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Aux armes, enfants déportés !




Les enfants ukrainiens déportés en Russie passent par des "camps de rééducation". C’est ce que révèle un nouveau rapport du Conflict Observatory, rattaché à l’université de Yale. Et dans certains de ces camps, pour mieux les "russifier", ces enfants sont soumis à un embrigadement patriotique et militaire, dans l’esprit de la Younarmy, véritables "Jeunesses Poutiniennes" qui recrutent dès l’âge de 8 ans.


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Qui a déjà entendu parler de Magadan ? Au bord de la mer d'Okhotsk, dans l’océan Pacifique, entre la péninsule du Kamtchatka, les îles Kouriles, l'île de Hokkaidō et celle de Sakhaline, cette ville portuaire de l'Extrême-Orient russe, jadis construite par les prisonniers du Goulag, est plus proche d’Anchorage, en Alaska (à 3 160 km), ou de Pékin (à 3 235 km), que de Moscou (distante de 5 910 km). La température moyenne y est de -2°, et Magadan connaît un véritable effondrement démographique : sa population, estimée aujourd’hui à 91.000 habitants a décliné de 60 000 personnes depuis 1989…

Repeuplement en vue ? C’est en tout cas à Magadan que vient d’être identifié l’un des 43 camps de rééducation où sont envoyés certains des enfants ukrainiens déportés par la Russie. Ces nouvelles révélations figurent dans un rapport publié le 14 février 2023 par les chercheurs du Conflict Observatory, rattaché au Humanitarain Researcch Lab de l’université de Yale, aux États-Unis.


Selon ce rapport, le gouvernement fédéral russe a systématiquement déplacé au moins 6.000 enfants d'Ukraine vers un réseau de centres de rééducation et d'adoption. Ces 43 centres (le chiffre n’est sans doute pas définitif, et sans doute beaucoup plus élevé) sont, pour la première fois, précisément localisés en Crimée occupée par la Russie et en Russie continentale : « La majorité d'entre eux sont des camps de loisirs où les enfants sont emmenés pour de prétendues vacances, tandis que d'autres sont des installations utilisées pour héberger des enfants placés en famille d'accueil ou en adoption en Russie. Ces résultats indiquent que la majorité des camps se sont engagés dans des efforts de rééducation pro-russes et que certains camps ont fourni un entraînement militaire aux enfants ou ont suspendu le retour des enfants auprès de leurs parents en Ukraine ».

Douze de ces camps (dont un hôpital psychiatrique et un centre familial) sont regroupés autour de la mer Noire, 7 se trouvent en Crimée occupée et 10 sont regroupés autour des villes de Moscou, Kazan et Yekaterinburg. Onze de ces camps sont situés à plus de 800 km de la frontière entre l'Ukraine et la Russie, dont deux en Sibérie et un dans l'Extrême-Orient russe. « Le but premier de ces camps », écrivent les chercheurs du Conflit Observartory, « semble être la rééducation politique : au moins 32 (78%) des camps identifiés semblent engagés dans des efforts de rééducation systématique qui exposent les enfants d'Ukraine à une éducation académique, culturelle, patriotique et/ou militaire centrée sur la Russie. »

Localisation des 43 "camps de rééducation" où sent envoyés les enfants ukrainiens déportés en Crimée occupée ou en Russie.


Si le rôle central de Maria Lvova-Belova, la commissaire présidentielle aux droits de l'enfant de la Fédération de Russie, est à nouveau pointé, le rapport du Conflict Observatory confirme les informations déjà publiées par les humanités et indique que « tous les niveaux du gouvernement russe sont impliqués : Cette opération est coordonnée de manière centrale par le gouvernement fédéral russe et implique tous les niveaux de gouvernement. Plusieurs dizaines de personnalités fédérales, régionales et locales sont directement impliquées dans le fonctionnement et la justification politique du programme. Les activités des fonctionnaires prétendument impliqués dans l'opération comprennent la coordination logistique (c'est-à-dire le transport des enfants), la collecte de fonds, la collecte de fournitures, la gestion directe des camps et la promotion du programme en Russie et dans les zones occupées d'Ukraine. » Au moins 12 de ces personnes identifiées ne figurent pas sur les listes de sanctions internationales, et ce rapport omet en outre de mentionner les soutiens privés de la Tinkoff Bank, récemment cédée à Vadimir Potanine, magnat du nickel et l’un des principaux oligarques proches de Poutine (et mécène du Centre Georges Pompidou à Paris) ; et de la fondation créée par l’homme d’affaires ultranationaliste Konstantin Malofeev.


Autre information dévoilée par les humanités, le 18 novembre dernier : « la formation militaire faisait partie du programme de camps en Tchétchénie et en Crimée occupée par la Russie. Un camp près de Grozny, en Tchétchénie, expliquait comment les garçons suivaient un cours "pour jeunes combattants" à l'Université russe des forces spéciales. Ce camp a été organisé à l'initiative du gouvernement fédéral russe et était destiné aux garçons désignés comme étant à risque, y compris ceux ayant un casier judiciaire. Un autre camp en Crimée occupée par la Russie, intitulé "École des futurs commandants", a été organisé par le mouvement Yunarmia et a été fréquenté par environ 50 enfants d'Ukraine.es enfants du camp ont pu manipuler du matériel militaire, conduire des camions et étudier les armes à feu. Vladimir Kovalenko, chef d'état-major de la branche régionale de Sébastopol de la Yunarmia, était présent au camp et a déclaré que le programme du camp était "destiné à encourager le patriotisme et l'amour de la patrie [russe]". Les enfants d'une école de l'oblast de Kherson occupé par la Russie ont également reçu la visite de représentants de la Yunarmia qui ont parlé du "concept de la patrie et des exigences envers les futurs défenseurs de la patrie". »


Rapport intégral du Conflict Observatory (téléchargeable en PDF) :

Rapport Conflict Observatory_2023_02_14
.pdf
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Il y aurait tout un chapitre à écrire sur cette Yunarmia, littéralement « Mouvement social militaro-patriotique panrusse », créé en 2016 par Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense. Comme l’indiquait Galia Ackerman, dans Le Régiment immortel (2016), la militarisation de la société russe est l’une de ses principales transformations récentes. Ce processus se décline en divers projets parmi lesquels la création à partir de 2012 d’une Société militaro-historique qui organise excursions et reconstitutions, d’un mouvement de jeunesse « Jeune armée » qui fin 2018 regroupait plus de 250.000 jeunes volontaires ou encore la multiplication des parcs d’attractions militaro-patriotiques. Cette militarisation de la société, et notamment des plus jeunes, sert à la fois des objectifs de politique intérieure – consolider un récit unanimiste et patriote autour de la personnalité de Vladimir Poutine – ainsi qu’une stratégie géopolitique d’extension de la zone d’influence d’une Russie de plus en plus hostile à l’Occident. Dans ce contexte, le régiment immortel permet d’incarner aux yeux de tous « la supériorité morale intrinsèque du peuple vainqueur » dont les adversaires se voient, de fait, assimilés à des fascistes parmi lesquels notamment figurent les Ukrainiens depuis la révolution de Maïdan en 2014.


Dernière recrue en date, dans les rangs de la Yunarmia : Tchebourachka. Tous les Russes connaissent Tchebourachka. Tiré d'une histoire de l'écrivain Edouard Ouspenski, ce personnage de la littérature enfantine, adaptée en une série de films d'animation de la fin des années 1960 au début des années 1980 par Roman Katchanov, est décliné dans toute une série de dessins animés russes, des livres d'histoire pour enfants mais aussi des jouets en peluche. Il fait en outre l'objet de nombreuses plaisanteries et devinettes.

Le personnage de Tchebourachka avait été choisi comme mascotte de l'équipe olympique russe aux Jeux olympiques d'été de 2004 en Grèce, et des poupées à son effigie ont circulé dans l'équipe russe aux Jeux olympiques d'hiver de 2006 à Turin. Un nouveau cap vient d’être franchi par le Kremlin-va-t-en-guerre : les jeunesses poutiniennes (comme on disait jadis les jeunesses hitlériennes) sont désormais affublées de l’effigie de Tchebourachka, militarisé pour l’occasion (photo ci-dessus). Et l’endoctrinement, une mission à la hauteur de la mentalité russe, commence très tôt : dès l’âge de 8 ans !


La propagande à destination des plus jeunes ne s’arrête pas là. Comme l’écrivent Laure Thibonnier-Limpek et Svetlana Maslinskaia dans un article paru le 8 février par The Conversation, « en Russie, l'offre culturelle se transforme sous l'effet indirect des lois adoptées par les députés depuis le 24 février 2022. C'est notamment le cas dans le domaine de la littérature jeunesse, où des activistes et des spécialistes des questions culturelles favorables au régime ont appelé à restreindre l'accès des jeunes lecteurs à certains livres, voire à les interdire, visant surtout les ouvrages qui diffuseraient les "valeurs occidentales" ».


Nouvelles révélations sur Maria Lova-Belova


Pendant ce temps, Maria Lvova-Belova continue de parader comme la bonne dame patronnesse qui vole au secours des enfants du Donbass. Promue par Vladimir Poutine au poste de commissaire présidentielle aux droits de l’enfant en octobre 2021, elle tire sa légitimité d’un soutien sans faille aux piliers du régime, orthodoxes et ultra-nationalistes, mais aussi du succès de ses "œuvres caritatives" qu’elle a su largement médiatiser. Les humanités ont déjà écorné cette image sur-mesure, en relayant le 18 novembre dernier une enquête du site indépendant Bloknot (Lire ICI) : non seulement elle a triché sur les diplômes qu’elle aurait obtenus pour pouvoir être nommée commissaire présidentielle, mais les institutions qu’elle gère à Penza, sa ville d’élection, ne sont pas exemptes d’insistants soupçons : détournements de fonds, et morts suspectes de certains pensionnaires.

Denis Nazarov, aujourd’hui âgé de 31 ans, atteint de sclérose en plaques :

une « vache à lait » pour les œuvres caritatives de Maria Lvova-Belova. Photo Bloknot


Le même site Bloknot vient de rajouter un nouvel élément à charge. Voici quelques années, Maria Lvova-Belova avait fait grand cas de Denis Nazarov, un jeune homme atteint de sclérose en plaques, qu’elle avait accueilli dans l’une de ses institutions, La Maison de Veronika, et grâce auquel elle avait mené une importante levée de fonds. Constatant l’absence de soins dont celui-ci (ne) faisait (pas) l’objet, la famille de ce jeune homme a réussi à l’extraire de cet enfer (pavé de bonnes intentions, comme il se doit). Mais le site internet de la Maison de Veronika le présente toujours comme l’un de ses pensionnaires. On ignore où l’argent recueilli s’est volatilisé. Les institutions "caritatives" de Maria Lvova-Belova, "sans but lucratif", présentaient en 2021 un bénéfice net de 1,7 million de roubles (environ 21.500 euros). Le cynisme n’a pas de prix.


Jean-Marc Adolphe


Photo en tête d'article : A la Yunarmia, l’embrigadement commence très jeune, dès l'âge de 8 ans. Photo issue du site russe obrazov.cap.ru




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