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Beatlemania, dans la fièvre des années 1960

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Les Beatles à leur arrivée à New York, en 1964


Saisissant comme prétexte le concert des Beatles à New York en 1965 au Shea Stadium, premier concert rock dans un stade, le cinéaste et documentariste Andrei Ujică anime des images d'archives, où il n'est pas tant question des Beatles eux-mêmes que de la passion qu'ils suscitent, et d'une certaine fièvre des années 1960. Non exempt de défauts, le film réserve cependant trois séquences remarquables, sur l'émetteur pirate de Radio Caroline, sur un concours de twist et sur les émeutes de Watts. Toute une époque...


Les Films du Camélia sortent en salles ce mercredi 24 septembre le documentaire d’Andrei Ujică, TWST - Things we said today (2024), « chronique de la ville de New York entre le 13 et 15 août 1965, date de l’arrivée des Beatles dans la ville et de leur premier concert à guichets fermés au Shea Stadium ». Il s’agit d’un montage d’archives, d’un FSC, acronyme proposé par Giovanni Martedi dans les années 1970 qui désigne un film sans caméra, réalisé à partir de chutes prises par d’autres, assemblées par un spécialiste de found footage – genre cinématographique ou méthode de travail proche du ready made.

 

Il convient de pointer quelques défauts du métrage, ne serait-ce que pour rester crédible. Après une séquence introductive se passant de paraphrase (façon No Comment d’Euronews), l’horror vacui d’Andrei Ujică prend le pas sur la simple monstration des précieux rushes dénichés par Ujică dans le fonds de CBS, ABC, NBC, AP, Getty, ARD, de la télévision néerlandaise, des collectionneurs de 8 mm Mike Olshan, Nick Spark, Maichael Hipp et, surtout, de l’INA (qui, avec Arte, a coproduit son film). Le réalisateur insère des dessins de Yann Kebbi, un poulain de la fondation Cartier, censés enrichir l’image photographique en y introduisant le point de vue subjectif de témoins des faits réels. Au lieu de se focaliser sur le rythme de l’écoulement pour éviter redites ou temps morts, il accompagne en sus sa suite visuelle d’extraits du journal de Judith Kristen, d’un récit de Geoffrey O’Brien et d’une nouvelle écrite par l’auteur, Isabela, l’amie des papillons. Ujică opte ainsi pour l’autofiction et ce qui va avec, le genre en vogue de la docufiction.

 

De grands documentaristes se sont depuis lurette intéressés à la musique populaire, au jazz, au rock et à la pop. Des tenants du cinéma-vérité comme Roger Tilton et Richard Leacock (cf. Jazz Dance, 1954) ou Donn Alan Pennebaker (cf. Don’t Look Back, 1967 ; Monterey Pop, 1968 ; Sweet Toronto/Keep on Rockin ; 1969, Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, 1973 ; Jimi Hendrix Live,1989 ; Woodstock Diary, 1994), des photographes-cinéastes comme Gjon Mili (cf. le chef d’œuvre Jammin’ the Blues, 1944), Bert Stern (Jazz on a Summer’s Day, 1959) et William Klein (Festival Panafricain d’Alger, 1969, et The Little Richard Story, 1986) ou des danseuses-cinéastes comme Mura Dehn (The Spirit Moves, 1950-80). Sans parler de François Reichenbach (cf. J’ai tout donné, 1972) ou d’auteurs de la Nouvelle Vague comme Jean-Luc Godard (One + One, 1968).

 

Le documentaire d’Andrei Ujică se réfère aux Beatles par son titre, Things we said today, un des morceaux du film de Richard Lester, A Hard Day’s Night (1964) et de l’album éponyme. Nous avons droit aux scènes de l’arrivée du groupe à New York pour leur deuxième tournée organisée par leur manager Brian Epstein et à une série d’images de pithiatisme collectif féminin aux abords de l’hôtel Warwick où ils donnent une conférence de presse – à laquelle assiste notamment Andy Warhol. Notons en passant que le pop art est d’origine britannique : il trouve sa source dans les tableaux de Richard Hamilton des années 50. Pour ce qui est de la musique pop, celle-ci s’inspire bien du rock’n’roll de Chuck Berry – auquel le film rend hommage en diffusant dès l’entame Roll Over Beethoven – et d’Elvis Presley – star lancée en 1956 dans l’émission de télévision d’Ed Sullivan, ce que montre le film Elvis : From the Waist Up (1997) d’Andrew Solt. Sullivan fit connaître les Beatles en Amérique dès 1964. Le groupe contribua à la British Invasion avec les Rolling Stones, les Kinks, les Who et autres Bee Gees, Animals, Them, Yardbirds, Moody Blues, Cream, Bluesbreakers de John Mayall… Andrei Ujică utilise les Beatles comme teasing à son film, sans jamais les montrer sur scène.

 

Le centre de son récit coïncide avec le milieu de carrière. Le film vire alors du noir et blanc des actualités télévisées à la couleur – celle des home movies pris par des caméras d’amateurs, sonorisés après coup par le réalisateur avec des professionnels de la profession. On passe du 16mm au 8. Le changement de point de vue et de colorimétrie rompt avec la manière réaliste du début du film. Il correspond au passage de la ligne claire des musiciens à des envolées psychédéliques, le son devenant de plus en plus saturé, travaillé, mixé, remixé en studio. Ce style singulier porte la marque de leur producteur George Martin. On distinguera plusieurs périodes dans leur (relative) longue carrière : celle des reprises de standards du rock (les evergreens de Chuck Berry, notamment) et de la variété internationale (cf. Twist and Shout démarqué de la cumbia La Bamba) ; un long moment d’expérimentations bruitistes, enregistrements multipistes enrichis par des effets électroniques (Penny Lane et Strawberry Fields); l’introduction d’éléments extra-européens (sitar, mélopées indiennes), la phase amplique pour ne pas dire pompeuse dans un de leurs derniers concerts publics, en 1967 (diffusé en mondiovision) avec All You Need is Love agrémenté par un grand orchestre et introduit par… La Marseillaise et nombre de collages de type surréaliste.

 

Mais ce n’est ni des Beatles ni de musique que traite le film. Simplement de l’impact du quatuor sur les foules. On pense au long métrage Garrincha, héros du peuple (1963) réalisé par le pionnier du cinema novo Joaquim Pedro de Andrade qui aborde la question des emportements de supporters de foot (Lire ICI). Ujică met en parallèle les mouvements de fans accueillant les Beatles à New York et les émeutes de Noirs se déroulant côte ouest. Il se désintéresse des Fab Four pour se pencher et s’épancher sur sa propre adolescence, sur celle de Geoffrey O’Brien et de Judith Kristen, auteure à succès quia pour (seul) mérite est d’avoir assisté à la venue du groupe. Nous avons droit à la visite de New York by night, en compagnie… d’Albert Raisner, le célèbre harmoniciste, créateur en 1961 d’Âge tendre et tête de bois, une émission destinée aux jeunes téléspectateurs inspirée de Salut les copains de Tenot et Filipacchi.

 

Le film contient trois séquences remarquables. Son épatante introduction est consacrée à Radio Caroline, émetteur pirate au sens propre conçu en 1964 par l’homme d’affaires Ronan O'Rahilly sur le modèle de Radio-Londres, embarquée sur le Federica, ferry danois recyclé naviguant en père peinard dans les eaux extra-territoriales de la mer du Nord, la première à avoir diffusé, paraît-il, Can’t Buy Me Love (1964). Plus loin, nous régale un magnifique reportage consacré à un concours de twist avec un combo de danseurs virtuoses se déchaînant comme ceux se produisant au Savoy Ballroom – un document qui, d’après nos souvenirs, ne figure pas dans le film Twist (1992) de Ron Mann traitant de cette musique et cette danse d’origine afro-américaine. Last but not least, l’interview par Jacques Sallebert d’un intellectuel afro-américain non identifié (d’après l’INA, peut-être s’agit-il de Hugh Myers) s’exprimant en un français châtié, expliquant les raisons des émeutes de Watts de l’époque (voir ICI, sur le site de l'INA). Sans doute aussi de toutes celles à venir.


Nicolas Villodre


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