Gaza, n'en plus pouvoir
- La rédaction
- il y a 6 jours
- 3 min de lecture

Des Palestiniens déplacés fuient la ville de Gaza à pied et en voiture, emportant leurs biens avec eux
le long de la route côtière en direction du sud de Gaza, mercredi 17 septembre 2025. Photo Abdel Kareem Hana / AP
Pour Gaza, un poème de Marc Delouze et le texte d'un artiste palestinien en France, Adel Al-Tawil, qui signe « un acte de résistance face à l’effacement ».
A quel moment peut-on dire d’une tragédie qu’elle est « à son comble » ?
Les ordres clairs d’évacuation totale intimés aux habitants de Gaza City par Benyamin Netanyahou et son gouvernement, accompagnés d'opérations militaires et de bombardements intensifs, apparentent de plus en plus l’offensive israélienne à un nettoyage ethnique. Façon, avec le « soutien inconditionnel » des États-Unis de Trump, de faire place nette et d’édifier sur les décombres une luxueuse station balnéaire débarrassée de toute présence palestinienne ?
Ni les voix d’artistes et d’intellectuels israéliens opposés à cette politique génocidaire (le mot n’est plus tabou), ni les condamnations internationales ne semblent avoir de prise sur le premier ministre israélien et ses alliés d’extrême droite.
Gaza, n'en plus pouvoir, mais que dire d’autre que ce que l’on peut lire et entendre un peu partout ? Pour aujourd’hui, un poème, écrit et transmis par Marc Delouze (fondateur des Parvis poétiques) et le texte d’un artiste palestinien exilé en France, Adel Al-Tawil, invité en août dernier par Bruno Boussagol à La Nuit des ours, à Vallorcine (Haute-Savoie), qui avait exposé « un musée à ciel ouvert » avec six artistes gazaouis (lire ICI).
I Had a Dream
cette nuit j’ai rêvé qu’on pouvait
effacer les bombes qui déchirent les corps
effacer les avions qui les portent
effacer les pilotes qui les lâchent
effacer les généraux qui les commandent
effacer les dirigeants qui en décident
effacer les pays qui en dévorent d’autres
effacer un pays qui en efface un autre
effacer leur histoire qui a bon dos
effacer le monde qui permet ça
effacer les pensées qui dépassent les mots
effacer le silence
et la honte qui nous efface
effacer ce cauchemar qui n’est pas un poème
Marc Delouze

« Je voyagerai avec ce qu’il me reste de ma maison détruite »
Je suis Adel Al-Tawil, artiste plasticien originaire de Gaza, trente ans.
Depuis le 12 septembre 2024, je vis à Paris, où je poursuis mes études à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts.
Aujourd’hui, à Vallorcine, au cœur des Alpes, je présente Ma maison qui n’a pas sombré, une pièce issue de ma série "Je voyagerai avec ce qu’il me reste de ma maison détruite".
Ce travail n’est ni une simple installation, ni un objet figé : il est un fragment de mon existence, le prolongement de ma mémoire, le poids de mon deuil et la persistance d’un foyer arraché.
Le projet est né en 2021, alors que la guerre dévorait ma ville, consumant rues, bâtiments, écoles… et jusqu’aux souvenirs.
À Gaza, les bombes ne choisissent pas leurs cibles : elles effacent enfants et vieillards, femmes et hommes, rêves et visages, comme si l’existence y était un crime.
Le bateau que vous voyez n’est pas un moyen de fuir, mais un radeau qui porte ma maison détruite.
Depuis l’enfance, je pliais des bateaux en papier pour échapper, par l’imaginaire, aux bruits des frappes. Aujourd’hui, ce bateau existe dans la matière : il transporte les ruines réelles de ma maison, celle qui s’est effondrée sur ma famille, m’arrachant père, mère, frères, sœurs, neveux et nièces.
Il ne me reste qu’un seul frère, encore à Gaza, que je n’ai pas revu depuis deux ans.
Dans chaque pays où je pose le pied, je reconstruis ma maison à partir des matériaux que je trouve — bois, métal, tissu, gravats — et je la dépose sur mon bateau.
Ce geste n’est pas seulement artistique : il est un acte de résistance face à l’effacement. Ma maison et moi sommes indissociables ; si je devais disparaître, elle resterait comme témoin de mon passage, et du fait que Gaza a existé.
Ce projet ne parle pas seulement de perte. Il porte des questions universelles :
Pourquoi devrais-je quitter ma terre pour être en sécurité ? Pourquoi ne puis-je pas avoir un foyer sûr dans mon pays ? Pourquoi faut-il effacer un peuple pour que le monde le voie ?
Ici, à Vallorcine, j’ai construit ce bateau avec ce que la nature et le lieu m’offraient, comme un écho à mes bateaux en papier d’enfant — sauf qu’aujourd’hui, il porte une maison réelle, irrémédiablement perdue.
Ma conviction est simple : la véritable survie ne réside pas toujours dans la fuite. Parfois, survivre, c’est porter son pays et sa mémoire avec soi, partout, et refuser que l’on efface son histoire.
Adel Al-Tawil
Les humanités, ce n'est pas pareil. Nous avons fait le choix d'un site entièrement gratuit, sans publicité, qui ne dépend que de l'engagement de nos lecteurs. Dons (défiscalisables) ou abonnements ICI
Et pour recevoir notre infolettre : https://www.leshumanites-media.com/info-lettre
Adel était invité durant LA NUIT DES OURS à réaliser une oeuvre. Ils étaient 3 gazaouis invités. Par ailleurs, nous avons accueilli LA BIENNALE DE GAZA (pavillon français) avec 6 artistes toujours à GAZA mais dont les projets, esquisses, réalisation 3D ou digitales ont passé les frontières jusqu'à Vallorcine. À partir du 15 octobre nous organisons des visites guidées les jeudis à 10h30 rendez vous place de la gare de Vallorcine (74660).