manquer à l’appel. D’Amazonie ou d’ailleurs (Afrique, Indonésie, etc.), pour éviter d’être les éternels laissés-pour-compte, les peuples autochtones se sont regroupés en une Alliance mondiale des communautés territoriales. Si la planète a encore un avenir, ils et elles sont une bonne part de cet avenir. Article et portfolio.



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« Pour prendre l’exemple des peuples autochtones (mais cela s’applique à presque tout le monde, disons, non occidental),

il y a une espèce de tendance lourde qui se nourrit de la tradition iconoclaste de destruction des idoles pour continuer,

en plein XXIe siècle, à détruire ces peuples. En Amazonie brésilienne, par exemple, les chrétiens dits évangéliques sont aujourd’hui

en train de détruire les peuples traditionnels et autochtones ainsi que leurs cultes au nom de la lutte contre les "croyances",

en considérant tout à fait normal de ravager la planète au nom du développement et d’une théologie de la prospérité. »

(Bruno Latour, "Les apories de la croyance", entretien in revue Relations, automne 2021).


« Nos peuples respectent et protègent la nature depuis plus de 10 000 ans : il est essentiel que nous soyons à la table des négociations où le sort de la planète se décidera. Devant les chefs d’État, les yeux dans les yeux, nous pourrions dénoncer les mensonges et faire inscrire dans le droit un traité qui protège vraiment la vie sur Terre. » Il est en pétard, Gregorio Mirabal, et en pétard, il a raison de l’être. Chef du peuple autochtone Wakuenai Kurripaco, Gregorio Mirabal est coordinateur général des organisations autochtones du bassin amazonien (COICA), et à ce titre, porte-parole de plus de 500 communautés de la forêt amazonienne. Pourtant, à quelques semaines de la prochaine COP 27 en Égypte (7 au 18 novembre), il n’est pas encore certain de pouvoir s’y rendre et vient de lancer un financement participatif avec la plateforme Avaaz (ICI) pour pouvoir couvrir les frais de voyage d’une délégation de leaders autochtones. Parce que c’est clair, si on compte sur Jair Bolsonaro pour faire entendre la voix de l’Amazonie, c’est mal embarqué.


Lors de la dernière COP, à Glasgow, une centaine de dirigeants mondiaux, représentant plus de 85 % des forêts de la planète, s’étaient engagés à interrompre et inverser la déforestation et la dégradation des terres d'ici à 2030. Et douze pays, dont la France, s’étaient engagés à mobiliser conjointement 12 milliards de dollars de fonds publics d’ici 2025, auxquels devraient s’ajouter plus de 7 milliards de dollars d'investissements privés. Une autre annonce, faite également à Glasgow replaçait les peuples autochtones au centre des discussions et relançait leur rôle de gardiens des forêts. Le Royaume-Uni, la Norvège, l'Allemagne, les États-Unis, les Pays-Bas et 17 donateurs américains s’étaient engagés à verser 1,47 milliard d'euros pour soutenir les peuples autochtones d'ici à 2025 dans leur rôle de protecteurs de la terre et d'alliés dans la lutte contre le changement climatique. De plus annoncé que cet argent irait directement aux peuples et communautés autochtones qui composent l'Alliance mondiale des communautés territoriales (GATC), une coalition d'organisations d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, qui représente 35 millions de personnes de 24 pays (lire ICI). Visiblement, il y a encore un fossé entre les déclarations et leur mise en application !


Une enfant autochtone du groupe ethnique Mayuruna se tient sur une jetée au bord de la rivière Atalaia do Norte dans l'état d'Amazonas, au Brésil, le 12 juin 2022, alors que la police fédérale et les forces militaires mènent des recherches sur la disparition du journaliste britannique Dom Phillips et de l'expert en affaires autochtones Bruno Araujo Pereira. AP Photo Edmar Barros / Associated Press


Communautés indigènes, peuples autochtones… : ceux qui étaient qualifiés il n’y a pas encore si longtemps de sauvages plus ou moins arriérés, ont pourtant un rôle déterminant dans la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.


Quelques repères :

  • La planète abrite plus de 476 millions d'autochtones vivant dans 90 pays. Ensemble, ils possèdent, gèrent ou occupent environ un quart des terres de la planète. C'est un territoire qui se porte bien mieux que la majeure partie du reste de la Terre (Lire ICI).

  • Selon Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire administrative de la Convention (COP 15) sur la diversité biologique, qui aura lieu à Montréal du 5 au 17 décembre prochains, Plus d'un demi-million d'espèces terrestres ont un habitat insuffisant pour leur survie à long terme et risquent de disparaître, dont plusieurs d'ici à peine quelques décennies, à moins que leurs habitats ne soient restaurés.

  • Si la dégradation de l'environnement s'accélère dans de nombreuses communautés autochtones, elle est "moins grave" que dans d'autres régions du monde, selon un rapport publié en 2019 par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), soutenue par les Nations unies (Lire ICI).

  • Selon un rapport de 2021 de l’ONG Territories of Life, dans de nombreuses régions du monde, les communautés autochtones sont à l'avant-garde de la conservation. Ainsi, en République démocratique du Congo, la communauté Bambuti-Babuluko contribue à protéger l'une des dernières étendues de forêt tropicale primaire d'Afrique centrale. En Iran, les Balouch semi-nomades de Chahdegal surveillent 580 000 hectares de buissons et de déserts fragiles. Et dans le Grand Nord canadien, les dirigeants inuits s'efforcent de reconstituer les troupeaux de caribous, dont le nombre avait fortement diminué (Lire ICI).

  • Au Brésil, selon le Fonds mondial pour la nature, plus du quart de la forêt amazonienne sera dépourvue d’arbres d’ici 2030 si la vitesse à laquelle ils sont abattus se maintient. Et à ce rythme, 40 % de cette forêt unique au monde sera rasée d’ici 2050 (Lire ICI).

  • La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, exige que le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones soit obtenu pour les questions d'importance fondamentale pour leurs droits, leur survie, leur dignité et leur bien-être.

  • Malgré cela, les groupes autochtones voient souvent leurs terres exploitées et confisquées et paient un lourd tribut à la défense de l’environnement : selon l’ONG Global Witness (en 2018), près de quatre défenseurs de l’environnement sont tués chaque semaine. Environ 40 à 50 % des victimes sont issues de communautés autochtones et locales qui défendent leurs terres ainsi que l’accès aux ressources naturelles dont dépendent leur survie et leurs moyens d’existence.

  • Les peuples indigènes et les communautés locales gèrent la moitié des terres et prennent soin de 80% de la biodiversité de la planète. Malgré cela, ils reçoivent moins de 1 % des fonds consacrés au niveau mondial à la réduction de la déforestation.

Les ressources naturelles dont dépendent les peuples autochtones sont inextricablement liées à leur identité, leur culture et leurs moyens de subsistance. Des changements de température ou de précipitations, même relativement faibles, peuvent rendre leurs terres plus vulnérables à l'élévation du niveau de la mer, aux sécheresses et aux feux de forêt.

Depuis des décennies, les militants autochtones tirent la sonnette d'alarme. Mais leurs avertissements ont trop souvent été ignorés. Alors, ils se sont organisés. Des peuples et des communautés autochtones des Amériques, d'Indonésie et d'Afrique ont uni leurs forces et sont devenus l'Alliance mondiale des communautés territoriales.

En septembre dernier, exploitant le pouvoir de parler d'une seule voix, dénonçant les promesses faites par les gouvernements et les organismes internationaux qui ne se sont pas concrétisées par des actions, les membres de cette coalition autochtone se sont rendus à New York lors de la « Semaine du climat », qui réunit des dirigeants internationaux pour faire pression en faveur d'une action climatique mondiale. Travaillant à travers de multiples langues et systèmes politiques et juridiques, l'Alliance mondiale des communautés territoriales a défini cinq axes prioritaires : les droits fonciers, le consentement préalable libre et éclairé avant toute intervention sur leurs territoires, l'accès direct aux financements climatiques, la protection des personnes contre la violence et le harcèlement, et la reconnaissance des savoirs traditionnels dans la lutte pour défendre la planète. Ces connaissances « englobent des moyens pratiques de garantir l'équilibre de l'environnement dans lequel nous vivons, afin qu'il puisse continuer à fournir des services essentiels tels que l'eau, les sols fertiles, la nourriture, les abris et les médicaments », explique Siham Drissi, responsable du programme de biodiversité et de gestion des terres au Programme des Nations unies pour l'environnement. « Nous devons absolument protéger, préserver et promouvoir les connaissances traditionnelles, l'utilisation durable coutumière et l'expertise des communautés autochtones si nous voulons mettre un terme aux dégâts que nous causons - et finalement nous sauver. Les gouvernements doivent reconnaître que le patrimoine culturel et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales contribuent de manière significative à la conservation et peuvent renforcer l'action nationale et mondiale en matière de changement climatique. »

Nemonte Nenquimo, cheffe du peuple autochtone Waoroni en Équateur


Parce que leur vie est souvent intimement liée à la terre, les communautés autochtones ont été parmi les premières à subir les conséquences du changement climatique. Du désert du Kalahari à la forêt amazonienne en passant par les montagnes de l'Himalaya, les sécheresses, les inondations et les incendies ont frappé des communautés qui luttaient déjà contre la pauvreté et les incursions sur leurs terres. Il est donc d'autant plus impératif que le monde extérieur reconnaisse les droits et les pratiques des communautés autochtones. « Les extractivistes, les capitalistes, le gouvernement - ils disent que les peuples autochtones sont ignorants. Nous, les peuples autochtones, savons pourquoi le changement climatique se produit... [l'humanité] endommage et détruit notre planète. En tant que peuples autochtones, nous devons nous unir autour d'un seul objectif : exiger qu'ils nous respectent », dit ainsi Nemonte Nenquimo, cheffe du peuple autochtone Waoroni en Équateur ; proclamée Championne de la Terre par les Nations Unies en 2020. Née en 1986, fondatrice de l’ONG Allianza Ceibo, elle a passé des années à repousser les mineurs, les bûcherons et les compagnies pétrolières désireux d'exploiter la forêt amazonienne. En 2019, elle a été à l'origine d'un procès qui a interdit l'extraction de ressources sur ses terres ancestrales, une victoire judiciaire qui a donné de l'espoir aux communautés autochtones du monde entier. « La lutte que nous menons est pour toute l'humanité », dit-elle. Qui est prêt à l’entendre ?


Nadia Mevel et Jean-Marc Adolphe


Portraits autochtones. Photos Camila Falquez

"Pour nous, les plantes, les arbres ont la vie, ils ont un esprit, c'est pourquoi nous devons les respecter, en prendre soin et les protéger. Les femmes de ma communauté ont planté des arbres, des bananes, du manioc. Nous revêtons la Terre Mère". - Briceida Iglesias, Alliance méso-américaine des peuples et des forêts, Panama.
"Guna Yala est l'endroit d'où nous venons. Ce n'est pas seulement un territoire, c'est plus que cela. C'est une communauté - une famille. Tu es la prochaine génération", m'a dit mon père. Et tu dois te battre pour ton avenir". Cela m'a donné l'envie de finir mes études et de retourner travailler pour ma communauté." - Yaily Castillo, Alliance méso-américaine des peuples et des forêts, Panama.
"Tout le monde est d'accord pour dire qu’il faut préserver la nature, qu’il faut lutter contre le changement climatique. Mais dans la pratique, on dit que là où on met l'argent, on met le cœur, et les gouvernements ne mettent pas le cœur. Nous voulons être considérés comme des partenaires dans cette lutte." - Gustavo Sánchez, Alliance méso-américaine des peuples et des forêts, Mexique.
"Nos pratiques spirituelles, rituelles et culturelles sont étroitement liées au flux de la nature. Nous utilisons les rivières comme moyen de transport, mais les pluies se sont raréfiées, isolant de nombreuses communautés. Plusieurs espèces - faune et flore - disparaissent, ce qui entraîne une pénurie de nourriture et limite notre capacité à accomplir certains rituels. Cela a eu un impact dramatique sur notre culture. La cause est en partie le changement climatique, mais ces changements peuvent également être liés au démantèlement de la politique environnementale par notre gouvernement." - Dinamam Tuxá, Regroupement des peuples indigènes du Brésil, Brésil.
"Le pétrole qui sort de l'Amazonie, l'or - ces ressources naturelles alimentent les modèles de développement, mais nous nous retrouvons avec des ordures, de la pollution pétrolière et du mercure dans les rivières. Il est très triste que les Nations unies ne parlent qu'aux présidents, car leurs gouvernements ne nous écoutent pas. La voix du peuple doit être respectée. J'appelle le monde à se joindre à notre combat." - Gregorio Mirabal, COICA, Coordination des organisations indigènes du bassin de l'Amazone, Venezuela.
"Nous n'avons plus de terres pour mettre nos animaux, pour faire pousser nos plantes médicinales. Nous voulons retrouver nos arbres. Nous voulons donner à nos enfants nos propres médicaments. Nous faisons partie de la solution. Nous avons notre savoir local, et nous avons un savoir ancestral. Donnez-nous une chance d'apporter nos connaissances à la table." - Aissatou Oumarou, Réseau des populations autochtones et locales pour la gestion durable des écosystèmes forestiers en Afrique centrale, Tchad.
"L'espoir a toujours besoin d'être entretenu. Tout est un processus et, comme tout processus lent, il a son temps. Tout comme les choses dans la nature ont aussi leur temps. Et nous demandons seulement au créateur la force de nous donner la sagesse, le discernement. Mais nous ne nous nourrissons pas d'espoir. Alors, jour après jour, nous nous battons." - Cristiane Julião Pankaruru, Regroupement des peuples indigènes du Brésil.
"Ma communauté et mon territoire ont déjà été détruits par les plantations d'huile de palme. Il ne reste qu'une toute petite forêt. La perte du territoire, de la forêt, des traditions, des rituels culturels - ces choses sont ce qui fait de nous ce que nous sommes. Quand nous aurons perdu cela, nous aurons tout perdu". - Mina Susana Setra, Alliance des peuples autochtones de l'archipel, Indonésie.
"Les jeunes indigènes sont les futurs dirigeants et décideurs politiques. Nous faisons leur part pour garder le savoir vivant et la langue vivante, et je pense que c'est vraiment le visage ou l'image de ce qu'est l'espoir." - Monica Ndoen, Alliance des peuples indigènes de l'archipel, Indonésie.
"Nous espérons que la société dans son ensemble pourra repenser ses attitudes. Des gestes simples et quotidiens peuvent faire beaucoup. Repensez à votre consommation effrénée. Repensez ce mode de vie capitaliste - le développement incessant. Nous voulons que cette philosophie de vie fasse partie des habitudes quotidiennes." - João Víctor Gomes de Oliveira, Articulation des peuples indigènes du Brésil.
"Nous devons nous re-naturaliser. Nous devons avoir plus de conscience de nos actions, plus de conscience de la nature. Unir ce divorce qui existe entre l'homme, l'humanité et la nature. Parce que ce qui arrive à la nature, nous arrive à nous. Nous en subirons les conséquences. - Tuntiak Katan, Coordination des organisations indigènes du bassin de l'Amazonie, Équateur et Leonidas Iza, président de la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur.
"Si nous ne préservons pas nos connaissances traditionnelles, elles vont disparaître. Nous cultivons le dialogue intergénérationnel pour permettre à nos aînés de partager les connaissances qu'ils possèdent avec les jeunes générations, afin de les protéger et de les préserver pour les générations à venir." - Aehshatou Manu, Réseau des populations autochtones et locales pour la gestion durable des écosystèmes forestiers en Afrique centrale, Cameroun.
"Mes grands-parents ont été déplacés de force pour faire place à la construction d'une usine hydroélectrique. En conséquence, notre relation avec nos sites sacrés a changé, tout comme notre façon de mettre en valeur notre identité à travers notre langue. C'est un exemple de la façon dont un projet de développement peut détruire la vie même des peuples indigènes. Je crains que nous ne perdions tous la richesse spirituelle cosmogonique que nous possédons au sein de notre Terre Mère." - Sara Omi Casama, Alliance méso-américaine des peuples et des forêts, Panama.

* Camila Falquez : Née au Mexique et ayant grandi en Espagne, la photographe colombienne Camila Falquez crée des photographies qui exploitent les traditions de la photographie de mode et du portrait pour honorer un spectre contemporain de diversité sociale et de genre.


CORPUS. Les humanités, média autochtone ?

Depuis mai 2021, de nombreuses publications. Index à retrouver ici :


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