top of page
Naviguez dans
nos rubriques

En Inde, quand le mariage mène à la prison


En Inde, l'âge légal du mariage est de 21 ans pour les hommes et de 18 ans pour les femmes. Mais la pauvreté et le manque d’éducation conduisent souvent à des mariages beaucoup plus précoces : selon l’UNICEF, 1,5 million de filles de moins de 18 ans se marient en Inde chaque année. Au nord-est du pays, l’État d’Assam s’est lancé dans une vaste opération de répression des mariages illégaux.


Pour grandir, ou simplement continuer, les humanités, média alter-actif et engageant, ont besoin de vous. Pour s'abonner : ICI. Pour s'inscrire à notre infolettre : ICI


Devant le poste de police local de son village du nord-est de l'Inde, Nureja Khatun, 19 ans, est anxieuse. Tenant son bébé de six mois dans ses bras, elle attend d'apercevoir son mari avant que la police ne l'emmène au tribunal. Près d'une heure plus tard, elle ne verra son mari, Akbar Ali, que pendant quelques secondes, alors qu’il est embarqué dans un fourgon de police. « S'il vous plaît, libérez mon mari. Sinon, mettez-moi aussi en détention ». Un officier lui claque la porte au nez avant qu'elle ne puisse obtenir la moindre réponse.


Le mari de Nureja fait partie des plus de 3.000 hommes, dont des prêtres hindous et musulmans, qui ont été arrêtés il y a près de deux semaines dans l'État d'Assam, au nord-est du pays, dans le cadre d'une vaste opération de répression des mariages illégaux d'enfants de moins de 18 ans.

Nureja Khatun, 19 ans, dont le mari a été arrêté et emprisonné.


Cette action a plongé la jeune femme - et des centaines d'autres femmes comme elle qui se sont mariées avant 18 ans - dans l'angoisse. Nureja comptait sur Ali, avec qui elle s'était enfuie en 2021 alors qu'elle avait 17 ans, pour s'occuper d'elle. Gagnant 400 roupies (5 dollars) par jour comme ouvrier, Ali était le seul soutien de famille, et le couple a eu une petite fille il y a six mois. « Maintenant, il n'y a plus personne pour nous nourrir. Je ne sais pas si ma famille pourra survivre », confie-t-elle.


Ces mesures rigoureuses sont mises en œuvre dans un État de 35 millions d'habitants où de nombreux cas de mariage d'enfants ne sont pas signalés. Seuls 155 cas de mariages d'enfants ont été enregistrés dans l’État d’Assam en 2021, et 138 en 2020, selon les autorités régionales. En Inde, l'âge légal du mariage est de 21 ans pour les hommes et de 18 ans pour les femmes. La pauvreté, le manque d'éducation et les normes et pratiques sociales, en particulier dans les zones rurales, sont considérés comme les raisons des mariages précoces à travers le pays.


L'UNICEF estime qu'au moins 1,5 million de filles de moins de 18 ans se marient en Inde chaque année, ce qui fait de ce pays le plus grand nombre de mineurs mariés au monde - représentant un tiers du total mondial. Les données de l'enquête nationale indienne sur la santé des familles montrent que plus de 31 % des mariages enregistrés dans l’État d’Assam sont concernés. Dans certains districts, les grossesses chez les adolescentes atteignent 26 %, déclare le directeur général de la police d'Assam, Avy Krishna. « Ces mariages d'enfants sont devenus un fléau social, et les taux de mortalité sont assez élevés », ajoute-t-il.

Si les arrestations ont suscité une détresse massive au sein des familles, avec des femmes sanglotant devant les postes de police de l'État, l'action punitive a également suscité l'attention des avocats et des militants des droits de l'homme. Certains hommes, accusés d'avoir épousé des filles âgées de 14 à 18 ans, sont inculpés en vertu de la loi indienne interdisant le mariage des enfants, qui prévoit une peine d'emprisonnement de deux ans. D'autres hommes, accusés d'avoir épousé des filles de moins de 14 ans, ont été inculpés en vertu d'une loi plus stricte qui protège les enfants contre les délits sexuels. Cette loi ne prévoit pas de peine d'emprisonnement, qui peut aller de sept ans à la perpétuité.

La police d'Assam a défendu ses actions comme étant légales en vertu de ces deux lois, mais la Haute Cour de la capitale de l'État, Guwahati, a remis en question les arrestations.

Certains pensent que le gouvernement devrait sensibiliser les gens par l'éducation et des campagnes sociales au lieu de procéder à des arrestations. « Selon les directives de la Cour suprême, les arrestations devraient être le dernier recours », déclare l'avocat principal Anshuman Bora. « Tout d'un coup, ils décident de commencer à faire des arrestations massives pour s'attaquer au problème. Au lieu de cela, ils devraient se concentrer sur les réformes sociales pour y mettre fin.»

Des filles et leurs mères écoutent un rerpésentant d'une organisation non gouvernementale lors d'une séance de sensibilisation

au mariage des enfants, dans un bidonville de Guwahati, en Inde, le10 février 2023.


Les militants et les opposants politiques de l'État ont accusé le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) - le parti du Premier ministre indien Narendra Modi - au pouvoir dans l’État d’Assam - de procéder à des arrestations dans les districts et les zones où vivent de nombreux musulmans. Cette communauté, qui a migré au fil des ans depuis le Bangladesh voisin, a souvent été marginalisée par les autorités (lire ci-dessous, en compléments d'information).


« Nous avons constaté que des personnes de toutes les religions ont été impliquées dans des mariages d'enfants », déclare l'avocate et activiste sociale Hasina Ahmed : « Nous ne devons pas juger les communautés de cette manière. Nous ne devons pas voir la caste et la religion. Nous devons nous concentrer sur les enquêtes et procéder légalement pour résoudre les problèmes ». Pour elle, les arrestations font plus de mal que de bien dans les communautés de l'Assam. La majorité des jeunes femmes concernées n'avaient pas d'instruction, étaient sans emploi et venaient de familles pauvres où leur mari était le seul soutien de famille. « Le gouvernement aurait pu pénaliser les personnes qui se livrent à cette pratique à partir d'aujourd'hui. Punir les gens maintenant pour des mariages d'enfants anciens n'est pas approprié », ajoute Hasina Ahmed.

Radha Radi Mondal, 50 ans, dont le fils a été mis en prison


Radha Rani Mondal, 50 ans, est déterminée à faire sortir son fils de prison, mais dit qu'elle n'a ni l'argent ni le savoir-faire pour s'y retrouver dans le système juridique. Son fils de 20 ans a été arrêté le 4 février et sa belle-fille de 17 ans est enceinte. Elle a dépensé ses dernières 500 roupies (6 dollars) pour engager un avocat, à qui elle doit 20.000 roupies (250 dollars) de plus. « Je me rends tous les jours au poste de police et chez l'avocat, l'estomac vide. D'un côté, je dois trouver de l'argent pour les frais de justice et de l'autre, je dois gérer ma maison et m'occuper de ma belle-fille. C'est très difficile. Je me sens impuissante », dit-elle en pleurant.


Reportage : Piyush Nagpal pour Associated Press

Photographies : Anupam Nath


Photo en tête d'article : Nureja Khatun, 19 ans, avec dans ses bras son bébé de 6 mois, demande à la police de libérer son mari Akbor Ali, assis dans un fourgon de police alors qu'ils l'emmènent au tribunal, dans le district de Morigaon, dans l'État indien de l'Assam (nord-est de l'Inde), le 11 février 2023.


Jeune journaliste free-lance, Piyush Nagpal, formé à la production de journaux télévisés, au journalisme de données et multimédia, a notamment réalisé un documentaire sur la communauté tibétaine de Dehra Dun et, en 2017, « Protest Street », un documentaire les protestations de rue en Inde (teaser : https://youtu.be/kxqbwqPsszQ ).Pendant ses études en littérature, il a lancé Literature Helpdesk, The Indian Watchdog et Readers Club Delhi, des portails en ligne visant à promouvoir en Inde l'édition indépendante.


Photojournaliste originaire de la région d’Assam, Anupam Nath a commencé sa carrière en tant que journaliste photographe pour deux quotidiens régionaux, puis a travaillé comme photographe salarié pour le Hindustan Times et le Telegraph avant de rejoindre l'agence Associated Press en 2000.





Entièrement gratuit et sans publicité ni aides publiques, édité par une association, le site des humanités entend pourtant fureter, révéler, déficher, offrir à ses lectrices et lecteurs une information buissonnière, hors des sentiers battus.

Il y a encore du pain sur la planche, il ne reste plus qu’à faire lever la pâte. Concrètement : pouvoir étoffer la rédaction, rémunérer des auteurs, et investir dans quelques outils de développement…

Pour encourager cette aventure, dès 1 € :


Compléments d'information

État de l'Union indienne, situé dans l'extrême nord-est du pays, proche des frontières de l'Inde avec la Chine et avec la Birmanie. En grande partie montagneux, l'Assam ne compte que 26 655 500 habitants (recensement de 2001) malgré ses 78 438 kilomètres carrés.

La région est marginale par rapport au reste de l'Inde dont elle est largement séparée par le Bangladesh. Elle a été conquise par les Britanniques et incorporée à l'empire des Indes pour des raisons essentiellement stratégiques pendant les guerres avec la Birmanie dans les années 1820. Même les plaines étaient alors faiblement peuplées. Les bordures montagneuses sont longtemps restées incontrôlées, et ce n'est qu'en 1910 qu'ont été fixées les frontières avec la Chine ; leur tracé est d'ailleurs contesté par Pékin. Ces montagnes sont très peu hindouisées et restent très en marge de la culture proprement indienne.

L'Assam a été une région d'immigration vers laquelle se sont déplacées les populations originaires des plaines du Gange et de son delta : d'abord pour fournir de la main-d'œuvre aux plantations de thé créées à partir de 1840 sur les basses pentes des montagnes, puis pour coloniser la plaine. Aussi la population de l'Assam a-t-elle augmenté rapidement, de 70 p. 100 entre 1921 et 1951. Depuis les années 1960, l'Assam est le siège de révoltes et de violences de la part de nombreuses minorités ethniques. La plaine, longue de 600 kilomètres, large de 100, constitue avec les piémonts la région active de l'État. Soumise au régime des moussons, elle est extrêmement pluvieuse (entre 1 800 et près de 3 000 mm) d'avril à septembre-octobre. Le Brahmapoutre a des inondations violentes qui constituent une menace constante et ont freiné les investissements. Dans les régions basses s'est néanmoins installée une paysannerie de colons récents, petits propriétaires, qui pratiquent un système de cultures imité de celui du Bengale et fondé sur la production de riz et de jute. L'Assam est peu industrialisé, du fait de son relatif isolement du reste de l'Inde et de l'absence de voies de communication modernes. (source : Encyclopedia Universalis)


En 2019, des manifestations contre une loi sur la citoyenneté

En décembre 2019, des centaines de personnes manifestent contre une nouvelle loi sur la citoyenneté dans l'Assam contre la loi indienne sur la citoyenneté à Guwahati dans l'État d'Assam. Cette loi qui facilite l'attribution de la citoyenneté indienne aux réfugiés d'Afghanistan, du Pakistan et du Bangladesh mais pas ceux de confession musulmane, est jugée contraire à la Constitution indienne par ses adversaires.


Des écosystèmes forestiers menacés

Depuis 2012, l'Agence française de développement (AFD) travaille avec l'Etat d'Assam sur la conservation de la biodiversité, la gestion durable et participative des forêts, la création de moyens de subsistance alternatifs pour les communautés tributaires de la forêt et le renforcement du département forestier de l'Assam. D'ici 2024, dans le cadre du projet Assam sur la conservation des forêts et de la biodiversité (APFBC), 33 500 hectares de terres auront été reboisés et plus de 10 000 membres de la communauté auront été formés aux métiers locaux afin de relancer l'économie locale et protéger les ressources forestières.




149 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page