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Gilbert & George, les papys font de la résistance

Gilbert & George posent devant l'une de leurs œuvres lors de leur exposition "DEATH HOPE LIFE FEAR... ",

au Gilbert & George Centre à Londres, mercredi 14 mai 2025. Photo Kirsty Wigglesworth / AP


Anarchistes et conservateurs, consacrés mais mécréants, éternels gamins de l'art contemporain, Gilbert & Gorge viennent d'inaugurer à plus de 80 ans, une nouvelle exposition londonienne, "DEATH HOPE LIFE FEAR". « Notre art comporte une dimension politique et humaine », rappelaient-ils dans un récent entretien avec l'écrivain Alain Elkann.


Maintenant, ce sont des papys. Mais des papys ayant su rester particulièrement alertes, irrévérencieux, et en plus élégants, et libres. En 1968, après s'être rencontrés à la Saint Martin's School of Art, ils ont décidé de se transformer en oeuvre d'art. Gilbert & George, c’est un peu les Laurel et Hardy de la provocation artistique, avec cravates bien nouées, visages figés, et slogans en lettres capitales. Depuis la fin des années 1960, ces gentlemen très british – Gilbert Prousch (né dans le Tyrol italien) et George Passmore (né dans le Devon anglais) – explorent les bas-fonds de l’âme humaine, sans jamais se départir de leur costume trois-pièces.


Autoproclamés « sculptures vivantes », ils ont fait de leur vie une œuvre, de leurs promenades dans l’East End un manifeste, et de leurs déambulations entre pissotières, drapeaux, sperme, croix gammées et Union Jack un sacerdoce post-moderne. Conservateurs dans l’apparence, anarchistes dans le contenu, Gilbert & George jonglent avec le bon goût comme des enfants blasphémateurs dans une cathédrale.


À mi-chemin entre les Sex Pistols et Oscar Wilde, entre Warhol et un thé à cinq heures, ils aiment l’Angleterre, mais la regardent comme on examine un animal empaillé. Ils détestent les élites artistiques, mais sont célébrés dans les plus grands musées. Ils prônent la liberté absolue, mais vivent dans la rigueur d’un duo quasi monacal, toujours ensemble, toujours droits, toujours impeccablement décalés.


A respectivement 83 et 82 ans, en attendant cet automne une grande rétrospective à la Hayward Gallery, ils viennent d'inaugurer à Londres, dans le lieu qu'ils ont eux même conçu, le Gilbert & George Centre (dans une ancienne brasserie du XIXe siècle), une nouvelle exposition sobrement baptisée "DEATH HOPE LIFE FEAR" ("MORT ESPOIR VIE PEUR"). Une façon de garder la ligne (graphique) pour ces humanistes invétérés (mais pas invertébrés) et indécrotytables mécréants (qui ont su cependant garder la fois des gamins).


Nadia Mével



Gilbert & George. Photo DR


« Vive l'humanisme ! »

Mini interview pour le magazine Hube (ICI) :


hube : De nombreux artistes considèrent leur travail comme un message pour l'avenir, sans se soucier du présent. Comment décririez-vous la relation entre votre travail, vous-mêmes et le temps ?

Gilbert & George : Toutes les images que nous avons créées traitent du passé, du présent et de l'avenir.


Votre travail fusionne l'art et la vie quotidienne, devenant non seulement une déclaration artistique, mais aussi un manifeste philosophique. Est-ce un triomphe de l'art ou du quotidien ?

G&G : « L'art pour tous » est notre premier slogan. Nous pensons que chacune de nos images est capable de parler à l'individu de sa vie, et non de ses connaissances artistiques.


En suivant vos principes artistiques, vous maintenez l'humanité au cœur de votre travail. Pensez-vous que le concept d'humanisme pourrait finir par s'épuiser ?

G&G : L'humanisme règne. Vive l'humanisme !


« La plupart des gens voient des images très belles et colorées, mais elles ont une dimension morale »

(extraits d'un entretien réalisé par l'écrivain Alain Elkann, publié en 2023. ICI)


Quel est votre processus créatif ? 

G&G : Les gens pensent que les images sont basées sur des idées. Ce n'est pas le cas, car si c'étaient des idées, ce serait quelque chose que nous connaissons déjà. Nous voulons nous laisser emporter par un nouveau courant de pensée, quelque chose que nous ne connaissions pas auparavant. C'est ça, la créativité. Vous créez quelque chose. Lorsque nous arrivons au studio le matin et que nous voyons les croquis de l'image que nous avons réalisée la veille, nous ne sommes jamais capables de recréer exactement comment nous y sommes arrivés, car c'est créatif.

Les images nous disent ce qu'elles veulent. Nous voulons laisser les images nous guider. C'est étrange. Nous devons laisser le processus se former. Nous ne devons pas tout contrôler.

 

Vous vous levez tôt ?

G&G : George à six heures. Gilbert à sept heures. Ensuite, nous allons prendre notre petit-déjeuner.

 

Vous portez toujours des costumes en tweed. Combien en avez-vous ?

G&G : Nous avons beaucoup de costumes. Nous avons des costumes légers en laine peignée pour l'été, des costumes d'hiver, des costumes de tous les jours et des costumes pour les occasions spéciales.

 

Avez-vous toujours été aussi élégants ?

G&G : Nous sommes des enfants de la guerre, ce qui signifie que nous nous habillons bien pour essayer de réussir dans la vie. Nous ne sommes pas prétentieux. Au début, nous devions nous habiller pour essayer de nous vendre à différentes galeries et musées. Puis c'est devenu une image.

 

Portez-vous toujours des chemises blanches ?

G&G : Oui, des chemises blanches qui sèchent rapidement, de chez Marks & Spencer. Elles doivent sécher rapidement, car nous considérons le repassage comme un ennemi et ne pouvons imaginer rien de plus ennuyeux. Nous suspendons simplement les chemises dans la salle de bain, mais nous envoyons les costumes au pressing.

 

Et les cravates ?

G&G : Nous en avons tellement reçu en cadeau que nous n'en avons pas acheté depuis 50 ans. En ce moment, une entreprise suisse très réputée qui fabrique de la soie, Fabric Frontline, nous envoie de grands cartons de cravates.

 

Vos chaussures sont-elles toujours marron clair ou mettez-vous parfois des chaussures noires ?

G&G : Non. Les citadins ont des chaussures noires.

 

G&G : Avez-vous une femme de ménage ?

Non. Nous faisons tout nous-mêmes. Une femme vient une fois par semaine pour nettoyer la maison.

 

Où mangez-vous ?

G&G : Nous mangeons dehors, tous les jours, trois fois par jour : petit-déjeuner, déjeuner et dîner. Il n'y a pas de nourriture à la maison, donc nous ne grossissons pas.

 

Vous n'avez pas de fruits chez vous ?

G&G : Si, nous achetons des fruits au supermarché et nous en mangeons tous les matins. Nous les mangeons en lisant le journal.

 

Quel journal ?

G&G : The Telegraph, bien sûr. C'est le journal le plus lu parmi les journaux intellectuels. Un artiste doit être informé. Nous ressentons la douleur du monde qui change chaque jour.

 

Depuis combien d'années êtes-vous sur le marché ?

G&G : Nous avons commencé à vendre en 1969. Nous avons eu deux grands coups de chance. Il y a eu une exposition collective internationale organisée par le conservateur suisse Harald Szeemann. C'était une exposition itinérante et nous savions qu'elle allait passer par Londres. Nous connaissions la personne chargée de la sélection sur place, le regretté Charles Harrison, et nous savions donc que nous allions y participer. Nous étions très excités car nous étions de jeunes artistes inconnus et nous pensions que nous allions participer à une exposition internationale. Mais il ne nous a pas sélectionnés, et nous avons sombré dans le désespoir et la dépression. Nous pensions avoir raté notre seule chance. Nous nous sommes invités au vernissage déguisés en sculptures vivantes avec des costumes métalliques multicolores et nous avons volé la vedette. Nous étions comme des objets, dans un coin, immobiles, puis quelque chose d'incroyable s'est produit. Un jeune homme s'est approché de nous et nous a dit : « Je m'appelle Konrad Fischer. Vous exposez avec moi à Düsseldorf. » C'était une invitation dont rêvait tout artiste. Il était le plus grand galeriste pour les jeunes artistes prometteurs.

 

Gilbert & George, "The Singing Sculpture", 1970.


Que s'est-il passé ?

G&G : Dans une exposition intitulée "Between" à la Kunsthalle Düsseldorf, différents artistes belges et allemands étaient présentés, Marcel Broodthaers et d'autres, et nous y sommes allés et avons présenté pour la première fois The Singing Sculpture sur une table. Sans interruption. Lorsque le disque était terminé, l'un de nous descendait et remettait le disque en marche, tandis que l'autre restait immobile. Du jour au lendemain, c'était mondial.

 

Joseph Beuys était là ?

G&G : Il n'exposait pas, mais Beuys est venu voir et nous a donné du chocolat.

 

Et ensuite ?

G&G : La deuxième grande chose s'est produite. Konrad a organisé pour nous la présentation de The Singing Sculpture dans d'autres lieux en Europe. Il nous a permis d'exposer dans une galerie éphémère installée dans un magasin de vêtements pour femmes fermé à Bruxelles. Nous avons présenté The Singing Sculpture pendant une soirée et, à la fin, une petite dame âgée s'est approchée de nous et nous a dit avec un accent européen incroyable : « Je m'appelle Ileana Sonnabend. J'ouvre une galerie à New York et je veux que vous soyez la première exposition. » Encore une fois, une invitation dont rêverait n'importe quel artiste. Et Konrad Fischer a dit : « Maintenant, vous faites quelque chose avec moi dans ma galerie, hein ? » Nous avons donc réalisé trois grands dessins au fusain sur papier, Walking, Viewing et Relaxing. Il les a vendus le premier jour pour 1.000 £.

 

Votre sexualité a-t-elle été fortement critiquée ?

G&G : Étonnamment, non. Nous nous en sommes sortis à bon compte, en quelque sorte. Nous avons rendu tout à fait normal que des centaines de personnes de tous âges et de toutes orientations sexuelles viennent dans les galeries et les musées du monde entier pour voir Gilbert & George.

 

Un artiste doit-il être jugé pour ses opinions politiques et sa vie privée ?

G&G : Nous nous sommes transformés en œuvre d'art en 1968. C'était une idée magique : nous pouvions être l'art et nous exprimer à travers cette invention extraordinaire. Notre art comporte une dimension politique et humaine générale. Nos images apportent une réponse générale.

 

Avez-vous toujours été très intéressés par le sexe ?

G&G : Le sexe, l'argent, la race, la religion font partie de l'art. Le sexe est une partie très importante de la vie quotidienne. Nous ne voulions rien laisser de côté. On parlait de nous à cause de cela, mais nous n'avons jamais cru à la distinction entre gay et hétéro. Nous pensons que c'est une simplification stupide. Nous croyons que la vie est beaucoup plus riche et compliquée que cela. Si vous parlez à nos jeunes amis, ils ne voient pas les choses en termes de gay et hétéro. C'est juste un monde extraordinaire dans lequel nous vivons et où il y a toutes sortes de possibilités. C'est ainsi que nous l'avons toujours vu.

 

Comment était-ce de vivre et de travailler ensemble ?

G&G : C'était très bien. Matisse ou Picasso avaient tous des partenaires, mais ils n'étaient pas des partenaires égaux. Quand nous avons commencé, l'œuvre d'art était Gilbert & George, une seule œuvre d'art. Nous avons parcouru les rues de Londres ensemble jour et nuit avant d'être acceptés comme artistes. Nous pensions que nous étions l'art, donc si nous étions l'art, nous devions être ensemble. Nous n'avons jamais rien fait seuls depuis le moment où nous avons commencé à exposer sous le nom de G & G.

 

Votre travail a-t-il beaucoup changé depuis vos débuts ?

G&G : Il a évolué. Nous sommes toujours les mêmes personnes, mais il change en fonction de notre vision du monde, de notre sagesse et de l'évolution de la moralité actuelle.


Vue de l'exposition "DEATH HOPE LIFE FEAR" au Gilbert & George Center à Londres. Photo DR

 

Y a-t-il des œuvres que vous ne pouvez pas montrer aujourd'hui parce qu'elles sont considérées comme immorales ?

G&G : Cela dépend où. Certaines aux États-Unis, même au Musée d'Art Moderne de Paris, où ils en ont retiré une qui avait trait à la merde. Tout cela n'a aucun sens, mais nous l'acceptons et ne faisons jamais de commentaires. Pour nous, ce parcours extraordinaire qui nous a permis de faire de l'art pendant 55 ans dans une seule ligne est extraordinaire. Nous conservons une dimension morale. Gilbert & George est une dimension morale. La plupart des gens voient des images très belles et colorées, mais elles ont une dimension morale. Notre art a une position dans la vie. Nous avons une morale sur la façon d'être humain et nous voyons très bien que beaucoup de gens n'aiment pas cela, n'aiment pas cela ou que cela provoque la réflexion, et c'est très bien aussi. Lorsque nous avons réalisé les Naked Shit Pictures lors de la grande exposition à South London, cela a provoqué la réflexion.

 

L'art est-il fait pour provoquer la réflexion ? 

G&G : Nous le pensons. Nous croyons fermement au monde libre et beaucoup de gens ne comprennent pas que le triomphe de l'Occident a été obtenu grâce à la culture, et non grâce aux policiers ou aux prêtres. Ce sont les écrivains et tous les penseurs qui l'ont fait, pas la législation.

 

Que signifie la culture pour vous ?

G&G : C'est très simple. La culture a un rôle énorme à jouer dans la création du monde libre, dont nous sommes extrêmement fiers d'être membres.

 

Que pensez-vous de l'avenir ?

G&G : Notre avenir est assuré. Nous avons compris que nous allons vivre éternellement.


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